COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION B
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ARRÊT DU : 6 octobre 2022
PRUD’HOMMES
N° RG 20/03199 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LVNU
Monsieur [M] [S] [X] [V]
c/
S.A.S. TRANSPORTS STRUMIA
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 août 2020 (R.G. n°) par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de Bordeaux, Section Commerce, suivant déclaration d’appel du 31 août 2020
APPELANT :
Monsieur [M] [S] [X] [V],
né le 10 Février 1969 à [Localité 7] (92) de nationalité Française
Profession : Chauffeur poids lourds, demeurant residence [8] [Adresse 1] – [Localité 4]
représenté par Me Julie MENJOULOU-CLAVERIE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.A.S. TRANSPORTS STRUMIA prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 2] – [Localité 3]
N° SIRET : 324 073 675
représentée par Me Thibaut WIPLIER, avocat au barreau de BORDEAUX
substituant Me Thomas BAZALGETTE de la SARL AHBL AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX,
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 08 juin 2022 en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Paule Menu, présidente,
Monsieur Hervé Ballereau, conseiller,
Madame Sophie Lesineau, conseillère,
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Madame Anne-Marie Lacour-Riviere
Grefffière lors du prononcé : Madame Sylvaine Déchamps
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.
*
Exposé des faits et de la procédure
M.[V] est entré au service de la sas Strumia le 10 décembre 2012 en qualité de conducteur poids lourds, dans le cadre d’un contrat à durée déterminée d’une durée de trois mois, renouvelé pour une nouvelle durée de trois mois par un avenant du 10 mars 2013. La relation de travail s’est poursuivie à l’échéance ; l’avenant conclu alors a fixé la durée de travail à 186 heures mensuelles et prévu une clause de mobilité libellée comme suit: ‘ Le lieu de travail de Monsieur [V] est à [Localité 4]. Il peut être amené à effectuer des déplacements. Il accepte toute mutation géographique rendue nécessaire pour la bonne marche de l’entreprise, et ce dans le périmètre suivant au siège social à [Adresse 5]. La mise en oeuvre de la présente clause de mobilité ne peut être effectuée qu’en respect d’un délai de prévenance de 30 jours. (…)’ . M. [V] était affecté sur la ligne [Localité 9]- [Localité 6], classé groupe 7, coefficient 150 M, catégorie ouvrier longue distance.
M. [V] a été placé en arrêt maladie le 13 novembre 2017, plusieurs fois prolongé; il n’a jamais repris le travail.
Par un courrier du 16 novembre 2017, la société Strumia a informé M. [V] qu’à la suite de la résiliation du contrat de prestations la liant à la société Stef sur la tournée [Localité 9] – [Localité 6] et de son refus d’effectuer la tournée [Localité 4] -[Localité 9] -[Localité 4], sa prise de poste s’effectuerait au siège de l’entreprise sis à [Localité 3] à compter du 19 décembre 2017.
Le 9 janvier 2018, la société Strumia a diligenté une contre-visite médicale de M. [V]. Le médecin contrôleur a conclu au caractère justifié de l’arrêt de travail
Par courrier du 10 janvier 2018, M. [V] a informé la société Strumia de son refus de rejoindre [Localité 3].
Le 23 avril 2018, le médecin du travail a établi un avis d’inaptitude, précisant que l’état de santé de M. [V] faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
La société Strumia a convoqué M. [V] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 14 mai 2018, par un courrier du 26 avril 2018.
M. [V] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 17 mai 2018.
Le 12 juillet 2018, M. [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Bordeaux aux fins de :
voir juger son licenciement nul pour harcèlement moral, à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse,
voir condamner la société Strumia au paiement de diverses sommes à titre de rappel d’heures supplémentaires pour la période de 2015 à septembre 2017, outre les congés payés y afférents,à titre d’indemnité pour travail dissimulé, à titre de dommages et intérêts pour non respect des règles relatives au repos compensateur, à titre de dommages et intérêts pour non respect des repos compensateurs pour travail de nuit, à titre d’indemnité de repas unique de nuit, à titre d’indemnité compensatrice au titre des jours de congés de fractionnement, à titre de dommages et intérêts pour manquements à son obligation de sécurité, à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article L 1235-3-1 du code du travail, à titre subsidiaire, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, sous le bénéfice de l’exécution provisoire
Par jugement de départage du 14 août 2020, le conseil de prud’hommes de Bordeaux a :
condamné la société Transports Strumia à payer à M. [V]:
1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de prise des repos compensateurs obligatoires pour heures supplémentaires,
2 000 euros pour manquements à l’obligation de sécurité,
débouté M. [V] de ses autres demandes,
condamné la société Transports Strumia aux dépens,
ordonné l’exécution provisoire.
M. [V] a relevé appel du jugement par une déclaration du 20 août 2020.
L’ordonnance de clôture est en date du 10 mai 2022.
L’affaire a été fixée à l’audience du 8 juin 2022 pour être plaidée.
Exposé des prétentions et des moyens des parties
Dans ses dernières conclusions, transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 13 novembre 2020, M. [V] demande à la Cour de:
– infirmer le jugement déféré dans ses dispositions qui le déboutent de ses demandes en condamnations pour heures supplémentaires, travail dissimulé, perte de repos compensateurs, indemnités de repas unique de nuit, exécution déloyale du contrat de travail, harcélement moral
– infirmer le jugement déféré dans ses dispositions qui le déboutent de sa demande pour licenciement nul et jugent que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse
– infirmer le jugement déféré dans ses dispositions qui lui allouent 1500 euros de dommages intérêts pour absence de prise de repos compensateurs et 2000 euros de dommages intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de résultat
statuant de nouveau,
– dire et juger son licenciement nul, à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse; en conséquence condamner la société Strumia à lui verser 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, à titre subsidiaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– condamner la société Strumia à lui verser
6 357,04 euros bruts à titre de d’indemnité compensatrice de préavis, outre 635,70 euros bruts de congés payés y afférents
6 500 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de repos compensateur
10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquements à l’obligation de sécurité
1 758,74 euros bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre 175,87 euros bruts de congés payés y afférents
19 071,12 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé
2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de repos compensateur pour travail de nuit
3 872,86 euros bruts à titre de rappel sur indemnité de repas unique de nuit,
10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
2 500 euros au titre des frais non répétibles exposés en première instance et 2 000 euros pour ceux exposés à hauteur d’appel, outre les dépens en ce compris les frais éventuels d’exécution.
