C4
N° RG 20/04122
N° Portalis DBVM-V-B7E-KVKE
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
Me Pascale HAYS
la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section A
ARRÊT DU MARDI 06 DECEMBRE 2022
Appel d’une décision (N° RG 19/00004)
rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MONTELIMAR
en date du 30 novembre 2020
suivant déclaration d’appel du 17 décembre 2020
APPELANT :
Monsieur [F] [P]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Pascale HAYS, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,
et par Me Marc GENOYER de la SCP 91 DEGRES AVOCATS, avocat plaidant inscrit au barreau de MONTPELLIER,
INTIMEE :
S.C.A. UNION DES VIGNERONS DES COTES DU RHONE (UVCR), représentée par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Charlotte DESCHEEMAKER de la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER, avocat postulant inscrit au barreau de GRENOBLE,
et par Me Cyrille GUENIOT de la SELAFA ACD, avocat au barreau de NANCY substituée par Me Audrey REMY, avocat au barreau de NANCY,
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente,
Madame Gaëlle BARDOSSE, Conseillère,
Madame Isabelle DEFARGE, Conseillère,
DÉBATS :
A l’audience publique du 03 octobre 2022,
Mme Gaëlle BARDOSSE, Conseillère chargée du rapport, et Mme Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistées de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, les parties ne s’y étant pas opposées ;
Puis l’affaire a été mise en délibéré au 06 décembre 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L’arrêt a été rendu le 06 décembre 2022.
Exposé du litige :
M. [P] a été engagé dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à compter du 27 août 1984 par l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône (UVCDR). Il a été promu responsable informatique le 1er janvier 1997.
Le 6 juillet 2018, il a été victime d’un malaise reconnu comme accident du travail.
M. [P] a fait l’objet d’un arrêt maladie du 28 septembre 2018 au 27 octobre 2018.
Il a reçu un courrier d’avertissement le 13 novembre 2018.
Il a été à nouveau placé en arrêt de travail à compter du 27 novembre 2018 et l’était encore au moment de la saisine du conseil de prud’hommes.
M. [P] a saisi le conseil des prud’hommes de Montélimar, en date du 08 janvier 2019, aux fins de faire constater qu’il était victime de harcèlement moral au travail, que l’UVDCR a manqué à son obligation de sécurité de résultat ainsi qu’à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail et afin d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur et les indemnités afférentes.
M. [P] a été licencié pour inaptitude le 10 juin 2021.
Par jugement du 30 novembre 2020, le conseil des prud’hommes de Montélimar, a :
Débouté M. [P] de l’ensemble de ses demandes.
Condamné M. [P] à verser à l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône 1 euro symbolique au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Laissé les éventuels dépens à la charge des parties.
La décision a été notifiée aux parties et M. [P] en a interjeté appel.
Par conclusions du 27 septembre 2022, M. [P] demande à la cour d’appel de :
Infirmer le jugement rendu le 30 novembre 2020 par le conseil de prud’hommes de Montélimar ;
Dire et juger qu’il a été victime de harcèlement moral au travail ;
Dire et juger que l’UVCDR a manqué à son obligation de sécurité de résultat ;
Dire et juger que l’UVCDR a manqué à l’exécution loyale du contrat ;
Fixer à 5 267 euros bruts le salaire moyen de référence ;
A titre principal:
Prononcer la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône ;
Faire produire à cette résiliation les effets d’un licenciement nul ;
Condamner en conséquence l’UVCDR à lui verser les sommes suivantes :
126 408 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
65 771,85 euros à titre de doublement de l’indemnité conventionnelle de licenciement;
15 801 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;
1 580,10 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
A titre subsidiaire:
Reconnaître l’origine professionnelle de son inaptitude;
Condamner l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône au paiement des sommes suivantes:
126 408 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
65 771,85 euros à titre de doublement de l’indemnité conventionnelle de licenciement;
15 801 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;
1 580,10 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
A titre infiniment subsidiaire:
Dire que l’UVCDR a manqué à son obligation de sécurité
Déclarer que l’employeur a manqué à ses obligations en ne consultant pas le CSE ;
Déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamner en conséquence l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône au paiement des sommes suivantes:
105 340 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En tout état de cause:
Annuler l’avertissement en date du 23 novembre 2018 ;
Condamner l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône à lui payer les sommes suivantes:
50 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait du harcèlement moral ;
20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité de résultat ;
20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’exécution loyale du contrat ;
Condamner l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône à la remise, sous astreinte de 150 euros par jour des documents sociaux de fin de contrat conformes à la décision à intervenir à compter du 8e jour de sa notification ;
Se réserver la possibilité de liquider l’astreinte an application de l’article L. 131-3 du code des procédures civiles d’exécution ;
Condamner l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône au paiement de la somme de 10 000 euros bruts par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens (art. 696 cpc) avec droit de recouvrement direct auprès de l’avocat soussigné (art. 699 cpc) ;
Rejeter la demande de l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône qui demande sa condamnation à la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles et confirmer le jugement en qu’il l’a condamné à l’euro symbolique.
Par conclusions du 23 septembre 2022, l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône demande à la cour d’appel de :
Confirmer le jugement du Conseil de prud’hommes en ce qu’il a débouté M. [P] de l’ensemble de ses demandes
Prononcer l’irrecevabilité de la demande d’annulation de l’avertissement en ce que cette demande est nouvelle ;
A défaut et en tout état de cause, rejeter la demande d’annulation de l’avertissement ;
Juger que M. [P] n’a pas été victime de harcèlement moral ;
Débouter M. [P] de sa demande de dommages et intérêts afférente ;
Juger que l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône n’a pas manqué à son obligation de sécurité de résultat ;
Débouter M. [P] de sa demande de dommages et intérêts afférente ;
Juger que l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône n’a pas manqué à son obligation d’exécuter loyalement le contrat de travail ;
Débouter M. [P] de sa demande de dommages et intérêts afférente ;
Sur l’appel principal:
Débouter M. [P] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail ;
Débouter M. [P] de ses demandes afférentes (indemnité pour licenciement nul, doublement de l’indemnité de licenciement, indemnité de préavis et congés payés afférents) ;
Sur l’appel à titre subsidiaire:
Juger que le licenciement pour inaptitude est parfaitement valable et n’est pas d’origine professionnelle ;
Débouter M. [P] de ses demandes afférentes (indemnité pour licenciement nul, doublement de l’indemnité de licenciement, indemnité de préavis et congés payés afférents) ;
Sur l’appel à titre infiniment subsidiaire:
Prononcer l’irrecevabilité de la demande dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en ce que cette demande est nouvelle ;
Juger que l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône n’a pas manqué à son obligation de sécurité de résultat ;
Juger que l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône n’a pas manqué à son obligation de consulter le CSE ;
En tout état de cause, rejeter la demande de requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse en ce qu’elle et infondée ;
Débouter M. [P] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Par conséquent, débouter M. [P] de ses demandes principales et subsidiaires,
Infirmer le jugement en ce qu’il a:
Condamné M. [P] à verser à L’UNION DES VIGNERONS DES COTES DU RHONE (l’UVCDR) 1 euro symbolique au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Laissé les dépens à la charge des parties.
Débouter M. [P] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner M. [P] à verser à l’UVCDR la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
Par ordonnance juridictionnelle du 30 septembre 2022, le Conseiller de la mise en état a ordonné la révocation de l’ordonnance de clôture du 27 septembre 2022.
La clôture a été prononcée le 03 octobre 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
SUR QUOI :
Sur la demande d’annulation de l’avertissement du 13 novembre 2018:
Moyens des parties :
L’Union des Vignerons des Côtes du Rhône (UVCDR) soutient que la demande de M. [P], tendant à la contestation de l’avertissement, est nouvelle. Elle ne figurait pas au dispositif des dernières conclusions du salarié déposées devant le conseil de prud’hommes par le conseil de M. [P].
