Épuisement professionnel : 8 décembre 2022 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/00054

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Épuisement professionnel : 8 décembre 2022 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/00054

N° RG 21/00054 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IUWC

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 08 DECEMBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DU HAVRE du 09 Décembre 2020

APPELANTE :

S.C.P. C2R CROUIN-[OA]-ROLAND

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Yves MAHIU de la SELARL DE BEZENAC ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Boris MARIE, avocat au barreau du MANS

INTIMEE :

Madame [VX] [O]

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me David VERDIER de la SELARL VERDIER MOUCHABAC, avocat au barreau de l’EURE substituée par Me Dominique MARI, avocat au barreau de CAEN

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2021/002390 du 16/03/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Rouen)

COMPOSITION DE LA COUR  :

Lors des débats et du délibéré :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame ALVARADE, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 18 Octobre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 24 Novembre 2022, date à laquelle le délibéré a été prorogé au 08 Décembre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 08 Décembre 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame ALVARADE, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [VX] [O] a été engagée par la SCP Gerault-[J], huissiers de justice associés, en qualité de secrétaire dactylographe, à compter du 1er mars 2007, suivant contrat verbal à durée indéterminée, moyennant un salaire brut moyen mensuel qui était en dernier lieu de 1 970,45 euros, incluant une prime d’ancienneté et un 13e mois.

Le 31 juillet 2017, M. [JM] [J] a cédé les parts sociales qu’il détenait au sein de la SCP Gerault-[J], laquelle disparaissait au profit de la SCP C2R (Crouin – Rozec – Roland ). Le contrat de Mme [O] a par suite été transféré à l’étude C2R, en application des dispositions de l’article L1224-1 du code du travail, à compter du mois d’août 2017.

Il lui a été infligé deux avertissements par lettres recommandées des 23 avril 2018 et 26 décembre 2018 pour négligence dans l’exécution de son travail, sanctions qu’elle contestait par lettres du 28 avril 2018 et 11 janvier 2019.

Elle a par suite été placée en arrêt de travail du 16 au 30 novembre 2018 puis à compter du 26 décembre 2018 sans discontinuité.

Mme [O] a saisi la juridiction prud’homale aux fins de voir annuler les avertissements qui lui ont été infligés, constater l’existence d’un harcèlement moral et/ou de manquements de l’employeur à son obligation de sécurité, condamner la SCP C2R à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts et d’indemnités, prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail, condamner la SCP C2R au paiement d’un rappel de prime.

Par jugement rendu le 9 décembre 2020, le conseil de prud’hommes du Havre a :

– débouté Mme [O] de sa demande d’annulation des avertissements du 28 avril 2018 et 26 décembre 2018 ;

– condamné la SCP C2R à payer à Mme [O] la somme de 3 115,43 euros au titre du rappel de prime d’ancienneté ;

– débouté Mme [O] de ses demandes au titre du harcèlement moral ;

– dit que le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité justifiait la résiliation judiciaire de son contrat de travail ;

– condamné la SCP C2R à verser à Mme [O] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité ;

– dit que la résiliation du contrat de travail prend effet à compter de la date du jugement,

– condamné la SCP C2R à verser à Mme [O] les sommes suivantes :

indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse : 17 500 euros,

indemnité légale de licenciement : 6 896,56 euros,

indemnité compensatrice de préavis : 5 911,35 euros,

indemnité de congés payés : 591,13 euros

 

– condamné la société SCP C2R au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 29 septembre 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 26 septembre 2022, l’appelante demande à la cour de voir :

– infirmer le jugement,

et statuant à nouveau,

– débouter Mme [O] de l’ensemble de ses prétentions,

– débouter Mme [O] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et de ses demandes subséquentes relatives à la rupture,

– débouter Mme [O] de sa demande d’indemnité pour licenciement nul ou à défaut sans cause réelle ou sérieuse,

– ordonner la restitution du certificat de travail et de l’attestation destinée à pôle emploi,

– déclarer mal fonder l’appel incident de Mme [O],

– en conséquence, confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [O] de ses demandes d’annulation des avertissements et de ses demandes au titre du harcèlement moral,

– condamner Mme [O] au paiement de la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures transmises par la voie électronique le 22 juillet 2022, l’intimée, demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

– condamné la SCP C2R à lui payer la somme de 3.115,43 euros au titre de rappel de prime d’ancienneté ;

– dit que le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur ;

– prononcé la résiliation judiciaire de son contrat de travail ;

– condamné la SCP C2R Crouin-[OA]-[T] à lui verser les sommes suivantes :

indemnité légale de licenciement : 6 896,56 euros

indemnité compensatrice de préavis : 5 911,35 euros

indemnité de congés payés : 591,13 euros

– le réformer pour le surplus, et statuant à nouveau :

– annuler les avertissements du 28 avril 2018 et du 26 décembre 2018,

– constater l’existence d’un harcèlement moral et/ou à titre subsidiaire de manquements de l’employeur à son obligation de sécurité ;

– en conséquence, condamner la SCP C2R à lui verser les sommes de :

20 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

30 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul ou, à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse (15 mois de salaire)

4 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile (première instance et appel)

– condamner la SCP C2R aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé à leurs conclusions et au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 – Sur la demande d’annulation des sanctions disciplinaires

Selon l’article L.1331-1 du code du travail, « constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ».

