Épuisement professionnel : 4 novembre 2022 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/02345

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Épuisement professionnel : 4 novembre 2022 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/02345

04/11/2022

ARRÊT N° 2022/479

N° RG 21/02345 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OF2S

CP/KS

Décision déférée du 28 Avril 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FOIX ( F19/00055)

M LEBON

SECTION INDUSTRIE

[C] [W]

C/

S.A.S. FROMAGERIE JEAN FAUP

INFIRMATION PARTIELLE

Grosses délivrées

le 4/11/2022

à

Me Emmanuelle PLAIS-THOMAS

Me Laurent SEYTE

CCC

le 4/11/2022

à

Me Emmanuelle PLAIS-THOMAS

Me Laurent SEYTE

Pôle Emploi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1

***

ARRÊT DU QUATRE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX

***

APPELANT

Monsieur [C] [W]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Emmanuelle PLAIS-THOMAS de la SELARL PLAIS-THOMAS – SALVA, avocat au barreau d’ARIEGE

INTIMÉE

S.A.S. FROMAGERIE JEAN FAUP

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Laurent SEYTE de la SELARL GUYOMARCH-SEYTE AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du

Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés,

devant C. PARANT,magistrat honoraire exerçant des fonctions

juridictionnelles, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

S. BLUME, présidente

M. DARIES, conseillère

C. PARANT,magistrat honoraire exerçant des fonctions

juridictionnelles,

Greffier, lors des débats : C. DELVER

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par S. BLUME, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre.

EXPOSE DU LITIGE

M. [C] [W] a été embauché le 14 février 2005 par la SAS Fromagerie Jean Faup suivant contrat de professionnalisation à durée indéterminée, visant dans un premier temps à acquérir la qualification de fromager et dans un second temps à occuper un emploi de technicien fromager, régi par la convention collective nationale de l’industrie laitière.

Par avenant du 1er août 2016, les parties ont convenu que M. [W] occuperait la fonction de fromager et de responsable technique à effet au 4 janvier 2016.

M. [W] a été placé en arrêt maladie le 9 avril 2018.

Le 17 juillet 2018, le médecin du travail a déclaré M. [W] inapte à son emploi de responsable technique et précisé que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Après avoir été convoqué par courrier du 13 août 2018 à un entretien préalable au licenciement fixé au 24 août 2018, M. [W] a été licencié par lettre

du 4 septembre 2018 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

M. [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Foix le 21 mai 2019 pour contester son licenciement et demander le versement de diverses sommes.

Par jugement du 28 avril 2021, le conseil de prud’hommes de Foix a :

-dit que le licenciement de Monsieur [W] est un licenciement pour inaptitude,

-débouté Monsieur [W] de l’ensemble de ses demandes,

-débouté la société Fromagerie Jean Faup de ses demandes,

-dit que chaque partie supportera ses propres dépens.

Par déclaration du 25 mai 2021, M. [W] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 5 mai 2021, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.

Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique

le 4 août 2021, auxquelles il est expressément fait référence, M. [C] [W] demande à la cour de :

-réformer le jugement en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau,

-dire que la société Fromagerie Jean Faup a manqué à l’obligation de sécurité lui incombant et, ce faisant, causé l’inaptitude ayant provoqué la rupture de son contrat de travail,

-en conséquence, déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

-condamner la société Fromagerie Jean Faup à lui verser les sommes suivantes :

* 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

* 287,70 € à titre de rappel de congés payés,

* 5 661,21 € à titre de rappel de salaire outre celle de 566,12 € au titre des congés payés y afférents,

* 2 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-la condamner aux entiers dépens de la présente instance.

Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique

le 29 octobre 2021, auxquelles il est expressément fait référence, la SAS Fromagerie Jean Faup demande à la cour de :

-confirmer le jugement,

-débouter M. [W] de l’intégralité de ses demandes,

-condamner M. [W] au paiement de la somme de 3 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 23 septembre 2022.

MOTIFS

Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Il appartient à M. [W] qui soutient que l’inaptitude à son poste décidée par le médecin du travail suivant avis du 17 juillet 2018, inaptitude qui constitue le motif de son licenciement prononcé par lettre du 4 septembre 2018, est consécutive à un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité d’établir la réalité du manquement allégué qui aurait été la cause de l’inaptitude.

Il est rappelé que l’obligation de sécurité à laquelle est tenue l’employeur résulte de l’article L 4121-1 du code du travail qui dispose :

‘L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail,

2° Des actions d’information et de formation,

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes’.

En l’espèce, M. [W] a été examiné dans le cadre d’une visite périodique le 9 avril 2018 par le médecin du travail qui a, le même jour, sollicité du médecin traitant de l’appelant le prononcé d’un arrêt de travail en raison de sa situation d’épuisement professionnel avec sentiment de culpabilité envers son entreprise (craint de la mettre en difficulté) et émotivité à fleur de peau. Le médecin du travail relevait dans cette lettre du 9 avril 2018 l’existence de troubles avec troubles du sommeil et perte des activités de loisirs ; il terminait en indiquant orienter M. [W] vers la psychologue du travail, que ce dernier relevait également de soins avec besoin de prise en charge par psychologie clinicienne et que s’il ‘devait aller’ vers une inaptitude au poste, il aurait besoin de l’avis d’un psychiatre et du médecin traitant.