Sur le fond, elle expose que l’avertissement était fondé sur plusieurs manquements du salarié (non-respect de la procédure pour déposer ses congés posés tardivement, non-respect des consignes et notamment un refus de communiquer les codes informatiques à son supérieur, dépassement du budget dans le cadre d’un projet sans alerter l’employeur).
M. [P] soutient que sa demande d’annulation de l’avertissement apparaît bien dans ses dernières conclusions devant le conseil des prud’hommes. Cette sanction disciplinaire doit être annulée étant fondée sur des faits erronés, et qu’aucune faute ne peut lui être imputée.
Réponse de la cour,
Sur la fin de non-recevoir tirée de la demande nouvelle s’agissant de la demande d’annulation de l’avertissement, les articles 564 et suivants du code de procédure applicables aux faits de l’instance prévoient qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. Les parties ne peuvent par conséquent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l’espèce, M. [P] a saisi le conseil de prud’hommes par requête du 07 janvier 2019 aux termes de laquelle il sollicitait, notamment, l’annulation de l’avertissement du 13 novembre 2018.
Il ressort en outre des conclusions numéro 3 déposées par M. [P] au greffe du conseil de prud’hommes à l’audience du 07 septembre 2019 (tampon du greffe y figurant) que cette demande est maintenue. Pourtant, celle-ci n’est pas reprise dans l’exposé du litige des premiers juges qui indiquent dans leur décision que : « le demandeur n’a pas saisi le Conseil pour contester l’avertissement qu’il a reçu. Celui-ci ne peut donc pas se prononcer sur cette sanction dont M. [P] a fait l’objet et pour laquelle il a fait une réponse circonstanciée et argumentée à son employeur ».
Il convient, au vu de ce qui précède de constater que la demande d’annulation de l’avertissement formulée par M. [P] n’est pas nouvelle en cause d’appel et de rejeter la fin de non-recevoir formulée à ce titre par l’UVCDR.
Sur le bien-fondé de la sanction disciplinaire :
Aux termes de l’article L. 1331-1 du code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.
L’article L. 1333-1 du code du travail dispose qu’en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L’article L. 1333-2 du code du travail dispose que le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme, ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
Le juge doit suivre le processus probatoire en deux étapes à savoir examiner les éléments fournis par l’employeur et le salarié pour apprécier la réalité des faits ayant motivé la sanction puis, s’il lui est impossible de former sa conviction, de faire peser le risque de la preuve sur l’employeur. Si un doute subsiste, il profite au salarié. Si les faits ayant motivé la sanction sont matériellement établis, il appartient au juge, en cas de contestation, d’apprécier si la sanction est justifiée et proportionnée à la faute commise.
En l’espèce, suite à un entretien du 12 novembre 2018, un avertissement fondé sur quatre griefs a été prononcé le 13 novembre 2018 à l’encontre de M. [P]. Par courrier en réponse ayant pour objet « votre courrier « premier avertissement » du 13 novembre 2018 », M. [P] a contesté l’ensemble des manquements qui lui sont reprochés.
Concernant le premier grief du non-respect de la « procédure de prise des congés payés notamment concernant les 30 et 31 août 2018 », l’employeur produit, outre le compte rendu d’entretien du 12 novembre 2018 et la lettre du 13 novembre 2018 ayant pour objet « premier avertissement », une note interne diffusée par mail aux salariés, dont M. [P]. Cette note stipule que les demandes doivent être validées « idéalement 1 mois avant la date prévue ».
Il ressort du formulaire de demande de congé produit par M. [P] et non contesté par l’employeur, que la demande doit être faite « en double exemplaire à déposer 5 jours ouvrés avant la date de départ en congés, sauf cas de force majeure ». M. [P] ne conteste pas avoir demandé tardivement, le 27 août 2018, un congé pour les 30 et 31 août 2018. La matérialité de ce manquement est établie.
Concernant le second grief relatif au non-respect de « la consigne donnée par son supérieur hiérarchique, à savoir étudier et présenter les propositions pour mettre en ‘uvre l’externalisation des serveurs », l’employeur allègue qu’une étude à ce sujet avait été demandée au salarié le 04 septembre 2018 et, qu’en l’absence de retour, M. [C] aurait « dû prendre le relais sur ce projet en son absence ».Pour fonder ce grief, l’UCVDR s’appuie uniquement sur l’attestation de M. [C] établie le 1er juin 2019.
M. [P] verse pour sa part, le compte rendu d’entretien préalable à sanction disciplinaire du 12 novembre 2018, signé par lui et par M. [M], représentant du personnel, dont la teneur n’est pas remise en cause par l’employeur, et il doit être observé qu’il n’y est pas fait état de ce grief.
Aux termes de la lettre du 03 décembre 2018, adressée par M. [P] à son employeur pour contester l’avertissement, il admet avoir été sollicité par M. [C] le 04 septembre 2018 au sujet de du projet d’externalisation et fait valoir qu’il a entrepris des diligences en sollicitant plusieurs fournisseurs et notamment avoir reçu, dès le 11 septembre 2018, la société Infodial. Il expose encore avoir sollicité de l’aide à son employeur, sans succès, afin de pouvoir mener à bien ce projet ainsi que ses autres tâches.
Aucun élément n’est donné par l’employeur s’agissant du délai qui était imparti au salarié pour exécuter la mission demandée et il ressort des pièces produites par le salarié que ce dernier a fait l’objet d’un arrêt maladie à compter du 28 septembre 2018 et ne pouvait dès lors poursuivre son activité durant cet arrêt. Au surplus, l’employeur ne produit aucun rappel à l’ordre de M. [P] à ce sujet. Ce grief n’est donc pas établi.
Concernant le troisième grief relatif au non-respect de « la consigne donnée par son supérieur hiérarchique à savoir lui donner les codes d’accès et les mots de passe serveur », il n’est pas contesté que le 26 septembre 2018, M. [C] demande par courriel à M. [P], en sa qualité de responsable informatique, de lui communiquer les codes d’accès et mots de passe des serveurs. Il n’est versé pour étayer ce grief aucune autre pièce par l’employeur que la lettre d’avertissement.
M. [P], qui conteste avoir refusé de satisfaire à cette demande, affirme avoir sollicité des éclaircissements sur celle-ci pour des raisons de sécurité. Il produit ainsi le mail du 28 septembre 2018, par lequel il répond à M. [C] être en arrêt maladie jusqu’au 27 octobre 2018 et lui transmet les noms des serveurs informatiques et leurs fonctions ainsi que les modes de sauvegardes des données ainsi que sollicité par M. [C] le 26 septembre. Concernant la requête de M. [C], portant sur les mots de passe, le salarié lui demande des précisions, à savoir si sa requête porte sur le « mot de passe d’administration » qui ne doit être communiqué qu’aux « seules personnes habilitées en charge du dossier ». M. [P] ajoute que, pour une intervention externe à l’entreprise en administrateur, il souhaite que la demande de M. [C] « soit faite conjointement par la DG compte tenu de l’aspect sensible d’une telle information ». Il termine son courriel en indiquant que, pour les interventions d’autres prestataires, « les bonnes pratiques de sécurité consistent à ne créer que des comptes d’accès à droit restreint » et précise espérer que M. [C] comprendra sa position « en raison de son implication dans la démarche sécuritaire de l’entreprise ».
Au vu de ces éléments, étant constaté que le salarié, d’après sa fiche de poste de responsable informatique, avait notamment pour tâche de gérer « en interne les autorisations d’accès au système et aux données informatiques de l’Union et des filiales », la réponse faite par M. [P] au DAF ne peut dès lors être qualifiée de refus de transmission des codes demandés. En effet, les termes employés montrent qu’il s’agit en réalité d’une demande de précision adressée à son interlocuteur et surtout d’une mesure de précaution qui découle directement des fonctions du salarié qui se devait d’assurer « la sauvegarde des données informatiques de l’Union et des filiales ». Il n’est au surplus, ni démontré ni conclu que le DAF n’a pas pu obtenir les codes sollicités ultérieurement. La matérialité de ce grief n’est pas établie.