En vertu de l’article L.1333-1 du code du travail, en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.

L’employeur fournit à la juridiction les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Sur ce fondement, aucune des parties ne supporte directement la charge de la preuve, mais il appartient à l’employeur de fournir au juge les éléments retenus pour prononcer la sanction contestée.

Sur le fondement de l’article L.1333-2, le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme, injustifiée ou disproportionnée à la faute commise. A l’exception du licenciement, le juge peut donc annuler une sanction prononcée (L 1333-3).

1 ‘ 1 Sur l’avertissement du 28 avril 2018

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 28 avril 2018, l’employeur a décerné à la salariée un avertissement, contesté par cette dernière et néanmoins maintenu.

Il lui est reproché d’avoir :

– le 19 avril 2018, remis à M. [OA] un état des lieux incomplet, le contraignant à tout réécrire sur place,

– le 20 avril 2018, effacé deux constats finalisés par Mme [H] l’obligeant à contacter un informaticien pour tenter de les récupérer et à reprendre les nombreuses modifications effectuées,

– le 23 avril 2018, omis de revoir l’état des lieux d’entrée effectué au brouillon par Mme [H] de sorte que M. [OA] n’était pas en possession du document rectifié.

La SCP C2R fait valoir que les fautes imputées à la salariée relèvent bien du fait fautif en raison de la simplicité de la tâche de son expérience et non de l’insuffisance professionnelle,

qu’elle n’avait à faire face à aucune surcharge de travail, l’effectif étant constant,

que les faits sont caractérisés et la sanction proportionnée, alors que plusieurs observations verbales lui avaient été adressées,

que contrairement ce qu’elle prétend, son ancien employeur, avait eu à se plaindre de son travail ainsi que cela résulte du courriel de Mme [L] du 21 mars 2017 indiquant ‘ tu as fait un mélange des constats je m’aperçois qu’il n’y a pas qu’un procès-verbal descriptif mais au moins quatre constats!’.

Mme [O] considère que les griefs allégués sont injustifiés et soutient que l’employeur fait usage de la procédure disciplinaire, non pas pour sanctionner un comportement fautif mais de prétendues incompétences professionnelles, ce qui constitue à lui seul un juste motif d’annulation de l’avertissement.

Sur le premier grief

La SCP C2R produit l’état des lieux d’entrée permettant d’établir l’état des lieux de sortie, avec une page de garde datée du 19 avril 2018, indiquant « mettre au propre edl de sortie du 17 avril » « urgent entrée demain jeudi 19 avril 14h30 », document remis par Mme [O] à l’huissier qui s’est avéré incomplet, une page sur deux étant manquante, soit dix pages sur vingt.

Mme [O] conteste la matérialité et l’imputabilité de ce grief, expliquant dans sa lettre de contestation que l’état des lieux avait été remis par une autre salariée à M. [OA], qui aurait dû vérifier qu’il disposait de la bonne version. Devant la juridiction, elle indique que cette collègue lui a remis l’état des lieux modifié le 19 avril juste avant le départ de M. [OA], qu’elle s’est empressée d’imprimer le document qui a été directement récupéré à la photocopieuse par l’huissier et qu’elle n’a pas été en mesure de vérifier si elle l’avait imprimé dans son entier.

Elle estime que cet incident mineur n’est pas caractérisé, alors qu’elle devait travailler dans l’urgence tout en étant soumise à une importante charge de travail, que la sanction est en toute hypothèse disproportionnée au regard de ce contexte.

Les griefs en cause constitutifs de faits fautifs, sont caractérisés et imputables à la salariée, qui admet qu’il relevait de ses fonctions de procéder à la vérification des actes transmis alors qu’elle indique’ recompter systématiquement le nombre de pages des états des lieux au brouillon’ qu’elle remettait à chacun des huissiers, que la carence dans l’exécution de sa mission ne s’explique pas par un surcroît de travail ou par une augmentation des tâches administratives qu’elle indique au demeurant avoir acceptées, mais bien en raison de son empressement à imprimer le document qui lui aurait été remis, selon ses dires, peu avant le départ de l’huissier.

Sur le second grief

La SCP C2R précise que le dossier effacé était traité par Mme [O] en charge de la transmission des données du dictaphone vers son poste de travail.

Elle produit les notes manuscrites prises par Mme [O] à la découverte de la perte des données et la facture du 4 juin 2018 de la société de conseil en informatique intervenue pour récupérer les fichiers.

Mme [O] fait valoir que la disparition des deux constats sur format informatique ne peut sérieusement lui être imputée, expliquant qu’elle a reçu de Mme [H] une clé USB concernant deux constats qu’elle a mis en page et imprimés, que cette dernière s’est aperçue qu’il ne s’agissait pas des dernières versions,

qu’elle ne peut être rendue responsable de cet incident dès lors que la clé USB ne contenait pas les bons fichiers.

Dans sa lettre de contestation, Mme [O] précisait en outre qu’une autre salariée, Mme [L] avait procédé à la frappe des constats, les avait renommés à la date du 6 juin 2018 au lieu du 6 avril 2018, et les lui avait transférés par courriel, elle-même les transférant à son tour sur la clé USB, après y avoir inséré des photographies.

Au regard des explications fournies par la salariée, ce grief ne sera pas retenu, alors qu’il apparaît probable que la dernière version des fichiers en cause avait été précédemment écrasée, sans pouvoir déterminer l’auteur et le moment exact de leur suppression.

