Épuisement professionnel : 6 avril 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02230

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Épuisement professionnel : 6 avril 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02230

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 06 AVRIL 2023

N° RG 20/02230 – N° Portalis DBV3-V-B7E-UC5G

AFFAIRE :

[Z] [I]

C/

S.A.R.L. EUROPE ET COMMUNICATION

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Septembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de POISSY

N° Section : AD

N° RG : 19/00037

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Isabelle NARBONI

Me Isabelle CHARBONNIER

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, initialement fixé au 26 janvier 2023, prorogé au 23 mars 2023, puis prorogé au 06 avril 2023, les parties ayant été avisées, dans l’affaire entre :

Monsieur [Z] [I]

né le 12 Avril 1975 à [Localité 6] (MAROC)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Isabelle NARBONI, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VALENCE

APPELANT

****************

S.A.R.L. EUROPE ET COMMUNICATION

N° SIRET : 409 804 416

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Isabelle CHARBONNIER, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 355

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 29 Novembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Régine CAPRA, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [Z] [I] a été engagé par la société Europe et Communication à compter du 16 décembre 2009 en qualité de peintre pour 39 heures de travail par semaine. Il était rémunéré en dernier lieu sur la base d’un salaire mensuel brut de 1 888,29 euros pour 35 heures de travail par semaine, auquel s’ajoutait le paiement d’heures supplémentaires et d’une prime d’ancienneté.

Les relations entre les parties sont soumises à la convention collective nationale des cadres, techniciens et employés de la publicité française.

M. [I] a été victime le 6 novembre 2017 d’un accident au temps et au lieu du travail et un arrêt de travail pour accident du travail lui a été prescrit.

L’employeur a adressé une déclaration d’accident de travail à la caisse primaire d’assurance maladie, qui l’a avisé le 15 novembre 2017 qu’elle prenait en charge cet accident au titre de la législation professionnelle. Il a contesté cette décision auprès de la commission de recours amiable le 22 janvier 2018, au-delà du délai de deux mois imparti à cette fin.

L’arrêt de travail de M. [I] a été prolongé jusqu’au 30 septembre 2018, date à laquelle la caisse primaire d’assurance maladie a déclaré l’état de santé du salarié consolidé.

A l’issue de la visite de reprise, qui s’est tenue le 18 octobre 2018, le médecin du travail a déclaré le salarié inapte à son poste de travail et mentionné expressément que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 9 novembre 2018, la société Europe et Communication a notifié à M. [I] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être rempli de ses droits, M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Poissy, par requête reçue au greffe le 7 février 2019, afin d’obtenir la condamnation de la société Europe et Communication à lui payer diverses sommes.

Par décision du 26 mars 2019, le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes de Poissy a ordonné, à la demande de la société Europe et Communication, une expertise médicale de M. [I] et désigné pour y procéder le docteur [L], qui a déposé son rapport le 16 août 2019.

Par décision du 26 mars 2020, la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) a accordé à M. [I] la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé 5RQTH) du 26 mars 2020 au 31 mars 2025.

Par jugement du 8 septembre 2020, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Poissy a :

– condamné la société Europe et Communication à verser à M. [I] avec intérêts légaux à compter du 26 mars 2019, date d’audience du bureau de conciliation et d’orientation, les sommes suivantes :

 » 6 195,32 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

 » 619,53 euros au titre des congés payés afférents,

 » 13 939,47 euros au titre de l’indemnité spéciale de licenciement en denier et quittance ;

– rappelé que l’exécution est de droit à titre provisoire sur les créances visées à l’article R. 1454-14 alinéa 2 du code du travail,

– fixé la moyenne mensuelle des salaires en application des dispositions de l’article R. 1454-28 du code du travail à la somme de 3 097,66 euros ;

– condamné la société Europe et Communication à verser à M. [I], la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté M. [I] du surplus de ses demandes ;

– débouté la société Europe et Communication de l’ensemble de ses demandes, de sa demande de prise en charge des frais d’expertise et dit qu’ils seront à ses frais et de sa demande reconventionnelle et au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– ordonné l’exécution provisoire de la décision en application de l’article 515 du code de procédure civile ;

– condamné la société Europe et Communication aux dépens y compris ceux afférents aux actes

et procédure d’exécution éventuels.

