Épuisement professionnel : 3 novembre 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 20/01336

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Épuisement professionnel : 3 novembre 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 20/01336

AFFAIRE PRUD’HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 20/01336 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M36V

S.A.S. CORAM AUTO

C/

[H]

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de SAINT ETIENNE

du 11 Février 2020

RG : 18/307

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 03 NOVEMBRE 2022

APPELANTE :

Société CARECO CORAM

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON

ayant pour avocat plaidant Me Gérard DELDON de la SELARL CJA SOCIAL, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE,

INTIMÉE :

[V] [H]

née le 03 Juillet 1971 à [Localité 4] (42)

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Elise LAPLANCHE et par Me COLOMBAN DE LA MONNERAYE de la SELARL YDES, avocats au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 04 Mars 2022

Présidée par Nathalie PALLE, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Elsa SANCHEZ, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Nathalie PALLE, président

– Bénédicte LECHARNY, conseiller

– Thierry GAUTHIER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 03 Novembre 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Nathalie PALLE, Président et par Elsa SANCHEZ, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant un contrat de travail à durée déterminée, Mme [H] (la salariée) a été engagée du 25 juillet au 31 août 2012 par la société Coram Auto, aux droits de laquelle vient la société Careco Coram (la société), en qualité de comptable, statut employé, niveau 9.1 de la convention collective nationale de l’automobile.

A compter du 1er septembre 2012, la relation contractuelle s’est poursuivie suivant un contrat de travail à durée indéterminée.

A compter du mois de juillet 2017, la salariée a occupé le poste de chef de groupe de comptabilité, niveau 20.1 de la convention collective applicable.

La salariée a été placée en arrêt de travail à compter du 11 janvier 2018 et n’a jamais repris son poste.

Par courrier du 30 mars 2018, la société a notifié à la salariée son licenciement au motif de son absence prolongée perturbant l’organisation de l’entreprise et entraînant la nécessité de procéder à son remplacement au regard de son poste, de sa qualification et des spécificités de son activité.

Par courrier du 4 mai 2018, la salariée a contesté les conditions de son licenciement et a sollicité le paiement des heures effectuées au-delà du contingent d’heures supplémentaires. Par courrier du 25 mai 2018, la société a répondu qu’elle n’avait jamais été alertée s’agissant du repos compensateur et qu’elle procéderait à des vérifications. La société a néanmoins maintenu sa position s’agissant du licenciement.

Par courrier du 6 juin 2018, la salariée a adressé à la société une déclaration de maladie professionnelle.

Par requête du 13 juin 2018, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Etienne aux fins de voir requalifier la rupture de son contrat de travail en licenciement nul, ou à tout le moins en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, de voir reconnaître l’existence d’heures supplémentaires, de voir condamner la société à lui verser diverses sommes à titre de repos compensateur et de dommages-intérêts y afférents, d’heures effectuées au-delà du contingent d’heures supplémentaires et de congés payés afférents, de dommages- intérêts pour défaut d’information sur le droit à repos compensateur, et de dommages- intérêts pour licenciement nul, ou à tout le moins dépourvu de cause réelle et sérieuse et à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage qui lui ont été versées, du jour de son licenciement au jour du jugement à intervenir.

Par courrier du 1er octobre 2018, la caisse primaire d’assurance maladie de l’Allier a notifié à la société un refus de prise en charge de la maladie déclarée par la salariée au titre de la législation professionnelle.

Par jugement du 11 février 2020, le conseil de prud’hommes a :

– dit que la procédure de licenciement est irrégulière,

– dit que le licenciement de la salariée est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– fixé le salaire de la salariée à 2 936,70 euros bruts,

– condamné la société à verser la somme de 601,17 euros bruts en règlement des 36h04 supplémentaires dépassant le contingent annuel de 220 heures et les congés payés afférents,

– condamné la société à verser la somme de 14 683,50 euros nets en règlement des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– débouté la salariée de sa demande au titre du licenciement nul,

– débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour défaut d’information sur le droit à repos compensateur,

– condamné la société à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à la salariée, du jour de son licenciement au jour du jugement à intervenir, dans la limite de 6 mois d’indemnités en application de l’article L. 1235-4 du code du travail,

– condamné la société à verser à la salariée la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et laissé les dépens à la charge de la société.

