Épuisement professionnel : 7 juillet 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 19/03909

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Épuisement professionnel : 7 juillet 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 19/03909

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 07 JUILLET 2022

N° RG 19/03909 – N° Portalis DBV3-V-B7D-TQ3V

AFFAIRE :

[N] [V]

C/

SAS AUSY

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 17 Octobre 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : F19/00010

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Paul VAN DETH

Me Clément SALINES

le : 08 Juillet 2022

Expédition numérique délivrée à Pôle Emploi, le 08 Juillet 2022

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEPT JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX ,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant,fixé au 16 Juin 2022,puis prorogé au 30 Juin 2022, puis au 07 Juillet 2022,les parties ayant été avisées, dans l’affaire entre :

Monsieur [N] [V]

né le 25 Avril 1975 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par : Me Clément SALINES de l’AARPI NOVIA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

SAS AUSY

N°SIRET : 352 905 707

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par : Me Paul VAN DETH de la SELEURL Société d’Exercice libéral d’Avocat ISNAH, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J094,substitué par Me BERTON Anne-Sophie,avocate au barreau de Paris.

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 14 Avril 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle VENDRYES, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Greffier lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT,

Rappel des faits constants

La SAS Ausy, dont le siège social est situé à [Localité 5] dans les Hauts-de-Seine, est spécialisée dans l’expertise technique d’ingénierie, de la consultation dans l’informatique, de l’électronique, des systèmes d’information et de réseau. Elle emploie plusieurs milliers de salariés et applique la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, dite Syntec.

M. [N] [V], né le 25 avril 1975, a été engagé par cette société le 11 mars 2013, selon contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de directeur technique.

M. [V] a été placé en arrêt de travail à compter du 18 octobre 2017, prolongé sans interruption jusqu’au 31 août 2018.

En dernier lieu, M. [V] percevait une rémunération mensuelle brute de 4 950,50 euros à laquelle s’ajoutait une part variable en fonction de la réalisation d’objectifs.

Par courrier du 3 juillet 2018, M. [V] a démissionné, dans les termes suivants :

 » Étant en arrêt maladie depuis novembre 2017 en raison d’un épuisement professionnel et suite au refus de l’entreprise d’effectuer une rupture conventionnelle dans les conditions minimales légales, je vous informe, par cette lettre, de ma démission du poste de Responsable Technique d’Affaires que j’occupe dans votre entreprise depuis le 11 mars 2013″.

Par requête reçue au greffe le 24 décembre 2018, M. [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de voir sa démission requalifiée en prise d’acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur.

La décision contestée

Par jugement contradictoire rendu le 17 octobre 2019, la section encadrement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a :

– jugé que le courrier du 3 juillet 2018 s’analyse en une démission,

– débouté M. [V] de l’intégralité de ses demandes et débouté la SAS Ausy de ses demandes reconventionnelles,

– condamné M. [V] aux entiers dépens.

M. [V] avait demandé au conseil de prud’hommes de condamner la SAS Ausy au paiement des sommes suivantes :

. 33 774 euros nets pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (6 mois),

. 10 319,83 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

. 36 662 euros au titre d’un rappel d’heures supplémentaires,

. 3 666,20 euros au titre des congés payés afférents,

. 19 589,32 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

. 1 958,93 euros au titre des congés payés afférents,

. 33 774 euros nets à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

. 6 130 euros à titre de rappel de salaire sur rémunération variable,

. 613 euros au titre des congés payés afférents,

. 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,

. 10 000 euros de dommages-intérêts au titre du préjudice moral distinct,

. 1 100 euros nets au titre du remboursement des frais engendrés par la psychothérapie,

. 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il a sollicité également :

. la constatation d’heures supplémentaire non rémunérées,

. la constatation de la violation par l’employeur de son obligation de sécurité,

. la constatation du non-paiement intégral de la rémunération variable pour le second semestre 2017, et les premier et second semestre 2018,

. la fixation du salaire de référence à la somme de 5 629 euros,

. l’exécution provisoire,

. les intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud’hommes.

La société Ausy avait, quant à elle, conclu au débouté du salarié et avait sollicité sa condamnation à lui verser une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La procédure d’appel

M. [V] a interjeté appel du jugement par déclaration du 25 octobre 2019 enregistrée sous le numéro de procédure 19/03909.

