COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 06 OCTOBRE 2022
N° RG 21/01560 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GYNE
[R] [M]
C/ Mutuelle MUTUALITE FRANCAISE RHONE PAYS DE SAVOIE
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANNECY en date du 07 Juillet 2021, RG F 20/00134
APPELANTE :
Madame [R] [M]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Caroline AVRILLON, avocat au barreau d’ANNECY
INTIMEE :
L’Union de Mutuelles MUTUALITE FRANCAISE RHONE – PAYS DE SAVOIE
dont le siège social est [Adresse 5]
[Adresse 4]
[Localité 2]
prise en la personne de son représentant légal
Représentée par SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL GS AVOCATS, avocat plaidant au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 23 Juin 2022 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Frédéric PARIS, Président,
Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,
Madame Françoise SIMOND, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Sophie MESSA,
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Faits et procédure
Mme [R] [M] a été engagée le 10 décembre 2003 par l’Union sociale mutualiste en contrat à durée indéterminée en qualité de chirurgien-dentiste, statut cadre, d’abord à temps partiel puis à temps plein.
Plusieurs modifications de la situation juridique de l’employeur sont intervenues, celui-ci devenant les Mutuelles savoyardes réalisations sanitaires et sociales puis la Mutualité française des Savoie en 2013. Des avenants au contrat de travail de la salariée sont intervenus en conséquence.
Mme [R] [M] a été placée en arrêt de travail non professionnel à compter du 15 septembre 2017, arrêt de travail qui a été renouvelé sans discontinuer jusqu’au 25 août 2019.
Le 30 septembre 2019, elle a passé une visite médicale de reprise. A l’issue de celle-ci, le médecin du travail a rendu le même jour un avis d’inaptitude mentionnant qu’une recherche de reclassement hors centre dentaire était à réaliser.
Par courrier du 17 octobre 2019, l’employeur lui a notifié une impossibilité de reclassement.
Par courrier du 18 octobre 2019, elle a été convoquée à un entretien préalable à éventuel licenciement fixé au 31 octobre 2019.
Par courrier du 14 novembre 2019, Mme [R] [M] a été licenciée pour inaptitude.
Par requête reçue le 1er juillet 2020, Mme [R] [M] a saisi le conseil de prud’hommes d’Annecy aux fins notamment de voir juger que son licenciement a une origine professionnelle et qu’il est nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, et que l’employeur a manqué à son obligation de reclassement.
Par jugement du 7 juillet 2021, le conseil de prud’hommes d’Annecy a :
– débouté Mme [R] [M] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté la Mutualité française Rhône Pays de Savoie venant aux droits de la Mutualité française des Savoie de ses demandes,
– condamné Mme [R] [M] aux dépens.
Mme [R] [M] a relevé appel de cette décision par déclaration par RPVA en date du 23 juillet 2021.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 20 octobre 2021, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, Mme [R] [M] sollicite :
– la confirmation du jugement du Conseil de Prud’hommes d’Annecy en ce qu’il a débouté la Mutualité française Rhône Pays de Savoie de ses demandes,
– l’infirmation de ce jugement en ce qu’il l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes, et en ce qu’il l’a condamnée aux dépens,
– qu’il soit dit que son licenciement pour inaptitude médicale a une origine professionnelle,
– la condamnation de la Mutualité française Rhône Pays de Savoie venant aux droits de la Mutualité française des Savoie à lui verser :
*54839,15 euros nets à titre de reliquat d’indemnité de licenciement,
*23868 euros nets à titre d’indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis,
– qu’il soit constaté que son licenciement est nul ou à tout le moins dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– la condamnation de la Mutualité française Rhône Pays de Savoie venant aux droits de la Mutualité française des Savoie à lui verser la somme de 95472 euros nets au titre de la réparation de son préjudice,
– la condamnation de la Mutualité française Rhône Pays de Savoie venant aux droits de la Mutualité française des Savoie à lui verser la somme de 15000 euros nets à titre d’indemnité pour manquement à son obligation de sécurité à son égard,
– la condamnation de la Mutualité française Rhône Pays de Savoie venant aux droits de la Mutualité française des Savoie à lui régler la part de son indemnité compensatrice de congés payés non versée au moment de la rupture du contrat de travail, correspondant aux 19 jours
de congés payés acquis et non pris soit 11517 euros bruts,
– la condamnation de la Mutualité française Rhône Pays de Savoie venant aux droits de la Mutualité française des Savoie à lui verser la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de l’instance.