M. [I] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 9 octobre 2020.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 12 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, M. [I] demande à la cour de :

– le recevoir en son appel et l’y dire bien fondé,

– rejeter l’ensemble des demandes incidentes formées par la société Europe et Communication,

– fixer le salaire de référence à la somme de 3 097,66 euros bruts,

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a considéré qu’il avait fait personnellement le choix d’effectuer des heures supplémentaires au-delà du contingent légal,

– constater qu’en faisant effectuer par le salarié un volume très important d’heures supplémentaires, l’employeur n’a pas veillé à la sécurité du salarié lequel a été victime d’un accident du travail du fait de son épuisement,

– en conséquence, condamner la société Europe et Communication au paiement des sommes suivantes :

 » Indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse : 30 976,60 euros,

 » Article 700 du code de procédure civile : 4 000 euros ;

– mettre les dépens à la charge de la société ;

– confirmer le jugement sur le surplus

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 10 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, la société Europe Et communication, demande à la cour de :

¿ déclarer M. [I] mal fondé en son appel principal, l’en débouter.

¿ la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident et y faisant droit :

¿ infirmer le jugement entrepris et ainsi,

– dire que le licenciement de M. [I] repose sur une inaptitude non professionnelle ;

– condamner M. [I] à lui rembourser les sommes suivantes :

*6 195,32 euros qu’elle lui a versé au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et la somme de 619,53 euros au titre des congés payés afférents ;

*6 969,73 euros correspondant à la moitié de l’indemnité conventionnelle de licenciement majorée qu’elle lui a versée ;

*997,56 euros au titre des frais d’expertise judiciaire qu’elle a payés ;

– condamner M. [I] à la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance ;

¿ confirmer le jugement entrepris sur le surplus et ainsi :

– dire que le licenciement de M. [I] pour inaptitude repose bien sur une cause réelle et sérieuse,

– débouter M. [I] de toutes ses demandes.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 16 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’inaptitude du salarié

M. [I] effectuait dans le cadre de son emploi des travaux de peinture, de menuiserie et d’installation de bureaux de vente.

L’avis d’inaptitude du médecin du travail du 18 octobre 2018 n’ayant fait l’objet d’aucun recours s’impose au juge et aux parties. La société Europe et Communication est en conséquence irrecevable à le remettre en cause au motif qu’il serait, selon elle, contredit par la décision de la caisse primaire d’assurance maladie de fixer le taux d’incapacité permanente du salarié à 0%, lequel a par ailleurs été contesté par ce dernier devant le pôle social du tribunal judiciaire de Versailles, ou au motif que l’expert désigné a constaté à l’issue d’un examen clinique en date du 13 juin 2019 une mobilité passive complète et symétrique et relevé seulement une légère diminution de l’élévation antérieure et latérale en actif.

Sur l’origine professionnelle de l’inaptitude

Les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie professionnelle et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

En raison de l’autonomie du droit du travail par rapport au droit de la sécurité sociale, l’accomplissement par l’employeur des formalités de déclaration de l’accident du travail à la caisse primaire d’assurance maladie et/ou la reconnaissance par la caisse primaire d’assurance maladie du caractère professionnel de l’accident ne sont pas de nature à entraîner à eux seuls l’application des règles du droit du travail applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle et la circonstance qu’avant son licenciement, le salarié ait été, le cas échéant, déclaré consolidé de son accident du travail, est sans incidence sur l’application de ces règles, de sorte que la discussion par l’employeur de la date de consolidation retenue par la caisse primaire d’assurance maladie est inopérante.

Le juge doit constater à la fois l’origine professionnelle de l’inaptitude du salarié et la connaissance par l’employeur de cette origine professionnelle à la date du licenciement.

Il appartient au salarié d’établir que son inaptitude est en relation avec un accident du travail survenu antérieurement.