Prétentions de M. [V], appelant

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 4 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, M. [V] conclut à l’infirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris et demande à la cour d’appel, statuant de nouveau, de :

– fixer le salaire de référence à la somme de 5 629 euros,

– constater la réalisation d’heures supplémentaires non rémunérées,

– constater la violation par l’employeur de son obligation de sécurité,

– constater le non-paiement intégral de la rémunération variable pour le 2ème semestre 2017 et les 1er et 2ème semestres 2018,

– constater le défaut de fixation d’objectifs par l’employeur pour le 2ème semestre 2017 et les 1er et 2ème semestres 2018,

en conséquence,

– dire et juger que la démission motivée de M. [V] s’analyse en une prise d’acte de la rupture du contrat, justifiée par les manquements de l’employeur,

– condamner la société Ausy à lui payer les sommes suivantes :

. 33 774 euros nets pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (6 mois),

. 10 319,83 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

. 36 662 euros de rappel d’heures supplémentaires,

. 3 666,20 euros au titre des congés payés afférents,

. 19 589,32 euros de contrepartie obligatoire en repos,

. 1 958,93 euros au titre des congés payés afférents,

. 33 774 euros nets d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

. 6 130 euros à titre de rappel de salaire sur rémunération variable,

. 613 euros au titre des congés payés afférents,

. 15 000 euros de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,

. 10 000 euros nets de dommages-intérêts au titre du préjudice moral distinct,

. 1 100 euros nets au titre du remboursement des frais engendrés par la psychothérapie.

. l’exécution provisoire sur la totalité des chefs de demande,

L’appelant sollicite en outre les intérêts de retard au taux légal à compter de la saisine du conseil et une somme de 5 760 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Prétentions de la société Ausy, intimée

Par conclusions adressées par voie électronique le 28 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société Ausy demande à la cour d’appel de :

à titre principal,

– confirmer la décision du conseil de prud’hommes en ce qu’il a débouté M. [V] de l’intégralité de ses demandes,

– constater que la démission de M. [V] par lettre recommandée du 3 juillet 2018 est non équivoque,

à titre subsidiaire,

– constater que la prise d’acte du contrat de travail de M. [V] s’analyse en une démission,

en tout état de cause,

– débouter M. [V] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions en tant qu’ils ne sont pas fondés,

Elle sollicite une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance rendue le 16 mars 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 14 avril 2022.

À l’issue des débats, il a été proposé aux parties de recourir à la médiation, ce qu’elles ont décliné.

MOTIFS DE L’ARRÊT

Sur la démission

M. [V] sollicite la requalification de sa démission en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il sera rappelé que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte des circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou, dans le cas contraire, d’une démission.

En l’espèce, M. [V] a démissionné, dans les termes suivants :  » Étant en arrêt maladie depuis novembre 2017 en raison d’un épuisement professionnel et suite au refus de l’entreprise d’effectuer une rupture conventionnelle dans les conditions minimales légales, je vous informe, par cette lettre, de ma démission du poste de Responsable Technique d’Affaires que j’occupe dans votre entreprise depuis le 11 mars 2013″.

Le caractère équivoque de la rupture est ainsi établi puisqu’aux termes de son courrier, M. [V] a indiqué que sa démission reposait sur l’épuisement professionnel dont il était victime, lequel impliquait nécessairement des manquements de son employeur à ses obligations.

La démission de M. [V] doit dès lors s’analyser en une prise d’acte de la rupture.

Pour prétendre que cette prise d’acte doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [V] soutient, en premier lieu, que son employeur s’est abstenu de mettre en place un contrôle de sa charge de travail.

Il se prévaut de l’accord collectif de mise en place d’un temps de travail modulé sur une année, lequel prévoit en son article 3.7 intitulé « suivi et décompte du temps de travail » : « Dans un souci de transparence, des systèmes de décompte du temps de travail sont mis en place pour permettre le contrôle du temps de travail effectif de tous les salariés (consultant ou de structure), en privilégiant autant que faire se peut les outils électroniques. Notamment concernant les salariés en mission, un système déclaratif est mis en place via les rapports d’activité remis mensuellement à leur responsable hiérarchique. Les salariés y indiquent leur durée quotidienne de travail conformément à l’ordre de mission établi. » (sa pièce 4).

M. [V] affirme, sans être démenti par la société Ausy, que son employeur n’a jamais respecté ces dispositions puisqu’aucun mécanisme de contrôle de sa charge de travail n’a jamais été mis en ‘uvre.

Le salarié explique qu’il s’est retrouvé livré à lui-même devant faire face à une charge de travail toujours plus importante, sans que l’employeur ne se préoccupe de la réalité de son amplitude horaire.