Au soutien de ses demandes, Mme [R] [M] expose qu’à compter de l’année 2015, elle a dû faire face à une augmentation considérable de sa charge de travail. Son assistante dentaire était appelée sur d’autres tâches et l’assistait de moins en moins, puis elle s’est trouvée en arrêt maladie et n’a pas été remplacée. Elle travaillait parfois plus de 50 heures par semaine.
Elle s’est heurtée à l’inertie de son employeur quand elle faisait état de problèmes concernant son poste de travail.
Son employeur lui a refusé une formation qu’elle sollicitait justement suite au contrôle dont elle avait fait l’objet par la CPAM. L’employeur ne l’a absolument pas accompagnée quant aux conséquences de ce contrôle sur sa santé.
La dégradation de ses conditions de travail a conduit à son burn-out au cours de l’année 2017.
Elle a alerté son employeur du fait que son burn-out était en lien avec ses conditions de travail dans un courriel du 27 février 2019 par lequel elle sollicitait une rupture conventionnelle, ainsi que lors de l’entretien préalable au licenciement, mais l’employeur n’a pas réagi.
Par un courriel du 27 février 2019, elle a sollicité une rupture conventionnelle de son contrat de travail en raison de la détresse ressentie à son poste de travail, l’employeur s’est contenté de refuser une rupture conventionnelle sans se préoccuper de cette alerte sur l’état de santé de sa salariée.
Les médecins qui l’ont suivie ont souligné sa souffrance au travail dûe à un épuisement professionnel.
La cour n’a pas à se limiter aux mentions qui peuvent être portées par le médecin du travail sur l’avis d’inaptitude.
Si son contrôle par la CPAM l’a profondément affectée et a contribué à la dégradation de son état de santé, son inaptitude a également pour origine la dégradation de ses conditions de travail.
S’agissant de ce contrôle de la CPAM, son employeur aurait dû effectuer un contrôle de ses actes et aurait dû réagir s’il avait constaté des anomalies dans ses actes qu’elle a tous déclarés.
Ce contrôle a un lien avec son activité professionnelle et les pièces qu’elle produit démontrent le lien entre ce contrôle et son arrêt de travail ayant débouché sur son inaptitude.
Ces éléments démontrent par ailleurs que l’employeur n’a pris aucune mesure pour protéger sa santé suite à la dégradation de ses conditions de travail.
Au regard du caractère professionnel de sa maladie, elle a continuer à acquérir des droits à congés payés à hauteur de 19 jours, ainsi qu’ils figurent sur ses bulletins de paye de septembre 2017 et octobre 2019, mention qui fait foi.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 3 mars 2022, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, La Mutualité française Rhône Pays de Savoie sollicite:
– la confirmation du jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a débouté Mme [R] [M] de l’intégralité de ses demandes et en ce qu’il l’a condamnée aux dépens de l’instance,
– la condamnation de Mme [R] [M] à lui verser la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu’aux dépens.
Au soutien de ses demandes, la Mutualité française Rhône Pays de Savoie expose que l’inaptitude a été constatée au terme d’un arrêt de travail pour maladie de droit commun, elle est donc d’origine non professionnelle.
Si la cour n’est pas liée par l’appréciation de la CPAM sur l’arrêt de travail, cet avis demeure un élément d’appréciation, d’autant plus en cas d’absence de contestation de cet avis par la salariée, ce qui est le cas en l’espèce.
L’origine professionnelle de l’inaptitude ne peut être établie au seul regard des avis médicaux produits par le salarié et relatant sa seule version.
Si l’inaptitude était reconnue comme d’origine professionnelle, cela n’ouvrirait pas pour autant le droit à la salariée de réclamer des dommages et intérêts à ce titre, mais uniquement une indemnité légale de licenciement doublée et une indemnité compensatrice équivalente au préavis légal.