Sur le troisième grief

La SCP C2R explique que la salariée devait remettre à Mme [H] l’état des lieux de sortie du 28 mars 2018 aux fins d’établir l’état des lieux d’entrée du 23 avril 2018, les deux constats étant sans changement du fait de l’absence de locataire, que la salariée n’a pas exécuté le travail, de sorte que Mme [H] a été contrainte de refaire le constat d’entrée sans pouvoir s’appuyer sur celui du 28 mars.

Mme [O] explique que Mme [H] avait accumulé du retard dans le traitement de ses dossiers, qu’elle ne lui a transmis le brouillon de l’état des lieux que la veille du jour où il devait être remis à M. [OA], alors qu’elle avait une importante charge de travail à ce moment précis qu’elle n’a pu reprendre l’état des lieux et a dû donner la version brouillon à M. [OA],

que sa charge de travail et le bref délai qui lui était imparti ne lui permettaient pas de satisfaire aux consignes irréalisables de l’employeur.

Les faits ne sont pas contestés dans leur matérialité, la salariée faisant état d’une surcharge de travail (deux constats volumineux avec insertion de photographies, impression et reliure, deux constats urgents à taper, cinq constats d’affichage et 6 états des lieux), l’ayant empêchée d’exécuter le travail demandé.

Si Mme [O] fait état d’un surcroît de travail momentané sur une semaine, elle mentionne seulement que deux constats devaient être effectués en urgence et ne démontre pas avoir été empêchée de ce fait d’exécuter le travail demandé pour le 23 avril 2018.

Les griefs subsistants sont caractérisés et la sanction justifiée, alors que la salariée a fait l’objet d’observations verbales relativement à des négligences dans l’exécution de sa prestation de travail.

1 ‘ 2 Sur l’avertissement du 26 décembre 2018

La lettre d’avertissement mentionne :

– des erreurs et des rectifications erronées de constats, consistant en :

l’annexion de photographies en double dans l’état des lieux [Adresse 5] du 21 décembre 2018, alors que l’huissier avait établi le brouillon du constat de sortie sur la base du constat d’entrée du 18 août 2017 et qu’il suffisait de prendre en compte les annotations et les photographies,

des confusions opérées dans les états des lieux des 12 et 13 novembre 2018,

l’insertion dans un constat établi par la société Garzynski en date du 26 novembre 2018 de deux photographies provenant d’un autre constat.

La SCP C2R produit les états des lieux du 21 décembre 2018, l’agenda permettant de dater les interventions et le brouillon de lecture relatif aux états des 12 et 13 novembre 2018, contenant de nombreuses erreurs, notamment quant au lieu et à l’identité des parties, des photographies en double, voire illisibles, ainsi que le constat du 26 novembre 2018.

Mme [O] fait valoir que ces griefs ne sont ni réels ni sérieux, qu’elle les a d’ailleurs contestés point par point par lettre du 11 janvier 2019,

que s’agissant du premier constat, elle indique avoir inséré des photographies sélectionnées par M. [T], que l’erreur ne lui est pas imputable,

que pour le second constat, l’identité des parties a été retranscrite telle que cela résulte de la dictée de M. [OA], et s’agissant de l’insertion de photographies en double elle a été soumise à des consignes contradictoires, alors qu’il lui a été demandé d’intégrer toutes les photographies dans le brouillon y compris celles similaires, l’huissier se chargeant lui-même de déterminer celles à supprimer,

qu’en ce qui concerne le constat Garzynski, dans lequel ont été insérées à tort 17 photographies, elle explique avoir dû effectuer deux autres importants constats Garzynski datés du 15 octobre et du 26 novembre 2018 en peu de temps en raison du retard accumulé par M. [H] dans ses actes, ces constats qui lui ont été confiés tardivement le 26 décembre 2018.

La SCP C2R justifie des erreurs effectuées par la salariée et du fait qu’il ne lui a jamais été demandé d’insérer toutes les photographies prises, alors qu’il résulte du dossier qu’elle opérait une sélection des clichés et qu’en ce qui concerne les constats Garzynski, ils lui ont été remis les 3 et 8 décembre 2018, le retard étant consécutif à son absence pour maladie, celui du 26 novembre 2018, comportant bien une vingtaine de photographies insérées à tort (lettre de la SCP C2R du 24 janvier 2019 en réponse la lettre de contestation de la salariée du 11 janvier 2019), de sorte que les griefs sont établis et la sanction infligée proportionnée au regard de l’expérience de la salariée.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande d’annulation des sanctions prononcées.

2 – Sur la demande au titre de la prime d’ancienneté

Mme [O] fait valoir que la SCP C2R a cessé de lui verser la prime d’ancienneté, alors que les dispositions de l’article 1-5-3 de la convention collective nationale du personnel des huissiers de justice instaurent le bénéfice d’une telle prime calculée « en fonction du nombre d’années de présence ininterrompue dans la profession. »,

qu’il n’y a pas lieu de tenir compte des périodes de suspension du contrat de travail pour maladie, la prime en cause ne rémunérant pas un travail effectif, mais l’ancienneté.

Elle sollicite une somme de 3 115,43 euros calculée comme suit : 143,74 euros X 7 mois (9 % du salaire brut de janvier à juillet 2019) + 191,75 euros X 11 mois (12 % du salaire brut à compter d’août 2019 à juin 2020) = 1.006,18 euros + 2.109,25 euros.