Ce manquement est établi.

M. [V] soutient, en deuxième lieu, qu’il était soumis à une charge de travail anormalement élevée.

Il rappelle, qu’en qualité de Responsable Technique d’Affaires, il était supposé animer une équipe de 40 personnes au maximum et répondre à 30 appels d’offres par semestre au maximum, ainsi que cela résulte d’une newsletter d’Ausy parue en 2013 (sa pièce 32).

Le salarié démontre que sa charge de travail a connu une augmentation considérable.

S’agissant de l’équipe qu’il animait, M. [V] justifie qu’en décembre 2016, il avait 8 projets et animait une équipe de 30 personnes, qu’en janvier 2017, il avait 4 projets et animait une équipe de 16 personnes mais qu’entre janvier et octobre 2017, il s’est vu affecter 11 nouveaux projets, ce qui correspondait à l’animation d’une équipe de 98 personnes, soit une augmentation considérable entre janvier et octobre 2017.

S’agissant des appels d’offres, M. [V] justifie qu’en 2016, il s’est vu affecter 39 appels d’offres sur 21 mois, qu’en 2017, entre janvier et octobre, il s’est vu affecter 60 appels d’offres en 10 mois, soit l’équivalent de 72 appels d’offres sur 12 mois (+85% par rapport à 2016). En 2016, il a répondu à 31 appels d’offres en 12 mois tandis qu’en 2017, entre janvier et octobre, il a répondu à 46 appels d’offres en 10 mois soit l’équivalent de 55 appels d’offres sur 12 mois en augmentation de 77 % par rapport à 2016.

S’agissant enfin des objectifs assignés au salarié, ceux-ci ont évolué, entre 2015 et 2017, de la façon suivante :

2015 : semestre 1 : 227 (marge projets en k€)

2015 : semestre 2 : 111

2016 : semestre 1 : 122

2016 : semestre 2 : 332

2017 : semestre 1 : 395

2017 : semestre 2 : 879 (pièce 5 du salarié).

Cette évolution révèle une augmentation considérable des objectifs, au point que M. [V] devait réaliser au 2ème semestre 2017, les objectifs de quatre semestres cumulés.

Il résulte de ces éléments, non utilement contredits par l’employeur, que les affectations des appels d’offre et des nouveaux projets ainsi que les objectifs qui lui ont été assignés, ont démultiplié la charge de travail de M. [V] et étaient très supérieurs aux standards de la société sur ce poste.

Le fait que le salarié « surperformait », atteignant toujours ses objectifs malgré leur augmentation constante, ne peut justifier le fait que l’employeur le soumette à une charge de travail toujours plus importante.

Ce manquement est établi.

M. [V] soutient, en troisième lieu, que cette surcharge de travail avait des conséquences sur ses horaires de travail.

M. [V] démontre qu’afin de faire face à sa charge de travail, il était contraint de réaliser un volume horaire très important. Il produit des courriels attestant de ses amplitudes horaires, dont il ressort que le nombre d’heures supplémentaires qu’il était contraint de faire étaient en augmentation.

Ce fait est également établi, dans les volumes retenus ci-après.

M. [V] soutient, en quatrième lieu, que la société Ausy a incontestablement manqué à son obligation de sécurité.

L’article L. 4121-1 du code du travail dispose : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes ».

L’article L. 4121-2 du même code dispose : « L’employeur met en ‘uvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L. 1142-2-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs ».

L’employeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité que s’il démontre qu’il a bien pris toutes les mesures des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

En l’espèce, la société Ausy, qui ne pouvait ignorer que M. [V] travaillait au-delà du temps de travail prévu contractuellement, n’a pas mis ne place un contrôle du temps de travail du salarié et a manqué, de ce fait, à son obligation.

L’employeur fait certes état d’un dispositif d’alerte mis en place aux termes d’un accord collectif sur la prévention et le traitement du stress au travail. Dans la mesure cependant où ce dispositif doit être mis en ‘uvre à l’initiative du salarié, par l’envoi d’un courrier électronique d’alerte, il est insuffisant à justifier que l’employeur a rempli son obligation de sécurité.

M. [V] présente plusieurs demandes sur ce même fondement, en alléguant de trois préjudices :

-15 000 euros de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,

– 10 000 euros nets de dommages-intérêts au titre du préjudice moral distinct,

– 1 100 euros nets au titre du remboursement des frais engendrés par la psychothérapie.