M. [V] fait valoir en substance:
s’agissant des heures supplémentaires :
– il n’a pas été rémunéré pour la totalité des heures supplémentaires qu’il a effectuées en juin et juillet 2015, en septembre, novembre et décembre 2016, en mars, juillet et septembre 201, par suite des manipulations frauduleuses opérées par l’employeur sur les enregistrements
– les relevés dont l’employeur se prévaut n’ont aucune force probante en ce qu’ils ont été édités en novembre 2018 et que les heures de nuit et les majorations correspondantes de juin 2015 n’y apparaissent pas, en ce que le dispositif de géolocalisation dont la société a équipé ses véhicules afin de contrôler le temps de travail des salariés et qui permet de collecter des données relatives à la localisation desdits véhicules est illicite dès lors que le contrôle peut être effectué par d’autres moyens, singulièrement les disques chronotatygraphes, que la société ne justifie pas de l’avoir déclaré auprès de la cnil ni d’avoir consulté les représentants du personnel, que le délai de conservation des données collectées d’une durée de deux mois n’est pas respecté
s’agissant du travail dissimulé :
– le non paiement de la totalité des heures qu’il a effectuées procède d’une intention délibérée de l’employeur qui n’a pas hésité à manipuler les enregistrements
s’agissant du repos compensateur au titre des heures supplémentaires:
– il est fondé à demander la contrepartie obligatoire en repos de l’article L3120-30 du code du travail pour les 500,84 heures supplémentaires qu’il a effectuées au-delà du contingent annuel
– il aurait dû bénéficier également du repos compensateur obligatoire de l’article 5 paragraphe 4 du décret n° 83-40 du 26 janvier 1983
s’agissant des repos compensateurs au titre du travail de nuit :
– il a au cours des trois années précédant la rupture de son contrat de travail effectué 4349 heures de nuit ouvrant droit à 217,45 heures de repos compensateur qu’il n’a pas pris, la contrepartie financière versée par l’employeur n’y suppléant pas
s’agissant des indemnités de repas unique de nuit :
– bien que prenant son service à 22 heures et débauchant à 7h00, il n’a pas perçu l’indemnité de repas unique ‘nuit’, prévue à l’article 12 du protocle du 30 avril 1974 relatif aux frais de déplacement du personne ouvrier, pour le trajet [Localité 6] [Localité 4]
– l’indemnité casse croûte dont l’employeur se prévaut ne lui a été versée qu’entre mai et novembre 2017 et son montant est inférieur à celui de l’indemnité de repas unique
s’agissant de l’obligation d’exécuter loyalement le contrat de travail
– l’absence d’actions de formation de nature à lui permettre de conserver la qualification lui permettant le transport de matières dangereuses et la qualification tenant à la conduite d’équipement de levage qu’il détenait lorsqu’il a été engagé, les passages répétés d’un horaire de nuit à un horaire de jour, le non paiement des majorations pour les jours fériés et les dimanches travaillés, l’absence de congés supplémentaires au titre du fractionnement caractérisent autant de manquements de la part de l’employeur à l’obligation d’exécution loyale du contrat de travail
– il en est résulté un préjudice dont il est fondé à demander la réparation
s’agissant du harcèlement moral
– les deux avertissements notifiés le 3 février 2017 et le 28 juillet 2017, sa convocation à un nouvel entretien auquel il n’a pas pu se rendre ayant été affecté à un transport dans les Bouches du Rhône, les nombreux appels téléphoniques que l’employeur lui a passés le 10 et le 11 novembre 2017 alors qu’il était en repos, sa mutation géographique au prétexte mensonger de la suppression de sa tournée, ses plannings qui l’ont contraint à travailler de jour et de nuit sur une même semaine, la mise en demeure pour absence injustifée le 17 janvier 2018 alors qu’il n’avait jamais informé l’employeur qu’il reprenait le travail, l’organisation d’une visite médicale de contrôle, l’ensemble dans un contexte de surcharge de travail, pris dans leur ensemble, caractérisent des faits de harcèlement moral
– il en est résulté une altération sévère de son état de santé
s’agissant de l’obligation de sécurité:
– il n’a bénéficié d’aucune visite médicale, ni lors de son embauche, ni ultérieurement
– il a régulièrement dépassé les durées maximales du travail sans que l’employeur ne modifie l’organisation du travail pour y remédier
– le véhicule mis à sa disposition était dangereux faute d’un entretien suffisant
s’agissant de la rupture du contrat de travail :
– son licenciement est nul à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, son inaptitude résultant des faits de harcélement dont il a été victime de la part de l’employeur à compter de l’automme 2017, dans tous les cas des violations répétées de l’employeur tenant à l’obligation de sécurité, singulièrement l’absence de visite médicale et le non respect de la durée maximale de travail quotidienne, et à l’obligation de loyauté
– les dispositions de l’article L1235-3 du code du travail sont inconventionnelles en ce qu’elles empêchent la réparation intégrale de son préjudice
– il est, hormis quelques mission en interim au cours de l’étét 2018, resté sans emploi jusqu’au 30 juin 2019 et subit, dans le cadre de son nouvel emploi, une perte de salaire de l’ordre de 1000 euros nets mensuels.
– il n’a pas exécuté son préavis par la faute de l’employeur .