La SCP C2R ne conteste pas que le maintien du salaire dans toutes ses composantes s’impose à l’employeur, mais s’oppose à la demande, soutenant que la prime est incluse dans les sommes versées à la salariée.

Elle précise que le salaire de base de Mme [O], hors 13e mois, était de 1 688,46 euros, outre la prime d’ancienneté de 146,72 euros, soit un total brut de 1 835,18 euros et un salaire net de 1 311,44 euros, que le bulletin de paie de janvier 2019 mentionne un salaire de base de 1 688,46 euros, annulé en raison de l’arrêt maladie de la salariée, une somme de 1 884,09 euros représentant l’indemnité complémentaire étant comptabilisée, sous déduction des indemnités journalières et d’un ajustement du net pour parvenir à une somme de 1 342,13 euros net.

Elle produit la déclaration adressée à la caisse de retraite complémentaire des clercs et employés des huissiers de justice faisant figurer un salaire brut et la prime d’ancienneté à hauteur de 1 835,18 euros, une attestation de la société d’expertise comptable certifiant que la prime d’ancienneté a bien été prise en compte dans les salaires déclarés et une attestation de salaire pour le paiement des indemnités journalières mentionnant une somme brute de 1 835,18 euros.

A l’examen des pièces versées au dossier, il est démontré que le salaire perçu par la salariée intègre la prime d’ancienneté, celle-ci admettant du reste dans ses conclusions que son salaire de base se fixe à 1 688,46 euros brut outre une prime d’ancienneté à hauteur de 146,72 euros brut, la présentation des bulletins de salaire qui ne mentionnent plus sur une ligne spécifique la prime d’ancienneté ayant été modifiée du seul fait de l’absence de la salariée pour maladie.

Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a fait droit à la demande de la salariée à hauteur de 3 115,43 euros.

3 – Sur la demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral et du manquement d’application de sécurité

Selon l’article L.4121-1 du code du travail : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1º Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail;

2º Des actions d’information et de formation;

3º La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. ».

L’employeur est donc tenu d’une obligation générale de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés dans l’entreprise et doit prendre les mesures nécessaires pour en assurer l’effectivité.

L’article L.1152-4 du code du travail décline cette obligation générale de sécurité pesant sur l’employeur en matière de harcèlement moral. Il dispose que l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

En application des dispositions de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Aux termes du même article et de l’article L.1154-1 du code du travail, en sa rédaction applicable à la cause, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

3 ‘ 1 Sur le harcèlement moral

En cette matière, au regard des dispositions précitées, il revient à la cour de rechercher si la salariée rapporte la preuve de faits qu’elle dénonce au soutien de son allégation d’un harcèlement moral, si les faits qu’elle présente, appréhendés dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral et dans l’affirmative, si l’employeur justifie que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et qu’ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [O] expose qu’elle a été soumise à des conditions de travail délétères, épuisantes, humiliantes et dégradantes et qu’elle a dû faire face à une surcharge de travail, à des remarques désobligeantes, à l’absence totale d’accompagnement et à une multitude de reproches confinant à l’acharnement.

Au soutien d’un harcèlement moral, elle allègue :

un surmenage professionnel, expliquant que les conditions de travail se sont très rapidement détériorées peu après la reprise de l’étude par la SCP Crouin, Rozec et [T] le 31 juillet 2017, provoquant de nombreux départs non remplacés, ainsi que cela résulte du registre d’entrée et de sortie du personnel, alors qu’elle se verra attribuer des fonctions supplémentaires, devant notamment taper les actes de trois huissiers, non plus que d’un seul, effectuer la mise sous pli, l’affranchissement et l’envoi du courrier ainsi que le classement, l’établissement du répertoire journalier et l’archivage.

Elle produit l’attestation établie le 14 janvier 2019 par Mme [F] confirmant l’existence d’une surcharge de travail qui déclare : « Une surcharge de travail est apparue à chaque poste, notamment en suite de départ de collègues qui ont démissionné et qui n’ont pas été remplacés. En un an, il y a eu trois démissions, dont la mienne. » et le registre d’entrée et de sortie du personnel, communiqué par la partie adverse, qui démontre une fuite du personnel, avec au 1er août 2017, cinq démissions, un 1icenciement, quatre ruptures de période d’essai, un contrat à durée déterminée non renouvelé contre trois embauches.

– une nouvelle organisation de travail déstabilisante, alors que les supports sur lesquels elle travaillait pour rédiger les constats ou les états des lieux ont été modifiés,

qu’il lui était donné des consignes incohérentes,

qu’à titre d’exemple, ses employeurs lui ont demandé d’intégrer toutes les photographies dans les constats en brouillon y compris celles similaires avant de lui reprocher l’existence de doublons,

que du fait du retard accumulé par les huissiers dans le traitement des dossiers, elle devait constamment effectuer ses fonctions dans l’urgence et travaillait sans cesse dans la crainte de faire des erreurs ou de ne pas tenir les délais très courts qui lui étaient impartis,

qu’un système de contrôle du travail des salariés était également instauré,

qu’elle devait ainsi justifier des tâches réalisées chaque jour sur un papier qu’elle devait remettre à Mme [H], ce contrôle quotidien de son travail étant générateur de stress et de pression,

que la suspicion des huissiers de justice associés à l’égard de son travail et de son comportement était généralisée,

qu’elle a d’ailleurs fait l’objet d’un contrôle médical le 27 mai 2019 lors de son dernier arrêt de travail à la demande de l’employeur.