Cette lettre du médecin du travail suivie d’arrêts maladie ininterrompus jusqu’à la déclaration d’inaptitude fait la preuve que le 9 avril 2018, le médecin du travail a constaté la réalité d’un état de santé psychologique de M. [W] suffisamment dégradé pour relever de soins spécialisés et envisager une inaptitude.

Pour autant, si cette lettre évoque la situation d’épuisement professionnel de M. [W], elle ne contient aucune précision sur les raisons de cet état d’épuisement constaté par le médecin du travail et il n’est pas justifié qu’il ait alors interpellé l’employeur sur les conditions de travail de l’intéressé.

M. [W] justifie avoir fait l’objet dans les suites de cet examen par le médecin du travail d’un suivi psychologique par Mme [F] et d’un suivi psychiatrique par le docteur [Y], laquelle confirme dans son certificat du 30 mai 2018 que M. [W] présente un syndrome anxio-dépressif réactionnel à un épuisement professionnel avec sentiment de culpabilité et troubles du sommeil, estimant que ce dernier ne lui paraissait pas apte à reprendre une activité professionnelle dans son entreprise en raison d’un risque de décompensation psychiatrique.

M. [W] fait ainsi la preuve de la réalité de ses problèmes de santé qui ont justifié sur demande du médecin du travail le prononcé d’arrêts de travail pour maladie non professionnelle ininterrompus jusqu’à la déclaration d’inaptitude et la mise en place d’un suivi psychologique et psychiatrique et que son inaptitude à son poste a été décidée trois mois seulement après la visite du 9 avril 2018 par le médecin du travail.

En revanche, la cour estime que les pièces versées aux débats par M. [W] n’établissent pas la réalité des manquements prétendus de l’employeur à son obligation de sécurité ; en effet nombre des pièces produites par l’appelant qui émanent de salariés en conflit avec la société Fromagerie Jean Faup font état de difficultés générales dans l’entreprise et d’un mauvais climat sans donner de précisions sur la situation personnelle de M. [W] et sans caractériser de manquements précis, notamment au regard de la durée du travail, ayant conduit à l’épuisement professionnel dénoncé par l’appelant et rappelé par le médecin du travail.

La cour estime encore que les attestations critiques de la compagne et de la mère de l’appelant sur l’attitude de l’employeur ne peuvent emporter sa conviction sur les manquements de l’employeur compte tenu des liens affectifs les unissant à M. [W], étant précisé, en outre qu’avant son placement en arrêt de travail le 9 avril 2018, M. [W] ne justifie pas avoir dénoncé à son employeur de difficultés particulières dans l’exécution de ses tâches professionnelles.

Il en résulte que la cour déboutera M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse par confirmation du jugement entrepris, la cause du licenciement, à savoir son inaptitude à son poste de responsable technique et son impossibilité de reclassement relevées par le médecin du travail dans son avis du 17 juillet 2018 étant réelle et sérieuse. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de prime d’intéressement

Le débouté de cette demande n’est plus critiqué par l’appelant de sorte que le jugement déféré sera confirmé de ce chef..

Sur la demande de rappel de congés payés

M. [W] sollicite le paiement du rappel de congés payés figurant sur ses bulletins de paie, soit 42 jours sur le bulletin de paye de juin 2018, plus 4 jours de fractionnement et 1,16 jour de congés payés sur le bulletin de paye d’août 2018. Le solde restant dû s’élève, selon lui, à la somme de 5 173,89-4 888,19 = 287,70 €.

La société Fromagerie Jean Faup conteste cette demande, selon elle difficilement compréhensible, faisant valoir que M. [W] a été rempli de ses droits lors de l’établissement de son solde de tout compte.

La cour a examiné les bulletins de paie de M. [W] qui mentionnent effectivement qu’en août 2018, son solde de congés payés s’élevait à 42 jours plus 1,16 jours acquis ce qui a donné lieu au paiement de la somme de 4 889,19 €, somme figurant à la fois sur le bulletin de paye d’août 2018 et sur le reçu pour solde de tout compte du 30 septembre 2018 signé le 28 octobre suivant par le salarié.

Elle estime que la preuve est ainsi faite que M. [W] a été rempli de ses droits par la perception de la somme de 4 889,19 €, l’appelant ne produisant aucun calcul permettant de faire droit à sa demande.

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [W] de cette demande comprise dans la formule ‘déboute M. [W] de l’ensemble de ses demandes’ même s’il n’a pas examiné dans ses motifs cette demande.

Sur la demande en paiement du rappel de salaire

M. [W] demande le paiement d’un rappel de salaire de 5 661,21 €, outre les congés payés y afférents, correspondant au solde créditeur figurant sur sa banque d’heures, soit une somme équivalant à 396,32 heures conformément au récapitulatif hebdomadaire des heures arrêté au 24 juin figurant en pièce 39.

