Épuisement professionnel : 30 novembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/05616

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Épuisement professionnel : 30 novembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/05616

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 6

ARRET DU 30 NOVEMBRE 2022

(n° 2022/ , 14 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/05616 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCI7T

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Novembre 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 18/07265

APPELANT

SCP BTSG en la personne de Me [B] [K] ès qualité de mandataire liquidateur de la SAS K2 FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Stéphanie LAMY, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 372

INTIMÉ

Monsieur [D] [H]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté par Me Camille LEENHARDT, avocat au barreau de PARIS

PARTIE INTERVENANTE

Association AGS CGEA [Localité 4] UNEDIC

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Claude-Marc BENOIT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1953

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 octobre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

M. [D] [H] a été embauché par la société K2 France selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 19 octobre 2015 en qualité de consultant statut cadre et coefficient 170 de la convention collective des Bureaux d’études techniques.

En son dernier état, la rémunération de base et moyenne de M. [H] était égale à 4 951,80 euros bruts pour 35 heures hebdomadaires de travail.

A compter du 6 avril 2018, M. [H] a été placé en arrêt de travail pour maladie.

Le 24 septembre 2018, M. [H] a demandé à la société K2 France de lui communiquer les coordonnées de la médecine du travail.

Le 26 septembre 2018, M. [H] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail pour harcèlement moral, manquement à l’obligation de sécurité et heures supplémentaires non payées.

Par lettre recommandée avec accusé de réception adressé le 29 mars 2019, la société K2 France a notifié à M. [H] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par un jugement du 5 novembre 2019, le conseil de prud’hommes de Paris a :

– dit que la résiliation judiciaire était fondée et produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 29 mars 2019,

– condamné la SAS K2 France à payer à M. [H] les sommes de:

– 14.855,40 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– 1.485,54 € à titre de congés payés afférents ;

– Intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation ;

– rappelé qu’en vertu de l’article R. 1454-28 du code du travail, ces condamnations étaient exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire ;

– 19.807,20 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement ;

– 1.000 € à titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté M. [H] [D] du surplus de ses demandes ;

– débouté la SAS K2 France de ses demandes reconventionnelles ;

– condamné la SAS K2 France aux dépens.

Par jugement du 17 juin 2020, le tribunal de commerce de Paris a prononcé l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société K2 France.

Par jugement du 11 août 2020, le tribunal de commerce a prononcé sa liquidation judiciaire et désigné la SCP BTSG prise en la personne de Me [K] en qualité de liquidateur judiciaire.

Le 24 août 2020, Me [B] [K] es qualités a interjeté appel.

Par acte d’huissier de justice en date du 17 mars 2021, l’AGS a été assignée en intervention forcée.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 17 mai 2021, auxquelles la cour se réfère expressément, Me [K] en qualité de mandataire liquidateur de la SAS K2 France demande à la cour de:

Dire et juger Me [B] [K] es qualité de mandataire liquidateur de la SAS K2 France recevable en son appel ;

En conséquence,

Infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :

– dit que la résiliation judiciaire est fondée et devait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 29 mars 2019 ;

– condamné la société K2 France à payer à M. [H] les sommes de :

– 14.855,40 € au titre d’indemnité compensatrice de préavis

– 1.485,54 € au titre des congés payés afférents

avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation

– 19.807,20 € au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement

– 1.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté la société K2 France de ses demandes reconventionnelles,

Statuant de nouveau :

Débouter M. [H] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions, tant en qualité d’intimé que d’appelant incident.

Dire et juger que le licenciement intervenu le 29 mars 2019 est fondé sur une cause réelle et sérieuse s’agissant de l’inaptitude et de l’impossibilité de reclassement du salarié

Dire et juger que M. [H] a abusé de son droit d’ester en justice

En conséquence,

Condamner M. [H] au paiement de la somme de 10.000,00 € de dommages et intérêts au titre de l’article 1240 du code civil

Fixer la somme de 10.000,00 € à l’actif de de la société K2 France

En tout état de cause,

Fixer le salaire moyen de M. [H] à 3.703,22 €

Condamner M. [H] à payer à Me [B] [K] es qualité de mandataire liquidateur de la SAS K2 France la somme de 5.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Condamner M. [H] au paiement des dépens de l’appel, y incluant les frais d’huissier exposés pour la signification de la déclaration d’appel selon procès-verbal de Me Soubie-Ninet du 14.10.2020 soit la somme de 111,07 € et le timbre fiscal de 225 €.