Elle produit :

– les attestations établies par d’anciens salariés comme :

Mme [D], déclarant le 31 janvier 2019 : «Ensuite, ces derniers [les repreneurs] ayant souhaité modifier toute l’organisation et les méthodes de travail au sein de l’entreprise, l’ensemble des employés a donc été obligé de composer entre l’apprentissage de la nouvelle organisation et les instructions des repreneurs qui se substituaient les unes aux autres. Cette situation a donc engendré un retard de travail considérable pour l’ensemble de la société.  »

« Mme [VX] [O], m’a plusieurs fois interpellé sur sa situation de travail. En effet, elle m’a indiqué que, de son côté alors qu’elle avait un travail constant avant l’arrivée des repreneurs, depuis, il y avait des jours où elle n’avait pas de constats à taper puis d’autres jours où tout le travail à faire arrivait en même temps créant une surcharge puisque devenu très urgent.  »,

M. [LW], confirmant, le 11 février 2019, l’existence de «nouvelles méthodes de travail appliquées augmentant la pression psychologique sur les salariés et une ambiance relationnelle tombée à zéro. »

– l’attestation de contrôle médical du 27 mai 2019.

des sanctions disciplinaires injustifiées, en ce qu’elle s’est vue notifier deux avertissements le 23 avril 2018 puis le 26 décembre 2018, ne s’expliquant pas ces reproches sur le sérieux et la qualité de son travail alors qu’elle avait donné entière satisfaction à son employeur au cours des dix premières années de la relation contractuelle, ainsi que cela résulte de l’attestation de M. [J] qui déclare « qu’il n’a jamais rencontré de difficulté majeure avec elle et que son travail était fait consciencieusement et très correctement ».

Le caractère injustifié des sanctions disciplinaires n’ayant toutefois pas été reconnu, ce fait ne peut être considéré comme établi.

des propos méprisants et accablants, tenus après qu’elle a contesté par courrier les avertissements qui lui ont été infligés, y évoquant en outre ses conditions de travail dégradées, une surcharge de travail, un manque d’accompagnement, l’absence de consignes claires et précises, la mauvaise ambiance régnant au sein de l’étude, l’angoisse et le stress qu’elle ressentait chaque jour au travail, alors que l’employeur, au lieu de prendre en considération ses doléances, lui répondait de manière virulente, lui reprochant davantage de faits et dénigrant son travail et son implication.

Elle produit :

– les lettres de contestation des avertissements adressées à l’employeur les 28 avril 2018 et 11 janvier 2019, ce dernier courrier faisant notamment état de remarques et reprises désobligeantes, ainsi, pour avoir eu 5 minutes de retard, l’un des associés l’aurait par ailleurs traitée de menteuse, poussée à la démission et obligée à reprendre le travail lorsqu’elle a annoncé le 26 décembre 2018 à midi qu’elle était souffrante,

– la lettre du 17 mai 2018 de l’employeur en réponse à son courrier du 28 avril 2018 formulant une multitude de reproches sur un ton méprisant, ironique et menaçant et contenant des insinuations relatives à sa prétendue incompétence généralisée, tels que :

« Si pour des tâches basiques vos employeurs doivent vérifier le travail, alors se pose la question de la pérennité de votre emploi à ce poste.  »

« Si nous devons tout faire tout seuls, alors nous n’avons plus besoin de personnel.  »« Vous numérotez depuis quelques semaines une photographie sur trois.  » « Outre les erreurs que vous commettez, nous constatons que vous ne respectez pas nos instructions.  », relatives en outre à sa fainéantise, comme: « En dépit de votre retard, le nombre de fois où nous entrons dans votre bureau et nous vous voyons le téléphone à la main.  »,

niant son surcroît de travail : «Concernant le non-renouvellement de poste (‘), nous ne voyons pas en quoi cela vous impacte.  »,

– la lettre du 24 janvier 2019 en réponse à ses observations du 11 janvier 2019 indiquant à propos de la surcharge de travail « Le travail rendu est de quantité inférieure aux heures contractuelles effectuées  »,

– la lettre du 20 mars 2019 de l’employeur contenant pas moins de sept pages de reproches, confirmant le peu d’égard pour sa personne, indiquant notamment : «Nous avons peu à intervenir auprès de vous si ce n’est pour vous remettre des constats à frapper et à vous demander de rectifier votre travail rendu si besoin. » « Vos propos sont donc déplacés, vos exigences mal venues et vos mensonges intolérables », alors qu’elle dénonçait simplement ses conditions de travail et révélatrice de la suspicion des employeurs à son égard, lui écrivant « Pour avoir des informations aussi précises, il semblerait que vous conservez par devers vous des informations ou des documents internes à l’entreprise ce qui est formellement interdit. » ainsi que de leur défiance vis-à-vis d’elle, lorsqu’à la suite du déménagement l’étude, les huissier ont refusé de lui confier les clefs qu’elle avait toujours eues en sa possession,

– la lettre du 5 avril 2019 contenant des termes insultants.

une souffrance au travail à l’origine de plusieurs arrêts maladie

Mme [O] produit des éléments médicaux démontrant qu’elle souffrait d’un syndrome anxio-dépressif réactionnel aux conditions de travail et nécessitant un suivi par un psychiatre, en particulier :

– les avis d’arrêt maladie du 30 avril 2018 au 11 mai 2018, du 23 au 30 novembre 2018 et à compter du 26 décembre 2018,

– le certificat établi le 21 avril 2020 par Mme [R], infirmière en psychiatrie, attestant qu’elle a été suivie du 3 mars au 25 septembre 2019 et que « son état de santé nécessite une prise en charge spécialisée pour suivi psychologique en lien avec son contexte de travail ».