Aux termes de ses dernières conclusions, transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 8 février 2021, la société Strumia demande à la Cour de :
– confirmer le jugement déféré et débouter M. [V] de l’ensemble de ses demandes
– désigner , en cas de doute par application de l’article L. 3171-4 du code du travail, un expert judiciaire avec pour mission de :
1. se faire communiquer tous documents et pièces qu’il estimera utiles à l’accomplissement de
sa mission, procéder à la lecture de la totalité des enregistrements chrono tachygraphes originaux
et les analyser,
2. entendre les parties et leurs conseils ainsi que tout sachant si nécessaire,
3. fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction de se déterminer sur tous les éléments de paie, notamment quant à la cohérence des manipulations effectuées par le conducteur et des modifications effectuées par l’employeur sur les rapports d’activité,
3. donner si possible son avis sur la concordance des temps de travail enregistrés par le tachygraphe (dont temps de conduite, de travaux et de mise à disposition) le temps de travail réel du salarié et celui mentionné dans les bulletins de salaire et/ou ses annexes, (en ce compris les majorations pour travail de nuit et repos compensateurs)
4. établir un pré rapport qui sera soumis à chacune des parties en leur impartissant un délai suffisant pour présenter leurs dires et y répondre
– statuer ce que de droit pour le surplus notamment en matière de délai de dépôt de rapport et de consignation à valoir sur la rémunération de l’expert
– condamner M. [V] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
La société Strumia fait valoir en substance que :
s’agissant des heures supplémentaires :
– le salarié ayant saisi le conseil de prud’hommes au mois de juillet 2018 est forclos pour la période antérieure au 30 juillet 2015
– elle est en droit d’apprécier la régularité des enregistrements effectués sous la responsabilité du salarié et de procéder aux corrections nécessaires, singulièrement lorsque le chauffeur laisse, comme en l’espèce , le disque chronotachygraphe tourner en travail alors que le véhicule est stationné sur un parking et le chauffeur en repos
– M. [V] n’a jamais soulevé de contestation à la réception des tableaux de modifications annexés aux bulletins de salaire
– le système de géolocalisation installé dans ses véhicules est licite en ce qu’il fait partie intégrante du tachygraphe dit intelligent autorisé par le réglement CE n° 165/2014 du 4 février 2014, par ailleurs conforme à la délibération de la cnil n° 2015-165 du 4 juin 2015
s’agissant de l’indemnité de travail dissimulé :
– outre qu’elle n’a commis aucune dissimulation d’activité, le différend qui l’oppose à M. [V] ne saurait eu égard au nombre réduit d’heures en cause caractériser une fraude de sa part
s’agissant des repos compensateurs au titre des heures supplémentaires:
– seul l’article 5 paragraphe 5 du décret n° 83-40 du 26 janvier 1983 étant désormais applicable , M. [V] ne peut pas prétendre à l’application en sus des dispositions de l’article L3121-30 du code du travail
– les bulletins de salaire décomptent précisément le nombre de repos compensateurs acquis
– M. [V] n’en ayant pas sollicité le bénéfice ils sont réputés perdus et ne peuvent pas donner lieu au versement de dommages intérêts
s’agissant des repos compensateurs au titre du travail de nuit :
– outre qu’il a bénéficié d’une contre partie financière dont il ne discute pas la matérialité, M. [V] ne justifie pas du préjudice dont il demande la réparation
s’agissant des indemnités de repas unique de nuit :
– les indemnités de repas – midi, soir ou découcher selon l’horaire de service – perçues par M. [V] sur l’ensemble de la période contractuelle ne peuvent pas se cumuler avec l’indemnité qu’il revendique, dont l’article 12 du protocle du 30 avril 1974 relatif aux frais de déplacement du personne ouvrier prévoit qu’elle est versée, au même titre que l’indemnité de casse croûte du même montant, au personnel assurant au moins quatre heures de travail effectif entre 22h00 et 7h00 pour lequel il ne perçoit pas déjà une indemnité
s’agissant du harcélement moral:
– les agissements dont M. [V] se prévaut relèvent en réalité du pouvoir disciplinaire et du pouvoir de direction de l’employeur
s’agissant de l’obligation d’exécuter loyalement le contrat de travail :
– M. [V] a entre 2012 et 2018 travaillé en tout et pour 5 journées en horaire de jour
– le délai qui s’est écoulé entre la date, singulièrement le 5 mars 2018, à laquelle M. [V] l’a alertée pour la première fois des difficultés tenant aux jours fériés et aux dimanches travaillés et le réglement de la somme de 927,78 euros le 22 mai 2018 ne caractèrise aucun manquement de sa part compte-tenu des vérifications auxquelles elle a dû procéder
– la somme demandée est dans tous les cas exorbitante
s’agissant de l’obligation de sécurité :
– outre que M. [V] suite à son embauche avait bien été inscrit auprès du service de santé au travail, son contrat de travail n’a jamais été suspendu pour cause de maladie avant le 13 novembre 2017 de sorte qu’il ne justifie d’aucun préjudice en lien avec l’absence de suivi médical
– M. [V] ne rapporte pas la preuve des dépassements horaires qu’il allégue, encore moins celle qu’elle en est à l’origine
– M. [V], auquel il incombait en sa qualité de chauffeur hautement qualifié d’assurer le maintien de son véhicule en ordre de marche et de lui rendre compte des réparations à effectuer, ne l’a informée ni du problème tenant au niveau d’huile survenu le 4 avril 2015 ni de l’usure du pneu constatée le 2 juillet 2015
s’agissant de la rupture du contrat de travail :
– en l’absence de harcélement moral et/ou de manquements graves de sa part, il ne résulte d’aucun des éléments du dossier que l’inaptitude de M. [V] a pour origine ses conditions de travail
– l’article L1235-3 du code du travail limite le montant de l’indemnisation
– M.[V] ne produit aucune pièce justifiant de sa situation actuelle, professionnelle, personnelle ou médicale.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se référe aux conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’au jugement déféré
Motifs de la décision
Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail
Sur le rappel de salaire au titre des heures supplémentaires
Aux termes de l’article L3245-1 du code du travail dans sa version issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, applicable en l’espèce, ‘ L’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.’.
La rupture de son contrat de travail étant intervenue le 18 mai 2018, aucune prescription ne peut être valablement opposée à M. [V] pour les sommes dues au titre des trois années précédant cette date.
Aux termes de l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié’; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Si la preuve des horaires de travail effectués n’incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l’employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande, c’est à dire des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre en fournissant ses propres éléments.