Selon ses dernières conclusions, remises au greffe, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 19 février 2021, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [H] demande à la cour de :

A titre principal,

Confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a :

– dit que la résiliation judiciaire était fondée ;

– condamné la SAS K2 France à payer à M. [H] :

o 14.855,40 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

o 1.485,54 € à titre de congés payés afférents ;

o Intérêt au taux légal sur ces condamnations à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation ;

o 1.000 € à titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté la SAS K2 France de ses demandes reconventionnelles ;

– condamné la SAS K2 France aux dépens

Et y ajoutant, fixer lesdites créances de M. [H] au passif de la liquidation judiciaire de la société K2 France.

A titre incident,

Infirmer le jugement de première instance en ce qu’il a débouté M. [H] du surplus de ses demandes, et statuant à nouveau :

– Juger que l’employeur a imposé la réalisation d’heures supplémentaires demeurées volontairement impayées caractérisant l’existence d’une situation de travail dissimulé ;

– Juger que le salarié a subi une situation de harcèlement moral ;

– Juger que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité ;

– Juger que l’employeur a exécuté de façon déloyale le contrat de travail ;

– Juger que M. [H] justifie de l’existence d’un préjudice moral ;

– Juger que l’employeur était redevable d’un rappel de prime conventionnelle de vacances ;

– Juger que la rupture s’analyse en un licenciement nul au 29 mars 2019 ;

En conséquence,

– Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société K2 France les créances de M. [H] suivantes :

o 29 621,34 euros bruts à titre de rappels d’heures supplémentaires ;

o 2.962,13 euros bruts de congés payés afférents aux rappels d’heures supplémentaires ;

o 29.710,80 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

o 20.000 euros de dommages et intérêts supplémentaires au titre du préjudice moral distinct ;

o 1.680,12 euros bruts de rappel de prime de vacances ;

o 168,01 euros bruts d’indemnité de congés payés afférente à la prime de vacances ;

o 29.710,08 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul ;

o Intérêt légal à compter de la date de réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation pour les sommes à caractère salarial et à compter de la décision pour les sommes à caractère indemnitaire, capitalisation des intérêts.

– Ordonner à la SCP BTSG agissant par Maître [B] [K], es qualité de mandataire liquidateur de la SAS K2 France la remise d’un bulletin de paie afférent aux condamnations sous astreinte de 100 euros par jour à compter de la notification de l’arrêt ;

– Ordonner à la SCP BTSG agissant par Maître [B] [K], es qualité de mandataire liquidateur de la SAS K2 France la remise des documents de fin de contrat rectifiés conformément aux condamnations, sous astreinte de 100 euros par jour à compter de la notification du jugement ;

– se réserver le droit de liquider l’astreinte.

A titre subsidiaire,

Confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a dit que la résiliation judiciaire produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société au paiement de :

o 19.807,20 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

o Intérêt légal à compter de la décision prud’homale.

Fixer lesdites créances de M. [H] au passif de la liquidation judiciaire de la société K2 France.

A titre infiniment subsidiaire,

Juger que les manquements de l’employeur ont participé de façon déterminante à l’inaptitude de M. [H], de sorte que son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement est privé de cause réelle et sérieuse.

En conséquence,

Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société K2 France les créances de M. [H] suivantes :

o 19.807,20 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

o Intérêt légal à compter de la décision prud’homale.

En tout état de cause,

– Juger que l’AGS CGEA d'[Localité 4] garantira le paiement à M. [H] de ses créances fixées aux termes de la décision à intervenir au passif de la liquidation judiciaire de la société K2 France.

– Condamner la SCP BTSG agissant par Maître [B] [K], es qualité de mandataire liquidateur de la SAS K2 France au paiement de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la SCP BTSG agissant par Maître [B] [K], es qualité de mandataire liquidateur de la SAS K2 France au entiers dépens de l’instance ;

– Ordonner la capitalisation des intérêts légaux ;

– Se réserver le droit de liquider l’astreinte.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 2 avril 2021, auxquelles la cour se réfère expressément, l’AGS demande à la cour de :