Le fait que l’arrêt de travail de M. [I] consécutif à l’accident dont il a été victime le 6 novembre 2017, au temps et au lieu du travail, ait été prolongé et pris en charge par la caisse primaire d’assurance maladie au titre de la législation sur les risques professionnels jusqu’au 30 septembre 2018, date à laquelle l’état de santé de l’intéressé a été déclaré consolidé, n’est pas en soi de nature à constituer à lui seul une telle preuve.

Il est établi par les pièces produites devant la cour :

– que le salarié a été victime le 6 novembre 2017 d’un accident survenu au temps et au lieu de travail ; que la déclaration d’accident en date du 6 novembre 2017 signée par l’employeur mentionne que le 6 novembre 2017 à 9h20, M. [I] a glissé en déchargeant le véhicule de l’entreprise, et est tombé sur la droite ; que le salarié a déclaré être tombé du camion de l’entreprise sur le sol et s’être réceptionné sur l’épaule droite ;

– que le médecin du service d’urgence de l’hôpital de [Localité 5], où le salarié est arrivé à 10h14, a noté dans son compte-rendu de l’examen effectué à 14h00, l’absence de déformation, tuméfaction ou ecchymose, une douleur mal localisée de l’épaule, plutôt région deltoïdienne, l’absence de douleur à la palpation des reliefs osseux, l’absence de réelle limitation de la mobilisation active, une mobilisation prudente en fin d’abduction, qui dépasse largement les 90° ;

– qu’au vu des résultats de la radiographie de l’épaule droite du même jour, qui étaient les suivants : ‘Absence de lésion osseuse traumatique visible sur les clichés pratiqués ce jour. Aspect normal des parties molles. Petite condensation au niveau du trochiter témoignant d’une tendinite, sans calcification des parties molles.’, le médecin urgentiste a conclu : ‘douleur d’allure musculo-tendineuse de l’épaule droite post-traumatique. Retour domicile sous Dafalgan-Codéine, échographie à faire en externe, AT avec arrêt de travail pour 3 jours (jusqu’au 08/11/2017 inclus), voir médecin traitant pour contrôle de l’évolution’ ;

– que l’arrêt de travail du salarié a été prolongé par le médecin traitant et qu’une prise en charge en kinésithérapie a débuté le 4 décembre 2017, qui s’est poursuivi jusqu’au 24 septembre 2018 (46 séances) ;

– que le radiologue qui a effectué l’IRM de l’épaule droite de M. [I] le 11 janvier 2018 a conclu : ‘Aspect IRM d’une tendinopathie du sus-épineux droit par vraisemblable conflit sous-acromial. Tendinose du sub-scapulaire. Pas de rupture des tendons de la coiffe des rotateurs.’;

– que le Dr [V], praticien hospitalier, a écrit le 26 avril 2018 au médecin du travail qui lui avait adressé M. [I] pour avis à l’issue d’une visite de préreprise effectuée le 12 avril 2018 : ‘Comme vous le savez, le patient présente des douleurs chroniques de l’épaule droite évoluant depuis un certain temps et qui se seraient majorées depuis un accident de travail survenu le 06/11/2017 lors d’une chute sur l’épaule. Devant la persistance des douleurs, une IRM de l’épaule droite a été réalisée le 11/01/2018 et a objectivé une tendinopathie du supra-épineux et une tendinose du sub-scapulaire. Le patient est toujours en arrêt. Ce jour à l’examen, il existe une diminution douloureuse des amplitudes de l’épaule droite à la mobilisation passive probablement en rapport avec un déconditionnement, ainsi qu’une douleur aux testes de résistance isométriques en particulier sur l’abduction contrariée. Le patient est traité par kinésithérapie à raison de 2;séances par semaine. Au total et devant l’amélioration partielle de la symptomatologie rapportée par le patient, je pense qu’il est pour l’instant nécessaire de poursuivre l’arrêt et continuer de se focaliser sur les soins.’ ;

– que le radiologue qui a effectué une nouvelle IRM de l’épaule droite de M. [I] le 2 octobre 2018 a relevé une tendinopathie du supra-épineux avec ulcération de sa face articulaire à son insertion sur le tubercule majeur et une discrète tendinopathie du sous-scapulaire ;