La société a interjeté appel de ce jugement, le 19 février 2020.

Dans ses conclusions notifiées le 15 mai 2020, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, la société demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a :

débouté la salariée de ses demandes en reconnaissance de nullité du licenciement,

débouté le salariée de sa demande de dommages-intérêts pour défaut d’information sur le droit à repos compensateur,

– infirmer le jugement en ce qu’il a:

dit que la procédure de licenciement était irrégulière,

dit que le licenciement de la salariée était dépourvu de cause réelle et sérieuse,

condamnée la société à verser la somme de 14 683,50 euros en règlement de dommages – intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

condamné la société à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à la salariée, du jour de son licenciement au jour du jugement à intervenir, dans la limite de 6 mois d’indemnité,

condamné la société à verser à la salariée la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

– dire et juger que la salariée n’a apporté aucun fait justifiant qu’elle aurait manqué à son obligation de sécurité résultant des articles L. 4161-1 et L. 4161-2 du code du travail,

– dire et juger que la procédure de licenciement prononcée à l’encontre de la salariée est régulière et repose sur une cause réelle et sérieuse,

– débouter la salariée de ses autres chefs de demandes.

La société fait valoir que :

– la salariée a cru pouvoir obtenir la nullité de son licenciement en invoquant une maladie professionnelle alors que la caisse primaire d’assurance maladie a refusé, par courrier du 1er octobre 2018, la prise en charge de la maladie au titre de la législation relative aux risques professionnels,

– pour obtenir la nullité de son licenciement, la salariée a finalement invoqué une situation de harcèlement moral en opérant volontairement une confusion entre harcèlement moral et stress au travail ; que le harcèlement moral est constitué par des actes répétés de la part de l’employeur tandis que le stress survient lorsqu’il y a un déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face ; que la salariée n’a fait état d’aucun agissement répété de la part de son employeur,

– s’agissant d’un prétendu manquement à son obligation de sécurité de résultat, la salariée lui a reproché de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour faire face à un accroissement temporaire de la charge de travail lié à l’absence d’une autre salariée à compter du 1er décembre 2017, et ce durant 6 semaines ; que le mois de décembre est un mois chargé en raison de la clôture de l’exercice au 31 décembre et de l’obligation de déposer les liasses fiscales au 3 mai 2018 ; que la salariée a été placée en arrêt maladie seulement deux jours avant le retour de l’autre salariée, ce qui aurait permis un retour à un niveau d’activité normale,

– l’absence de cette autre salariée a entraîné une certaine désorganisation; qu’il était difficile de la remplacer sur le champ en raison de la formation nécessaire à la tenue du poste ; que cette formation aurait d’ailleurs encore augmenté la charge de travail de la salariée ; que le cabinet d’expertise comptable a réalisé quelques travaux habituellement confiés à la salariée absente ; que le reste de la charge de travail a été répartie entre l’équipe restante ;

– la salariée a versé aux débats un courrier adressé par son médecin traitant qui certifie qu’elle a été victime d’un ‘burn out’ lié à une surcharge de travail et de responsabilité ; que seul le médecin du travail peut constater une difficulté d’organisation ou un manquement de l’employeur ; que le médecin traitant, dans le cadre d’une attestation, ne peut que relater ce que lui expose son patient et non certifier qu’une situation est la conséquence d’une situation vécue au sein de l’entreprise,

– s’agissant de la cause réelle et sérieuse du licenciement, la convention collective applicable prévoit une garantie d’emploi en cas de maladie de 45 jours pour les non cadres ; que la salariée a été placée en arrêt maladie le 11 janvier 2018, puis licenciée le 30 mars 2018, son préavis prenant fin le 30 juin 2018, que le délai de protection prévu par la convention collective a donc parfaitement été respecté,

– la salariée a affirmé que l’absence de l’autre salariée a entraîné de graves perturbations dans le fonctionnement du service comptable, mais que sa propre absence n’a entraîné aucune perturbation ; que cette affirmation est contradictoire, que si l’absence ponctuelle d’une collaboratrice du service comptable entraîne une désorganisation, l’absence du chef comptable perturbe encore plus le bon fonctionnement de l’entreprise,