A titre principal

Infirmer purement et simplement le jugement entrepris,

Débouter [D] [H] de ses demandes

A titre subsidiaire

Vu l’article L 1235-3 du code du travail,

Limiter à 3 mois l’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

Débouter [I] [E] (sic) de ses autres demandes indemnitaires,

Fixer au passif de la liquidation les créances retenues,

Dire le jugement opposable à l’AGS dans les termes et conditions de l’article L 3253-19 du code du travail, et dans la limite du plafond 6 toutes créances brutes confondues,

Exclure de l’opposabilité à l’AGS la créance éventuellement fixée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Exclure de l’opposabilité à l’AGS l’astreinte,

Vu l’article L 621-48 du code de commerce,

Rejeter la demande d’intérêts légaux,

Dire ce que de droit quant aux dépens sans qu’ils puissent être mis à la charge de l’AGS.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 7 juin 2022.

MOTIFS :

Lorsqu’un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail était justifiée. C’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.

L’action en résiliation judiciaire du contrat de travail peut être demandée par un salarié sur le fondement de l’article 1304 du code civil (ancien 1184). Les manquements de l’employeur, susceptibles de justifier cette demande, doivent rendre impossible la poursuite du contrat de travail. Lorsque de tels manquements sont établis, la résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée aux torts de l’employeur. Elle produit alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. En revanche, quand les manquements ne rendent pas impossible la poursuite du contrat de travail, le contrat ne peut être résilié et son exécution doit être poursuivie.

La résiliation judiciaire prend effet au jour de la décision qui la prononce sauf en cas de rupture préalable du contrat ou encore si le salarié n’est pas resté au service de son employeur, auquel cas la résiliation judiciaire est fixée à la date où ce maintien à disposition a cessé.

Au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, M. [H] invoque le non paiement d’heures supplémentaires, un harcèlement moral, le non paiement de la prime de vacances, le retard délibéré de paiement du salaire et le mépris de l’employeur à l’égard des alertes du salarié et la suspension délibéré du paiement du salaire à compter du 12 janvier 2019.

– sur les heures supplémentaires :

Selon l’article L3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Le contrat de travail de M. [H] stipule en son article relatif à la durée du travail que ‘la durée hebdomadaire est fixée conformément à l’horaire collectif affiché dans l’entreprise. A titre informatif, il est de 35 heures par semaine. Il est entendu que la répartition de l’horaire hebdomadaire ainsi que les horaires journaliers tiendront compte des nécessités et pourront être modifiés en conséquence. A la demande de son supérieur hiérarchique, M. [D] [H] pourra également être amené à effectuer des heures supplémentaires lorsque la bonne marche de l’entreprise l’exigera.’

M. [H] produit un décompte de ses horaires de travail précisant le cumul hebdomadaire des heures de travail et des heures supplémentaires accomplies, et communique des courriels adressés le soir principalement entre 17H10 et 18H30 ponctuellement à 20H voire 23 heures ainsi que des attestations de ses collègues de travail qui déclarent qu’il leur avait fait part d’une surcharge de travail.

Ces éléments sont suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que M. [H] prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Celui-ci, représenté par le liquidateur judiciaire, produit les attestations de M. [X], M. [J] et M. [G], consultants salariés au sein de la société, qui déclarent disposer pour ce qui les concerne de l’écoute attentive de leur ‘manager’ quant à leur charge de travail liée notamment aux déplacements. M.[L], salarié de la société, précise quant à lui que les horaires de travail réalisés sont en adéquation avec les entreprises avec lesquelles la société travaille.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour a la conviction que la charge de travail de M. [H] rendait nécessaire la réalisation d’heures supplémentaires à raison de 752,99 heures.

Sa créance est fixée à la somme de 29 621,34 euros bruts au titre des heures supplémentaires et celle de 2 962,13 euros de congés payés y afférents.

Le jugement entrepris ayant rejeté cette demande sera infirmé de ce chef.

– sur l’exécution déloyale du contrat de travail:

La preuve de l’exécution déloyale repose sur celui qui l’invoque.

M. [H] fait grief à son employeur de lui avoir adressé une convocation par Chronopost un samedi matin, en vue d’une contre-visite médicale, de lui avoir fait adresser par son avocat le 6 novembre 2018 un rappel à l’ordre quant à l’envoi de ses relevés de prestations de sécurité sociale. La société K2 France n’a toutefois pas excédé ses prérogatives en diligentant une contre-visite et en procédant à ce rappel de ses obligations auprès du salarié.