En l’espèce, pour soutenir sa demande , M. [V] produit un décompte actualisé pour les mois de janvier, février, juin et juillet 2015, septembre, novembre et décembre 2016, mars, juillet et septembre 2017, dont il résulte qu’il a effectué 105,85 heures supplémentaires ouvrant droit à une majoration de 150 %. Ce faisant, toutefois dans la limite de la prescription de l’article L3245-1 du code du travail, M. [V] fournit des éléments suffisamment précis pour permettre à la société Strumia d’y répondre.
Le courrier en date du 23 avril 2019 de la société DIS Transics, qui y indique que le logiciel querellé est d’abord destiné à la préparation de la paie à partir des horaires et des activités collectés sur les disques chronotachygraphes installés dans les véhicules auxquels il est couplé, qu’il permet en outre l’archivage des cartes conducteurs et de la mémoire des chronotachygraphes numériques sans pouvoir en modifier le contenu, la constatation des infractions à la réglementation en matière de droit du travail et d’affiner certains calculs de la prépaie comme celui des frais de route, établit que les données dont l’employeur se prévaut sont issues de la mise en oeuvre des appareils de contrôle dans le domaine du transport par route, singulièrement des chronotachygraphes, dont la cnil a rappelé dans sa délibération n° 2015-165 du 4 juin 2015 portant adoption d’une norme simplifiée concernant les traitements automatisés de données à caractère personnel mis en oeuvre par les organismes publics ou privés destinés à géolocaliser les véhicules utilisés par leurs employés qu’ils bénéficient d’une dispense de déclaration préalable en application de sa délibération n° 2014-235 du 27 mai 2014 afférente aux traitements des données à caractère personnel issues des tachygraphes installés dans les véhicules de transport routier.
Le système de géolocalisation querellé fait en réalité partie intégrante des tachygraphes intelligents qui équipent les véhicules de la société, instaurés par le réglement UE n° 165/2014 du Parlement Européen et du Conseil du 4 février 2014 relatif aux tachygraphes dans les transports routiers dont l’article 5 indique qu’ils assurent parmi d’autres fonctions le suivi des activités du conducteur et de la situation de conduite, le suivi de l’insertion et du retrait des cartes tachygraphiques, l’enregistrement des saisies manuelles du conducteur, l’enregistrement de la position géographique des véhicules au début de la période de travail journalière, toutes les trois heures de temps de conduite accumulé, à la fin de la période de travail journalière.
Suivant les dispositions de l’article 4 de la délibération n° 2014-235 du 27 mai 2014, l’employeur doit conserver les feuilles d’enregistrement et les données imprimées pendant au moins un an après leur utilisation et peut les archiver pendant la durée de prescription légale pour pouvoir faire face à d’éventuelles contestations sur le nombre d’heures effectuées par le salarié.
Il ne résulte d’aucun des éléments du dossier que le logiciel a été utilisé par la société Strumia durant la relation de travail avec M. [V] pour collecter et/ou traiter des données en dehors du temps de travail du salarié.
Il s’en déduit que les développements de M. [V] tenant à l’absence de déclaration préalable auprès de la cnil et de consultation préalable des représentants du personnel, à la durée de conservation des données collectées, à l’illicéité du système au regard de la présence des tachygraphes déjà en place sont inopérants.
Le décret du 26 janvier 1983 et le règlement européen n° 3821/85 du 20 décembre 1985 prévoient que l’employeur est tenu d’indiquer chaque mois, par une mention sur le bulletin de paie ou par la transmission d’un document annexé au bulletin de paie (la synthèse d’activité), « la durée des temps de conduite ; la durée des temps de service autres que la conduite ; l’ensemble de ces temps constitutifs du temps de service rémunéré, récapitulés mensuellement ; les heures qui sont payées au taux normal et celles qui comportent une majoration pour heures supplémentaires ou pour toute autre cause ».
L’article 3.2 de l’accord du 23 novembre 1994 sur le temps de service, les repos récupérateurs et la rémunération des personnels de conduite marchandise ‘ grands routiers’ ou ‘ longue distance ‘ dispose »1. Pour décompter les temps de service, la manipulation du sélecteur de temps du chronotachygraphe ou de tout autre appareil d’informatique embarquée est la règle, aussi bien pour apprécier les temps de conduite que les temps autres que la conduite et les temps de repos ; cette manipulation est promue par les employeurs comme par les représentants du personnel. (‘) ».
En l’espèce, et de première part, il n’est pas discutable, et d’ailleurs non discuté par M. [V], que ses bulletins de salaire étaient accompagnés d’un relevé de correction d’activité, à la réception desquels il n’a formulé aucune observation; de deuxième part, il ne résulte d’aucun des éléments du dossier que la société Strumia a pour les mois de juin et juillet 2015, septembre, novembre et décembre 2016, mars, juillet et septembre 2017, majoré les interruptions, repos et temps pendant lesquels M. [V] n’exerçait aucune activité et disposait librement de son temps; de troisième part que l’examen des bulletins de salaire et des bulletins de prépaie correspondants établit que M. [V] a été rémunéré pour l’ensemble des heures durant lesquelles il s’est tenu à la disposition de l’employeur.
Il résulte de l’ensemble des éléments susvisés que l’employeur qui a satisfait aux prescriptions réglementaires sur le décompte du temps de travail dans le domaine du transport routier de marchandises, justifie précisément des horaires de travail de M. [V] et a réglé l’intégralité des heures de travail dues pour la période d’emploi du salarié.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a débouté M. [V] de sa demande en rappel de salaire.
Sur l’indemnité pour travail dissimulé
L’article L 8221-2 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé par dissimulation d’activité, telle que définie par l’article L 8221-3 dudit code, ou par dissimulation d’emploi salarié dans les conditions de l’article L 8221-5.
Aux termes de l’article L 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l’employeur a recours dans les conditions de l’article L 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L 8221-5 a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
La dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est toutefois caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.
M.[V], qui fonde sa demande à ce titre sur la dissimulation par la société Strumia du nombre d’heures qu’il a réellement effectué qui n’est nullement établie pour les raisons sus exposées, doit en être débouté et le jugement déféré être confirmé de ce chef.
