Épuisement professionnel : 30 janvier 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 21/04096

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Épuisement professionnel : 30 janvier 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 21/04096

ARRET

N°130

[5] DE [Localité 1]

C/

CPAM [Localité 7] [Localité 2]

COUR D’APPEL D’AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 30 JANVIER 2023

*************************************************************

N° RG 21/04096 – N° Portalis DBV4-V-B7F-IGCR – N° registre 1ère instance : 18/02167

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE (Pôle Social) EN DATE DU 07 juillet 2021

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

L’ [5] DE [Localité 1], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

M.P : Madame [I] [T]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté et plaidant par Me Marylène ALOYAU de la SELARL CAPSTAN NORD EUROPE, avocat au barreau de LILLE, vestiaire : 0053

ET :

INTIME

La CPAM [Localité 7] [Localité 2], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée et plaidant par Mme [W] [L] dûment mandatée

DEBATS :

A l’audience publique du 22 Septembre 2022 devant Mme Elisabeth WABLE, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Janvier 2023.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Marie-Estelle CHAPON

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Elisabeth WABLE en a rendu compte à la Cour composée en outre de:

Mme Elisabeth WABLE, Président,

Mme Graziella HAUDUIN, Président,

et Monsieur Renaud DELOFFRE, Conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 30 Janvier 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, Mme Elisabeth WABLE, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.

*

* *

DECISION

Vu le jugement rendu le 7 juillet 2021 par lequel le pôle social du tribunal judiciaire de Lille, statuant dans le litige opposant l'[5] de [Localité 1] à la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 7] [Localité 2] (la CPAM), a :

– dit que la maladie déclarée par Mme [T] [I] revêtait un caractère professionnel,

– débouté l'[5] de [Localité 1] de l’intégralité de ses demandes,

– condamné l'[5] de [Localité 1] aux entiers dépens de l’instance,

Vu l’appel de ce jugement relevé par l'[5] de [Localité 1] le 30 juillet 2021,

Vu les conclusions visées le 22 septembre 2022, soutenues oralement à l’audience, par lesquelles l'[5] de [Localité 1] prie la cour de :

– infirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Lille,

– juger que la maladie déclarée par Mme [I] [T] n’a pas de caractère professionnel en l’absence de lien direct et essentiel entre la maladie qu’elle a déclarée et son travail habituel,

– déclarer inopposable à son égard en toutes ses conséquences financières la décision de la CPAM en date du 17 avril 2018 de prise en charge de la maladie de Mme [I] [T] au titre de la législation relative aux risques professionnels,

– condamner la CPAM aux frais et dépens de l’instance.

Vu les conclusions visées le 22 septembre 2022, soutenues oralement à l’audience, par lesquelles la CPAM prie la cour de :

– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Lille en date du 7 juillet 2021,

– déclarer opposable à l'[5] de [Localité 1], la prise en charge de la maladie déclarée par Mme [T] [I] au titre de la législation relative aux risques professionnels,

– condamner l'[5] de [Localité 1] aux éventuels frais et dépens de l’instance.

SUR CE LA COUR,

Mme [I] [T], salariée de l'[5] de [Localité 1] en qualité de responsable information-communication, a effectué une déclaration de maladie professionnelle en date du 24 juillet 2017, faisant état d’un « syndrome anxio-dépressif sévère suite épuisement professionnel ».

Cette déclaration était accompagnée d’un certificat médical initial en date du 19 juillet 2017, relevant chez la salariée un « syndrome anxio-dépressif sévère suite épuisement professionnel ».

La pathologie déclarée par Mme [I] [T] n’étant pas inscrite dans un tableau de maladie professionnelle et le médecin conseil ayant estimé que Mme [T] présentait un taux d’incapacité prévisible d’au moins 25%, la CPAM de [Localité 7] [Localité 2] a transmis le dossier au Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) de [Localité 2] Hauts de France pour avis sur l’origine professionnelle de la pathologie en application de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale.

Le CRRMP [Localité 2] Hauts de France a émis un avis favorable le 11 avril 2018.

Par courrier en date du 17 avril 2018, la CPAM de [Localité 7] [Localité 2] a notifié à l'[5] de [Localité 1] une décision de prise en charge de la maladie déclarée par Mme [T] au titre de la législation sur les risques professionnels.

Contestant cette décision, l'[5] de [Localité 1] a saisi la commission de recours amiable, puis, suite au rejet implicite de son recours par cette dernière, le pôle social du tribunal de grande instance de Lille.

Par jugement rendu le 16 mai 2016, le pôle social du tribunal de grande instance de Lille a ordonné la saisine du CRRMP de [Localité 6] Nord-Est, lequel a rendu un avis favorable le 16 septembre 2019.

Par jugement dont appel, le pôle social du tribunal judiciaire de Lille a jugé que la maladie déclarée par Mme [I] [T] revêtait un caractère professionnel et a rejeté la demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie déclarée formée par l’employeur.