Le médecin du travail ayant constaté l’inaptitude a mentionné qu’il n’avait pas d’argument en faveur d’une origine professionnelle de l’inaptitude
Les jours et horaires de travail de la salariée ont été fixés contractuellement. Elle n’était soumise à aucune norme de productivité. Elle avait l’entière maitrise de son agenda. Elle n’a jamais effectué d’heures supplémentaires, et n’en a d’ailleurs jamais sollicité le paiement. Elle a bénéficié jusqu’en septembre 2016 d’une assistante qui a été remplacée à la suite de son départ.
Les deux attestations de M. [T] sont de pure complaisance et contiennent de fausses allégations, elles doivent être écartées.
Elle ne s’est jamais plainte d’une surcharge de travail et ne démontre aucunement ce fait.
L’activité de la salariée n’a pas été gênée par la panne de son appareil de radiologie, puisqu’elle était en congés du 14 août au 4 septembre 2017 et qu’elle pouvait utiliser les appareils des autres cabinets. Par ailleurs, la durée d’immobilisation de cet appareil n’est pas imputable à l’employeur puisque c’est le fournisseur qui a fixé le délai de dépannage.
L’employeur justifie avoir mis en place des actions de formation et avoir mis à disposition des chirurgiens-dentistes toute la documentation nécessaire.
Les éléments médicaux produits par la salariée ne font que rapporter ses propos et n’établissent aucun lien entre son état de santé et une dégradation de ses conditions de travail ou un épuisement professionnel, mais évoquent plutôt une dépression réactionnelle ayant pour seule origine son contrôle par la CPAM et les sanctions disciplinaires qui lui ont été appliquées au titre des fautes qui lui ont été imputées.
La pratique de sa profession et le choix des actes à effectuer ne rentraient pas dans le cadre du lien de subordination avec son employeur, mais la faisaient dépendre du code de déontologie des chirurgiens dentistes et du code de la santé publique. Ces points sont clairement rappelés dans son contrat de travail. Les actes qu’elle dispensait relevaient de sa seule responsabilité.
La salariée n’a pas contesté la sanction disciplinaire qui lui a été appliquée suite notamment à la réalisation d’actes non constatés, des facturations multiples d’un même acte, le défaut d’opportunités de certains actes, des actes non conformes aux données acquises de la science.
La salariée n’a jamais alerté son employeur, le médecin du travail, l’inspection du travail ou des représentants du personnel d’éventuelles difficultés.
Il résulte également de ces constatations que l’employeur n’a commis aucun manquement à son obligation de sécurité.
Tous les congés payés acquis et restant à prendre par la salariée à l’issue de son arrêt de travail le 25 août 2019 ont été pris du 26 août au 29 septembre 2019 et ont été rémunérés. Elle n’a par ailleurs acquis aucun congé payé depuis le 15 septembre 2017 en raison de son arrêt de travail pour maladie.
L’affaire a été appelée à l’audience du 23 juin 2022. À l’issue elle a été mise en délibéré au 22 septembre 2022, délibéré prorogé au 6 octobre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le licenciement
L’inaptitude est professionnelle dès lors que, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, elle a, au moins partiellement, pour origine un accident ou une maladie professionnelle (Cass, ch. soc., 23 sept. 2009, n° 08-41685).
Il appartient au salarié d’apporter la preuve de ce lien de causalité.
La juridiction prud’hommale n’est pas liée par l’appréciation de la médecine du travail ou la CPAM quant à la qualification de l’origine de l’inaptitude.
Par ailleurs, est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou pluseiurs employeurs ou chefs d’entreprise.
Mme [R] [M] soutient que son inaptitude résultait d’un ‘burn-out’ trouvant son origine dans ses conditions de travail et le non respect par l’employeur de son obligation de sécurité.
Le contrat de travail de la salariée (avenant du 28 octobre 2015) prévoyait un temps de travail hebdomadaire de 35 heures.
Mme [R] [M] a été placée en arrêt de travail non professionnel à compter du 15 septembre 2017, arrêt de travail qui a été renouvelé sans discontinuer jusqu’au 25 août 2019.