Sur les dommages intérêts pour perte de repos compensateur au titre du travail de nuit
Suivant les dispositions de l’article L3122-39 du code du travail applicable pour la période antérieure au 10 août 2016, de l’article L3122-8 du même code en vigueur à compter du 10 août 2016, le travailleur de nuit bénéficie de contreparties au titre des périodes de travail de nuit pendant lesquelles il est employé, sous forme de repos compensateur et, le cas échéant, sous forme de compensation salariale, hors les activités de production rédactionnelle et industrielle de presse, de radio, de télévision, de production et d’exploitation cinématographiques, de spectacle vivant et de discothèque, lorsque la durée effective du travail de nuit est inférieure à la durée légale (35 h/semaine).
L’accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, la convention ou l’accord collectif de branche qui met en place le travail de nuit prévoit les contreparties applicables, sous forme de repos compensateur et, le cas échéant, sous forme de compensation salariale.
En d’autres termes, la contrepartie sous forme de repos compensateur, intégralement rémunéré, est obligatoire; elle ne peut être remplacée par une prime ou une contrepartie financière quelconque; en revanche, elle peut être complétée par une compensation salariale.
Le non respect des dispositions relatives au repos ouvre droit à réparation.
L’article 3 de l’accord du 14 novembre 2001 relatif au travail de nuit, attaché à la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950 applicable au cas de l’espèce, dispose en son paragraphe 3.2. Compensation sous forme de repos : ‘ (2) Les personnels ouvriers, employés et techniciens/agents de maîtrise des entreprises de transport routier de marchandises, des activités auxiliaires du transport et des entreprises de transport de déménagement qui accomplissent au cours d’un mois et conformément aux instructions de leur employeur au moins 50 heures de travail effectif durant la période nocturne au sens de l’article 1er [ci-dessus] bénéficient, en complément de la compensation pécuniaire visée à l’article 3.1 [ci-dessus], d’un repos » compensateur » – dans les conditions et modalités de prise précisées au niveau de l’entreprise – d’une durée égale à 5 % du temps de travail qu’ils accomplissent au cours de ladite période ncoturne. Dans les entreprises dotées d’un ou plusieurs délégués syndicaux, les conditions et modalités de prise de ce repos » compensateur » sont définies par accord d’entreprise ou d’établissement.
Dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux, les conditions et modalités de prise de ce repos » compensateur » sont définies par accord avec le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel.’
Il n’est pas discutable, et d’ailleurs non discuté par l’employeur, que M. [V] n’a bénéficié d’aucun repos en contrepartie des heures de travail qu’il a effectuées dans les conditions de l’article 3 de l’accord du 14 novembre 2001, la contrepartie financière perçue n’y suppléant pas. Le préjudice qui en est résulté sera entièrement réparé par l’allocation de la somme de 2500 euros, au paiement de laquelle la société Strumia sera condamnée. Le jugement déféré est infirmé en conséquence.
Sur les dommages intérêts pour absence de prise des repos compensateurs obligatoires
Les repos compensateurs trimestriels obligatoires prévus au 5° de l’article 5 du décret n° 83-40 du 26 janvier 1983, relatif aux modalités d’application des dispositions du code du travail concernant la durée du travail dans les entreprises de transport routier de marchandises, dans sa rédaction issue du décret n° 2007-13 du 4 janvier, ont seuls vocation à s’appliquer aux personnels roulants, sans possibilité de cumul avec la contrepartie obligatoire en repos prévue par les dispositions du code du travail.
Aux termes de l’article R3312-48, ils doivent être pris dans un délai maximum de trois mois, ou quatre mois lorsque la durée du temps de service est décomptée sur quatre mois, suivant l’ouverture du droit; une convention ou un accord collectif étendu ou un accord d’entreprise ou d’établissement peut fixer un délai supérieur, dans la limite de six mois.
L’absence de demande de prise de repos par le salarié ne pouvant entraîner la perte de son droit à repos, il incombe dans ce cas à l’employeur de lui demander de prendre ses repos.
La lecture des bulletins de salaire établit que M. [V] a sur la période juin 2015/mai 2018 acquis 17 journées de repos compensateurs obligatoires, qui n’ont pas été pris.
La société Strumia, dont aucun des éléments du dossier n’établit qu’elle a demandé à M. [V] de les prendre dans les délais impartis, s’est ainsi soustraite aux obligations lui incombant. Le préjudice qui en est résulté pour M. [V] sera entièrement réparé par l’allocation de la somme de 1500 euros à titre de dommages intérêts. Le jugement déféré est confirmé de ce chef.
Sur les indemnités de repas unique de nuit
Suivant les dispositions de l’article 12 du Protocole du 30 avril 1974 relatifs aux ouvriers frais de déplacement (annexe I de la convention collective applicable), ‘ Une indemnité de casse-croûte égale à l’indemnité de repas unique est allouée au personnel assurant un service comportant au moins 4 heures de travail effectif entre 22 heures et 7 heures pour lequel il ne perçoit pas déjà d’indemnité. ‘
L’examen de ses bulletins de salaire établit que M. [V] n’a perçu aucune indemnité repas pour chacun de ses services comportant au moins 4 heures de travail effectif entre 22 heures et 7 heures avant le mois de mai 2017.
M. [V], sur la base d’une indemnité de 7,82 euros pour 2015, de 7,98 euros pour 2016 et de 8,03 euros pour 2017, après déduction des sommes payées au titre de l’indemnité casse-croûte, peut ainsi prétendre à une somme de 3872,86 euros, au paiement de laquelle la société Strumia doit être condamnée. Le jugement déféré est infirmé de ce chef.
Sur les dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
Suivant les dispositions de l’article L. 6321-1 du code du travail l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail et veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.
En l’espèce, les certifications dont M.[V] étaient titulaire lors de son embauche, singulièrement pour le transport de matières dangereuses et la conduite d’équipements de levage, dont la société Strumia ne discute pas qu’elle en connaissait l’existence, n’ont pas été renouvelées à l’échéance, faute pour l’employeur d’avoir fait bénéficier le salarié des formations nécessaires pour les conserver.
