ARRÊT DU
30 Septembre 2022
N° 1617/22
N° RG 20/00843 – N° Portalis DBVT-V-B7E-S3P6
MLBR/AL
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de HAZEBROUCK
en date du
30 Décembre 2019
(RG 18/00043 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 30 Septembre 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANTE :
Mme [Y] [V] épouse [B]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Hélène POPU, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
S.C.P. BELLE NOTAIRES [P]-LOTTHE-LETURGIE-LENFANT
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Georges SIMOENS, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Emmanuel FOSSAERT, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l’audience publique du 09 Juin 2022
Tenue par Marie LE BRAS
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Cindy LEPERRE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Marie LE BRAS
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Pierre NOUBEL
: PRESIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Septembre 2022, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Cindy LEPERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 19 Mai 2022
EXPOSÉ DU LITIGE :
La SCP [P] Lotthé Léturgie Lenfant est titulaire d’un office notarial et comporte deux établissements, l’un se situant à [Localité 4], l’autre à [Localité 5].
La convention collective nationale du notariat est applicable à la relation de travail.
Mme [Y] [V] épouse [B] (Mme [B]) a été embauchée par la SCP [P] Lotthé Léturgie Lenfant en qualité de standardiste à compter du 28 mai 1993 dans le cadre d’un contrat à durée déterminée.
À compter du 1er janvier 1994, Mme [B] a exercé les fonctions de secrétaire du service gestion de patrimoine au sein de l’établissement de [Localité 4], la relation de travail s’étant poursuivie dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.
À compter de 1997, elle a été affectée au sein de l’établissement de [Localité 5] en qualité de secrétaire-accueil.
A l’issue de son second congé parental d’éducation de 6 mois renouvelé une fois, Mme [B] a repris son emploi à mi-temps suivant avenant du 29 octobre 2003, et a été affectée au poste de « secrétaire assurant les formalités et la rédaction des actes courants » au sein de l’établissement de [Localité 4] à compter du 3 novembre 2003.
Le temps de travail de Mme [B] a été porté à 80% à compter du 29 août 2005.
Par avenant du 1er septembre 2012, il a été convenu que Mme [B] réintègre le site de [Localité 5] et que son temps de travail soit porté à 31heures hebdomadaires.
Mme [B] a été placée en arrêt de travail à compter du 23 septembre 2016.
À l’issue des deux visites de reprise des 28 mars et 10 avril 2017, le médecin du travail a émis l’avis suivant : « inaptitude confirmée au poste de clerc de notaire. Capacités restantes à un poste équivalent dans un environnement différent ».
La SCP [P] Lotthé Léturgie Lenfant a informé Mme [B] le 22 mai 2017 de l’impossibilité de procéder à son reclassement.
Par courrier du 23 mai 2017, Mme [B] a été convoquée à un entretien préalable auquel elle n’a pas assisté pour raison de santé, avant de se voir notifier le 12 juin 2017 son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par requête du 30 mai 2018, Mme [B] a saisi le conseil de prud’hommes d’Hazebrouck afin de contester son licenciement et d’obtenir la requalification de son contrat à temps partiel en contrat à temps complet, outre le paiement de diverses indemnités et rappels de salaire.
Par jugement contradictoire rendu le 30 décembre 2019, le conseil de prud’hommes d’Hazebrouck a :
– jugé que Mme [B] n’apporte aucun élément probant tendant à prouver un comportement fautif de l’employeur et un manquement à ses obligations qui auraient pu entraîner son inaptitude au poste qu’elle occupait au sein de l’étude,
– jugé fondé le licenciement de Mme [B] pour inaptitude et impossibilité de reclassement et que la SCP [P] Lotthé Léturgie Lenfant a parfaitement respecté ses obligations,
– jugé que Mme [B] n’apporte pas la preuve de l’exécution réelle d’heures complémentaires,
– jugé que Mme [B] n’apporte pas la preuve d’une non-exécution de bonne foi du contrat de travail,
– débouté Mme [B] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté la SCP [P] Lotthé Léturgie Lenfant de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Mme [B] aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 22 janvier 2020, Mme [B] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.