Mme [R] [M] produit :
– un courriel de sa aprt adressé à son employeur le 24 février 2017 par lequel elle sollicite l’autorisation de participer à une formation portant notamment sur la responsabilité du chirurgien-dentiste. L’employeur lui répond qu’il souhaite organiser prochainement lui-même une formation sur ce sujet;
– un courriel de sa part adressé à son employeur le 8 septembre 2017 par lequel elle l’informe que son appareil de radiologie est en panne depuis le 8 août 2017, qu’elle reprend son activité sans possibilité de faire de radio jusqu’au 20 septembre, délai indiqué par le réparateur. L’employeur lui répond de voir si elle peut partager le matériel d’un de ses confrères;
– deux attestations de M. [S] [T], ancien collègue de travail, qui indique avoir constaté une dégradation progressive de l’état de santé de la salariée au début de l’année 2017, engendrée par une surcharge de travail autant clinique qu’administrative, des mésententes avec la direction ayant augmenté les tensions. Il indique que la surcharge de travail résultait également du contrôle d’activité professionnelle dont elle a fait l’objet de la part de la CPAM, et qu’elle a été aggravée par l’utilisation d’un nouveau logiciel professionnel ;
– un courriel du 27 février 2019, adressé par la salariée à son employeur, dans lequel elle indique ‘après plus d’un an d’antidépresseurs et après tous ces tracas, il apparaît clairement que je ne reprendrais pas la dentisterie. Pour vous permettre d’être libre d’embaucher un dentiste à ma place, veuillez considérer le présent mail comme une demande de rupture conventionnelle’. L’employeur a refusé de faire droit à cette demande ;
– un courrier du docteur [N] du 11 mars 2019, adressé au médecin du travail, lui demandant de recevoir Mme [R] [M], qui est en arrêt de travail pour dépression réactionnelle et ne se sent plus capable d’exercer sa profession de dentiste ;
– un courrier du médecin du travail du 29 mars 2019 qui mentionne que la salariée ‘rapporte un vécu de souffrance au travail qui serait secondaire à un sentiment d’épuisement professionnel, accompagné d’un contexte de contrôle de mars 2016 à septembre 2017, date de début de l’arrêt maladie. (…) La salariée dit ne plus pouvoir exercer son métier’ ;
– un compte-rendu d’observation du CHU de Grenoble en date du 18 juin 2019 qui mentionne que la salariée indique qu’elle a fait l’objet d’un contrôle de la sécurité sociale en 2016, qu’elle a été la seule dentiste contrôlée de sorte qu’elle évoque un ressenti d’acharnement, qu’elle a fait l’objet de critiques graves sur sa pratique professionnelle, qu’elle a vécu la période d’attente de la décision jusqu’en janvier 2019 comme une pression harcelante, qu’elle s’est sentie injustement sanctionnée et très dévalorisée car elle mettait un important investissement humain dans son métier, que son employeur a refusé sa demande de licenciement par rupture conventionnelle et la menace d’un licenciement pour faute. Il est mentionné que la salariée présente un état dépressif caractérisé, demeure très fragile sur le plan émotionnel et que la réexposition à son travail fait peser un haut risque de rechute dépressive ;
– l’avis d’inaptitude du 30 septembre 2019, mentionnant ‘Une recherche de reclassement hors centre dentaire est à réaliser’ ;
– une attestation de M. [X], délégué du personnel l’ayant assistée lors de l’entretien préalable le 30 octobre 2019, qui atteste que la salariée a indiqué, à l’issue de celui-ci, que son ‘burn-out’ trouvait son origine dans le manque d’assistante dentaire à ses côtés;
– un courrier du 12 décembre 2019, postérieur à son licenciement pour inaptitude, dans lequel elle soutient à son employeur que son arrêt de travail trouve son origine dans ses conditions de travail, ainsi qu’elle lui en aurait fait part à plusieurs reprises au cours de la relation contractuelle.
L’employeur produit :
– un courriel du 6 mars 2020 du médecin du travail ayant suivi la salariée indiquant qu’il n’avait ‘pas d’argument en faveur d’une origine professionnelle de Mme [M]’ ;
– un courrier de la CPAM du 16 mars 2017 adressé à l’ordre des chirurgiens-dentistes rappelant que Mme [R] [M] a été informée le 28 avril 2016 de la réalisation par le service du contrôle médical de la CPAM d’une analyse de son activité ;
– un courrier de la CPAM du 23 juin 2017 notifiant à la salariée les griefs retenus à son encontre dans le cadre de ce contrôle exercé sur son activité le 23 juin 2017. Suite à cette notification, la salariée a été reçue le 15 septembre 2017 pour un entretien contradictoire par le service du contrôle médical.