– que le Dr [V], praticien hospitalier, a écrit le 18 octobre 2018 au médecin du travail que la symptomatologie du patient était inchangée et que l’IRM de l’épaule droite pratiquée le 02/10/2018 objective toujours une tendinopathie du supra-épineux et du sub-scapulaire et que, compte-tenu de ces éléments et des contraintes biomécaniques auxquelles le salarié est exposé professionnellement, une inaptitude au poste lui paraît justifiée ;

– qu’à l’issue de la visite de reprise le 18 octobre 2018, le médecin du travail a déclaré le salarié inapte à son poste et précisé que son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ;

– que le Dr [P], médecin d’un service spécialisé en rééducation fonctionnelle, consulté par M. [I] le 2 novembre 2018, indique dans son rendu de consultation : ‘Vient consulter pour un 2ème avis, pour une douleur chronique, rebelle, ancienne, datant de un an et localisée à l’épaule droite, survenue sur son lieu de travail (chute d’un camion le 06/11/2017), d’un traumatisme direct de l’épaule droite sans déformation, ni fracture initiale. Amélioration sensible depuis quelques mois grâce aux séances de rééducation et la prise d’AINS. Ne prend plus actuellement des antalgiques.’ et a proposé une infiltration sous acromiale, qui sera réalisée le 12/11/2018.

Il résulte du rapport d’expertise du Dr [L] que le bilan d’imagerie initial réalisé juste après la chute de M. [I] révèle des éléments qui ne peuvent pas être du fait de la chute, ce qui laisse supposer une pathologie préexistante à l’accident, que selon M. [I], cette pathologie jusqu’alors asymptomatique aurait été révélée à la suite de sa chute sur l’épaule, ce qui est possible, mais que le courrier du Dr [V] du 26 avril 2018 semble indiquer qu’il existait des douleurs de l’épaule droite préalablement à l’accident et que celui-ci a majoré la symptomatologie douloureuse.

Si le chef d’équipe de la société Europe et Communication atteste que M. [I] et lui ont tenté de sortir un sac coincé dans le camion, que M. [I] a pris appui pour cela sur la structure métallique située à l’arrière du camion, que lui-même est parti chercher un Fenwick en disant à M. [I] d’attendre son retour pour retirer le sac mais que celui-ci a voulu le sortir tout seul, qu’il a glissé en arrière et est tombé d’environ 45 centimètres sur les fesses, et a précisé : ‘il n’est jamais tombé sur l’épaule puisque c’est moi qui l’ai vu par terre sur le postérieur’, il n’est pas établi qu’il ait été effectivement présent et attentif à l’instant même où M. [I] a heurté le sol, de sorte que c’est seulement après coup qu’il l’a vu les fesses sur le sol, le seul témoin de la chute de M. [I] mentionné sur la déclaration d’accident du travail signée par la société Europe et Communication étant M. [F] [X]. Aucun élément sérieux ne permet en l’espèce de remettre en cause le fait que M. [I] ait d’abord heurté le sol de l’épaule droite et ressenti une douleur qui a conduit le médecin urgentiste à faire procéder immédiatement à une radiographie de l’épaule droite. La matérialité de l’accident de travail et la réalité du traumatisme sont avérés.

Si les résultats de la radiographie de l’épaule droite révèle l’existence d’un état pathologique préexistant, la tendinopathie du supra-épineux et du sub-scapulaire ne pouvant résulter de la chute, il n’en demeure pas moins que la chute dont M. [I] a été victime au temps et au lieu du travail a déclenché ou, à tout le moins majoré, une douleur persistante à l’épaule droite, justifiant, compte-tenu des contraintes biomécaniques auxquelles il est exposé professionnellement, une inaptitude au poste. Il est dès lors établi que l’inaptitude de M. [I] a au moins partiellement pour origine l’accident du travail dont il a été victime le 6 novembre 2017.

L’employeur avait connaissance au jour du licenciement de ce qu’il existait un lien au moins partiel entre l’accident du travail et l’inaptitude du salarié, dès lors qu’il a été informé de la prise en charge de l’arrêt de travail du salarié au titre de la législation sur les risques professionnels et qu’il a informé le salarié, dans la lettre de licenciement, qu’il percevra une indemnité égale à l’indemnité de préavis et une indemnité spéciale de licenciement, même s’il ne les lui a pas versées ensuite.