Concernant le quatrième grief, relatif au non-respect « du budget alloué par le Conseil de surveillance pour le projet ERP et ce sans alerter, informer sur le dépassement et sans avoir obtenu l’accord de son supérieur hiérarchique préalablement aux engagements financiers », l’UCRVP produit les éléments suivants :
Un power point sur ce « Une vraie culture du résultat Nouvel ERP : SageX3 ID SYSTEMES», dont la teneur est attribuée à M. [P] sans que celui-ci ne le conteste aux termes de ses écritures. Il est fait état d’un investissement de 460 000 euros,
Un compte-rendu du conseil de surveillance du 19 octobre 2016 qui fait notamment état de la mise en place d’un nouvel ERP (Entreprise Ressource Planning) de la présentation du projet par M. [P] et M. [W] et de la validation par le conseil de surveillance de « l’investissement de ce nouveau logiciel de gestion intégré »,
Un document « factures ID SYSTEMES PAYEES » qui mentionne des dépenses entre septembre 2016 et novembre 2018 de 709 701 euros. La cour observe que sur ce document le budget prévisionnel est fixé à 364 000 euros,
Deux mails des 09 octobre 2018 et 11 octobre 2018 adressés à M. [C] par le directeur associé d’ID systemes portant sur « près de 200keuros de factures impayées »,
Un récapitulatif « factures dues ID SYSTEMES » sur la période du 31 mai 2018 au 28 septembre 2018 faisant état d’un total de 58 308 euros.
Le salarié ne conteste pas que le budget a effectivement évolué. Dans le courrier du 03 décembre 2018, par lequel il conteste l’avertissement, il oppose tout d’abord le fait que le budget présenté dans le power point était prévisionnel et qu’il a ensuite négocié avec ID SYSTEMES.
La société employeur ne verse aux débats aucun élément confirmant que le salarié n’aurait pas alerté ou informé son supérieur de certaines factures, en ne les transmettant pas à la comptabilité. La Cour observe par ailleurs que le document « factures ID SYSTEMES PAYEES », qui porte sur dépenses de septembre 2016 à novembre 2018, fait état de factures réglées à la société ID SYSTEMS en charge du projet ERP ce qui induit la validation de la facture par l’organe habilité. Il n’est pas non plus allégué ni justifié par l’employeur que M. [P] disposait du pouvoir de décider seul du paiement des factures et qu’il pouvait ainsi agir sans l’aval du DAF.
A surplus, il ressort d’un mail, produit par l’employeur, du 22 mai 2018 adressé à M. [C] par M. [P] que ce dernier lui envoie une copie « des investissements du service informatique pour 2018 », démontrant que le salarié lui rendait compte s’agissant des questions financières en lien avec son service. En outre, des mails du 29 octobre 2018, échangés entre eux et ayant pour objet « point hebdo », permettent de relever les propos suivants : « Budgets en cours de finalisation Dépassements budget ID 700 000 au lieu de 370 000 euros initialement prévu on connaît pas encore les causes de ces dépassements in investit encore ». Ce mail, qui porte bien sur la difficulté liée au dépassement de budget dans le cadre du projet ERP, montre que M. [C] en est averti et qu’il échange à ce sujet avec le salarié. Ce dernier lui indique qu’il prend « note » des précisions apportées par le DAF et lui joint d’ailleurs des « devis concernant les accès aux salles informatiques ». Ces éléments démontrent que le DAF était alerté du dépassement de budget et que fin octobre 2018, il n’en imputait pas la responsabilité à son salarié.
Enfin, l’UCVDR n’apporte aucune précision ou pièce probante pour contredire le fait conclu par M. [P] selon lequel les pièces produites ne permettent pas de s’assurer du lien entre ces factures et le projet ERP. Ainsi, les pièces produites par l’employeur ne permettent non seulement pas d’imputer la responsabilité du dépassement du budget prévisionnel ERP au salarié, mais il n’est pas démontré que ce dernier ne communiquait pas avec le DAF sur le sujet et surtout que M. [P] aurait pu, sans son aval, engager des dépenses au nom de la société. La matérialité du grief n’est pas établie.
Au vu de ce qui précède, le seul manquement matériellement établi à l’encontre de M. [P] est celui d’avoir déposé tardivement une demande de congé en août 2018. La cour relève que l’UCVPR n’allègue ni ne justifie d’aucune autre difficulté concernant le non-respect du délai de prévenance par le salarié en matière de congés et n’apporte aucun élément sur la désorganisation qui en serait résultée. Il a en outre été accordé au salarié la journée du 31 août 2018, celle du 30 étant refusée par M. [C] (DAF) en raison de la venue des commissaires aux comptes dans l’entreprise, ce point démontrant que ce congé tardif n’avait pas posé de difficulté à l’entreprise.
Dès lors, l’avertissement prononcé, alors que M. [P] n’avait pas fait l’objet de rappel à l’ordre à ce sujet précédemment et alors même que l’employeur a pu lui refuser une des deux journées de congés sollicitées afin qu’il soit présent pour rencontrer les CAC, constitue une sanction disproportionnée par rapport au fait établi.
Il convient d’annuler la sanction disciplinaire d’avertissement prononcée à l’égard de M. [P] le 13 novembre 2018.
Sur le harcèlement moral:
Moyens des parties,
M. [P] expose avoir subi des faits constituant du harcèlement moral et notamment des « pratiques néfastes, voire destructrices », et fait état des manquements suivants :
La restriction de ses fonctions par la suppression du groupe de travail d’informaticiens dont il était le responsable durant le projet ERP ;
Une rétrogradation subreptice par son remplacement par un autre salarié et une mise à l’écart s’agissant des décisions, des communications, réunions, recrutements concernant son service et ses tâches et l’intervention de M. [C] (DAF) sur la gestion du code administrateur ;
Des humiliations et des mesures vexatoires de la part de M. [C] : arrêts des commandes informatiques validées, perte du contrôle du service informatique en raison d’une modification et rétention du code administrateur ;
Des refus de congés et des heures supplémentaires, et le non-respect du droit au repos ;
La perte du dernier membre de l’équipe informatique le 26 novembre 2018 ;
Le déménagement brutal de son bureau le 26 novembre 2018 ;
L’organisation d’une contre visite médicale par l’employeur, le 04 décembre 2018, durant son arrêt maladie.
Il expose que ces faits ont eu un impact sur son équilibre physique et mental étant contraint de travailler jour et nuit dans le cadre du projet ERP ; il a ainsi été victime d’un malaise lié au surmenage puis d’une dépression réactionnelle/burn out en juillet 2018 et s’est trouvé en arrêt maladie du 27 novembre 2018 jusqu’en mai 2021.
L’UCVDR conteste l’ensemble des manquements allégués au titre du harcèlement moral et expose que :
Les changements de postes des salariés composant le service informatique étaient prévus et encadrés. Le service informatique dépend de la DAF comme ceux du contrôle de gestion la comptabilité et la trésorerie et l’employeur peut organiser un service en fonction des besoins internes et intérêts de l’entreprise ; Le transfert total d’une salariée et partiel d’un autre salarié n’avait pas pour objet de mettre M. [P] en difficulté et ces changements ont eu lieu à l’issue du projet ERP ;
Le salarié n’a pas subi de rétrogradation mais a été soutenu via une réorganisation dans le cadre du projet ERP ;
Dès février 2017, le salarié était placé sous l’autorité du DAF, poste occupé ensuite par M. [C] qui assumait la responsabilité du service informatique. Ce dernier n’a jamais eu de comportement inadapté et a pris les décisions dans l’intérêt de l’entreprise aucune défiance n’étant démontrée par le salarié. Les congés étaient acceptés même posés tardivement sauf impossibilité, le DAF est juge des dépenses informatiques ; c’est le DG qui a sollicité la modification des codes d’accès à la salle serveur et codes administrateur et le salarié a refusé et ce dernier bénéficiait d’un profil « super admin » lui permettant d’accéder à tous les codes.