M. [H] établit par ailleurs que son employeur a contesté la réalité de son épuisement professionnel et de sa surcharge de travail par courriel du 11 septembre 2018, en usant des termes de’prétendue surcharge’ et la proposition ‘ vous avez rarement quitté votre poste après 17H30 ce qui invalide votre calcul’ niant ainsi la réalité des heures supplémentaires accomplies.

Par ailleurs, le retard de paiement du salaire invoqué est établi par les relevés de compte bancaire de M. [H].

Enfin, M. [H] a dû saisir l’inspecteur du travail afin que celui-ci rappelle à la société 2K France son obligation d’organiser une visite de reprise.

Au regard du cumul de ces éléments, l’exécution déloyale invoquée est caractérisée.

– sur le manquement à l’obligation de sécurité

Le salarié reproche à son employeur une absence d’affiliation à un service de santé au travail, une absence de mesure de prévention et une absence de réaction aux alertes.

L’employeur, sur lequel repose la charge de la preuve du respect de l’obligation de sécurité, justifie avoir proposé à M. [H] d’adapter son poste et ses missions dès qu’il a fait état de ses difficultés, soit le 14 mars 2018 en lui soumettant une réduction du temps de travail à 4/5 ème avec maintien du salaire à temps plein ou un changement de poste pour une mission de support sur un poste sédentaire sans déplacements et en lui accordant des jours de congés payés supplémentaires pour récupérer.

La société, qui admet qu’elle n’était plus affiliée à la suite de la résiliation de son contrat par l’ACMS, établit certes avoir procédé à son affiliation à la CMIE dans des délais qui ont permis d’organiser l’examen de M. [H] par le médecin du travail à l’issue de son arrêt de travail mais avait par sa carence, privé son salarié d’interlocuteur médical au cours de la relation de travail.

L’employeur ne justifie pas plus avoir pris des mesures pour prévenir la survenue même de risque pour la santé et notamment de harcèlement.

L’employeur ne justifie donc pas avoir exécuté son obligation de sécurité.

– sur le harcèlement moral :

Selon l’article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l’article L1154-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

M. [H] fait valoir que :

– son employeur lui a imposé une charge de travail et des déplacements excessifs ;

– son employeur n’a pas payé les heures supplémentaires afférentes à cette surcharge de travail excédant les 35 heures contractuellement convenues ;

– son employeur n’a pas tenu compte des alertes de son salarié quant à cette surcharge de travail, cherchant à maintenir autant que possible la cadence dans un contexte de sous-effectifs,

– la direction faisait preuve d’une attitude délétère et méprisante à l’égard de ses salariés,

– malgré son arrêt maladie, ou en raison de ce dernier, la société a multiplié les comportements déloyaux à l’encontre de M. [H] afin de maintenir une pression malgré la suspension de son contrat de travail notamment par la non reprise du paiement du salaire.

Au regard des pièces communiquées, M. [H] ne démontre pas d’attitude délétère et méprisante de la direction à l’égard de ses salariés par les attestations produites qui sont rédigées en termes très généraux.

Il justifie cependant de la réalisation d’heures supplémentaires et d’un suivi médical à compter du 16 janvier 2018 et jusqu’en mars 2019. Il est par ailleurs constant qu’il a été placé en arrêt de travail à compter d’avril 2018.

Il n’est pas contesté que le poste de consultant impliquait de nombreux déplacements.

M. [H] établit avoir informé son employeur en mars 2018 de son impossibilité de réaliser autant de déplacements que ceux qu’il effectuait jusqu’alors, lequel l’a autorisé à travailler à domicile pendant plusieurs jours. Le 6 avril 2018, après ces journées de télétravail, M. [H] a fait part à son employeur de son incapacité à reprendre son travail en raison de son épuisement et a sollicité une rupture conventionnelle de son contrat de travail avec paiement des heures supplémentaires ce qui a été refusé par l’employeur.

M. [H] produit également un courriel adressé le 7 septembre 2018 à son employeur aux termes duquel il lui fait grief de ne pas avoir pris en compte ses alertes et de lui avoir uniquement proposé soit un passage à temps partiel de 4/5ème soit une rétrogradation à un poste de support technique.

Il établit avoir informé son employeur de son ‘épuisement’ avant son arrêt de travail ce qu’admet l’employeur dans un courriel du 11 septembre 2018 lequel y précise avoir proposé de ‘réduire son temps de travail à 4/5ème sans perte de salaire ou de passer sur un poste support’.