Au regard des pièces produites, la salariée présente des éléments suffisamment précis, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’agissements de harcèlement moral.

En réponse, aux fins de justifier que les faits avancés par la salariée sont étrangers à tout harcèlement moral, la SCP C2R fait valoir :

que Mme [O] disposait d’excellentes conditions de travail,

sur le surmenage professionnel,

que la charge de travail de l’étude de M. [J] est restée dans un premier temps identique avant de régresser,

que Mme [O] était alors en charge de la frappe des constats dressés par M. [J] ainsi que ceux de M. [H] (huissier salarié) et de M. [HI] (clerc habilité), de sorte qu’elle n’a jamais eu trois fois plus de constats à frapper, alors que M. [OA] rédigeait et frappait ses propres constats,

qu’il lui était également antérieurement confié la tenue du répertoire des actes et formalités,

que le nombre de constats a par ailleurs diminué, passant de 527 à 401 selon le tableau de bord des actes au 31 décembre 2017 et au 31 décembre 2018,

que les effectifs sont restés quasi constants, comme attesté par le comptable, l’étude occupant un effectif global de onze personnes (huit salariés et trois huissiers) au 31 août 2018, douze personnes (neuf salariés et trois huissiers) au 31 août 2017, douze personnes (onze salariés dont un huissier salarié et un huissier) au 31 août 2016,

qu’une seule salariée (Mme [D]) a quitté l’étude du temps de présence de Mme [O], et deux salariées (Mme [A] et [Z]) ont été embauchées, pour lesquels il a toutefois été mis fin à la période d’essai en août et septembre 2018, avant le recrutement définitif de M. [V] le 19 novembre 2018,

qu’en outre, alors que Mme [O] était en arrêt de travail au 1er janvier 2019, elle ne peut soutenir que les départs de salariés postérieurement à cette date aurait impacté sa charge de travail (départ de Mmes [K], [C], [Y], [N], [P] et [U]),

que les attestations qu’elle produit sont dépourvues de valeur probante, alors que ni Mme [D], qui ne fait que réitérer ses déclarations, ni M [LW], qui officiait en extérieur de 8h30 à 16h30, ne peuvent témoigner de faits qu’ils n’ont pas matériellement constatés,

sur l’organisation déstabilisante,

que les salariés n’ont pas été soumis à de nouvelles méthodes de travail, mais qu’il s’agissait de combler le retard accumulé avant la reprise de l’étude,

que l’ambiance de travail était sereine, ainsi que le confirment Mme [X] [B] et M. [G] [M], qui indiquent que les employeurs accompagnaient leurs salariés, ce dernier ajoutant que «  le ton employé et le comportement de l’employeur ne dénotaient aucune condescendance, ni animosité. », alors que Mme [I] [A], salariée depuis juin 2018, déclare avoir ressenti de la part des salariés dont « [E], [W] et [S] » une opposition au changement de direction, se plaignant d’avoir perdu en autonomie, claire lui ayant confié chercher ailleurs,

sur les propos méprisants et accablants et l’acharnement dépeint par la salariée,

qu’il s’est contenté de répondre aux courriers de contestation qu’elle a adressés pour certains pendant son arrêt maladie et qu’en particulier, le courrier de sept pages du 20 mars 2019 répondait de manière circonstanciée à son courrier condensé de près de quatre pages du 5 février 2019, les termes utilisés par la salariée, tels « incompétence généralisée » ou « fainéantise » n’ayant jamais été employés,

qu’à titre d’exemple, dans la lettre du 24 janvier 2019, répondant aux interrogations et observations de la salariée, il était expliqué : « Me [H] vous a demandé de noter vos heures… seules quelques journées nous ont été remises. Vous ne respectez pas nos instructions et le contenu ne correspondait pas à nos demandes. Et contrairement à ce que vous mentionnez vous ne faîtes aucun travail supplémentaire, comme cela figure sur les fiches remises par vos soins. Vous ne faîtes rien de plus que vos heures contractuelles… Le travail rendu est de quantité inférieure aux heures contractuelles effectuées (ce qui justifie notre demande de rapport journalier de votre activité pour nous permettre de réorganiser votre poste) », indiqué en outre qu’elle n’a pas été traitée de « menteuse », et que « ce n’était absolument pas tourné de cette façon… »,

que dans cette même lettre il était souligné la contradiction dans ses propos lorsqu’elle affirme avoir été poussée à la démission et été obligée de reprendre le travail, et fait le simple constat qu’elle effectuait depuis quelques mois des recherches d’emploi sur son poste de travail,

sur la dégradation de son état de santé,

que les certificats médicaux ne permettent pas d’établir un lien avec les conditions de travail alors que le médecin doit se prononcer conformément aux constatations médicales qu’il est en mesure de faire,

qu’au cas d’espèce, le certificat établi le 21 avril 2020, par une infirmière, ne fait que reprendre les déclarations de la salariée.