Dans ses dernières conclusions déposées le 23 mars 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, Mme [B] demande à la cour de :
– réformer le jugement en toutes ses dispositions,
– déclarer son licenciement comme étant abusif,
– condamner l’employeur à lui payer les sommes suivantes :
* 31 587,50 euros à titre d’indemnité pour licenciement abusif,
* 5 415 euros à titre d’indemnité de préavis, outre 541 euros au titre des congés payés y afférents,
* 2 223,37 euros à titre de rappels de salaire pour requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein, outre 222 euros au titre des congés payés y afférents,
* 10 800 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé,
* 10 800 euros à titre de dommages-intérêts pour non-exécution de bonne foi du contrat de travail et non-respect des mesures de prévention,
* 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner l’employeur au paiement des éventuelles cotisations sociales et de la CSG et CRDS sur l’ensemble des dommages-intérêts alloués,
– condamner l’employeur au paiement des intérêts au taux légal à compter de l’introduction de l’instance et à la capitalisation des intérêts,
– ordonner à l’employeur de prendre en charge les sommes qui lui seront éventuellement réclamées au titre du délai de carence auprès de Pôle emploi,
– juger qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées, l’exécution devra être réalisée par l’intermédiaire d’un huissier de justice et le montant des sommes retenues par celui-ci en application de l’article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 fixant le tarif des huissiers sera supporté par la SCP [P] Lotthé Léturgie Lenfant en sus de l’application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner l’employeur aux dépens.
Dans ses dernières conclusions déposées le 10 juin 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la SCP [P] Lotthé Léturgie Lenfant demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
statuant à nouveau,
– condamner Mme [B] à lui payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 19 mai 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
– sur la requalification du temps partiel en temps complet et les conséquences financières :
Il ressort des dispositions de l’ancien article L3123-17 alinéa 2 du code du travail applicable à l’espèce que les heures complémentaires accomplies par un salarié embauché à temps partiel ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail effective au niveau de la durée légale du travail.
Le contrat de travail à temps partiel doit être requalifié en contrat de travail à temps complet et ce dès la première irrégularité dès lors que le salarié travaille 35 heures ou plus au cours d’une semaine, même sur une période limitée.
En vertu de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande de rappel de salaire, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires.
En l’espèce, Mme [B] prétend avoir accompli chaque mois des heures complémentaires portant sa durée hebdomadaire de travail à plus de 35 heures.
Au soutien de sa demande, elle produit notamment en sa pièce 26 pour la période comprise entre le 13 juillet 2015 et le 28 juillet 2016, un décompte au quotidien des dépassements horaires et de leur cumul hebdomadaire, en précisant à chaque fois son heure de prise de poste et/ou de fin de journée lorsqu’elle est différente de ses horaires habituels de travail, en ce compris à partir de janvier 2016, ses heures de prise et fin de pause déjeuner dont elle prétend qu’elle se limitait à 30 minutes par jour au lieu d’une heure.
Si comme le relève la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant, des incohérences peuvent apparaître entre ce décompte et le document établi par Mme [B] pour récapituler par semaine, le nombre d’heures complémentaires non rémunérées effectuées (la pièce 29 de l’appelante), le décompte susvisé n’en demeure pas moins suffisamment précis, au vu des heures de prise et fin de poste indiquées, pour permettre à l’intimée d’y répondre utilement par ses propres pièces, et ce d’autant plus que Mme [B] justifie par sa pièce 28 de l’existence au sein de l’étude notariale d’un système de pointeuse, dont la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant ne conteste d’ailleurs pas la mise en place.
Or, force est de constater que pour réfuter l’accomplissement par Mme [B] d’heures complémentaires, l’intimée ne verse aux débats aucune pièce, se bornant uniquement à soutenir que les pièces adverses sont imprécises en raison de certaines incohérences relevées, et à contester la réduction de la pause déjeuner.
Ces moyens de contestation sont cependant inopérants, la preuve des heures de travail effectivement accomplies incombant à la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant qui en assure seule le contrôle.
Est de même sans portée, le moyen avancé par l’intimée tiré du fait que les supposées heures complémentaires n’ont pas été exécutées à sa demande, dès lors que sa présence régulière à l’étude en dehors des horaires habituelles de travail, notamment après 17h30, était facile à constater, l’absence de réaction valant accord tacite à leur accomplissement.
Il résulte de l’analyse du décompte de Mme [B] que les heures complémentaires accomplies les semaines précédentes le 16 novembre 2015 ne portent pas sa durée hebdomadaire de travail à 35 heures.
En revanche, à partir de la semaine du 16 novembre 2015, Mme [B], non contredite utilement par la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant sur ce point, a effectué des semaines de travail de 35 heures au moins, notamment du 11 au 15 janvier 2016, du 18 avril au 22 avril 2016 ainsi que plusieurs semaines en mai et juin 2016, avec des dépassements moyens de 4 heures au delà des 31 heures hebdomadaires prévues au contrat.
