Épuisement professionnel : 7 décembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/00482

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Épuisement professionnel : 7 décembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/00482

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 7 DÉCEMBRE 2022

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/00482 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBISY

Décision déférée à la Cour : Jugement du 5 Décembre 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n°F 19/00192

APPELANT

Monsieur [R] [K]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Jérôme DAGORNE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0240

INTIMÉE

SA CRÉDIT AGRICOLE INDOSUEZ WEALTH GROUP

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Julien DUFFOUR, avocat au barreau de PARIS, toque : P0521

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Valérie BLANCHET, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

M. Stéphane MEYER, président de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon contrat a durée indéterminée du 28 septembre 2007, M. [K] a été engagé par la société Crédit Lyonnais en qualité d’inspecteur auditeur. La relation de travail s’est poursuivie à compter du 1er novembre 2011 avec la société Crédit Agricole Indosuez Wealth Group, le salarié occupant le poste de chargé de contrôles permanents, statut cadre, niveau J.

La société emploie des milliers de salariés et applique la convention collective de la banque du 10 janvier 2000.

Le salarié est devenu membre titulaire du CHSCT du 26 mars 2013 au 25 mars 2015.

A compter du 16 janvier 2014, M. [K] a été placé en arrêt de travail jusqu’en juillet 2015.

Le 6 novembre 2015, le salarié a été convoque à un entretien préalable a un éventuel licenciement le 18 novembre.

Lors de la réunion du 3 décembre 2015, le comité d’entreprise a émis un avis favorable sur ce projet de licenciement. Saisi par l’employeur d’une demande d’autorisation de licenciement, l’inspecteur du travail s’est déclaré incompétent en raison de l’expiration de la période de protection dont le salarié bénéficiait en sa qualité d’ancien membre du CHSCT jusqu’en septembre 2015.

Le 8 janvier 2016, le salarié a été licencié pour inaptitude physique d’origine non professionnelle et impossibilité de reclassement

Contestant le bien-fondé de son licenciement et estimant ne pas être rempli de ses droits, M. [K] a saisi la juridiction prud’homale le 23 février 2016.

Par jugement du 5 décembre 2019, le conseil de prud’hommes de Paris a débouté M. [K] de l’ensemble de ses demandes, l’employeur de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et a condamné le salarié aux dépens.

Le 14 janvier 2020, M. [K] a interjeté appel de cette décision notifiée le 20 décembre 2019.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 8 septembre 2022, M. [K] demande à la cour d’infirmer le jugement, et statuant à nouveau, de dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse, et en conséquence, de condamner la société Crédit Agricole Indosuez Wealth Group à lui verser les sommes suivantes :

– 114 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 38 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect de l’obligation de sécurité,

– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte du droit à portabilité de la complémentaire santé ,

– 10 000 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile et les dépens.

Il demande à la cour de condamner l’employeur à lui verser les intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes et d’ordonner leur capitalisation.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 septembre 2022, la société Crédit Agricole Indosuez Wealth Group demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter l’appelant de ses demandes et de le condamner à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’instruction a été clôturée le 13 septembre 2022 et l’affaire fixée à l’audience du 10 octobre 2022.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

Le salarié soutient que l’employeur ne démontre pas sa volonté réelle de reclassement, l’employeur a adressé un unique mail le 24 juillet 2015 à un certain nombre d’entités du groupe, sans interroger l’ensemble. alors que le licenciement n’a eu lieu que 5 mois plus tard.

L’employeur soutient qu’aucun poste disponible n’a été identifié et qu’il a rempli son obligation de reclassement, soulignant que le comité d’entreprise a émis un avis favorable au licenciement.

L’article L.1226-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, énonce que lorsqu’à l’issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou à un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur l’aptitude du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise. L’emploi proposé doit être aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail.

Les possibilités de reclassement doivent être recherchées non seulement dans l’entreprise au sein de laquelle travaille le salarié devenu inapte mais également dans toutes les entreprises du groupe auquel appartient l’entreprise dont les activités, l’organisation et le lieu d’exploitation permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.

Il appartient à l’employeur de justifier tant au niveau de l’entreprise que du groupe auquel elle appartient, des démarches précises qu’il a effectuées pour parvenir au reclassement. Il doit justifier qu’il a satisfait à cette obligation de moyen renforcée par des recherches sérieuses et loyales de reclassement qui peuvent se poursuivre jusqu’à la date du licenciement ou qu’il s’est trouvé dans l’impossibilité de reclasser le salarié.

L’avis du comité d’entreprise ne dispense pas l’employeur de son obligation de reclassement.

En l’espèce, lors de la visite de pre reprise du 11 juin 2015, le médecin du travail a rendu un avis selon lequel « une inaptitude est à prévoir, une étude de poste et des conditions de travail est à faire ».

Une étude de poste et des conditions de travail a été réalisée le 22 juin 2015.

Suite à la visite de reprise du 3 juillet 2015, le médecin du travail a déclaré M. [K] «inapte au poste, apte à un autre poste. Deuxième visite dans le cadre de l’article R. 4624-31 du Code du travail. Après étude du poste et des conditions de travail du 22 juin 2015, monsieur [K] [R] est inapte à son poste de charge de contrôles permanents. Il serait apte à occuper un poste en télétravail à temps partiel ».

L’employeur affirme que de nombreux postes au sein de l’activité bancaire ne permettent pas de recourir au télétravail à temps partiel en raison de la déontologie et de la confidentialité des données traitées mais le médecin du travail a émis son avis après étude du poste et des conditions de travail et il ressort de la communication des dirigeants de la société que le télétravail est encouragé au sein de l’entreprise.