S’agissant du défaut de reprise du paiement du salaire, à défaut de produire le bulletin de paye d’octobre 2018 et un relevé de compte bancaire intégral sur la période concernée, M. [H] ne démontre pas que le salaire qui lui a été versé par son employeur par virement était d’un montant inférieur à ce qui lui était dû compte tenu de la perception d’indemnités journalières.

Il établit en revanche que son salaire lui a été versé avec plusieurs jours voire semaines de retard au cours de son arrêt de travail.

Il justifie également avoir dû saisir le conseil de prud’hommes le 5 février 2019 afin que son employeur reprenne le paiement du salaire à l’expiration du délai d’un mois après l’avis d’inaptitude.

Pris dans leur ensemble, ces éléments font présumer une situation de harcèlement moral.

L’employeur, qui produit des attestations de salariés valorisant le management de leur employeur, n’apporte pas de justifications objectives à ses décisions de non paiement des heures supplémentaires ni aux retards de paiement du salaire de M. [H].

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les agissements de l’employeur ont eu pour effet de dégrader les conditions de travail de M. [H].

Le harcèlement moral est ainsi caractérisé. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

– sur le rappel de primes :

L’article 31 de la convention collective des bureaux d’études techniques prévoit que « l’ensemble des salariés bénéficie d’une prime de vacances d’un montant au moins égal à 10% de la masse globale des indemnités de congés payés prévus par la convention collective de l’ensemble des salariés. »

La commission nationale d’interprétation a précisé que la prime de vacances « est calculée sur la masse globale des indemnités de congés payés réellement versée et constatée au 31 mai ».

Les bulletins de paie de M. [H] ne mentionnent pas de prime de vacances.

L’avis de la commission nationale d’interprétation du 19 mars 1990 relatif à la prime de vacances précise que, pour la répartition de la prime, les entreprises peuvent opter pour les solutions suivantes : diviser le 1/10 ème global par le nombre de salariés et procéder à une répartition égalitaire, procéder à une répartition au prorata des salaires avec majoration pour enfants à charge ou encore majorer de 10 % l’indemnité de congés payés de chaque salarié.

M. [H] sollicitant la fixation de sa prime de vacances à 10% de ses congés payés, sa créance à ce titre est fixée à 1 680,12 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Les manquements de l’employeur consistant dans le défaut de paiement des heures supplémentaires, l’exécution déloyale, le manquement à l’obligation de sécurité et le harcèlement moral sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail et justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail.

Le harcèlement moral étant à l’origine de la rupture du contrat de travail, la résiliation prononcée produira les effets d’un licenciement nul, à la date de la rupture du contrat intervenue soit le 29 mars 2019.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail avec effet au 29 mars 2019 mais infirmé en ce qu’il a jugé qu’il produirait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il sera confirmé en ce qu’il a condamné la société K2 France à payer à M. [H] les sommes de 14 855,40 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis et de 1 485,54 € à titre de congés payés afférents lesquelles ne sont pas contestées dans leur quantum.

Sur l’indemnité pour licenciement nul :

L’article L1235-3-1 dans sa rédaction applicable au jour de la rupture dispose que l’article L1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :

1° La violation d’une liberté fondamentale ;

2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;

3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4 ; (…).

Au regard de l’ancienneté de M. [H] de trois années révolues, de son âge de 40 ans au jour de la rupture, de son salaire, de sa qualification et de sa capacité à retrouver un emploi, son préjudice sera réparé par l’allocation de la somme de 29 710,08 euros bruts.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral :

M. [H] justifie d’un préjudice moral subi du fait du harcèlement moral, de l’exécution déloyale et du manquement à l’obligation de sécurité lequel sera réparé par l’allocation de la somme de 5 000 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur le travail dissimulé :

En vertu de l’article L8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.’

En soumettant M. [H] à un horaire collectif alors même que ses fonctions impliquant une grande autonomie et en lui confiant des tâches rendant nécessaire la réalisation d’heures de travail au delà de 35 heures sans qu’aucune ne soit payée, la société K2 France a intentionnellement dissimulé des heures de travail.

La créance indemnitaire due à M.[H] à ce titre d’un montant de 29 710,80 euros sera inscrit au passif de la liquidation judiciaire de la société K2 France. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur les intérêts :

Le jugement d’ouverture de redressement judiciaire de la société K2 France ayant interrompu le cours des intérêts, les créances d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés y afférents ainsi que d’heures supplémentaires et de congés payés y afférents courront du 4 octobre 2018, date de la signature par l’employeur de l’avis de réception de la convocation à l’audience de conciliation au 17 juin 2020, date du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire.