L’avertissement était fondé ;
Le salarié a pu prendre ses congés et aucun ne lui a été refusé sans motif ;
Le déménagement des bureaux a été annoncé, n’était ni brutal ni abusif et sans mise à l’écart. Le salarié n’a pas été écarté des recrutements mais n’était pas décideur ; des décisions ou réunions ont été accomplies durant son arrêt maladie, l’employeur n’étant pas tenu de l’en informer ;
L’organisation d’une contre-visite médicale est un droit de l’employeur.
Réponse de la cour,
Aux termes des articles L.1152-1 et L. 1152- 2 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel et aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
Suivants les dispositions de l’article L 1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral ; dans l’affirmative, il appartient ensuite à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Le harcèlement moral n’est en soi, ni la pression, ni le surmenage, ni le conflit personnel ou non entre salariés, ni les contraintes de gestion ou le rappel à l’ordre voire le recadrage par un supérieur hiérarchique d’un salarié défaillant dans la mise en ‘uvre de ses fonctions.
Les règles de preuve plus favorables à la partie demanderesse ne dispensent pas celle-ci d’établir la matérialité des éléments de fait précis et concordants qu’elle présente au soutien de l’allégation selon laquelle elle subirait un harcèlement moral au travail.
En l’espèce, M. [P] allègue avoir été victime de fait de harcèlement moral de la part de M. [C] (Directeur administratif et financier DAF) et invoque plusieurs manquements et leur incidence sur son état de santé.
Concernant la suppression du groupe de travail d’informaticien, notamment lors du projet ERP, et de la perte de ses responsabilités hiérarchiques, il est établi que M. [P] exerçait la fonction de Responsable Informatique. Il produit deux organigrammes sur lesquels, en avril 2015, le salarié relève de la hiérarchie directe du DG, est le supérieur hiérarchique de Mme [I] assistante informatique et Régie puis, en janvier 2018, son supérieur hiérarchique est le DAF-RH (M. [R]), le service informatique comporte alors deux salariés (Mme [I] et M. [G], responsable général administration et vente), M. [P] apparaissant comme leur supérieur.
Il ressort de deux mails de Mme [I], qu’elle signe d’abord le 04 juin 2018 en qualité d’« assistante informatique et service régie » tandis que le 06 juin 2018 elle signe désormais en qualité de « chargée de régie et compta fournisseur ». M. [P] établit ainsi que l’assistante du service informatique et Régie n’était plus dans les effectifs du service informatique et donc sous sa hiérarchie à compter de juin 2018.
M. [P] évoque en outre la situation de M. [T] qui aurait été lui aussi affecté à un autre service en novembre 2018. Les parties s’accordent pour dire que ce salarié a été recruté par l’entreprise en contrat à durée déterminée en septembre 2017 puis, qu’il a fait l’objet d’un contrat à durée indéterminée le 1er août 2018 en qualité d’« assistant chargé des données informatiques ». M. [P] verse une attestation de Mme [L], ancienne collègue du service comptabilité, qui indique que, lors d’une réunion du 26 novembre 2018, M. [C] (DAF) a annoncé que M. [T] serait rattaché « à la comptabilité pour la mise en place d’un pôle finance ayant en charge le traitement des statistiques ».
Sur la forme de l’attestation de Mme [L], les dispositions de l’article 202 du code de procédure civile n’étant pas prescrites à peine de nullité, elle ne peut être écartée des débats au seul motif qu’elle ne répond pas en la forme aux prescriptions légales. Contrairement au fait conclu par l’employeur, une pièce d’identité est jointe, son auteur est clairement identifiable et elle ne comporte aucun indice de nature à mettre en doute son authenticité. Il n’y a donc pas lieu de l’écarter et il convient d’en apprécier la valeur probante.
Le témoignage de Mme [L] rejoint les dires du salarié selon lesquels il aurait été avisé le 26 novembre 2018, par M. [C], du fait qu’il lui retirerait l’assistance de M. [T] au profit éventuel d’un stagiaire. M. [P] dénonce cette décision du DAF lorsqu’il conteste l’avertissement auprès du DG mais également lorsqu’il écrit à l’inspection du travail le 03 décembre 2018. Il en fait encore état lors d’un message adressé à la médecine du travail en janvier 2019. La matérialité de ce fait est établie.
S’agissant de la surcharge de travail générée par le projet ERP, le départ de Mme [I] puis de M. [T] du service informatique et l’impact sur son état de santé d’un effectif insuffisant, M. [P] produit :
– Un mail du 13 juillet 2018, qui fait suite au déploiement du projet ERP et du constat de « bug », dans lequel le salarié indique notamment à M. [C] que le nombre de personne affecté au service est insuffisant eu égard à la taille de l’entreprise ;
– Un mail du 27 août 2018 adressé à M. [C], à propos de la difficulté liée à ses demandes de congés pour le 30 et 31 août 2018, dans lequel M. [P] évoque le fait que « [B] » ([T]) a été recruté pour le « compléter en tant que binôme ». Il souligne cependant que le service est « sous staffé » par rapport à la charge de travail globale et que « le dossier ID ERP est très chronophage » pour le service informatique. Il indique encore avoir pris note de la volonté du DAF que le projet soit bouclé pour fin septembre et lui indique qu’il repousse ses congés sur le mois d’octobre ;
– La déclaration d’accident du travail du 06 juillet 2018 qui relève un malaise/oppression du salarié et la copie du dossier médical sur lequel le médecin du travail note, lors de la consultation du 28 août 2018, l’état asthénique et mal-être du salarié au travail notamment en lien avec une surcharge de travail ;
– Les arrêts de travail, à compter du 27 septembre 2018 pour dépression/burn out ;
– La lettre du 03 décembre 2018 de contestation de l’avertissement, adressée à M. [Y] (DG) dans laquelle le salarié évoque le fait qu’il a dû gérer les priorités en raison de la charge du projet ERP, avoir demandé plusieurs fois de l’aide à M. [C] et dénonce des faits de harcèlement moral de la part de ce dernier ;
La matérialité de ce fait est établie.
Sur les refus de « brefs congés » par M. [C] ou de l’impossibilité de poser des congés, M. [P] justifie avoir sollicité deux jours de congés fin août 2018 (pour le mariage de son fils), dont l’un a été refusé. Il produit en outre un mail d’août 2018 adressé à M. [C] à qui il indique reporter ses congés en raison de la demande du DAF de clôturer le projet ERP avant fin septembre. La matérialité de ce fait est établie.
Sur la rétrogradation alléguée, les éléments évoqués précédemment (salariés affectés à un autre poste, M. [P] restant seul) établissent que le salarié n’exerçait plus de pouvoir hiérarchique sur quiconque et perdait dès lors une part de ses responsabilités (management).
Par ailleurs, sur le fait qu’il aurait été « court-circuité » par M. [C], ce dernier prenant en charge la gestion des priorités du service informatique, M. [P] produit un mail du 07 septembre 2018 adressé à M. [C] par lequel il lui « confirme les points vus ensemble lors de notre entretien d’hier après-midi » et notamment le fait que M. [C] gèrerait « dorénavant » les « priorités du SI ». Il ressort de la fiche de poste du salarié que cette tâche lui incombait mais à charge d’en rendre compte au DAF et à la DG. Cependant la teneur de ce mail permet de relever que M. [C] prend la charge de tâches auparavant incombant au salarié. Ce fait est établi.
Sur l’intervention de M. [C] sur la gestion du code informatique administrateur le 26 septembre 2018, il est établi que le DAF a formulé une requête auprès du salarié pour obtenir les « codes d’accès des serveurs et les différents mots de passe » par mail et d’être informé sur le « design d’architecture des serveurs et leurs fonctions ». M. [P] lui apporte une partie des éléments demandés par un courriel du 28 septembre et lui demande des précisions sur le sens de sa requête portant sur les codes. Les pièces produites par le salarié ne permettent pas à la cour de relever que M. [C], en sa qualité de DAF et de supérieur hiérarchique du salarié, n’était pas habilité à lui demander les codes en questions ou à les détenir. La matérialité de ce fait n’est pas établie.