Il n’est pas discutable, et d’ailleurs non discuté par l’employeur, que M. [V] n’a pas été spontanément entièrement rempli de ses droits s’agissant des jours fériés et des dimanches travaillés et des congés supplémentaires dus au titre du fractionnement.
Si M. [V] soutient qu’il est passé en horaires de jours au mois de juillet 2015 en représailles à l’immobilisation de son véhicule par les gendarmes le 2 juillet 2015 sur sa demande, il n’en rapporte pas la preuve, la seule simultanéité n’y suppléant pas. Ses horaires les 26 et 31 août 2015, le 14 septembre 2015, le 30 octobre 2015, le 10 novembre 2015, le 12 septembre 2016, les 21 et 23 septembre 2016, le 26 mai 2017 et le 13 novembre 2017 ne caractérisent pas, alors que la lecture des Calculs des heures conducteur établit qu’ils ont été à l’exception de la journée du 23 septembre 2016 précédé ou/et au suivi d’une journée de repos, un manquement de l’employeur à son obligation de loyauté.
En ne veillant pas à permettre à M. [V] de conserver ses qualifications et en ne le remplissant pas de la totalité de ses droits en matière salariale, la société Strumia a manqué à l’obligation d’exécuter loyalement le contrat de travail. Le préjudice qui en est résulté pour M. [V] sera entièrement réparé par l’allocation de la somme de 2500 euros. La société Strumia sera condamnée à son paiement et le jugement déféré infirmé en conséquence
Sur les dommages intérêts pour harcélement moral
Le harcèlement moral d’un salarié, défini par l’article L. 1152-1 du code du travail, est constitué dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Le salarié est tenu, en application de l’article L. 1154-1 du code du travail, d’établir la matérialité de faits précis et concordants pouvant laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral à son égard.
Le juge, après s’être assuré de leur matérialité, doit analyser les faits invoqués par le salarié dans leur ensemble et les apprécier dans leur globalité afin de déterminer s’ils permettent de laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral.
Il incombe à l’employeur de prouver que les agissements établis ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que les décisions prises à l’égard du salarié sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
S’il ne résulte pas des 2 sms que la société lui a adressés le samedi 11 novembre 2017 et le dimanche 12 novembre 2017 tenant à son planning du lundi et du mardi suivants, auxquels M. [V] se réfère expressément, qu’il aurait été amené à travailler à la fois de nuit et de jour la semaine du 13 novembre 2017, la Cour relève que :
– M. [V] a reçu un premier avertissement le 3 février 2017 pour avoir le 31 janvier oublié de livrer trois palettes et un second le 28 juillet 2017 pour n’avoir le 12 juillet précédent pas répondu aux appels téléphoniques de l’employeur, pas plus à ses messages via Transics
– par un courrier du 23 octobre 2017, M. [V] a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle nouvelle sanction disciplinaire fixé le 6 novembre 2017 à 14h00; il n’est pas discutable, et d’ailleurs non discuté par l’employeur, que l’entretien n’a pas eu lieu; dans son courrier à l’entreprise du 4 mai 2018, M. [V] a écrit : ‘ Vous m’avez convoqué le 6 novembre 2017 à [Localité 3] pour un entretien préalable à uen sanction disciplinaire, entretien qui n’a pas eu lieu puisque en m’informant de mon planning le samedi 4 novembre 2017 en fin d’après-midi, vous m’avez fait travailler dimanche 5 novembre en fin d’après-midi au départ de [Localité 10] (33) pour une livraison lundi 6 novenbre 2017 au matin chez Stef Fuveau 13) puis j’ai été à [Localité 6](84) pour pouvoir effectuer mon repos dans le camion et reprendre mon service le soir pour redescendre sur [Localité 10] en ayant livré sur mon parcours une partie de la livraison. Cet entretien n’a pu avoir lieu et est resté sans suite sans explication de votre part. (…) ‘; le 22 mai 2018, la société a répondu : ‘(…) Concernant votre convocation à un entretien préalable, nous avions souhaité nous entretenir avec vous au sujet de plusieurs problèmes de comportement. Toutefois, après vérification, nous avons eu connaissance de nouveaux éléments qui nous ont conduit à laisser cette procédure sans suite. C’est la raison pour laquelle votre entretien n’a pas eu lieu. (…)’
– il résulte des constatations de Maître [L], huissier de justice requis par M [V] le 8 janvier 2018 , la présence en provenance de l’entreprise de 25 appels le 10 novembre 2017 entre 15h29 et 17h14 et de 3 appels le 11 novembre 2017, entre 11h20 et 12h15
– par un courrier du 16 novembre 2017, la société Strumia a informé M. [V] qu’à la suite de la résiliation du contrat de prestations la liant à la société Stef sur la tournée [Localité 9] – [Localité 6] et de son refus d’effectuer la tournée [Localité 4] -[Localité 9] -[Localité 4], sa prise de poste s’effectuerait au siège de l’entreprise sis à [Localité 3] à compter du 19 décembre 2017
– le 17 janvier 2018, la société Strumia a écrit à M. [V]: ‘ Monsieur, Lors de notre entretien téléphonique du 12 janvier dernier, vous nous avez fait part de la finde votre arrêt maladie au 14/01/2018 et donc de votre reprise à compter du 15/01/2018. Vous nous avez également demandé la possibilité de prendre des congés payés à compter de cette date. Nous sommes au regret de vous informer que nous ne pouvons pas accéder à cette requête dans la mesure où ces congés n’étaient pas prévus et donc non planifiés. De plus, nous vous rappelons que par courrier recommandé en date du 16 novembre 2017, nous vous signifiions votre mutation sur notre site de [Localité 3]. Celle-ci devant prendre effet à compter du 19 décembre. Du fait votre arrêt maladie
la prise d’effet de votre nouvelle affectation ne pouvait réellement être effective qu’à compter de votre reprise le 15/01/2018. Or, vous ne vous êtes pas présenté sur votre lieu de travail.