L’employeur ne produit pas les livres d’entrée et de sortie du personnel ni un organigramme du groupe. Il ne met pas la cour en mesure de vérifier le caractère sérieux et loyal des recherches de reclassement alors qu’au surplus le salarié justifie de l’appartenance de la société à un groupe disposant de nombreuses implantations sur le territoire français et aux niveaux européen et mondial et du fait que certaines n’ont pas été interrogées sur une possibilité de reclassement en leur sein ( notamment la société IDIA ou la société crédit agricole Uruguay).

Dès lors, la cour retient, par infirmation du jugement, que le licenciement du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Conformément à l’article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, le salarié peut prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois.

Au regard de son ancienneté ( presque 12 ans), de sa rémunération (4 750 euros), de son âge lors de la rupture (45 ans), de sa situation professionnelle ( il a créé une société de formation le 22 avril 2016), la cour lui alloue la somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, par infirmation du jugement.

Sur le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité

Le salarié sollicite la somme de 38 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Le salarié reproche à l’employeur d’avoir méconnu son obligation de sécurité en ne prenant aucune mesure en 2013 et 2014 malgré les recommandations du CHSCT, qui, le 3 juin 2013 l’alertait sur la charge de travail importante dans beaucoup d’équipes et préconisait la tenue d’entretiens réguliers avec les salariés, la prise des congés et le suivi de formation de gestion du temps, et d’autre part de n’avoir pris aucune mesure pour empêcher sa supérieure hiérarchique, Mme [C] [O], de lui imposer un rythme et une quantité de travail à l’origine de son épuisement professionnel.

L’employeur conteste tout manquement et l’existence d’alertes.

Tenu d’une obligation de sécurité, l’employeur doit en assurer l’effectivité en prenant les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas son obligation en la matière lorsqu’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail.

Le salarié produit des mails de salariés de l’entreprise, dont ceux de Mme [Y], qui se plaint de la souffrance au travail en juin 2013 intitulés « alerte CHSCT », mais qui ne concernent pas directement le salarié.

L’affiche dans la cafétéria suite à la réunion du CHSCT du 3 juin 2013 qui préconise auprès des managers la tenue d’entretiens réguliers, la prise de congés, et des formations de gestion de temps sont un rappel de bonnes pratiques et ne sont pas de nature à caractériser un manquement de l’employeur.

L’employeur n’a pas été informé d’une quelconque difficulté rencontrée par le salarié avant l’arrêt de travail du 16 janvier 2014 tandis que le salarié, alors même qu’il était membre du CHSCT de mars 2013 à mars 2015, n’a jamais alerté l’employeur sur une difficulté dans ses conditions de travail.

Dans ses évaluations professionnelles, M. [K] a toujours souligné « la confiance qui lui est accordée par sa supérieure hiérarchique, son expertise et ses connaissances de l’environnement » qu’il considère comme des atouts facilitateurs de son travail. Le salarié ne s’est jamais plaint d’un rythme ou d’une quantité de travail à l’origine d’un épuisement professionnel et dans sa dernière évaluation du 15 janvier 2014, avant son arrêt de travail, son manager souligne son rôle moteur dans la coordination, son investissement actif, ces appréciations étant tout à fait positives. Le salarié a d’ailleurs bénéficié de primes pour son investissement dans l’exercice de ses fonctions et de ses performances.

L’employeur n’a jamais été averti de la dégradation des conditions de travail du salarié ni été alerté d’une quelconque souffrance au travail.

Enfin, les certificats médicaux reposent sur les seules affirmations du salarié quant à l’imputabilité de ses difficultés à un manquement de l’employeur.

Au regard de ces éléments, la cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité.

Sur la perte du droit à portabilité de la complémentaire santé

Le salarié soutient qu’il s’est trouvé privé de toute couverture complémentaire du 9 janvier 2016 au 1er avril 2016 ce qui lui a causé un préjudice qu’il évalue à 5 000 euros.

Il résulte des pièces produites que l’employeur a sollicité la radiation du dossier du salarié au 31 janvier 2016 auprès de l’organisme.

Le salarié a été radié de la mutuelle alors qu’il bénéficiait de la portablilité de la complémentaire santé, mais il ne justifie pas du préjudice qu’il allègue.

En conséquence, la cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande.

Sur les autres demandes

La cour rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de l’arrêt.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.

En application de l’article L.1235-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, la cour ordonne à l’employeur fautif le remboursement à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé dans la limite de six mois des indemnités versées.

La société qui succombe partiellement en ses demandes est condamnée aux dépens d’instance et d’appel.

La société est condamnée à verser au salarié la somme globale de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

– Infirme le jugement sauf en ce qu’il a débouté M. [K] de ses demandes de dommages et intérêts au titre du manquement à l’obligation de sécurité et au titre de la portabilité de la mutuelle;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

– Dit le licenciement de M. [K] dénué de cause réelle et sérieuse;

– Condamne la société Indosuez Wealth Management à verser à M. [K] la somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la société Indosuez Wealth Management de sa convocation devant le bureau de conciliation devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de l’arrêt ;

– Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil;

– Ordonne à la société Indosuez Wealth Management le remboursement à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [K] du jour de son licenciement au jour du prononcé dans la limite de six mois des indemnités versées ;

– Condamne la société Indosuez Wealth Management à verser à M. [K] la somme globale de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamne la société Indosuez Wealth Management aux dépens d’instance et d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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