M. [I] est en conséquence fondé à prétendre au bénéfice des règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement

La cour rappelle à titre liminaire que si l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale, la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il résulte des articles L. 1235-3, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsque l’inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée.

Lorsque le salarié invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité à l’origine d’un accident du travail, il appartient à l’employeur de démontrer que la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité.

M. [I] soutient qu’en lui faisant effectuer un volume très important d’heures supplémentaires au-delà du contingent légal de 220 heures sans le faire bénéficier de la contrepartie obligatoire sous forme de repos prévue par la loi, la société Europe et Communication a commis un manquement à l’obligation de sécurité à l’origine de son inaptitude consécutive à un accident du travail dont il a été victime du fait de son épuisement.

Il est établi par les pièces produites que M. [I] a été victime, le lundi 6 novembre 2017 à 9h20, d’un accident sur son lieu de travail, pour être tombé du camion de l’entreprise en tentant de décharger un sac. Le compte-rendu de l’examen médical pratiqué le jour même au service des urgences de l’hôpital de [Localité 5] ne révèle de particularité qu’au plan locomoteur et aucun élément ne vient corroborer l’épuisement professionnel allégué par le salarié.

Le salarié établit par ses bulletins de paie qu’il a effectué de 2010 à 2017 de nombreuses heures supplémentaires au-delà des 39 heures de travail par semaine convenues et qu’il a accompli de nombreuses heures supplémentaires au-delà du contingent légal de 220 heures supplémentaires par an sans contrepartie obligatoire. Il a notamment ainsi accompli, au cours de la période du 1er au 31 octobre 2017, 158,65 heures supplémentaires au-delà du contingent légal de 220 heures, sans bénéficier ni être informé des droits à contrepartie obligatoire en repos en repos prévus par la loi pour les heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent.

Il est démontré qu’au cours des quatre mois précédant l’accident du lundi 6 novembre 2017 :

– M. [I] a été absent du 1er au 30 juillet 2017, pour avoir été en congés payés ;

– il a effectué 215,77 heures de travail en août 2017, dont 64,10 heures supplémentaires, soit 27,80 heures au-delà de 35 heures par semaine jusqu’à 43 heures par semaine et 36,30 heures au-delà de 43 heures par semaine ;

– il a effectué 195,67 heures de travail en septembre 2017, dont 44 heures supplémentaires, soit 35,5 heures au-delà de 35 heures par semaine jusqu’à 43 heures par semaine et 8,5 heures au-delà de 43 heures par semaine, et a pris un jour de congés payés le 27 septembre 2017 ;

– il a effectué 216,07 heures en octobre 2017, dont 64,40 heures supplémentaires, soit 32 heures au-delà de 35 heures par semaine jusqu’à 43 heures par semaine et 32,40 heures au-delà de 43 heures par semaine ;

– il a effectué 22,67 heures de travail du 1er au 6 novembre 2017, étant précisé que le salarié était en repos le mercredi 1er novembre férié et les samedi 4 et dimanche 5 novembre.

S’il en résulte que la société Europe et Communication n’a pas respecté, durant les trois mois précédant l’accident du travail du salarié, les dispositions légales sur la durée hebdomadaire maximale du travail et notamment les dispositions des articles L. 3121-22 et suivants du code du travail, il n’existe toutefois aucun lien de causalité entre ce manquement avéré de l’employeur à l’obligation de sécurité et la chute du salarié en date du 6 novembre 2017à l’origine au moins partielle de son inaptitude, cette chute n’étant pas liée à un épuisement professionnel.

L’inaptitude de M. [I] n’étant pas consécutive à un manquement préalable de la société Europe et Communication qui l’a provoquée, le licenciement du salarié prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement est fondé sur une cause réelle et sérieuse. Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté M. [I] de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande en paiement des indemnités prévues par l’article L. 1226-14 du code du travail

Son inaptitude étant au moins partiellement d’origine professionnelle, M. [I] est fondé à prétendre au bénéfice des dispositions de l’article L. 1226-14 du code du travail.