S’agissant du changement des codes et du grief de leur rétention par M. [C], M. [P] verse des mails adressés à M. [C], dès son retour d’arrêt maladie, entre le 29 octobre 2018 et le 31 octobre, par lesquels il lui réclame les code administrateurs modifiés durant son absence. Il produit en outre deux attestations de salariés de la société INFODIAL, informaticiens extérieurs à l’entreprise , qui indiquent que M. [C] avait demandé que les nouveaux codes ne soient pas communiqués au salarié. Ainsi qu’observé par M. [P] aux termes de ses écritures, l’UCVDR ne conteste pas que les codes ont été changés durant son absence, l’employeur arguant d’une faille de sécurité.
Sans avoir à s’interroger sur la réalité de cette faille ou sur la question de savoir si le salarié détenait ou non un compte « super admin » (comme conclu par l’employeur et démenti par le salarié), il convient de relever, s’agissant de la question d’une rétention des codes par M. [C], qu’à son retour d’arrêt maladie, le salarié ne disposait pas des codes administrateurs. Il est de même démontré que par un mail du 30 octobre 2018, M. [P] réclame ces codes à M. [C] et indique en outre que le travail de M. [T] est aussi impacté par ce problème. Il ressort toutefois d’un autre mail du 31octobre, produit par le salarié, qu’il réclame à la société INFODIAL, la communication des codes « à M. [C] » et à lui-même. Ce dernier élément permet de considérer que M. [C] ne détenait pas non plus les codes en question et donc n’en faisait pas la rétention comme allégué. Au surplus, le salarié admet les avoir obtenus le 31 octobre, soit à bref délai. La matérialité de ce manquement n’est pas établie.
Sur l’avertissement du 23 novembre 2018, la cour de céans a jugé qu’il devait être annulé, la sanction étant disproportionnée. Ce fait est établi.
Sur l’attribution d’une prime moindre en raison du retard pris sur le projet ERP à titre de sanction, M. [P] justifie avoir perçu en 2017 une prime au titre de l’année 2016 de 3 000 euros contre 1 350 euros en 2018 au titre de l’année 2017, tel que cela ressort de l’entretien de progrès du 25 janvier 2018 qui relève que l’ERP X 3 n’a pas démarré en janvier 2018 « comme prévu », et s’agissant de l’adaptation au poste, qu’il « assume de façon satisfaisante les dimensions essentielles de la fonction ». Le fait qu’il a perçu une prime moindre en 2018, alors que le projet ERP, dont il avait la charge, prenait du retard est par conséquent établi.
S’agissant du changement de bureau qui serait intervenu brutalement, M. [P] s’appuie tout d’abord sur l’attestation de M. [C] aux termes de laquelle il relate avoir avisé le salarié « lors d’une réunion en tête à tête » de ce changement de bureau, avant la tenue d’une assemblée plénière. Mme [L] dans son attestation indique que l’annonce du déménagement du salarié depuis le bureau du service informatique vers celui de la comptabilité, a été faite lors d’une réunion plénière le 26 novembre 2018 en « fin d’après-midi dans les bureaux open space de la comptabilité », le changement devant intervenir le lendemain. M. [P] pour sa part relate, dans le courrier de contestation de l’avertissement que le lundi 26 novembre 2018, il aurait été « appréhendé dans le couloir », le DAF lui reprochant son manque de loyauté, lui annonçant un transfert de son bureau le lendemain au RDC « dans l’open space de la comptabilité ». Il est donc établi que le salarié a dû changer de bureau, en étant averti à bref délai.
Concernant son état de santé durant la période des faits dénoncés, il est établi que M. [P] a fait l’objet d’une contre-visite médicale durant son arrêt de travail, le 04 décembre 2018.
M. [P] produit enfin les arrêts de travail mais encore la copie du dossier médical démontrant qu’il s’est trouvé en arrêt maladie pour dépression/burn-out du 28 septembre 2018 au 27 octobre 2018 puis, postérieurement à l’avertissement et au changement de bureau, du 27 novembre 2018 à mai 2021.
Le dossier médical du service de santé au travail mentionne que le salarié a fait état de sa situation de souffrance au travail une première fois en octobre 2015 puis, de manière réitérée à compter de février 2018, le médecin relevant à la rubrique « données cliniques, symptômes, pathologie » des signes de « burn-out, épuisement professionnel ». Le médecin du travail note lors de la visite du 06 mai 2021 « reprise ce jour, j’ai la conviction que les conditions de travail ont été une cause nécessaire à la « pathologie » état dépressif de ce salarié. La rencontre avec l’employeur ne m’a pas permis d’envisager une réelle amélioration des conditions de travail d’où l’incohérence pérenne de la situation et prescription de « l’inaptitude médicale » ce jour ».
En revanche, M. [P] échoue à établir la matérialité des faits suivants :
Il ne verse aucun élément sur l’existence d’heures supplémentaires non rémunérées permettant à l’employeur d’y répondre utilement, leur quantum et ne formule aucune demande à ce titre alors même qu’il conclut avoir sollicité l’autorisation de son employeur d’effectuer des heures supplémentaires.
Sur le fait qu’il aurait dû se charger ou être consulté pour le recrutement de M. [H] (intervenant extérieur dans le service informatique), que ce salarié ne lui rendait pas compte de son activité, qu’il l’aurait remplacé sur le projet ERP, qu’il n’était plus consulté ou associé aux communications sur le déploiement du projet ERP : s’il est exact que dans le mail sus-visés, M. [P] demande à M. [C] d’être tenu informé des « actions menées » par l’intervenant, il n’est cependant ni conclu ni démontré qu’il était le supérieur ou le référent de cet intervenant extérieur.
Sur le fait que M. [H] ait repris les fonctions du salarié, il n’est pas contesté que M. [P] se trouvait en arrêt maladie du 28 septembre 2018 au 27 octobre 2018 puis à compter du 27 novembre 2018 jusqu’en mai 2021. Il ne peut dès lors être fait grief à l’employeur d’avoir pourvu à son remplacement durant ses absences mais encore de ne pas lui avoir adressé durant ses arrêts maladie, les mails du 09 octobre et 07 décembre 2018 concernant le service informatique.
Le même constat doit être fait s’agissant du mail du 08 janvier 2019, non adressé à M. [P]. Aux termes de ce courriel, M. [T] avise les salariés du recrutement de M. [Z] au service informatique, ce dernier étant désigné comme « l’unique interlocuteur pour les demandes relatives à l’informatique ». Le salarié étant en arrêt maladie, il appartenait à l’employeur de prendre les dispositions qui s’imposaient sans avoir à en aviser le salarié absent.
Sur le fait allégué d’avoir été écarté du recrutement d’une salariée courant octobre 2018 en qualité de directrice GSM, le mail produit par M. [P] à l’appui de ce grief permet à la cour de constater qu’elle a été recrutée par M. [A] (directeur commercial France) « pour rejoindre son équipe » et non le service informatique. Le seul fait que M. [A] n’informe que M. [T] par mail du 31 octobre 2018, et non M. [P] est insuffisant pour établir la matérialité de ce grief.
Sur le fait que M. [C] a décidé seul, sans son avis, de la mise en place de la fibre orange, aucune des pièces produites ne permet de constater que le pouvoir décisionnel incombait au seul salarié. De même, en sa qualité de DAF, M. [C] est juge des dépenses à engager ainsi qu’il le rappelle au salarié dans un mail du 24 septembre produit par M. [P]. La matérialité de ce fait n’est pas établie.
Ce même courriel, s’il confirme que M. [C] rappelle au salarié qu’aucune dépense ne sera engagée sans son accord ne permet pas de relever que le DAF aurait procédé à l’annulation de commandes pour le service informatique déjà validées. De plus, les fonctions de M. [C] l’autorisent objectivement à rappeler au salarié qu’il doit valider les devis. M. [P] n’apporte ainsi sur ce point aucune preuve du fait M. [C] aurait invalidé des devis précédemment acceptés ni que le DAF ne disposait pas du droit d’y procéder.
M. [P] établit ainsi l’existence matérielle de faits précis, concordants et répétés de juin 2018 à novembre 2018, alors que M. [C] était son supérieur hiérarchique, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre. Il incombe par conséquent à l’employeur de démontrer que les faits ainsi établis sont étrangers à tout harcèlement moral.