– à la suite au licenciement de la salariée, ses tâches n’ont pas été sous-traitées à un cabinet d’expertise comptable ; qu’une autre personne a été engagée le 2 mai 2018 dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée pour occuper le poste de chef de groupe de comptabilité ; que la période d’essai n’a cependant pas été concluante, qu’elle a immédiatement relancé un recrutement qui a conduit à l’embauche d’une autre personne qui occupe toujours le poste ; qu’elle a donc procédé au remplacement de la salariée un mois après la date de son licenciement ; que le remplacement du salarié embauché le 2 mai 2018 n’a pas pour effet de modifier le délai raisonnable,

– s’agissant de la demande relative au repos compensateur, elle a indiqué dans son courrier du 25 mai 2018 n’avoir jamais été alertée ; qu’elle a d’ailleurs donné son accord pour payer la somme de 601,17 euros réclamée a posteriori par la salariée,

– la salariée a également sollicité des dommages et intérêts mais n’a apporté aucun élément permettant de justifier le préjudice allégué.

Dans ses conclusions notifiées le 3 août 2020, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, la salariée demande à la cour de :

A titre principal,

– infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté ses demandes relatives à la reconnaissance de la nullité du licenciement et au défaut d’information quant au repos compensateur,

En conséquence,

– dire et juger le licenciement nul,

– condamner la société au paiement d’une indemnité de 17 620 euros de dommages – intérêts pour licenciement nul,

– condamner la société au paiement d’une indemnité de 2 936,70 euros de dommages -intérêts, soit un mois de salaire, au titre du défaut d’information sur le droit à repos compensateur,

A titre subsidiaire,

– confirmer le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– confirmer la condamnation de la société à verser la somme de 14 683,50 euros nets en règlement des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

– confirmer le jugement en ce qu’il a :

jugé la procédure de licenciement irrégulière,

fixé son salaire à 2 936,70 euros bruts,

condamné la société à verser la somme de 601,17 euros bruts en règlement des 36h04 supplémentaires dépassant le contingent annuel de 220 heures et les congés payés afférents,

condamné la société à rembourser à Pôle emploi, les indemnités de chômage qui lui ont été versées, du jour de son licenciement au jour du jugement à intervenir, dans la limite de 6 mois d’indemnités,

condamné la société à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,

– condamner la société au paiement d’une indemnité de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.

La salariée fait valoir que :

– elle a effectué plus de 256 heures supplémentaires sur la seule année 2017 ; que la société n’a respecté ni son obligation d’information, ni son obligation de la faire bénéficier du repos compensateur ; que la société a affirmé ne pas avoir été avertie du dépassement des heures alors que la petite taille de l’entreprise induit nécessairement une proximité quotidienne de fait, de sorte que la société avait donc parfaitement conscience des heures supplémentaires qu’elle a effectuées toutes les semaines, et elle en a d’ailleurs été formellement avertie en avril 2018,

– en tout état de cause, il est de sa responsabilité de l’employeur de respecter la législation sur les heures supplémentaires ; que la société ne saurait s’en exonérer en invoquant son ignorance, ou, en l’absence de délégation de pouvoir, en se déchargeant sur la responsable de paie,

– la dégradation de son état de santé a été provoquée par une surcharge de travail à propos de laquelle elle a, en vain, tenté de prévenir la société qui n’a pas souhaité entendre ces alertes pour des raisons d’économie ; elle a donc travaillé jusqu’à l’épuisement en effectuant 256 heures supplémentaires en 2017, sans bénéficer du repos compensateur obligatoire au-delà des 220 heures ; qu’elle a été contrainte de suivre un lourd traitement médical, ses facultés psychomotrices et cognitives ont été durablement altérées et elle se trouve aujourd’hui dans l’incapacité de retrouver un emploi,

– il ne s’agit pas d’un simple cas de stress au travail ; que son service était en sous-effectif chronique, ainsi que cela est corroboré par les nombreuses heures supplémentaires effectuées tous les mois et par le fait que l’assistante comptable absente à compter du 1er décembre 2017 a néanmoins dû travailler pendant son arrêt de travail ; que la société a laissé la situation perdurer, préférant laisser ses salariés abîmer leur santé plutôt que de payer un prestataire extérieur ou embaucher une personne intérimaire ; qu’il s’agit de faits constitutifs de harcèlement moral,