La société Fromagerie Jean Faup s’y oppose, expliquant avoir édité ce récapitulatif des heures lors du départ du salarié, que M. [W] enregistrait des horaires de travail supérieurs à son temps réel, ce qui avait pour effet d’augmenter d’une demi-heure par jour ses horaires de travail, soit 120 heures par an, de sorte qu’aucun rappel de salaire ne peut être revendiqué au titre de la banque d’heures.

La société Fromagerie Jean Faup explique avoir mis en oeuvre, conformément aux dispositions de la convention collective de l’industrie laitière, un système de modulation des heures de travail qui permet de compenser en terme d’horaires sur une période donnée les hausses et les baisses d’activité existant dans le secteur de la fabrication de produits laitiers. C’est ainsi que la durée annuelle maximale conventionnelle du travail a été fixée à 1 710 heures, soit 1 600 heures pour l’horaire collectif de référence et 110 heures supplémentaires imputables sur le contingent ; il était prévu l’indemnisation des heures excédentaires effectuées au delà de l’horaire annuel de travail en heures supplémentaires. La rémunération mensuelle des salariés concernés est lissée sur la base de l’horaire hebdomadaire effectif pratiqué antérieurement et un compte de compensation a été institué pour chaque salarié afin de lui assurer une rémunération mensuelle lissée. Ce compte de compensation doit être apuré à la fin de chaque période de modulation avec possibilité de report du solde et la régularisation intervient obligatoirement en cas de départ du salarié de l’entreprise.

Le système mis en place par la société Fromagerie Jean Faup a été instauré par application de l’article L. 3121-44 du code du travail et la convention collective de l’industrie laitière prévoit que, dans le cas où l’horaire annuel de travail effectif de référence appliqué à la période d’utilisation de la modulation a été dépassé, les heures excédentaires effectuées au delà de celui-ci auront la qualité d’heures supplémentaires.

L’article 10 .7 de la convention collective de l’industrie laitière dispose :

‘Compte tenu de la fluctuation des horaires dans le cadre de la modulation, un compte de compensation sera institué pour chaque salarié afin de lui assurer une rémunération mensuelle lissée.

Les salariés bénéficiant d’un compte de compensation dans le cadre de la modulation sont soumis aux dispositions relatives au traitement des heures supplémentaires fixées conformément à la présente convention.

En conséquence, les dispositions de l’article L. 212-5-1 du code du travail ne sont pas applicables aux salariés bénéficiaires d’un compte de compensation.

Le compte de compensation, positif ou négatif, doit être apuré à la fin de chaque période de modulation. Un report du solde peut être instauré après consultation du comité d’entreprise ou d’établissement, ou à défaut, des délégués du personnel.

La régularisation intervient obligatoirement en cas de départ du salarié.’

La cour constate que la société Fromagerie Jean Faup ne conteste pas ne pas s’être acquittée du paiement des heures de travail figurant sur le récapitulatif hebdomadaire des heures qu’elle a remis au salarié qui s’élèvent à 396 h32 au 24 juin 2019, heures excédentaires effectuées au delà de l’horaire annuel de travail qu’elle doit rémunérer en heures supplémentaires et qu’elle n’objective nullement les prétendues fraudes à l’enregistrement par M. [W] de ses horaires de travail qui auraient entraîné un enregistrement de l’horaire de travail supérieur à son temps de travail réel pouvant aller jusqu’à une demi-heure par jour.

Il en résulte qu’il sera fait droit, par infirmation du jugement entrepris, à la demande en paiement de la somme de 5 054, 66 € à titre de rappel de salaire sur les 396,32 h figurant en crédit sur le récapitulatif horaire du salarié arrêté au 24 juin 2018, outre 505,46 € au titre des congés payés y afférents ; aucune explication n’étant fournie sur le rappel de prime d’ancienneté sollicité sur la base de ce récapitulatif horaire, la cour déboutera M. [W] de ce chef de demande.

Sur le surplus des demandes

La société Fromagerie Jean Faup qui succombe partiellement sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et au paiement de la somme de 2 000 € en remboursement des frais irrépétibles d’appel, le jugement déféré étant infirmé sur les dépens et confirmé sur les frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [C] [W] de ses demandes en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’une prime d’intéressement et d’un rappel de congés payés et rejeté les demandes d’application d’article 700 du code de procédure civile,

L’infirme sur le surplus, et statuant à nouveau,

Condamne la société Fromagerie Jean Faup à payer à la société [W] les sommes suivantes :

– 5 054, 66 € à titre de rappel de salaire, outre 505,46 € au titre des congés payés y afférents,

– 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en remboursement des frais irrépétibles d’appel,

Condamne la société Fromagerie Jean Faup aux dépens de première instance et d’appel.

Le présent arrêt a été signé par S.BLUMÉ, présidente et par C.DELVER, greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

C.DELVER S.BLUMÉ

.

 


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