L’employeur justifie de ce que ses décisions sont étrangères à tout harcèlement moral, la cour ajoutant que l’existence d’une surcharge de travail, si elle a pu être ponctuelle, à certains moments, ne se vérifie pas objectivement, en tout cas dans le temps de présence de la salariée, au vu des éléments chiffrés produits en termes d’effectif, alors que le nombre d’actes a également diminué de façon notable par rapport à ceux enregistrés par l’étude [J],

que sur l’organisation du travail, le fait de donner des consignes incohérentes ne se vérifie pas non plus, un seul exemple étant cité, concernant l’annexion de l’ensemble des photographies, y compris des doublons, au demeurant non retenu par la cour lors de l’examen du caractère fondé ou non de l’avertissement du 26 décembre 2018 comme pouvant excuser la carence de la salariée,

que par ailleurs la mise en place de nouvelles méthodes de travail dans le but de résorber le retard dans le traitement des dossiers, a pu être ressentie comme déstabilisante par la salariée, mais pour autant ne permet pas de caractériser des faits de harcèlement moral, en ce que ces changements ont concerné l’ensemble des salariés et qu’il n’est résulté aucun abus de l’employeur dans le cadre de l’exercice de son pouvoir de direction,

que les courriers adressés par l’employeur, en ce qu’ils avaient pour but de répondre aux contestations et observations de la salariée, ne sont pas en soi révélateurs d’une situation de harcèlement moral, de sorte que Mme [O] sera déboutée de sa demande de reconnaissance et d’indemnisation d’une situation de harcèlement moral, le jugement étant confirmé de ce chef.

3 ‘ 2 Sur le manquement à de l’employeur à son obligation de sécurité

Mme [O] soutient que la SCP C2R n’a rien entrepris pour lui permettre de travailler dans des conditions sereines et raisonnables, qu’aucun dispositif d’accompagnement n’a été mis en place pour faire face à la surcharge de travail, que le management était « déplorable et destructeur », que les reproches incessants ont été générateurs d’un épuisement professionnel et de souffrance au travail.

Elle produit les attestations établies par Mme [F] faisant état d’alertes concernant la surcharge et l’organisation du travail et Mme [D] évoquant des difficultés dans la gestion de la charge de travail.

Il est établi que l’étude a pu rencontrer des moments de surcharge de travail, situation signalée par la salariée dans son courrier du 28 avril 2018, mentionnant l’absence de remplacement d’une collègue peu après la reprise en août 2017, alors qu’il résulte en outre des attestations d’anciens salariés que des alertes avaient été lancées (Mmes [F], [D]…).

Si l’employeur indique par ailleurs qu’il n’a pas changé les méthodes de travail, il reconnaît toutefois avoir opéré des modifications dans l’organisation de l’étude alors qu’ « il s’agissait d’exécuter le travail en temps utile afin de mettre un terme aux délais de traitement inadmissibles sous l’ancienne gestion », ces décisions n’ayant pas manqué de provoquer une situation de stress chez la salariée, pouvant expliquer qu’elle ait pu manifester son opposition à l’équipe en place.

Si l’employeur pouvait légitimement répondre aux courriers de la salariée, encore devait-il le faire avec mesure, alors que le ton employé dans ses correspondances, parfois rude, parfois ironique, pouvait être mal ressenti par la salariée, déjà fragilisée pour avoir été placée en arrêt maladie à deux reprises en avril et novembre 2018, puis à compter du 26 décembre 2018 en raison d’un syndrome anxio-dépressif réactionnel.

Le manquement à l’obligation de prévention est par conséquent caractérisé et il sera alloué à la salariée en réparation de son préjudice une somme de 3 000 euros, par infirmation du jugement déféré.

4 – Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

Par application des dispositions des articles 1227 et 1228 du code civil et des articles 1231-1 et 1222-1 du code du travail, le salarié est admis à demander la résiliation judiciaire du contrat de travail en cas d’inexécution par l’employeur des obligations découlant du contrat.

Les manquements de l’employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être établis par le salarié et d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Au cas d’espèce, au vu de ce qui précède, l’employeur n’a pas pris toutes les mesures de prévention et de sécurité pour protéger la santé physique et mentale de la salariée, commettant un manquement à son obligation de sécurité de nature à entraîner la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts, le jugement étant confirmé de ce chef.

Les agissements de harcèlement moral n’ayant pas été retenus, la résiliation judiciaire produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et non nul.

5 – Sur les conséquences financières de la rupture

La salariée peut par conséquent prétendre au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, augmentée des congés payés afférents, ainsi qu’à une indemnité de licenciement, à hauteur des sommes, non spécifiquement contestées dans leur quantum, le jugement étant confirmé sur ces points.

En application de l’article L 1235-3 du code du travail ‘si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous’.

Mme [O] demande d’écarter le barème prévu à l’article L 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité car il ne permet pas d’assurer une juste réparation.