– une décision, devenue définitive, de l’ordre des chirurgiens-dentistes du 10 janvier 2019 qui a sanctionné Mme [R] [M] d’une interdiction de donner des soins aux assurés sociaux pendant une durée de quatre mois dont deux mois avec sursis, et l’a condamnée à reverser à la sécurité sociale la somme de 6006,24 euros ;
– un courrier du 4 avril 2019 adressé par l’employeur à la salariée, par lequel il l’informe que les faits qui lui ont été reprochés dans le cadre de la procédure de contrôle justifient une mise à pied disciplinaire, mais que compte-tenu du fait que cette sanction ne pourrait être mise en application immédiatement au regard de son arrêt de travail et de son interdiction d’exercer, seul un avertissement lui est notifié.
Il résulte de l’analyse de ces éléments que Mme [R] [M] a été placée en arrêt de travail le jour où s’est déroulé l’entretien contradictoire avec le service de contrôle de la CPAM, contrôle qui était en cours depuis près de 18 mois; que la salariée ne produit aucun élément de nature à confirmer son allégation selon laquelle elle aurait évoqué auprès de son employeur durant la relation contractuelle des difficultés dans le cadre de ses conditions de travail ou que ces difficultés étaient à l’origine de son arrêt de travail; qu’il est au contraire établi qu’elle a évoqué ce point devant lui pour la première fois au mieux le jour de l’entretien préalable à éventuel licenciement du 31 octobre 2019; que si le courrier du médecin du travail du 29 mars 2019 mentionne que la salariée rapporte notamment un vécu de souffrance au travail qui serait secondaire à un sentiment d’épuisement professionnel, le compte-rendu du CHU de Grenoble du 18 juin 2019 ne mentionne quant à lui à aucun moment ce point, la lecture de ce document permettant de relever que Mme [R] [M] imputait alors ses difficultés de santé uniquement au contrôle de la CPAM dont elle avait fait l’objet. En tout état de cause, les éléments médicaux ne font que reprendre la seule version de sa situation par la salariée.
Les deux attestations de M. [S] [T], selon lesquelles la salariée aurait souffert d’une surcharge de travail et d’une mésentente avec sa direction, ne font état d’aucun fait précis, et Mme [R] [M] ne produit aucune autre pièce de nature à accréditer leur contenu. Elles n’apparaissent ainsi pas suffisament probantes.
La réclamation de la salariée s’agissant de son appareil de radiologie en panne en août 2017 ne saurait démontrer à elle seule une inertie de son employeur s’agissant de ses conditions de travail, puisqu’il résulte de son propre courriel que le délai de réparation n’était pas de la responsabilité de celui-ci. La salariée ne démontre pas par ailleurs avoir rencontré d’autres difficultés de cette nature durant l’exécution de son contrat de travail.
Le fait que l’employeur ait refusé à Mme [R] [M] en février 2017 la formation qu’elle souhaitait effectuer, et même si cette formation avait un rapport avec le contrôle de la CPAM dont elle faisait l’objet, ne saurait démontrer à lui seul une dégradation des conditions de travail de la salarié de nature à entraîner son arrêt de travail. Là encore la salariée ne justifie pas avoir rencontré d’autres difficultés de cette nature dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail.
Mme [R] [M] ne procède que par allégation quand elle indique que son employeur ne l’aurait pas soutenue pendant l’enquête effectuée par la CPAM, étant par ailleurs rappelé qu’elle ne démontre pas avoir informé son employeur avant l’entretien préalable d’une quelconque difficulté tant au niveau psychologique que s’agissant de ses conditions de travail.
L’argument selon lequel son statut de salariée aurait dû conduire son employeur à un contrôle de ses actes médicaux est inopérant dans la mesure où son contrat de travail mentionne qu’elle exerce ‘son art en toute indépendance’ et qu’elle est ‘libre de choisir, sous son entière responsabilité et dans l’intérêt des patients, tout procédé de diagnostic et tout mode de traitement’.