La société Ausy sera en conséquence condamnée à verser à M. [V] la somme totale de 5 000 euros en réparation des différents préjudices subis, sans qu’il n’y ait lieu de distinguer par poste de préjudice ressortant tous de la même cause.

M. [V] soutient, en quatrième lieu, que la société ne lui a pas versé l’ensemble des salaires qui lui étaient dus.

Il fait valoir qu’aucun objectif ne lui a été présenté pour le 2ème semestre 2017 et les deux semestres 2018. Il revendique le paiement de l’intégralité du variable sur cette période.

La société Ausy ne justifie pas d’une lettre d’objectifs portée à la connaissance du salarié, pour la période allant du 1er juillet 2017 au 31 décembre 2017, ni pour les périodes postérieures.

Par ailleurs, elle ne peut valablement opposer que le salarié était en arrêt maladie sur la période et donc qu’il n’a pas été en mesure de remplir ses objectifs dès lors que cette situation lui est imputable, en sa qualité d’employeur.

La société Ausy devra en conséquence verser à M. [V] la somme réclamée de 6 130 euros outre les congés payés afférents.

M. [V] soutient, en dernier lieu, avoir été victime d’un burn-out fin octobre 2017, qui a entraîné des arrêts maladie consécutifs jusqu’à sa démission.

Les arrêts de travail et certificats médicaux du médecin traitant mentionnent des poussées d’hypertension, un surmenage physique ou psychique, un burn-out ou un syndrome anxio-dépressif.

Le docteur [P], psychologue du travail, qui a suivi M. [V], a dressé le 27 novembre 2019 les constats suivants : « Le patient était venu à ma consultation, adressé par son médecin traitant, le docteur [T], sur un diagnostic d’état d’épuisement professionnel avéré.

Lors de notre entretien, le patient présentait :

– un état de fatigue extrême, résistant au repos,

– une angoisse aiguë, dès qu’il pense au travail (« sensation de boule au ventre »),

– des troubles du sommeil et de l’appétit (rêves de situations liées au travail, perte de l’appétit),

– une grande labilité émotionnelle (pleure dès qu’il évoque ou pense au travail),

– les ruminations et flash-back de scènes particulièrement difficiles au travail et le souvenir d’une grande solitude face à ces situations,

– des atteintes cognitives : troubles de la concentration, de la mémoire, de la logique,

– les atteintes psychiques entraînant : une perte de confiance en soi, sentiment de dévalorisation, de culpabilité d’avoir accepté de s’être laissé faire,

– des tensions musculaires,

– une irritabilité inhabituelle entraînant des tensions familiales,

– un repli social et affectif important,

– un vécu d’injustice et de colère.

Le patient avait longuement décrit son parcours professionnel. Après l’obtention de son diplôme d’ingénieur, M. [V] avait travaillé durant 15 ans dans la société A où il a pu évoluer régulièrement. Estimant qu’une mobilité professionnelle serait favorable à la progression de son parcours, il démissionne pour rejoindre en mars 2013 la société dans laquelle il était au moment de notre rencontre.

La première année se serait passée sans trop de difficultés, même si le patient relate un changement radical de rythme et de charge de travail dans la nouvelle société, travaillant souvent sans avoir aucune pause dans la journée et accusant une nette perte en qualité de vie, au travail et en dehors du travail. Le patient rapporte avoir changé deux fois de chef en 4 ans.

De 2015 à 2016, le patient rapporte avoir été « sur la sellette » en raison d’une importante baisse de l’activité de la société et aurait dû passer un an à « justifier » son activité, ce qui était inconfortable psychologiquement, mais il précise avoir « survécu » grâce au soutien de son N+2 de l’époque.

Or début 2017, toujours selon les dires du patient, son N+2 est « poussé » vers la sortie et cela aurait accentué la dégradation de ses conditions de travail.

Déjà, dès fin 2016, sa charge à l’avant-vente aurait doublé. Mais à partir de janvier 2017, on lui aurait aussi confié beaucoup de « delivery », multipliant ainsi par plus de 4 sa charge de travail.

Il décrit « la descente aux enfers » qu’il aurait dès lors, vécue au travail : des horaires de travail l’obligeant à partir du bureau à 20h, pour ensuite se remettre à travailler à la maison jusqu’à 1h-2h du matin régulièrement, la « redoutée » réunion du mardi matin, où il « était responsable de tout », devant justifier de ses résultats et de l’avancement de ses projets devant tout le staff de sa hiérarchie et à nouveau chez les clients, justifier et expliquer tout ce qui n’allait pas.