Il convient donc en application de l’ancien article L. 3123-17 alinéa 2 du code du travail de requalifier son contrat à temps partiel en contrat à temps plein et ce, à compter du mois de novembre 2015.
Au vu de cette requalification, Mme [B] sollicite dans le dispositif de ses conclusions qui seul saisit la cour, une somme de 2 223,37 euros à titre de rappel de salaire, outre 222 euros de congés payés y afférents, demande à laquelle il convient de faire droit, au regard d’une part de son salaire brut et d’autre part, du nombre de mois s’étant écoulés à partir de la prise d’effet de cette requalification.
Le jugement sera infirmé en ce sens.
– sur la demande indemnitaire pour travail dissimulé :
Dénonçant une situation de travail dissimulée au sens des articles L. 8221-1 et suivants du code du travail, compte tenu des heures complémentaires qu’elle a accomplies sans être rémunérée, Mme [B] sollicite le versement d’une somme de 10 830 euros correspondant à 6 mois de salaire.
Toutefois, il ne se déduit pas de sa seule pièce 28 que la pointeuse était bloquée à 17h30 et de surcroît que ce blocage aurait été délibérément mis en oeuvre par SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant. Il n’est produit par Mme [B] aucun pièce de nature à démontrer que son employeur lui a interdit de comptabiliser ses heures exactes de travail.
Le fait que des heures complémentaires n’aient pas donné lieu à rémunération ne suffit pas non plus à caractériser une dissimulation intentionnelle de la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant des heures de travail effectuées par sa salariée, ceci pouvant également résulter d’un manque de vigilance de sa part dans la surveillance de la pointeuse, étant observé que Mme [B] ne justifie pas avoir un jour demandé à son employeur, avant son arrêt de travail, le paiement d’heures complémentaires et s’être vue opposer un refus.
– sur le licenciement de Mme [B] :
L’article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l’existence d’une cause réelle et sérieuse.
En application de l’article L.1226-2, lorsqu’à l’issue des périodes de suspension du contrat de travail, consécutives à une maladie ou à un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.
Cette proposition prend en compte, après avis des représentants du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur l’aptitude du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise.
Il est en l’espèce constant que Mme [B] a été licenciée en raison de son inaptitude physique constatée par le médecin du travail et de l’impossibilité de procéder à son reclassement, la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant ayant précisé dans la lettre de licenciement et dans un courrier antérieur du 22 mai 2017, avoir procédé à des recherches auprès de 6 autres études notariales de la ‘zone géographique’ pour tenter en vain de la reclasser.
Mme [B] conteste cependant la licéité de son licenciement pour inaptitude dont elle soutient qu’il est dépourvu de cause réelle et sérieuse pour les motifs suivants :
– la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant n’aurait pas respecté son obligation de reclassement en restreignant ses recherches à seulement 6 autres études notariales,
– l’intimée ne justifie pas d’une consultation régulière des délégués du personnel,
– son inaptitude résulte du comportement fautif de la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant qui, malgré de nombreuses alertes émises par elle et d’autres salariées, n’a pris aucune mesure pour remédier à la surcharge de travail dénoncée par toutes, et pour restaurer une ambiance sereine de travail, ces conditions dégradées de travail, facteurs de stress, ayant abouti, la concernant, à son arrêt de travail pour ‘burn out’ avec une dépression sévère.
Il est acquis aux débats qu’à la suite des 2 examens médicaux de reprise, le médecin du travail a conclu à l’inaptitude de Mme [B] ‘au poste de clerc de notaire. Capacités restantes à un poste équivalent dans un environnement différent’, ce qui excluait manifestement toute possibilité de reclassement au sein des établissements de la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant et plus particulièrement au sein de l’étude de [Localité 5], Mme [B] ne prétendant d’ailleurs pas le contraire.
Alors que la loi ne lui en fait pas l’obligation contrairement à ce que soutient l’appelante, la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant justifie avoir recherché une solution de reclassement à l’extérieur de ses services, en sollicitant par courriers du 24 avril 2016, 6 autres études notariales de la région. Il produit les réponses négatives de 3 d’entre elles, informant également Mme [B] par courrier du 22 mai 2017 que les autres études ne lui avaient pas répondu.
Au vu des conclusions du médecin du travail et des démarches susvisées, la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant justifie ainsi avoir loyalement mis en oeuvre son obligation de reclassement, avant de constater et d’aviser sa salariée, après un délai raisonnable d’attente d’éventuelles réponses extérieures, que ce reclassement s’avérait impossible.