La créance d’indemnité pour licenciement nul prononcée par le présent arrêt ne produira pas intérêts.

La demande de capitalisation des intérêts est rejetée.

Sur le remboursement des allocations servies par Pôle emploi :

L’article L1235-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au jour de la rupture, prévoit que dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

La créance de Pôle emploi est fixée à un mois d’allocations servies à M. [H].

Il sera ajouté au jugement de ce chef.

Sur la demande de dommages-intérêts pour abus de droit d’ester en justice :

L’employeur ne démontre pas que M. [H] ait ‘construit de toute pièce un dossier’ afin de ne pas avoir à démissionner et ait abusé de son droit d’ester en justice. La demande indemnitaire formulée par le liquidateur judiciaire est en conséquence rejetée. Le jugement entrepris sera conformé de ce chef.

Sur la remise des documents de rupture :

La SCP BTSG prise en la personne de Me [K] es qualité est condamnée à remettre à M. [H] un bulletin de paie conforme au présent arrêt.

Les circonstances de la cause ne justifient pas de prononcer une astreinte. Cette demande est rejetée.

Sur la garantie de l’AGS :

Le présent arrêt est opposable à l’AGS CGEA [Localité 4] qui sera tenue à garantie dans les termes et conditions des articles L3253-6 et suivants du code du travail, et les plafonds prévus aux articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du Code du travail,

Le Centre de Gestion et d’Etude AGS (CGEA) d'[Localité 5] devra faire l’avance de la somme représentant les créances garanties, et à l’exception de l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, sur présentation d’un relevé du mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à son paiement.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

La société BTSG, prise en la personne de Me [K] est condamnée aux dépens d’appel.

Compte tenu de la liquidation judiciaire de la société K2 France, la demande formée par M. [H] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile est rejetée.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu’il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail au 29 mars 2019, et a condamné la société K2France à payer à M. [D] [H] les sommes de 14 855,40 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis et de 1 485,54 € à titre de congés payés afférents, la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il a rejeté la demande reconventionnelle de la société K2France de dommages-intérêts pour abus d’ester en justice ;

LE CONFIRME de ces chefs,

Statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d’un licenciement nul,

FIXE les créances de M. [D] [H] au passif de la liquidation judiciaire de la société K2 France aux sommes de :

– 29 621,34 euros bruts à titre de rappels d’heures supplémentaires ;

– 2 962,13 euros bruts de congés payés afférents aux rappels d’heures supplémentaires ;

– 29 710,80 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

– 5 000 euros de dommages et intérêts supplémentaires au titre du préjudice moral distinct;

– 1 680,12 euros bruts de rappel de prime de vacances ;

– 168,01 euros bruts d’indemnité de congés payés afférente à la prime de vacances ;

– 29 710,08 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul ;

DIT que les intérêts des créances de nature salariale courront du 4 octobre 2018 au 17 juin 2020,

REJETTE la demande de capitalisation des intérêts,

DIT que les créances indemnitaires ne produiront pas intérêts;

FIXE la créance de Pôle emploi au titre du remboursement des allocations servies à M. [D] [H] à un mois d’allocations,

DÉCLARE le présent arrêt opposable à l’AGS CGEA [Localité 5] qui sera tenue à garantie dans les termes et conditions des articles L3253-6 et suivants du code du travail, et les plafonds prévus aux articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du Code du travail,

DIT que le Centre de Gestion et d’Etude AGS (CGEA) d'[Localité 5] ne devra faire l’avance de la somme représentant les créances garanties, et à l’exception de l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, que sur présentation d’un relevé du mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à son paiement,

CONDAMNE la SCP BTSG prise en la personne de Me [K] en qualité de liquidateur judiciaire de la société K2 France à rembourser à Pôle emploi les allocations service à M. [H] dans la limite d’un mois,

CONDAMNE la SCP BTSG prise en la personne de Me [K] en qualité de liquidateur judiciaire de la société K2 France à remettre à M. [D] [H] un bulletin de paie conforme au présent arrêt,

REJETTE la demande d’astreinte,

REJETTE la demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SCP BTSG prise en la personne de Me [K] en qualité de liquidateur judiciaire de la société K2 France aux dépens d’appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

 


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