Cette charge de travail excessive, le manque de moyens, l’omnipotence accordée au service « commercial », qui devait vendre, peu importe la faisabilité technique, aux techniciens de « se débrouiller » comme ils peuvent ensuite, générant de ce fait, des insatisfactions généralisées, à tous niveaux, rendant le climat de travail particulièrement agressif et tendu. C’est dans ce contexte de défiance, d’insatisfaction du travail réalisé, que le patient va décompenser. Épuisé, il va voir son médecin traitant qui l’arrête pour la première fois (10 jours).Le patient tentera de reprendre son travail fin octobre 2017, mais rechute au bout d’une semaine. Il retourne voir son médecin qui l’arrête à nouveau et me l’adresse.

Si la prise en charge et les traitements médicamenteux avaient permis la stabilisation du tableau clinique, un retour au poste de travail, tel qu’il était décrit et vécu par le patient était totalement à proscrire, en ce qu’il risquait de déclencher une décompensation dépressive plus grave ou un événement somatique majeur. » (pièce 25 de l’employeur).

Ces éléments médicaux, corroborés au surplus par le psychiatre qui a suivi M. [V], établissent le lien entre la dégradation de l’état de santé du salarié et ses conditions de travail.

Ainsi, il est établi que la société Ausy a gravement manqué à ses obligations, ce qui justifie que la prise d’acte de la rupture produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera ne conséquence infirmé de ce chef.

Sur l’indemnisation du salarié

M. [V] peut prétendre à différentes indemnités.

Indemnité conventionnelle de licenciement

En application de la convention collective applicable, compte tenu de l’ancienneté du salarié fixée à 5 ans et demi, l’indemnité conventionnelle de licenciement s’élève à la somme de 10 319,83 euros.

Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Au regard des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, compte tenu des circonstances de la rupture, il sera fait droit à la demande de M. [V] à hauteur de 33 774 euros.

Sur les heures supplémentaires

M. [V] sollicite le paiement d’une somme de 36 662,20 euros au titre des heures supplémentaires qu’il prétend avoir exécutées.

Il résulte des dispositions des articles L. 3171-2 et suivants qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Il est rappelé qu’aux termes de son contrat de travail et de l’accord d’entreprise sur l’aménagement du temps de travail, le décompte du temps de travail de M. [V] s’opérait sur la base de 36h30 par semaine. Compte tenu de l’annualisation du temps de travail applicable, sont considérées comme des heures supplémentaires toutes les heures accomplies au-delà de 36h30 par semaine et toutes les heures au-delà de 1 607h par an. Les parties conviennent enfin qu’aucune convention de forfait n’est applicable en l’espèce.

A l’appui de sa demande, M. [V] verse aux débats un tableau de décompte des heures supplémentaires établi sur la base des courriels envoyés dans la limite de la prescription triennale (sa pièce 8). Il produit également des courriels qu’il a adressés durant sa période d’emploi (sa pièce 7), lesquels montrent la constance des interventions hors horaires de référence et l’information certaine de la hiérarchie de l’intéressé. Le salarié explique qu’il débutait ses fonctions habituellement à 9h30 et finissait celles-ci très souvent après 18h30, avec généralement une heure de pause déjeuner. Il ajoute qu’il s’agit d’un minimum, qu’en pratique, il effectuait des amplitudes bien plus importantes, comme le démontrent les très nombreux envois tardifs de courriels.

Ces documents revêtent les précisions minimales nécessaires afin de permettre que s’instaure un débat contradictoire en plaçant l’employeur, à qui incombe la charge de contrôler les heures de travail accomplies, en situation de pouvoir y répondre utilement.

En réponse, la société Ausy reproche à M. [V] de verser aux débats un tableau établi par ses soins, aux termes duquel il retient une journée type de 9h30 à 18h30 avec une heure de pause de déjeuner, soit 8h de travail, sans aucun élément matériel permettant d’étayer cette information. Elle rappelle qu’elle applique un horaire collectif de 36h30, de 9h à 12h30 et de 14h à 18h, du lundi au jeudi et de 9h à12h30 et de 14h à 17h le vendredi. Elle soutient qu’elle n’est pas tenue d’établir un décompte individuel de la durée du travail effectuée par chaque salarié en présence d’un horaire collectif.

L’existence d’un horaire collectif ne dispense pas l’employeur de contrôler les heures de travail accomplies par le salarié, ce que la société Ausy ne justifie pas avoir fait.