Selon l’article L. 1226-14 du code du travail, sauf refus abusif par le salarié du reclassement qui lui est proposé, la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l’article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis prévue à l’article L. 1234-5 ainsi qu’à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l’indemnité prévue par l’article L. 1234-9.

L’indemnité compensatrice prévue par l’article L. 1226-14 du code du travail n’a pas la nature d’une indemnité compensatrice de préavis. Elle n’ouvre pas droit à congés payés et le paiement de cette indemnité n’a pas pour effet de reculer la date de la cessation du contrat de travail, qui est celle de la notification du licenciement.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu’il a condamné la société Europe et Communication à payer à M. [I] la somme de 6 195,32 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ainsi que la somme de 619,53 euros au titre des congés payés afférents.

Selon l’article L. 1226-16, les indemnités prévues à l’article L. 1226-14 sont calculées sur la base du salaire moyen qui aurait été perçu par l’intéressé au cours des trois derniers mois s’il avait continué à travailler au poste qu’il occupait avant la suspension de son contrat de travail provoquée par l’accident du travail ou la maladie professionnelle. Pour le calcul de ces indemnités, la notion de salaire est définie par le taux personnel, les primes, les avantages de toute nature, les indemnités et les gratifications qui composent le revenu.

Au vu des bulletins de paie produits, le salaire de référence à retenir pour le calcul de ces indemnités s’élève en l’espèce à 3 097,66 euros.

Il convient en conséquence de condamner la société Europe et Communication à payer à M. [I] la somme de 6 195,32 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis prévue à l’article L. 1234-5 et de débouter le salarié de sa demande de congés payés afférents.

L’indemnité spéciale de licenciement est égale au double de l’indemnité légale de licenciement, laquelle est égale à un quart de mois de salaire par année de service dans l’entreprise et tenant compte des mois de service accomplis au-delà des années pleines. En cas d’année incomplète, l’indemnité est calculée proportionnellement au nombre de mois complets. M. [I] comptant une ancienneté de 8 ans et 10 mois complets à la date de la cessation du contrat de travail, qui est en l’espèce celle du licenciement, il convient d’infirmer le jugement entrepris et de condamner la société Europe et Communication à payer à M. [I] la somme de 13 681,34 euros à titre d’indemnité spéciale de licenciement, sous déduction de la somme de 5 764,46 euros que la société Europe et Communication justifie avoir payée à M. [I] par chèque Crédit Agricole n° 2647933 du 30 novembre 2018 à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, soit en définitive la somme de 7916,88 euros.

Sur la demande de restitution de la société Europe et Communication

Le présent arrêt, infirmatif en ce qui concerne partie des sommes allouées à M. [I], constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement, les sommes devant être restituées portant intérêt au taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de restitution de la société Europe et Communication.

Sur les dépens et l’indemnité de procédure

La société Europe et Communication, qui succombe partiellement, sera condamnée aux dépens de première instance, lesquels comprennent les frais de l’expertise judiciaire qu’elle a sollicitée, ainsi qu’aux dépens d’appel.

Il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Europe et Communication à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance et a débouté la société Europe et Communication de sa demande de ce chef.

Les parties seront en outre déboutées de leurs demandes d’indemnités fondées sur l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La COUR,

Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,

Infirme partiellement le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre en date du 8 septembre 2020 et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

Condamne la société Europe et Communication à payer à M. [Z] [I] les sommes suivantes :

*6 195,32 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis aux lieu et place de la somme de 6 195,32 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis allouée par le conseil de prud’hommes ;

*7 916,88 euros à titre de solde d’indemnité spéciale de licenciement, compte-tenu de la somme de 5 764,46 euros déjà payée au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement ;

Déboute M. [Z] [I] de sa demande de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis ;

Confirme pour le surplus, dans les limites de l’appel, les dispositions non contraires du jugement entrepris ;

Y ajoutant :

Dit n’y avoir lieu de statuer sur la demande de remboursement de la société Europe et Communication

Déboute M. [Z] [I] et la société Europe et Communication de leurs demandes d’indemnités fondées sur l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d’appel,

Condamne la société Europe et Communication aux dépens d’appel.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,

 


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