Par ailleurs, la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant produit aux débats l’extrait du registre des délégués du personnel en vue d’une réunion fixée au 24 avril 2017, où figurent d’une part, la question posée par le représentant du personnel concernant ‘l’absence de Mme [B] suite aux conclusions de la médecine du travail (inaptitude)’ et d’autre part, la réponse de la direction exposant qu’elle propose un reclassement auprès ‘de divers confrères’, avec la mention qui suit ‘approbation du délégué du personnel’.
Aucun formalisme n’étant imposé à l’employeur pour recueillir l’avis des représentants du personnel, les éléments susvisés suffisent à établir que la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant y a régulièrement procédé après que l’avis d’inaptitude a été délivré par le médecin du travail et avant d’avoir constaté l’impossibilté de procéder au reclassement de Mme [B]. Ce moyen de contestation du licenciement ne peut donc également être retenu.
Enfin, si comme le soutient Mme [B], un licenciement pour inaptitude physique peut être jugé sans cause réelle et sérieuse dans l’hypothèse où cette inaptitude est la conséquence d’un manquement fautif de l’employeur, il incombe toutefois au salarié de rapporter la preuve du manquement allégué et du lien de causalité avec le constat d’inaptitude.
En l’espèce, Mme [B] reproche à la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant un manquement à son obligation de sécurité de résultat, et plus particulièrement à son obligation de prévention en ce que celle-ci n’aurait pas tenu compte des nombreuses alertes par elle et d’autres salariées, notamment lors des réunions du jeudi matin, concernant en particulier son mal être et plus généralement la pression professionnelle liée à la surcharge de travail et ‘l’ambiance délétère’.
L’appelante produit 3 certificats médicaux, le premier datant du 2 juin 2015 et le dernier de janvier 2019, évoquant des maux liés ‘à sa situation professionnelle’, puis de manière plus précise ‘un état psychologique correspondant à un burn out ayant nécessité un arrêt de travail’ depuis le 26 septembre 2016.
L’état de stress de Mme [B] en lien avec son travail est par ailleurs corroboré par l’attestation de 2 de ses amies, Mme [K] et Mme [H], toutes 2 également anciennes salariées de l’étude, qui relatent les propos de l’intéressée à propos de ses conditions de travail et les conséquences de ce stress sur sa vie privée et son état de santé.
Il en est de même de sa collègue, Mme [C], dont la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant précise d’ailleurs qu’elle était alors également déléguée du personnel suppléante et donc sensibilisée aux risques psycho-sociaux.
Mme [C] explique l’état de Mme [B] par ‘l’augmentation de la charge de travail, la détérioration de la qualité de vie au travail, la pression permanente résultant de la mauvaise gestion de la responsable’ et ajoute que les 4 salariées du service ont, pour ces raisons, demandé en vain en septembre 2016 une réunion pour discuter de ces différents problèmes, un document, joint à l’attestation, portant leurs doléances ayant été remis à cet effet à Maître [P], notaire.
Toutefois, le fait que ces différents éléments confirment que l’épuisement professionnel de Mme [B] est à l’origine de son arrêt de travail pris le 23 septembre 2016, ne suffit pas à caractériser le manquement de la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant à son obligation de prévention s’il n’est pas démontré par ailleurs que c’est en parfaite connaissance de cause qu’elle n’a pas pris les mesures de protection appropriées pour prévenir toute dégradation des conditions de travail de ses salariées et plus particulièrement de Mme [B].
Or, ainsi que le soutient la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant, aucune des pièces du dossier et notamment celles produites par l’appelante ne prouve que le risque au sein de l’étude d’un épuisement professionnel des salariés en raison d’une surcharge de travail et d’une dégradation de l’ambiance de travail avait été constaté et signalé à la direction de l’étude notariale.
En effet, Mme [B] ne justifie pas, contrairement à ses dires, avoir alerté sa hierarchie à ce sujet, le dernier compte rendu de l’entretien professionnel obligatoire du 17 mars 2016 qu’elle verse aux débats n’en fait d’ailleurs nullement état alors qu’il constitue un moment privilégié pour évoquer notamment la surcharge éventuelle de travail et l’ambiance de travail.
La SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant verse aussi les précédents entretiens d’évaluation sur la période 2002-2013 qui n’en font nullement mention.
L’intimée fait également à raison observer que ce sujet n’a fait l’objet d’aucun point d’alerte de la part des délégués du personnel ainsi que cela résulte du registre spécial des délégués du personnel dont la copie est communiquée pour la période 2014-2018.