Aussi, par la présente, nous vous mettons en demeure, d’avoir à justifier votre absence dès réception de cette lettre. Votre défaut de réponse, au plus tard dans les 48h qui suivant, nous contraindrait à tirer toute conséquence de votre absence irrégulière.(…)’
– le 6 janvier 2018, M. [V] a été examiné par le service médical patronal à la demande de la société Strumia
– dans un courrier du 12 mars 2018, le médecin traitant de M. [V] écrit: ‘ Chers confrère, consoeur, Je vous adresse Monsieur [V] ( …) qui présente une syndrome dépressif sévère. Ce patient a commencé à présenter des troubles anxieux en novembre rattachés à des phénomènes de stresse professionnels à ses dires et à du harcélement téléphonique ( constaté par huissier). Il ne s’est jamais arrêté de travailler avant cette date.(…)’
– dans un courrier du 12 mars 2018 et un certificat du 18 avril 2018, le médecin traitant et le psychiatre de M. [V] indiquent le recevoir pour un épisode dépressif majeur en lien avec un épuisement professionnel.
Les faits précis dénoncés, dont la matérialité est justifiée par les pièces produites, pris dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral à l’encontre de M. [V].
Pour confirmer la décision déférée dans ses dispositions qui déboutent M. [V] de sa demande en dommages intérêts pour harcélement moral, il suffira de rappeler que :
– la notification de deux avertissements pour des manquements du salarié à ses obligations contractuelles – dont M. [V], qui se contente de souligner qu’il avait travaillé 12,24 heures le 31 janvier 2017 et qu’il n’a pas accés aux instructions transmises comme en l’espèce le 28 juillet 2017 par la messagerie Transics faute de disposer d’un téléphone, en contradiction toutefois avec la capture d’écran qu’il produit ( pièce 2-13), ne discute en réalité pas la matérialité – relève strictement du pouvoir disciplinaire de l’employeur, la convocation à un nouvel entretien préalable également, nonobstant son annulation non motivée
– le contrat de travail prévoit expressément une clause de mobilité géographique dont la licéité n’est pas mise en cause et il ne résulte d’aucun des éléments du dossier un abus de la part de la société Strumia dans sa mise en oeuvre, la lettre de voiture unique qui établit que le trajet est assuré par un conducteur de la société Stref Transports [Localité 6] n’y suppléant pas, pas plus le transfert du siège de la société de Boujan sur Libron à Béziers, distantes de quelques kilomètres seulement
– outre que le courrier du 17 janvier 2018 n’a suscité à sa reception aucune contestation de la part de M. [V] s’agissant de l’existence et de la teneur de la conversation téléphonique du 12 janvier 2018, il ne résulte d’aucun des éléments du dossier que la société Strumia était le 17 janvier 2018 informée de la prolongation accordée le 15 janvier 2018, expédiée le l6 janvier 2018
– l’organisation d’une visite médicale de contrôle à l’égard d’un salarié, absent comme en l’espèce depuis sept semaines, relève du pouvoir de contrôle de l’employeur
– il n’est pas discutable que la société a contacté M. [V] le 10 novembre 2017 et le 11 novembre 2017 pour lui transmettre ses instructions pour sa journée de travail ; 12 des 25 appels téléphoniques du 10 novembre 2017 ont d’ailleurs été passés durant l’heure qui a précédé la prise de service de M. [V] le même jour
– la preuve est ainsi rapportée que les agissements de la société Strumia sont justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement, étant précisé que la lecture attentive du courrier de son médecin traitant et du certificat de son psychiatre établit qu’ils se contentent, s’agissant de ses conditions de travail, singulièrement du harcèlement moral, de rapporter les propos de M. [V].
Sur les dommages intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité
Il n’est pas discutable, et d’ailleurs non discuté par l’employeur, que M. [V] n’a bénéficié ni de la visite médicale prévue à l’article R4624-10 du code du travail en vigueur lors de son embauche, ni du suivi prévu à l’article R4624-16 du même code.
L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, devant en assurer l’effectivité, les développements de la société Strumia tenant à l’enregistrement de M.[V] auprès du service de santé au travail et à l’absence de prescription d’un quelconque arrêt pour la période courant du 10 décembre 2012 au 13 novembre 2017 sont inopérants.
Le non respect des dispositions relatives à la santé et à la sécurité des salariés ouvre droit à réparation.
Suivant les dispositions de l’article 2 paragraphe 2.2 de l’accord du 14 novembre 2001 relatif au travail de nuit, annexé à la convention collective applicable, ‘ La durée du travail effectif des personnels roulants des entreprises de transport routier de marchandises, des activités auxiliaires du transport et des entreprises de transport de déménagement dont l’activité s’exerce sur tout ou partie de la période nocturne, telle que définie à l’article 1er du présent accord, ne peut excéder :
Pour les personnels roulants grands routiers ou longue distance :
– la durée quotidienne prévue à l’article 7 du décret n° 83-40 du 26 janvier 1983 modifié; soit 10 heures, cette durée pouvant être portée à 12 heures une fois par semaine , une seconde fois par semaine, dans la limite de six fois par période de douze semaines, à condition que la durée hebdomadaire du travail soit répartie sur cinq jours au moins
– la durée hebdomadaire, calculée sur une période quelconque de 12 semaines consécutives, de 48 heures en application des règles prévues au paragraphe 3, alinéa 1, de l’article 5 du décret n° 83-40 du 26 janvier 1983 modifié (1) ;(…)’ .
Nonobstant les obligations qui incombent à l’employeur s’agissant des horaires réalisés par le salarié et du respect de la législation relative à la durée du travail, il appartient au salarié de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande, c’est à dire des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre en fournissant ses propres éléments.
M. [V] se borne à évoquer des dépassements réguliers des durées maximales de travail, de très nombreux dépassements des durées maximales de travail de nuit et des repos insuffisants, sans faire état d’aucun fait précis et circonstancié; le relevé d’infractions justifie de dépassements sans que l’on sache si l’employeur en est à l’origine; les calculs des heures conducteur mentionnent uniquement les horaires au jour le jour.