Elle soutient que le barème de l’article L 1235-3 du code du travail est contraire à l’article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996 et à l’article 10 de la convention 158 de l’organisation internationale du travail garantissant aux salariés licenciés sans motif valable le droit de recevoir une indemnité adéquate,

qu’aux termes de l’article 55 de la constitution du 4 octobre 1958 : «Les Traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure ci celle des lois », de sorte que le juge ne peut apprécier un litige au regard des seules règles de droit interne et doit tenir compte des textes internationaux qui, ayant été régulièrement ratifiés, ont force de loi en France à compter de leur publication par décret,

que l’article 24 de la charte sociale, qui prévoit expressément la reconnaissance d’un droit : « le droit des travailleurs licenciés sans motif valable a une indemnité adéquate », a en conséquence un effet direct,

qu’à tout le moins, le barème français ne permet pas d’attribuer une indemnité adéquate,

qu’ainsi le comité de l’OIT note que, si la marge d’appréciation des juges du fond reste possible de façon à pouvoir tenir compte de situations individuelles et personnelles, le pouvoir d’appréciation du juge en la matière apparaît ipso facto contraint, puisqu’il s’exerce dans les limites de la fourchette du barème établi par la loi,

que compte tenu d’un plafond n’évoluant qu’en considération de l’ancienneté, le barème ne permet pas au juge de tenir compte de l’ensemble des éléments de situation du salarié,

que l’indemnisation moyenne a été érigée en indemnisation maximale, ce qui démontre d’emblée que cette démarche ne peut conduire à une indemnisation adéquate,

que les plafonds français, ainsi fixés aussi bas, ne correspondent plus à des «indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur»,

qu’en d’autres termes, l’article L 1235-3 du code du travail, en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi, ni d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié.

Les dispositions de la charte sociale européenne selon lesquelles les États contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en ‘uvre nécessite qu’ils prennent des actes complémentaires d’application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

L’invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Les stipulations de l’article 10 de la convention n° 158 de l’organisation internationale du travail, qui créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l’encontre d’autres particuliers et qui, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale de la convention, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire, sont d’effet direct en droit interne.

L’article 10 de la convention internationale du travail n° 158 de l’OIT, d’application directe en droit interne, prévoit que s’il n’est pas possible selon les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée pourra être ordonné. Le terme « adéquat » doit être compris comme réservant aux États parties une marge d’appréciation.

En droit français, si le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise. Lorsque la réintégration est refusée par l’une ou l’autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dans les limites de montants minimaux et maximaux édictés sur la base de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise. Le juge français garde une marge d’appréciation quant à l’évaluation de l’indemnité adéquate ou d’une réparation appropriée, entre une limite minimale et une limite maximale exprimées en mois de salaire brut, de telle sorte que l’indemnisation réponde à la situation particulière du salarié, par la prise en compte de critères autres que l’ancienneté, tels que l’âge, la situation de famille, la difficulté à retrouver un emploi. Par ailleurs, le barème prévu par l’article L. 235-3 du code du travail est écarté en cas de nullité du licenciement, par application des dispositions de l’article L.1235-3-1 du même code.

Il s’en déduit que les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la convention n° 158 de l’organisation internationale du travail.

En outre, le renforcement de la prévisibilité des conséquences qui s’attachent à la rupture du contrat de travail, organisé par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, texte de valeur législative, a poursuivi un objectif d’intérêt général qu’il n’appartient pas au juge judiciaire de discuter. En tout état de cause, la fourchette de l’indemnisation entre une indemnité minimale et une indemnité maximale ne saurait, en raison de sa progression réelle, être considérée comme incitant en elle-même au licenciement d’un salarié.

Par ailleurs, la condamnation de l’employeur peut s’accompagner de la sanction prévue à l’article L 1235-4 du code du travail lorsque les conditions en sont réunies, une possibilité de voies de droit alternatives non soumises à un plafond étant ouverte pour demander la réparation de licenciements nuls et de préjudices distincts de celui tiré de la perte d’emploi. Le champ de ces voies de droit alternatives est donc étendu. Par conséquent, le plafonnement instauré par l’article L.1235-3 du code du travail présente donc des garanties qui permettent d’en déduire qu’au regard de l’objectif poursuivi, l’atteinte nécessaire aux droits fondamentaux n’apparaît pas, en elle-même, disproportionnée et de conclure à la conventionnalité de ce texte.

Au moment de la rupture de son contrat de travail, Mme [O] comptait douze ans d’ancienneté et la SCP C2R employait habituellement au moins onze salariés.

En application de l’article L.1235-3 du code du travail précité, Mme [O] peut prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure à trois mois, ni supérieure à onze mois de salaire.

En raison de l’âge de la salariée, comme étant née en 1966, de son ancienneté dans l’entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, de son aptitude à retrouver un emploi, les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice matériel et moral qu’elle a subi en lui allouant la somme de 17 500 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, cette somme offrant à la salariée une indemnisation adéquate de son préjudice né du caractère infondé de son licenciement.

Sur les frais de procédure :

En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la SCP C2R, qui succombe pour l’essentiel, sera condamnée aux dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 1 000 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a condamné la SCP Crouin – [OA] – [T] au paiement d’une somme de 3 115,43 euros à titre de rappel de prime d’ancienneté et d’une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

Statuant à nouveau,

Condamne la SCP Crouin – Rozec – [T] à payer à Mme [O] une somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

Déboute Mme [O] de sa demande de rappel de prime d’ancienneté au titre de 2019 et 2020,

Y ajoutant,

Condamne la SCP Crouin – Rozec – [T] à payer à Mme [O] une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SCP Crouin – Rozec – [T] aux dépens,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions.

La greffière La présidente

 


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