Sur le grief d’une mise en difficulté de M. [P] liée au départ des membres du service informatique notamment lors du projet ERP, l’UCRVD ne conteste pas que Mme [I] a quitté ce service au profit du service comptabilité. L’UCRVD argue tout d’abord que cette décision avait été prise par le précédent DAF en mars 2018, M. [R]. Il n’est pas contesté que M. [C] a pris ses fonctions de DAF en mai 2018 et que le projet d’ERP a été lancé en octobre 2016 et s’est achevé en juillet 2018.
Il ressort d’un avenant signé par Mme [I] et M. [Y] que cette salariée a été affectée à compter du 1er janvier 2018 au poste de « chargée de régie comptabilité fournisseur », alors que M. [C] n’était pas encore DAF.
Cependant, sur la date à laquelle cette salariée n’a plus été affectée au service informatique, il a été relevé précédemment que début juin 2018, Mme [I] signait encore un mail sous couvert du service informatique. Il ressort en outre d’une note à l’intention du personnel du 04 juillet 2018 que « suite à l’arrivée de M. [C] DAF » l’organisation du service est modifiée. D’après cette pièce, Mme [I] est affectée au service comptabilité tandis que le service informatique est composé de M. [P] (responsable) et de M. [T] (assistant). Il ressort de ces éléments que le départ de cette salariée du service informatique a eu lieu juste avant le déploiement final du projet ERP.
Si dans le cadre de son pouvoir de direction, il appartient effectivement à l’employeur d’organiser les services, la cour observe que l’UVCDR ne verse aucune pièce permettant de constater, comme conclu, que le projet ERP aurait conduit à une défaillance de la Régie et à un contrôle des douanes nécessitant que Mme [I] rejoigne le service Régie.
Par ailleurs, s’il n’est pas contesté que cette salariée était à l’origine embauchée comme assistante informatique et Régie, l’employeur échoue ainsi à démontrer les raisons objectives pour lesquelles elle a cessé d’être affectée au service informatique, sous la hiérarchie de M. [P], et n’apporte pas plus de réponse à l’argument d’une surcharge de travail du salarié suite à ce départ.
Sur la question de la charge de travail du salarié, notamment lors du projet ERP, l’UCVDR ne conteste pas que M. [P] a exprimé à deux reprises par deux courriels de juillet et août 2018 que le service informatique était en sous-effectif. L’UCVDR qui expose que le service informatique, après avoir été constitué de 1.5 ETPT puis de 2.5 ETPT a ensuite été pourvu par 2 ETPT, argue, sans pièce à l’appui, que cet effectif correspondrait à la taille de l’entreprise.
La cour observe que l’employeur est taisant sur le malaise du salarié intervenu le 06 juillet 2018 pour lequel la cause évoquée, par le médecin généraliste mais encore lors de la réunion du CHSCT du 20 septembre 2018, est un surmenage, et se limite à indiquer que le salarié n’a pas fait de demande claire de renfort. Par ailleurs, concernant M. [T] (2 ème ETPT après le départ de Mme [I]), l’UVCDR verse le contrat à durée indéterminée signé le 06 juin 2018, par lequel il est recruté en qualité d’assistant informatique-gestionnaire des bases de données. Il ressort donc de ces éléments qu’à compter de juillet 2018, M. [P] n’avait plus deux assistants mais un seul, le projet ERP touchant à sa fin. Enfin, l’UCVDR produit un mail du salarié, du 20 août 2018 dans lequel il indique qu’il doit travailler la nuit pour ne pas « perturber le travail quotidien ».
S’agissant du départ du service informatique de M. [T], l’employeur qui soutient qu’il est resté au sein du service informatique, ne produit aucune pièce pour le démontrer. La cour observe que M. [T], dans un mail par lequel il annonce l’arrivée de M. [Z] au poste de responsable informatique en janvier 2019, signe en qualité de « responsable DATAS service financier » et non « service informatique ».
L’employeur échoue donc à démontrer que cet assistant n’a pas été retiré lui aussi du service informatique en novembre 2018, soit peu de temps après la fin de l’arrêt maladie de M. [P] (reprise le 29 octobre 2018) et juste avant l’arrêt du 27 novembre 2018, laissant ainsi M. [P] seul au sein du service et sans plus aucune tâche de management.
Sur les refus de couts congés sollicités, il est justifié par l’employeur que la demande de congés de deux jours (30 et 31 août 2018) formulée par le salarié le 27 août 2018 a été partiellement refusée par le DAF en raison de la venue des commissaires aux comptes dans l’entreprise. En outre, l’UCVDR justifie avoir accepté d’autres congés même posés tardivement (visite médicale de Mme [P]).
Sur la question des congés payés non pris, « réglés à l’issue de son contrat de travail », l’UCVDR qui fait valoir qu’il lui appartenait de poser ses congés, admet que le salarié n’a bénéficié, entre mai et septembre 2018, que 3 jours de congés et 3 jours de RTT. Il est de même admis qu’alors que l’entreprise n’interdisait pas de poser des congés durant l’été, le projet ERP auquel il se consacrait l’a contraint à différer ses congés en octobre, sans réaction de l’employeur, M. [P] précisant clairement que ce report est dû à la demande du DAF que l’ERP soit « bouclé » pour fin septembre. S’il est exact que l’arrêt maladie et l’absence de reprise du salarié jusqu’à son licenciement pour inaptitude ont de fait empêché la prise de congés de M. [P], l’employeur ne démontre pas avoir pris des mesures pour lui permettre de poser des jours durant l’été. Sur ce point, il y a lieu de rappeler à ce titre que ni l’employeur ni le salarié ne peut exiger le report de tout ou partie des congés sur l’année suivante sauf dispositions conventionnelles plus favorables et accord des parties. Cet accord ne peut résulter du simple silence de l’employeur à la suite d’une demande de report du salarié.
S’agissant du respect du droit au repos, étant rappelé que l’article L.3131-1 et L. 3132-2 du code du travail disposent que tout salarié bénéficie d’un repos quotidien d’une durée minimale de 11 heures consécutives, en plus du repos hebdomadaire de 35 heures consécutives et que la preuve qu’il a respecté le repos quotidien incombe à l’employeur, l’UCVDR se limite à conclure qu’il appartenait au salarié de poser ses congés. Outre le fait que le droit au repos est un droit distinct pour les salariés de celui des congés payés, il n’est ainsi versé aucune pièce démontrant que M. [P] a pu bénéficier du repos quotidien prévu par le législateur. Pourtant, l’employeur a été averti, par mail du 20 août 2018, que le salarié travaillait la nuit.
S’agissant de l’avertissement, il a été jugé par la cour de céans que les faits reprochés au salarié n’étaient pas fondés, hormis celui d’avoir posé tardivement un congé, et que la sanction disciplinaire devait être annulée car jugée disproportionnée.
Sur la baisse de la prime au titre de l’année 2017, lors de l’entretien de progrès du 25 janvier 2018 réalisé par M. [R] (DAF), il est relevé que l’ERP X 3 n’a pas démarré en janvier 2018 « comme prévu » et s’agissant de l’adaptation au poste, qu’il « assume de façon satisfaisante les dimensions essentielles de la fonction ». L’octroi d’une prime à 90% sur 1 500 euros du montant est en lien avec l’engagement du salarié, lors de l’entretien annuel du 05 septembre 2016, d’être prêt « en octobre 2018 pour un démarrage sans faille au 1er janvier 2018 ». S’agissant du versement d’une prime de 3 000 euros, il ressort des pièces produites qu’il s’agit d’une prime distincte conditionnée au démarrage du projet ERP à la date prévue. L’employeur, qui évalue lors de l’entretien de janvier 2018 que certains objectifs et engagements du salarié pour l’année 2017 n’ont pas été atteints, était dès lors fondé à attribuer une prime moindre au salarié.