Selon la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950 applicable, relève du groupe 7 coefficient 150 M : « un conducteur hautement qualifié de véhicule poids lourd, décrit comme un « ouvrier chargé de la conduite d’un véhicule automobile, porteur ou tracteur, et ayant la qualification professionnelle nécessaire à l’exécution correcte (c’est-à-dire avec le triple souci de la sécurité des personnes et des biens, de l’efficacité des gestes ou des méthodes et de la satisfaction de la clientèle) de l’ensemble des tâches qui lui incombent normalement (c’est-à-dire conformément à l’usage et dans le cadre des réglementations existantes) dans l’exécution des diverses phases d’un quelconque transport de marchandises. En particulier: utilise rationnellement (c’est-à-dire conformément aux exigences techniques du matériel et de la sécurité) et conserve en toutes circonstances la maîtrise de son véhicule ; en assure le maintien en ordre de marche; a les connaissances mécaniques suffisantes pour lui permettre soit de dépanner son véhicule, s’il en a les moyens, soit en cas de rupture de pièces ou d’organes de signaler à l’entreprise la cause de la panne ; peut prendre des initiatives notamment s’il est en contact avec le client ; est capable de rédiger un rapport succinct et suffisant en cas d’accident, de rendre compte des incidents de route et des réparations à effectuer à son véhicule ; assure l’arrimage et la préservation des marchandises transportées ; est responsable de la garde de son véhicule, de ses agrès, de sa cargaison et, lorsque le véhicule est muni d’un coffre fermant à clé, de son outillage ; peut être amené en cas de nécessité à charger ou à décharger son véhicule. (…)’ ».
M. [V] ne rapporte pas la preuve d’avoir informé l’employeur de l’état du pneu, le témoignage de M. [D] [W] dont l’employeur indique sans être aucunement contredit que ne travaillant pas en double équipage il n’avait aucune raison de se trouver avec M. [V] le 2 juillet 2015 n’y suppléant pas.
Le niveau d’huile moteur relevé le 4 avril 2015 ne saurait caractériser un manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité.
Le préjudice qui est résulté pour M. [V] du défaut de visite médicale sera entièrement réparé par l’allocation de la somme de 2000 euros à titre de dommages intérêts.
Le jugement déféré est confirmé dans ses dispositions qui condamnent la société Strumia à payer à M. [V] 2000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice qui est résulté des manquements de l’employeur à l’obligation de sécurité lui incombant.
Sur les demandes au titre de la rupture du contrat de travail
Sur le licenciement nul
Est nul, en application de l’article L.1152-3 du Code du travail, le licenciement d’un salarié consécutif à des faits de harcèlement moral.
Le harcèlement qu’il allègue ayant été écarté précédemment, M. [V] ne peut qu’être débouté de sa demande en requalification du licenciement et de ses demandes financières subséquentes. Le jugement déféré est confirmé de ces chefs.
Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse
Est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu’il est démontré que l’inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l’employeur
qui l’a provoquée.
Pour confirmer la décision déférée dans ses dispositions qui jugent le licenciement de M. [V] fondé sur une cause réelle et sérieuse et qui déboutent le salarié de ses demandes financières subséquentes, il suffira de relever que:
– M. [V] a été arrêté le 13 novembre 2017 pour maladie
– aussi bien le médecin traitant de M. [V] dans son courrier du 12 mars 2018 que son psychiatre dans son courrier du même jour et dans son certificat du 18 avril 2018 se contentent de rapporter les propos de M. [V] quant au lien existant entre son état d’épuisement et ses conditions de travail
– il ne résulte d’aucun des éléments du dossier que l’inaptitude de M. [V] est consécutive aux manquements de l’employeur à ses obligations en matière de sécurité, singulièrement l’absence de visite médicale et/ou la non prise de ses jours de repos compensateurs, et de loyauté, ainsi de l’absence de formation et/ou du non paiement des dimanches et des jours fériés travaillés.
Sur les dépens, les frais non répétibles et les frais éventuels d’exécution
La société Strumia, qui succombe, doit supporter les dépens de première instance, le jugement déféré étant confirmé de ce chef, et les dépens d’appel au paiement desquels elle sera condamnée en même temps qu’elle sera déboutée de la demande qu’elle a formée au titre de ses frais non répétibles.
L’équité commande de ne pas laisser à M. [V] la charge de ses frais non compris dans les dépens, de première instance, le jugement déféré étant infirmé de ce chef, et d’appel. En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la sas Strumia sera condamnée à lui payer 2000 euros en remboursement des frais non répétibles de première instance et 2000 euros en remboursement des frais non répétibles exposés à hauteur d’appel.
Il n’y a pas lieu de se prononcer actuellement sur les frais d’exécution forcée d’une décision dont l’exposé reste purement hypothétique et qui sont réglementés par l’article L. 111-8 du code des procédures civiles d’exécution qui prévoit la possibilité qu’ils restent à la charge du créancier lorsqu’il est manifeste qu’ils n’étaient pas nécessaires au moment où ils ont été exposés, étant rappelé qu’en tout état de cause, le titre servant de fondement à des poursuites permet le recouvrement des frais d’exécution forcée.
Par ces motifs
La Cour
Infirme la décision déférée dans ses dispositions qui déboutent M. [V] de ses demande au titre des repos compensateurs au titre du travail de nuit, au titre des indemnités de repas unique de nuit, pour exécution déloyale du contrat de travail, au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Confirme la décision déférée pour le surplus de ses dispositions
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant
Condamne la sas Strumia à payer à M. [V]:
– 2500 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice qui est résulté du non respect des dispositions relatives au repos compensateur pour travail de nuit
– 3872,86 euros au titre de l’indemnité de repas unique de nuit
– 2500 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice qui est résulté des manquements de l’employeur à l’obligation d’exécuter loyalement le contrat de travail
– 2000 euros pour les frais non répétibles de première instance
– 2000 euros pour les frais non répétibles d’appel
Condamne la sas Strumont aux dépens d’appel; en conséquence la déboute de la demande qu’elle a formée au titre de ses frais non répétibles
Dit n’y avoir lieu à statuer sur les frais éventuels d’exécution
Signé par madame Marie-Paule Menu, présidente, et par madame Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
S. Déchamps MP. Menu