L'[5] de [Localité 1] conclut à l’infirmation de la décision déférée et à l’inopposabilité à son égard de la décision de prise en charge de la maladie déclarée par Mme [T].

Il indique procéder à un suivi des conditions de travail de ses collaborateurs grâce à différents intervenants tels qu’un médecin du travail, une infirmière ou encore une assistante sociale et que l’analyse des questionnaires soumis aux salariés par le médecin du travail au titre des années 2014, 2015 et 2016 permet de constater une amélioration des conditions de travail.

Il ajoute que Mme [T] a été en arrêt de travail à partir du mois d’octobre 2015 et n’a formulé de demande de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie qu’en juillet 2017, ce qui conduit selon lui à s’interroger sur l’existence réelle d’un lien essentiel et direct entre la maladie et les conditions de travail.

Il relève que la réorganisation intervenue visait à s’adapter aux événements externes et que l’évolution professionnelle de Mme [T] a conduit à un simple changement des intitulés de ses postes pour lesquels les missions confiées ont toujours été conformes à sa qualification.

L'[5] de [Localité 1] observe encore qu’après la réorganisation de 2011, Mme [T] a conservé ses fonctions de chef de service et qu’il n’y a eu ni retrait de responsabilité, ni rétrogradation.

Il affirme qu’il n’y a eu ni conflits répétés entre la hiérarchie et Mme [T], ni mise à l’écart de cette dernière et ajoute que par un mail du 26 juillet 2016, Mme [T] envisageait, en accord avec ses médecins traitants, une reprise du travail alors même qu’elle reproche à ses conditions de travail d’être à l’origine de sa maladie, ce qui est contradictoire selon lui .

La CPAM de [Localité 7] [Localité 2] conclut à la confirmation de la décision entreprise et au bien-fondé de sa décision de prise en charge de la maladie du 19 juillet 2017.

Elle indique que les deux CRRMP, par des avis clairs et non équivoques, s’accordent sur la reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie déclarée par l’assurée, connaissance prise de l’intégralité des éléments du dossier.

Elle expose que des facteurs de risques psychosociaux ressortent des éléments recueillis dans le cadre de la procédure d’instruction et notamment des déclarations des salariés de la société. Elle ajoute qu’il est fait état d’un climat anxiogène et délétère, de réorganisations successives, de difficultés relationnelles et d’une diminution du champ d’intervention de Mme [T].

Elle fait valoir que l'[5] ne démontre pas l’existence d’une cause totalement étrangère au travail et qu’il reconnaît les changements successifs de postes de Mme [T] et la réorganisation intervenue.

Elle observe que les arguments de l’employeur visant à démontrer une diminution de la pression psychologique et de la peur de perte d’emploi ressenties par les salariés n’est pas de nature à exclure tout lien causal entre l’affection déclarée par Mme [T] et son activité professionnelle.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des prétentions et moyens.

***

La cour relève à titre liminaire que par deux jugements rendus le même jour, le tribunal judiciaire de Lille a statué d’une part, sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable formée par Mme [T] et d’autre part, sur la contestation du caractère professionnel de la maladie déclarée par Mme [T] formée par l'[5].

Les deux affaires n’ont pas été jointes.

Le tribunal a rejeté la demande de Mme [T] tendant à faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur. Cette affaire a fait l’objet d’un appel de Mme [T] qui a été évoqué à une précédente audience.

Le présent litige porte quant à lui sur l’appel relevé par l'[5] de [Localité 1] du jugement ayant rejeté sa demande visant à déclarer inopposable à son égard la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée par Mme [I] [T].

* Sur le caractère professionnel de la maladie déclarée :

Aux termes de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale : « …Est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladie professionnelle et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée de l’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu’elle est désignée par un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est directement causée par le travail habituel de la victime.

Peut également être reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée par un tableau des maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle ci ou une incapacité permanente d’un taux évalué dans les conditions de l’article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.

Dans les cas mentionnés aux deux précédents alinéas, la caisse primaire reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. .. ».

Dans ses rapports avec l’employeur, il appartient à la caisse, subrogée dans les droits de l’assuré, d’apporter la preuve du caractère professionnel de la maladie.

En l’espèce, l’état anxio-dépressif déclaré par Mme [I] [T] n’étant pas prévu par un tableau de maladie professionnelle, deux CRRMP ont été successivement désignés à l’effet de donner un avis sur l’existence d’un lien direct et essentiel entre l’affection présentée par celle-ci et son activité professionnelle.