Sur la prise en charge par M. [C] de la gestion des priorités du service informatique et les achats, l’employeur n’oppose pas d’autre argument que celui qu’en qualité de DAF, M. [C] pouvait assumer ce rôle. Il n’est cependant pas contesté que le salarié assumait jusqu’alors cette fonction et l’employeur ne produit, hormis l’avertissement susvisé qui a été annulé, aucune sanction ou rappel à l’ordre à ce titre. Ainsi, si M. [C] peut légitimement rappeler au salarié qu’il souhaite valider les achats, la fiche de poste du salarié mentionnait cependant que M. [P] avait notamment pour tâche de « Gérer les achats informatiques (être le principal interlocuteur de l’entreprise vis-à-vis des entreprises de prestation de service extérieures) ».
Sur le changement de bureau, il est établi que le salarié a repris le travail après un arrêt du 28 septembre au 27 octobre 2018. L’UCVDR produit l’attestation de M. [S] qui confirme que M. [C] a annoncé le 26 novembre 2018 que le pôle informatique, « dont les bureaux se trouvaient isolés », allait être rapproché de l’open space du Pôle administratif et financier. Il n’est pas contesté qu’au sein de l’entreprise le service informatique est rattaché au pôle administratif et financier et qu’il appartient à l’employeur d’organiser les espaces de travail en fonction des besoins de l’entreprise.
Sur l’annonce de ce changement au salarié, l’employeur échoue à démontrer qu’elle a été opérée la veille lors d’une rencontre entre M. [C] et M. [P]. Au surplus, à supposer que cette rencontre a eu lieu la veille, et non le 26 novembre ainsi que conclu par M. [P], ce délai de prévenance apparaît tardif alors même que M. [P] était le principal intéressé par ce changement. Sans avoir à s’interroger sur la motivation d’un tel changement (meilleure communication entre services ou problème d’isolation du bureau de M. [P] ainsi que conclu par l’employeur), décision qui relève du pouvoir de l’employeur, il est établi que l’annonce au salarié a été soudaine tout comme le déménagement dont il n’est pas contesté qu’il a eu lieu dès le lendemain.
Ce caractère tardif et brutal de l’annonce du changement de bureau est renforcé par le contexte. Ainsi le salarié a fait l’objet d’un avertissement par lettre du 23 novembre 2018 et a en outre été avisé au même moment du retrait de M. [T] du service informatique.
Il n’est enfin pas contestable que le salarié a été placé en arrêt maladie le 27 novembre 2018, le médecin constatant une situation de dépression.
Enfin, s’agissant de l’organisation d’une contre-visite médicale alors que le salarié se trouvait en arrêt maladie, l’employeur est en droit d’y procéder, aucun élément ne permettant de relever un abus de sa part dans cette décision.
Au vu de ce qui précède, l’employeur échoue à apporter une cause étrangère à du harcèlement moral à tous les faits jugés matériellement établis, mettant en cause le management de M. [C], par ailleurs qualifié par lui de « soft » à savoir :
La perte des assistants du service informatique (en juillet 2018 et novembre 2018) et des tâches de management du salarié alors qu’il signalait une surcharge de travail et a été victime d’un accident du travail le 06 juillet 2018 pour surmenage et que le CHSCT évoque sa situation le 20 septembre 2018.
Le respect du droit au repos et de la prise de congés.
L’annonce brutale d’un changement de bureau, annonce qui suit son retour d’arrêt maladie le 29 octobre 2018 mais surtout précède l’arrêt maladie du 27 novembre 2018, le salarié ne reprenant jamais ses fonctions.
Aux constats du médecin du travail qui relève en mai 2021, après étude de poste en mars 2021 et rencontre de l’employeur, que les conditions de travail ont été une « cause nécessaire à la pathologie « état dépressif » du salarié.
La Cour observe que l’UCVDR, qui argue d’un manque de qualité du travail du salarié voire d’un refus d’autorité envers M. [C], ne produit aucune pièce pour l’établir hormis l’attestation peu circonstanciée de M. [C], mis en cause par le salarié pour des faits de harcèlement moral.
L’employeur échouant à démontrer que tous les faits matériellement établis par M. [P] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral est établi.
Par voie d’infirmation de la décision déférée, compte tenu de la durée des faits dénoncés, il convient de condamner l’UVCDR au paiement de la somme de 30 000 euros (période mai juin 2018, arrêt définitif novembre 2018 puis inaptitude pour dépression).
Sur le manquement à l’obligation légale de sécurité :
Moyens des parties,
M. [P] soutient que l’employeur ne justifie pas de l’existence d’un DUER au sein de l’entreprise et que bien qu’informé des difficultés qu’il rencontrait, l’UVCDR n’a pris aucune mesure, même après le malaise survenu le 06 juillet sur le lieu de travail. Il a été surchargé de travail, n’a pas pu poser ses congés ou bénéficié de temps de repos et enfin aucune mesure n’a été prise suite à sa dénonciation du comportement de M. [C] pour faire cesser les troubles.
L’UVCDR expose que le salarié a bénéficié de congés et RTT, les congés de l’été 2018 ont été reportés sue octobre 2018 en raison du retard pris pour le déploiement du projet ERP et n’ont pu être pris en raison de l’arrêt maladie. Si le salarié s’est beaucoup investi dans le projet ERP, il a été soutenu par l’employeur.
Réponse de la cour,
En application de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
L’article L. 4121-2 du même code précise que l’employeur met en ‘uvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu’il est défini à l’article L. 1152-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
L’article L. 1152-4 décline cette obligation générale de sécurité pesant sur l’employeur en matière de harcèlement moral. Il dispose que l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.
L’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, notamment de harcèlement moral ;
Ainsi, ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L. 4121-2 du code du travail notamment par la mise en ‘uvre d’actions d’information et de prévention propres à prévenir la survenance d’un harcèlement moral et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.
En l’espèce, l’UCVDR ne produit pas de DUER et ne justifie d’aucune action de prévention concernant les faits de harcèlement moral ou encore en matière de sécurité de ses salariés.
S’agissant de la surcharge de travail dénoncée, de la question des congés payés ou encore du respect des temps de repos, il convient de relever que ces griefs ont d’ores et déjà été examinés dans le cadre du harcèlement moral allégué par le salarié, la cour de céans ayant jugé que ces faits étaient établis et constituaient des faits de harcèlement moral.
S’agissant du malaise du salarié intervenu le 06 juillet 2018 sur son lieu de travail, période du déploiement du projet ERP, du départ de Mme [I], assistante informatique et alors qu’il est admis que M. [P] s’est « beaucoup investi » dans le projet en question, cet évènement n’a pas donné lieu à une réaction et action de prévention par l’employeur en matière des risques de burn out notamment.
Il est établi que, par courrier du 3 décembre 2018, le salarié a dénoncé au DG le comportement de M. [C] à son égard et indiqué subir un harcèlement moral.
Il n’est versé aucune pièce permettant à la cour de relever que des mesures ont été prises pour évaluer la matérialité des faits dénoncés étant rappelé que l’arrêt maladie du salarié ne faisait pas obstacle à une mesure d’enquête ou à une saisine du CHSCT.
M. [P] établit en outre avoir dénoncé la situation de harcèlement moral au directeur général le 03 décembre 2018 mais également, par courrier du même jour, adressé à l’inspection du travail, qui reprend l’historique de sa relation avec M. [C], le retrait de ses responsabilités, la surcharge, l’avertissement, le changement de bureau’
Au vu de ce qui précède, en l’état des pièces produites par l’employeur, il y a lieu de retenir que l’UCVDR n’a pris aucune mesure visant à prévenir les risques, notamment psycho-sociaux au sein de l’entreprise ni pour identifier ou remédier aux difficultés dénoncées par le salarié et notamment suite à son malaise du mois de juillet 2018.
Par voie d’infirmation de la décision déférée, il convient de juger que l’UCVDR a manqué à l’obligation légale de sécurité envers M. [P].
L’UCVDR est condamnée à payer la somme de 10 000 euros à M. [P] au titre des dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité.