La société Ausy fait encore valoir qu’elle n’a jamais sollicité de M. [V] la réalisation d’heures supplémentaires. Il se déduit toutefois de la surcharge de travail caractérisée précédemment que l’employeur a implicitement sollicité la réalisation d’heures supplémentaires.

Il y a dès lors lieu de retenir le principe d’heures supplémentaires devant bénéficier à M. [V], lesquelles seront évaluées compte tenu de la charge de travail induite par le poste occupé au regard de la durée de travail de référence fixée à 36h30 par semaine et 1607h par an, à la somme de 36 662 euros, outre la somme de 3 666,20 euros au titre des congés payés afférents, correspondant à la période allant du mois de décembre 2015 jusqu’au 18 octobre 2017, selon le décompte proposé par le salarié.

Sur la contrepartie obligatoire en repos

Il est rappelé que toutes les heures supplémentaires effectuées au-delà de 90h sur une année ouvrent droit à une contrepartie obligatoire en repos fixée à 100% pour une entreprise qui emploie plus de 20 salariés, ce qui est le cas de la société Ausy.

M. [V] peut prétendre à ce titre à la somme de 19 589,32 euros, selon décompte proposé par le salarié que la cour adopte, outre les congés payés afférents.

Sur le travail dissimulé

L’article L. 8221-5 du code du travail dispose : « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales ».

Le caractère intentionnel de la dissimulation d’emploi salarié n’est toutefois pas démontré en l’espèce, ce qui doit conduire à rejeter la demande, par confirmation du jugement entrepris.

Sur les intérêts moratoires

Le créancier peut prétendre aux intérêts de retard calculés au taux légal, en réparation du préjudice subi en raison du retard de paiement de sa créance par le débiteur. Les condamnations prononcées produisent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de la convocation devant le Bureau de Conciliation et d’Orientation pour les créances contractuelles et à compter de l’arrêt, qui en fixe le principe et le montant, pour les créances indemnitaires.

Sur les indemnités de chômage versées au salarié

L’article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version résultant de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, énonce : « Dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées. »

En application de ces dispositions, il y a lieu d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur aux organismes concernés du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l’arrêt dans la limite de trois mois d’indemnités.

Sur l’exécution provisoire

Cet arrêt étant rendu en dernier ressort sans que soit ouverte la voie de l’opposition, il n’y a pas lieu à exécution provisoire.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

La société Ausy, qui succombe dans ses prétentions, supportera les entiers dépens en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

Elle sera en outre condamnée à payer à M. [V] une indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, que l’équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 4 000 euros.

La société Ausy sera déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.

Le jugement de première instance sera infirmé en ses dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt le 17 octobre 2019, excepté en ce qu’il a débouté M. [N] [V] de sa demande au titre du travail dissimulé,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que la démission de M. [N] [V] s’analyse en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la SAS Ausy à payer à M. [N] [V] les sommes suivantes :

– 33 774 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 10 319,83 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 36 662 euros de rappel d’heures supplémentaires, correspondant à la période allant du mois de décembre 2015 jusqu’au 18 octobre 2017,

– 3 666,20 euros au titre des congés payés afférents,

– 19 589,32 euros de contrepartie obligatoire en repos,

– 1 958,93 euros au titre des congés payés afférents,

– 6 130 euros à titre de rappel de salaire sur rémunération variable,

– 613 euros au titre des congés payés afférents,

– 5 000 euros de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,

CONDAMNE la SAS Ausy à payer à M. [N] [V] les intérêts de retard au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de la convocation devant le Bureau de Conciliation et d’Orientation sur les créances contractuelles et à compter de l’arrêt sur les créances indemnitaires,

ORDONNE le remboursement par la SAS Ausy aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [N] [V] dans la limite de trois mois d’indemnités,

DIT qu’une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée par le greffe par lettre simple à la direction générale de Pôle emploi conformément aux dispositions de l’article R. 1235-2 du code du travail,

CONDAMNE la SAS Ausy à payer à M. [N] [V] une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la SAS Ausy de sa demande présentée sur le même fondement,

CONDAMNE la SAS Ausy au paiement des entiers dépens.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code procédure civile et signé par Madame Valérie DE LARMINAT,Conseiller,en remplacement de Madame Isabelle VENDRYES,Président,légitimement empêché, et par Madame BOUCHET-BERT Elodie,Greffière,auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER P/ LE PRESIDENT empêché

 


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