Aux termes de son avis émis le 11 avril 2018, le CRRMP de la région Hauts de France relève: « après avoir étudié les pièces du dossier communiqué, le CRRMP constate des réorganisations successives ayant conduit à une réduction de son périmètre de responsabilité vécues comme une mise à l’écart des grands projets de l’institution, des conflits répétés avec sa hiérarchie avec des conséquences sur son équilibre psychologique. Par ailleurs, il n’est pas retrouvé dans le dossier d’élément montrant que l’entreprise a mis en place l’accompagnement et le soutien nécessaires dans le cadre d’une restructuration importante. La chronologie et l’absence de facteur extra professionnel permettent de retenir un lien direct et essentiel entre l’affection présentée et l’exposition au risque ».

Dans le même sens, le CRRMP de la région Nord Est, aux termes de son avis du 16 septembre 2019 indique : « l’intéressée fut embauchée en 2004, occupant successivement plusieurs postes notamment celui de responsable événementiel.

A l’aune d’une réorganisation de l’entreprise, elle fait l’objet d’une mise à l’écart et d’injonctions contradictoires émanant de différents témoignages, permettant d’expliquer la survenue de la maladie déclarée.

En conséquence, les membres du CRRMP estiment qu’un lien direct et essentiel peut-être établi entre la pathologie présentée et l’activité exercée ».

Par deux avis concordants, les deux CRRMP successivement désignés retiennent ainsi l’existence d’un lien direct et essentiel entre l’activité professionnelle et la pathologie de Mme [T], à rapporter à la réorganisation de l’entreprise ayant conduit à une réduction du périmètre de responsabilité de la salariée.

En outre, il ressort de l’enquête administrative réalisée par la CPAM ,étayée par des attestations de plusieurs salariés de l'[5], qu’à compter de 2011, Mme [T] a subi une augmentation intense de sa charge de travail comme le démontre, entre autres, un retrait de trois équivalents temps plein de son équipe sans pour autant que la charge de travail de son service en soit diminuée. Mme [N], technicienne de laboratoire à l'[5] jusqu’en 2014, déclare sur ce point qu’en 2011 les effectifs ont été réduits de moitié et que la direction leur « donnait de plus en plus de travail » suite aux réorganisations de l’institut.

Il ressort également de cette même enquête, une réduction effective des prérogatives de Mme [T] causée notamment par une diminution de son périmètre d’action du fait de l’arrivée d’un nouveau directeur marketing et du recrutement d’une nouvelle personne au sein de son équipe.

Par ailleurs, il apparaît que les rapports de Mme [T] avec son employeur se sont dégradés en raison de l’insistance de ce dernier pour qu’elle augmente son temps de travail dès 2012.

Est évoqué en outre le comportement humiliant du supérieur hiérarchique, notamment lors d’une réunion du 5 octobre 2015, à l’issue de laquelle Mme [T] se serait effondrée, selon Mme [D] [R], journaliste au sein de l'[5] au moment des faits.

Les pièces produites au dossier permettent ainsi à la cour de considérer que c’est suite à la réorganisation de l'[5] de [Localité 1] et aux conséquences de celle-ci sur ses fonctions que Mme [T] a développé un syndrome anxio-dépressif.

La preuve d’un lien direct et essentiel entre l’affection et l’activité professionnelle est donc rapportée.

Il appartient à l’employeur, s’il entend obtenir l’inopposabilité de la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie, de démontrer que cette pathologie trouverait son origine dans une cause étrangère aux conditions de travail.

Or, l’employeur se contente d’affirmer qu’il n’est pas responsable de la survenance de la maladie, que les conditions de travail au sein de l’Institut se sont améliorées , que les réorganisations n’avaient pour but que de faire face aux difficultés rencontrées, ce qui est insuffisant à démontrer que la pathologie présentée par l’interessée aurait une cause étrangère aux conditions de travail.

En considération de ces éléments concordants et de ce que l’employeur n’établit par aucun élément que les souffrances au travail ressenties par Mme [T] ne seraient pas à l’origine de la pathologie déclarée, il convient de retenir l’existence d’un lien direct et essentiel entre l’activité professionnelle et la maladie déclarée par celle-ci.

Par voie de conséquence, la décision déférée sera confirmée en ce qu’elle a dit que la maladie déclarée par l’interssée avait un caractère professionnel, et rejeté l’ensemble des demandes de l'[5] de [Localité 1].

Ajoutant à la décision déférée , la cour dira que la décision de prise en charge de la maladie déclarée est opposable à l’employeur.

* Sur les dépens :

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

L'[5] de [Localité 1], qui succombe, sera condamné aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire rendu en audience publique par sa mise à disposition au greffe,

CONFIRME la décision déférée dans toutes ses dispositions,

Y AJOUTANT,

DIT opposable à l'[5] de [Localité 1] la décision de prise en charge de la maladie déclarée par Mme [I] [T] au titre de la législation relative aux risques professionnels

DEBOUTE l'[5] de [Localité 1] de ses demandes contraires

CONDAMNE l'[5] de [Localité 1] aux dépens.

Le Greffier, Le Président,

 


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