Elle produit aussi en sa pièce 27, la dernière fiche d’aptitute médicale de Mme [B] établi par le médecin du travail le 12 mai 2015 où il est fait mention de son aptitude sans aucune réserve ou point d’alerte, et une préconisation d’un nouvel examen sous 2 ans, ce qui confirme l’absence de nécessité d’une surveillance particulière et donc d’un risque de stress professionnel à prévenir.
Par ailleurs, si dans son attestation, Mme [C] évoque la demande faite par les 4 salariés du service auprès d’un des notaires de l’étude, de pouvoir discuter de la surcharge et ambiance de travail, elle précise que cette démarche n’a été initiée qu’en septembre 2016, sans autre précision sur la date exacte, soit concommitamment à l’arrêt de travail de Mme [B] intervenu le 23 septembre 2016. En outre, il ne visait pas explicitement la situation de l’appelante.
Il n’est ainsi pas démontré par Mme [B] que le risque d’un épuisement professionnel de sa part était connu de son employeur avant son arrêt, de sorte qu’il ne peut lui être reproché d’avoir manqué à son obligation de prévention.
Il n’est ainsi pas établi par Mme [B] que son inaptitude résulte d’un manquement de la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant à son obligation de sécurité de résultat.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, aucun des moyens de contestation de Mme [B] concernant la licéité de son licenciement n’étant retenu, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il l’a jugé fondé et a débouté l’appelante de ses demandes financières en lien avec la rupture de la relation de travail.
– sur les autres demandes indemnitaires de Mme [B] :
Mme [B] sollicite une somme de 10 800 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices causés par le manquement de la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant à son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi et par le non-respect de son obligation de prévention.
Au vu de ce qui précéde, ce dernier manquement n’ayant pas été retenu, aucune indemnisation ne peut être accordée à Mme [B] sur ce fondement.
Pour le surplus, il incombe à Mme [B] de démontrer que son employeur a fait preuve de mauvaise foi dans le cadre de leur relation de travail. Outre l’absence de mesure de prévention pour tenir compte de sa surcharge de travail et des risques professionnels en résultant sur laquelle il vient d’être statué, elle allègue des faits suivants :
– non rémunération des heures complémentaires,
– blocage de la pointeuse pour éviter les heures supplémentaires,
– non-respect du temps de pause.
Or, comme il a déjà été relevé plus haut à l’occasion de l’examen des autres demandes de Mme [B], ses pièces ne permettent pas d’établir l’intention délibérée, et donc la mauvaise foi, de la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant de ne pas payer les heures complémentaires et de volontairement surcharger l’appelante, et ce d’autant plus que l’intéressée, malgré ses dires, ne justifie pas avoir en vain dénoncé à son employeur cette situation et réclamé le paiement des heures complémentaires.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté Mme [B] de cette dernière demande indemnitaire.
– sur les demandes accessoires :
Mme [B] ayant été accueillie en sa demande de requalification de son temps partiel en temps complet, il convient d’infirmer le jugement en ce qu’il lui a fait supporter les dépens de première instance.
Pour cette même raison, la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant devra supporter à la fois les dépens de première instance et d’appel, en ce non compris les frais générés par l’éventuelle mise en oeuvre d’une procédure d’exécution à l’initiative de Mme [B].
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a statué sur les frais irrépétibles de première instance.
L’équité commande en revanche de condamner la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant à payer à Mme [B] une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile s’agissant des frais irrépétibles d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement entrepris en date du 30 décembre 2019 en ses dispositions critiquées, sauf en celles relatives à la demande de rappel de salaire et de requalification du contrat et en celles concernant les dépens de première instance ;
statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
REQUALIFIE le contrat à temps partiel de Mme [Y] [B] en un contrat à temps complet, et ce à compter de novembre 2015 ;
CONDAMNE en conséquence la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant à verser à Mme [Y] [B] à titre de rappel de salaire la somme de 2 223,37 euros, outre 222 euros de congés payés y afférents ;
DIT que cette créance salariale produira intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation;
DIT qu’il sera fait application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil relatives à la capitalisation des intérêts échus ;
CONDAMNE la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant à verser à Mme [Y] [B] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile s’agissant des frais irrépétibles d’appel ;
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;
DIT que la SCP [P] Lotthe Leturgie Lenfant supportera les dépens de première instance et d’appel, en ce non compris les frais générés par l’éventuelle mise en oeuvre d’une procédure d’exécution à l’initiative de Mme [Y] [B].
LE GREFFIER
Cindy LEPERRE
LE PRESIDENT
Marie LE BRAS