Sur l’exécution déloyale du contrat de travail :
Moyens des parties,
M. [P] expose que le contrat n’a pas été exécuté de bonne foi par les manquements suivants :
– l’UVCDR a modifié de manière abusive son contrat de travail
– l’avertissement, notifié le 13 novembre 2018, est nul car il n’a commis aucune faute et qu’il est fondé sur des faits erronés.
– l’employeur n’a pas respecté le droit au repos.
L’UCVDR expose que le salarié reprend les mêmes manquements que ceux évoqués dans les autres demandes et les conteste. Elle observe qu’il n’est pas possible de multiplier les fondements juridiques et un potentiel préjudice similaire.
Réponse de la cour,
Aux termes des dispositions de l’article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. L’employeur doit en respecter les dispositions et fournir au salarié le travail prévu et les moyens nécessaires à son exécution en le payant le salaire convenu.
En l’espèce, il convient de relever que les manquements invoqués par le salarié, à l’appui de la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, ont été évoqués précédemment par la cour de céans laquelle a jugé que M. [P] était victime de faits de harcèlement moral et que l’employeur n’avait pas respecté l’obligation de sécurité et de prévention. Les préjudices en découlant ont été appréciés souverainement par la cour.
Dès lors, M. [P], qui a déjà obtenu la réparation de ses préjudices au titre du harcèlement moral et du manquement à l’obligation de sécurité, ne démontre pas en quoi ces mêmes manquements lui ont causé un préjudice distinct de ceux déjà réparés par la condamnation de son employeur à des dommages et intérêts.
Par voie de confirmation de la décision déférée, il convient de rejeter la demande de M. [P] formulée de ce chef.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail :
Moyens des parties :
M. [P] sollicite la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de son employeur pour harcèlement moral, violation de l’obligation de sécurité de résultat et de l’obligation de loyauté dans le cadre de l’exécution du contrat de travail. Son licenciement résultant du harcèlement moral dont il a été victime, il est nul.
L’Union des Vignerons des Côtes du Rhône conteste les manquements qui lui sont reprochés au titre du harcèlement moral, de l’obligation de sécurité et de l’exécution déloyale du contrat de travail et fait valoir que :
Il n’est pas possible de multiplier les fondements juridiques différents pour des faits reprochés identiques.
M. [P] ne démontre pas parmi les faits qu’il invoque, lesquels relèveraient du harcèlement moral, ceux qui relèveraient du manquement à l’obligation de sécurité et ceux qui relèveraient du manquement à l’obligation d’exécution loyale du contrat de travail et en cas de harcèlement moral, il y a automatiquement violation de l’obligation d’exécution loyale du contrat de travail et de l’obligation de sécurité de l’employeur. Dès lors, le préjudice subi par un salarié est identique et ne peut être indemnisé sur plusieurs fondements.
Réponse de la cour,
Il résulte des dispositions des articles 1224 et 1228 du code civil qu’un contrat de travail peut être résilié aux torts de l’employeur en cas de manquement suffisamment grave de sa part à ses obligations contractuelles.
Lorsque le licenciement intervient postérieurement à l’introduction de la demande de résiliation judiciaire formée par le salarié, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur est ou non justifiée avant de prononcer sur le bienfondé du licenciement.
Dans l’hypothèse où la résiliation judiciaire est justifiée, celle-ci produit alors les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse. Toutefois lorsque la demande de résiliation judiciaire est fondée sur un harcèlement moral, la rupture du contrat de travail produit alors les effets d’un licenciement nul conformément aux dispositions de l’article L.1152-3 du code du travail.
En application des dispositions de l’article L.1152-3 du code du travail, Le licenciement pour inaptitude est nul lorsque l’inaptitude trouve sa cause directe et certaine dans des actes de harcèlement moral commis par l’employeur.
Il est de principe, que lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit, s’il estime que la demande est justifiée, fixer la date de la rupture à la date d’envoi de la lettre de licenciement.
Selon l’article L. 1235-3-1 du code du travail, l’article L. 1235-3 prévoyant un barème d’indemnisation n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une nullité afférente à des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4.
Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
L’indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu’il est dû en application des dispositions de l’article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du Titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l’indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.
Lorsque, postérieurement au constat de l’inaptitude, un contrat de travail est rompu par une résiliation judiciaire produisant les effets d’un licenciement nul, le salarié a droit, lorsque cette inaptitude est consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle, à l’indemnité spéciale de licenciement prévue par l’article L. 1226-14 du code du travail
En l’espèce, il résulte de l’examen des pièces produites par le salarié et notamment la copie du dossier médical précédemment évoqué, qu’il établit ainsi avoir subi une dégradation importante de sa santé psychique concomitamment aux faits répétés imputables à son employeur, dont la cour de céans à précédemment jugé qu’ils étaient constitutifs de harcèlement moral.
La cour dispose dès lors d’éléments suffisants pour considérer que l’inaptitude du salarié trouve sa cause directe et certaine dans les manquements de l’employeur envers le salarié, constitués d’actes de harcèlement moral dont il a été victime.
Par conséquent, il y a lieu, par voie d’infirmation du jugement déféré, d’ordonner la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur et de dire qu’elle produira les effets d’un licenciement nul en application des dispositions de l’article L. 1152-3 du code du travail à la date de son licenciement.
A la date du licenciement, M. [P] était âgé de 58 ans et avait une ancienneté de 36 ans et percevait un salaire de 5 267 euros par mois. Il justifie avoir à charge deux enfants, que son épouse est sans emploi. Il perçoit les allocations chômage.
L’UCVDR est condamnée au paiement des sommes suivantes :
– 100 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,
– 65 771,85 euros à titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement (en application de l’article 48 de la convention collective des caves et coopératives vinicoles qui prévoit le doublement de l’indemnité),
– 15 801 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 1 580,10 euros bruts au titre des congés payés y afférents, (3 mois de salaire, en application de l’article 16 de la convention collective des caves et coopératives vinicoles).
Sur la remise d’une attestation Pôle Emploi et d’un bulletin de salaire rectifiés :
Il convient d’ordonner à l’UCVDR de remettre à M. [P] un bulletin de salaire et une attestation POLE EMPLOI conformes au présent arrêt dans le mois de la notification ou de l’éventuel acquiescement à la présente décision.
La demande d’astreinte sera rejetée car elle n’est pas utile à l’exécution dans la présente décision.
Sur les demandes accessoires :
Il convient d’infirmer la décision de première instance s’agissant des dépens et des frais irrépétibles.
L’UCVDR, succombant à l’instance, est condamnée à payer à M. [P] la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle sera également tenue des dépens en cause d’appel, avec droit de recouvrement direct en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
DECLARE M. [P] recevable en son appel,
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions, excepté en ce qu’il a :
Rejeté la demande de M. [P] au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail,
STATUANT à nouveau sur les chefs d’infirmation,
REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la demande nouvelle formulée par l’UVCDR s’agissant de la demande d’annulation de l’avertissement du 13 novembre 2018,
ANNULE l’avertissement du 13 novembre 2018 prononcé à l’encontre de M. [P],
DIT que M. [P] a été victime de harcèlement moral,
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône et dit que la résiliation produit les effets d’un licenciement nul,
CONDAMNE l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône à payer à M. [P] les sommes suivantes :
30 000 euros de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral,
100 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,
65 771,85 euros à titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
15 801 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 1 580,10 euros bruts au titre des congés payés y afférents.
DIT que l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône a manqué à l’obligation de sécurité et de prévention,
CONDAMNE l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône à payer à M. [P] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité et de prévention,
Y ajoutant,
ORDONNE à l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône de remettre à M. [P] les documents sociaux de fin de contrat conformes au présent arrêt dans le mois de la signification ou de l’éventuel acquiescement à la présente décision,
REJETTE la demande d’astreinte,
CONDAMNE l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône à payer la somme de 2 500 euros à M. [P] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
CONDAMNE l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône aux dépens de première instance et en cause d’appel avec droit de recouvrement direct auprès de l’avocat soussigné en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
La Greffière, La Conseillère faisant fonction de Présidente,