– la société a tenté de remettre en cause le diagnostic de son médecin traitant ; que la société a affirmé que son médecin traitant n’a fait que relater ses dires ; que cette affirmation ne fait que méconnaître la nature du syndrome dépressif qui repose sur des symptômes objectifs ; que si la société voulait remettre en cause ces certificats médicaux ou le lien avec ses conditions de travail, il lui appartenait de demander une contre-visite ou de solliciter l’avis de la médecine du travail, ce qu’elle n’a pas fait ;

– l’absence d’un salarié pour maladie ne peut en aucun cas justifier un licenciement, que seules les perturbations causées dans le fonctionnement de l’entreprise par l’absence prolongée ou les absence répétées du salarié en raison de sa maladie peuvent constituer une cause de licenciement si elles rendent nécessaire le remplacement définitif du salarié ; que la société n’a aucunement établi la réalité d’une perturbation, ni la nécessité de la remplacer,

– la société l’a remplacée le 2 mai 2018, plus d’un mois après son licenciement, mais a mis fin à la période d’essai du nouveau salarié le 6 juillet 2018 ; l’embauche de sa remplaçante est finalement intervenue plus de 5 mois après la rupture de la période d’essai du précédent salarié, sans que la société ne soit en mesure de justifier de la moindre démarche de recrutement dans l’intervalle ; que ses tâches ont d’ailleurs été sous-traitées à un cabinet d’expertise comptable entre le 11 janvier et le 2 mai 2018 et entre le 20 juillet 2018 et la date d’embauche de sa remplaçante ; qu’il n’y avait donc aucune nécessité de la remplacer en la licenciant seulement un mois et demi après le début de son arrêt de travail au mépris de 6 années de service ; que son licenciement est donc sans cause réelle ou sérieuse,

– en tout état de cause, l’obligation de sécurité reposant sur la société lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés par la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés; que la société n’a mis en oeuvre aucune mesure pour l’aider et compenser sa charge de travail du mois de décembre 2017 ; que lorsque l’absence prolongée d’un salarié pour cause de maladie résulte d’un manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité de résultat, ses conséquences sur le fonctionnement de l’entreprise ne peuvent pas être invoquées pour justifier un licenciement.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 février 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le repos compensateur

Il résulte des articles L. 3121-11 et D. 3121-14-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable à la date de la cessation des relations contractuelles, que les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel de 220 heures, applicable à défaut d’accord collectif, ouvrent droit à une contrepartie obligatoire en repos de 50 % pour les entreprises de 20 salariés au plus et de 100 % pour les entreprises de plus de 20 salariés.

Selon l’article D. 3121-14 du même code, dans sa rédaction applicable à la date du licenciement, le salarié dont le contrat de travail prend fin avant qu’il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit ou avant qu’il ait acquis des droits suffisants pour pouvoir prendre ce repos reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis.

Sur la base du salaire horaire non contesté et du décompte des heures supplémentaires de 256 heures au titre de l’année 2017, soit 36 heures dépassant le contingent annuel, non utilement contesté par la société, et s’agissant d’une entreprise de plus de 20 salariés, la salariée est bien fondée dans sa demande en paiement de la somme 601,17 euros bruts à titre d’indemnisation du repos compensateur non pris, de sorte que le jugement est confirmé de ce chef.

En application de l’article D. 3171-11 du même code, l’obligation d’information sur le nombre d’heures de repos compensateur de remplacement et de la contrepartie obligatoire en repos portés à leur crédit incombant à la personne juridique de l’employeur qui doit également veiller à ce que le salarié prenne effectivement ce repos, la circonstance que dans son emploi de chef comptable groupe la salariée avait la charge du contrôle de la paie est sans incidence sur l’effectivité de ses droits, de sorte qu’en l’absence d’information régulière de celle-ci sur son droit à repos compensateur dont la société n’a pas veillé à assurer l’effectivité, la salariée est bien fondée à réclamer la réparation du préjudice en résultant qui se traduit par l’épuisement professionnel dont elle a souffert qu’il convient de fixer à la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur le harcèlement moral