Ces développements permettent de retenir que l’arrêt de travail de Mme [R] [M] résulte d’un état dépressif trouvant son origine dans le contrôle de son activité dont elle a fait l’objet par la CPAM, contrôle qui a débouché sur des sanctions pour de nombreuses fautes qu’elle a commises dans le cadre de son activité de chirurgien-dentiste. Elle a reconnu dans le cadre de cette procédure avoir commis des fautes et n’a pas contesté les sanctions qui lui ont été appliquées.
Ainsi, son arrêt de travail trouve son origine dans une cause totalement étrangère à l’exercice de ses fonctions ou à ses conditions de travail.
Il résulte de ces développements que Mme [R] [M] ne démontre pas que son inaptitude a une origine professionnelle.
La décision sur ce point du conseil de prud’hommes sera confirmée. Le rejet de ses demandes subséquentes au titre du reliquat de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis sera également confirmé.
La validité de la procédure de licenciement pour inaptitude n’est pas contestée par Mme [R] [M] en cause d’appel.
La décision du conseil de prud’hommes sera donc confirmée en ce qu’elle l’a déboutée de ses demandes tendant à voir juger son licenciement nul ou dépourvu de cause réelle et sérieuse, et en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande d’indemnité à ce titre.
Sur l’obligation de reclassement
Il sera constaté que Mme [R] [M], qui a sollicité l’infirmation du jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il l’a déboutée de l’intégralité de ses demandes dont celle relative à l’obligation de reclassement, ne formule pour autant aucune demande à ce titre en cause d’appel.
Sur la demande au titre de l’obligation de sécurité
Il résulte des développements ci-avant que Mme [R] [M] échoue à démontrer un quelconque manquement de la part de l’employeur à son obligation de sécurité.
La décision sur ce point du conseil de prud’hommes sera confirmée.
Sur la demande au titre des congés payés
Mme [R] [M] sollicite le paiement de neuf jours de congés payés sur la période de juin à septembre 2017, et de 10 jours dont son bulletin de paye d’octobre 2019 mentionne qu’ils lui étaient acquis à cette date.
Il a été retenu que l’arrêt de travail de Mme [R] [M] était d’origine non professionnelle. Elle n’a donc pas acquis, en l’absence de dispositions conventionnelles contraires, de droits à congés payés sur cette période comprise entre le 15 septembre 2017 et le 25 août 2019.
Les pièces produites aux débats permettent de retenir (étant rappelé que lorsque le nombre de jours de congés acquis n’est pas entier, la durée du congé est portée au nombre immédiatement supérieur) que :
– il restait à prendre à la salariée, à la date de son arrêt de travail, 7,115 jours de congés payés non pris durant l’année précédente; elle a cumulé 8,336 jours de congés payés entre juin et septembre 2017. Il lui restait donc 15,451 jours de congés à prendre à la date de son arrêt de travail ;
– la période de son arrêt de travail non professionnel ne lui a pas ouvert de droits à congés payés ;
– elle a cumulé, entre le 26 août et le 30 septembre 2019, date de l’avis d’inaptitude, 2,5 jours de congés payés.
Elle aurait donc dû être indemnisée à hauteur de 18 jours.
La salariée ne conteste pas avoir perçu l’indemnité de congés payés se rapportant aux 25 jours de congés qui lui ont été accordés par son employeur à l’issue de son arrêt de travail entre le 26 août et le 29 septembre, indemnité figurant sur ses bulletins de paye d’août et septembre 2019.
Il résulte de ces constatations que Mme [R] [M] a été rempli de ces droits. La décision du conseil de prud’hommes sur ce point sera donc confirmée.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Mme [R] [F] succombant entièrement à l’instance, elle sera condamnée aux dépens.
Pour les mêmes raisons, elle sera condamnée à verser à la Mutualité française Rhône Pays de Savoie la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Déclare Mme [R] [M] recevable en son appel,
Constate que Mme [R] [M] ne formule aucune demande au titre de l’obligation de reclassement en cause d’appel,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes d’Annecy du 7 juillet 2021,
Y ajoutant,
Condamne Mme [R] [M] aux dépens,
Condamne Mme [R] [M] à verser à la Mutualité française Rhône Pays de Savoie la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ainsi prononcé publiquement le 06 Octobre 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Delphine AVERLANT, faisant fonction de Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président