En application des articles L.1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, le second dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, applicables au litige, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles notamment d’altérer sa santé physique ou mentale. En cas de litige reposant sur des faits de harcèlement moral, le salarié établit la matérialité des faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral. Il incombe ensuite à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La salariée soutient qu’elle a subi une dégradation de son état de santé physique et psychique provoquée par les mauvaises conditions d’exercice de ses fonctions de chef comptable groupe, marquées par la surcharge de travail du service comptable en sous effectif chronique dans le courant de l’année 2017, amenant à recourir aux heures supplémentaires dans des proportions anormales, sans que la direction n’en tienne compte en dépit de plusieurs alertes, et majorée en fin d’année par l’absence pour maladie pendant plus d’un mois de l’assistante comptable, non remplacée, la direction se refusant alors à embaucher un intérimaire ou à recourir à un prestataire extérieur.

Elle produit aux débats le certificat médical du 13 avril 2018 de son médecin traitant faisant état d’un «burn out» depuis janvier 2018 avec épuisement et syndrome dépressif responsable de troubles cognitifs ainsi que le certificat médical de prolongation du 4 juin 2018 établi par un médecin psychiatre mentionnant une perte de l’élan vital et des troubles cognitifs majeurs

La salariée justifie qu’à compter du 1er décembre 2017, date de l’arrêt de travail pour accident de l’assistante comptable, elle avait sollicité de la direction l’embauche d’une assistante comptable en intérim ; que par courriel du 9 janvier 2018, elle déplorait que son service soit resté presqu’un mois sans aide, alors que, selon elle, la situation pouvait être réglée avec l’aide d’une entreprise extérieure. Elle produit également les échanges de courriels qui démontrent qu’elle avait elle-même sollicité l’assistante comptable pendant son arrêt de travail pour effectuer certaines tâches. Enfin ses bulletins de paie de l’année 2017 font apparaître mensuellement le paiement d’heures supplémentaires. En revanche, et contrairement à ce que la salariée soutient dans ses écritures, aucun document n’est produit tendant à établir qu’elle avait personnellement alerté la direction sur la situation chronique de sous-effectif du service comptable antérieurement au 1er décembre 2017, la pièce n°12 à laquelle elle se réfère à cet effet étant le courrier ultérieurement adressé à la direction par son avocat, le 4 mai 2018, qui se borne à relayer l’affirmation selon laquelle elle avait alerté à plusieurs reprises la direction sur le fait que sa charge de travail était trop importante.

En réplique, la société convient que des heures supplémentaires ont été effectuées par la salariée dans le courant de l’année 2017, dans les limites, selon elle, des durées quotidienne et hebdomadaire de travail, sans que la salariée ne soulève aucune difficulté particulière. S’agissant du mois de décembre 2017, elle fait valoir que cette période était habituellement chargée pour l’entreprise en raison du nécessaire dépôt des liasses fiscales pour la clôture du bilan au 3 mai suivant et que l’absence ponctuelle de l’assistante comptable avait nécessairement entraîné une désorganisation. Elle explique avoir estimé que le remplacement de l’assistante comptable par un contrat à durée déterminée, pendant son absence limitée à six semaines, aurait supposé une formation de cette personne et donc une augmentation de la charge de travail de Mme [H], et justifie avoir alors fait le choix de solliciter le cabinet d’expertise comptable pour effectuer quelques travaux à compter du 22 décembre 2017, de répartir le travail entre l’équipe restante et le directeur financier, ainsi que de solliciter l’exécution de quelques tâches par l’assistante comptable depuis son domicile pendant son arrêt de travail, ainsi qu’en attestent les échanges de courriels produits aux débats.

De l’ensemble de ces éléments, il résulte que si la situation décrite par la salariée et non utilement contredite par la société révèle une abstention de l’employeur dans l’organisation du travail au sein du service comptabilité par une inadéquation de l’effectif aux besoins, générant une surcharge individuelle de travail, elle ne relève pas d’une action répétée de la part de l’employeur au sens de l’article L. 1152-1 précité, de sorte qu’elle n’entre pas dans le champ du harcèlement moral et le jugement est confirmé en ce qu’il a rejeté la demande en nullité du licenciement pour harcèlement moral.

Sur le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité

L’article L. 4121-1 du code du travail fait obligation à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale des travailleurs.

La charge de travail des salariés doit être compatible avec les exigences de leur santé physique et morale, l’identification des risques psychosociaux, en particulier la charge de travail, fait partie de l’obligation de prévention des risques professionnels qui pèse sur l’employeur en vertu des articles L. 4121-1 et 4121-2 du code du travail.

Au cas présent, alors que leur paiement en était répertorié dans les bulletins de salaire, la société savait que la salarié effectuait tous les mois des heures supplémentaires, jusqu’à aboutir au dépassement du contingent annuel légal de 220 heures, et dès le 1er décembre 2017, date du début de l’arrêt de travail d’une des employés du service comptabilité la salariée avait alerté la direction en sollicitant l’embauche d’une assistante comptable en intérim. Par courriel du 9 janvier 2018, la salariée déplorait que son service soit resté presqu’un mois sans aide, alors que, selon elle, la situation pouvait être réglée avec l’aide d’une entreprise extérieure. Enfin, alors qu’elle n’avait bénéficié d’aucun repos compensateur au regard du cumul des 356 heures supplémentaires effectuées dans l’année, elle était placée en arrêt de travail pour burn out à compter du 11 janvier 2018, objectivé par des signes cliniques, étant observé qu’aucun état dépressif antérieur ne lui était connu jusqu’alors.

Il est ainsi établi que c’est en toute connaissance de cause que la société a laissé la salariée effectuer de nombreuses heures supplémentaires, chaque mois de l’année 2017, de manière structurelle, avec notamment plus de 24 heures supplémentaires en mars, avril, juillet et novembre, et non pas seulement en lien avec l’absence conjoncturelle d’une employée pendant six semaines en fin d’année 2017, laquelle est venue en aggravation d’une situation de surcharge de travail préexistante, ayant exposé la salariée à une dégradation de ses conditions de travail conduisant à un épuisement professionnel au détriment de son état de santé.

Dans ce contexte, la société ne justifie d’aucune mesure de prévention des risques psycho-sociaux et notamment d’aucune initiative d’évaluation de la charge de travail de la salariée, ni d’aucune solution envisagée pour y pallier, étant observé que la société reconnaissait elle-même que l’organisation mise en place en décembre 2017 ne répondait qu’à 20% du temps de travail de l’employée en arrêt de travail.

Il est par conséquent établi que la société a manqué à son obligation de sécurité envers la salariée et que ce manquement est à l’origine de la brutale dégradation de l’état de santé de celle-ci ayant motivé un arrêt de travail pour maladie.

Sur le licenciement

L’absence prolongée de la salariée pour cause de maladie résultant d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, ses conséquences sur le fonctionnement de l’entreprise ne peuvent être invoquées pour justifier un licenciement, de sorte que le licenciement de la salariée prononcé dans ces conditions est dépourvu de cause réelle et sérieuse, ainsi que l’ont retenu les premiers juges.

Sur les conséquences financières

Selon l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, dont les dispositions sont applicables aux licenciements prononcés postérieurement à sa publication, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux, soit pour un salarié ayant six années complètes d’ancienneté, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal de 3 mois de salaire brut et un montant maximal de sept mois de salaire brut.

Sur la base d’un salaire moyen brut mensuel de 2 936,70 euros, c’est par une juste appréciation du préjudice résultant pour l’intéressée de la perte de son emploi que les premiers juges ont évalué à 14 683,50 euros le montant des dommages-intérêts qui lui sont dus en réparation.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

Le jugement est confirmé en ce que, par application de l’article L.1235-4 du code du travail, il a ordonné d’office le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à la salariée licenciée, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnisation.

Sur les frais et dépens

Compte tenu de l’issue du litige, le jugement est confirmé en ce qu’il a mis à la charge de la société les dépens ainsi qu’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société, succombant dans ses prétentions, est tenue aux dépens d’appel.

L’équité et la situation économique respective des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d’appel dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et dernier ressort,

INFIRME le jugement en ce qu’il a débouté Mme [H] de sa demande de dommages-intérêts pour défaut d’information sur le droit à repos compensateur,

LE CONFIRME en toutes ses autres dispositions,

Et statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

CONDAMNE la société Careco Coram à payer à Mme [V] [H] la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut d’information sur le droit à repos compensateur,

REJETTE la demande de la société Careco Coram au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Careco Coram à payer à Mme [V] [H] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Careco Coram aux dépens d’appel.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

 


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