RUL/CH
[H] [P] épouse [E]
C/
S.A.S. PAGOT & SAVOIE
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 03 NOVEMBRE 2022
MINUTE N°
N° RG 21/00051 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FTHV
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section Commerce, décision attaquée en date du 22 Décembre 2020, enregistrée sous le n° 19/00431
APPELANTE :
[H] [P] épouse [E]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Aurélie FLAHAUT de la SELARL LLAMAS ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉE :
S.A.S. PAGOT & SAVOIE
[Adresse 3]
[Localité 8]
représentée par Me Jean-François MERIENNE de la SCP MERIENNE ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON substitué par Me Ahmet COSKUN, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Septembre 2022 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE :
Mme [H] [E] a été embauchée par la société PAGOT et SAVOIE le 16 janvier 2002 par un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de secrétaire commerciale, statut employée.
Elle a ensuite évolué vers des postes d’employée commerciale à compter du 23 juin 2003, conseillère de vente à compter du 21 février 2005 et agent technico-commercial à compter du 19 octobre 2009.
Elle a par ailleurs été élue du comité d’entreprise à compter de 2008 et membre du CHSCT à compter de 2015.
Le 18 janvier 2017, elle a été mutée par un avenant au contrat de travail.
Elle a été placée en arrêt de travail à compter du 28 septembre 2017.
A l’issue de deux visites médicales des 23 avril et 4 mai 2018, elle a été déclarée inapte à son poste.
Par courrier du 5 juillet 2018, elle a été convoquée à un entretien préalable à un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement fixé au 17 juillet 2018 auquel elle ne s’est pas rendue.
Le comité d’entreprise a été réuni en vue de son licenciement, réunion à laquelle elle n’a pas souhaité non plus se présenter.
L’inspection du travail a autorisé le licenciement le 25 septembre 2018.
Par courrier recommandé du 28 septembre 2018, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par requête du 26 juin 2019, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Dijon afin de contester son licenciement et condamner l’employeur à lui payer diverses sommes à titre, notamment, d’indemnité pour perte d’emploi, de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et d’indemnité de non-concurrence.
Par jugement du 22 décembre 2020, le conseil de prud’hommes de Dijon l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes et l’a condamnée à payer à son employeur la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour non respect de la clause de non-concurrence.
Par déclaration du 14 janvier 2021, Mme [E] a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières écritures du 7 avril 2021, l’appelante demande de :
– réformer intégralement le jugement déféré,
– constater que l’inaptitude est la conséquence du comportement fautif de l’employeur,
– constater l’exécution fautive du contrat de travail par l’employeur,
– le condamner à lui verser les sommes suivantes :
* 30 000 euros nets de CSG/CRDS et de toutes cotisations sociales à titre d’indemnité pour perte d’emploi,
* 4 515, 68 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 451, 57 euros bruts au titre des congés payés afférents,
* 15 000 euros nets de CSG/CRDS et de toutes cotisations sociales à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
* 6 773, 52 euros bruts à titre d’indemnité de non-concurrence, outre 677, 35 euros bruts au titre des congés payés afférents,
* 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeter la demande reconventionnelle de la société PAGOT et SAVOIE,
– condamner la société PAGOT et SAVOIE aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières écritures du 24 juin 2021, la société PAGOT et SAVOIE sollicite de :
– confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
– condamner Mme [E] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamner aux entiers dépens de l’instance.
Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I – Sur le bien fondé du licenciement pour inaptitude :
Mme [E] conteste le bien fondé de son licenciement pour inaptitude au motif, formulé indistinctement, que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité et qu’elle a été victime d’un harcèlement moral ayant eu pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail.
Pour sa part, l’employeur oppose qu’aucun élément probant n’est apporté permettant de démontrer un quelconque comportement fautif de l’employeur à l’origine de l’inaptitude.
Il ajoute que l’inaptitude de la salariée est purement physique, son reclassement étant possible à un poste similaire mais adapté pour éviter les efforts de posture, et qu’elle a bénéficié depuis son embauche de nombreux arrêts de travail qui n’ont pas été mis en relation avec son travail.
A – Sur le harcèlement moral :
L’article L.4121-1 du code du travail dispose que l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, incluant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés, sur le fondement de principes généraux de prévention cités par l’article L.4121-2 du même code.
Il résulte des dispositions de l’article L.1152-1 du code du travail qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L.1154-1 précise à sa suite qu’en cas de litige relatif à l’application notamment de l’article L.1152-1 précité, le salarié présente des éléments de fait qui permettent de laisser supposer l’existence d’un harcèlement.
Ainsi lorsque le salarié présente des faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral et dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement
Mme [E] indique à cet égard que :
– début 2016, un directeur commercial nouvellement arrivé lui a indiqué lors d’un entretien informel qu’elle n’avait pas les compétences du poste et qu’elle n’avait plus sa place dans l’entreprise,
– n’ayant pas accepté de quitter son poste, ses conditions de travail se sont dégradées et les pressions diverses (charge de travail, reproches…) se sont multipliées, au point qu’elle a envisagé une reconversion sur un métier d’aide-soignante, projet qui n’a pas abouti faute de prise en charge,
– l’employeur lui a proposé une rupture conventionnelle de son contrat de travail qu’elle a refusé faute de perspective professionnelle,
– à son retour de vacances le 5 septembre 2016, elle a été contrainte à changer de site d’affectation (de [Localité 8] à [Localité 6]) sans aucune information préalable, ses affaires ayant déjà été placées dans un carton,
– lors de son arrivée sur le site de [Localité 6], elle a été contrainte de travailler sur un coin de table, ne disposant même pas d’un bureau personnel,
– elle s’est vue confier une très lourde charge de travail qu’elle n’arrivait pas à assumer sur le temps qui lui était imparti, au point qu’elle devait travailler soir, week-end et même pendant ses congés,
– les pressions subies ont eu de lourdes répercussions tant sur sa santé morale que physique (mal au dos et troubles alimentaires quotidiens) au point d’être placée en arrêt de travail pour « burn-out » en septembre 2017.
Au titre des éléments qu’il lui appartient de démontrer, il justifie :
– un courrier du FONGECIF du 7 juillet 2016 rejetant sa demande de prise en charge de sa formation d’aide soignante (pièce n° 39),
– une attestation de M. [V] indiquant que ‘en septembre 2016, Madame [E] m’a appelé à son retour de vacances pour me signaler qu’elle n’avait plus de bureau ! Ses affaires déménagées dans un carton […] » et « j’ai pu constater qu’à son arrivée elle n’avait même pas de bureau pour travailler, tout juste une chaise » (pièce n° 38),
– un extrait de son dossier médical faisant état d’un « épuisement professionnel », d’une proposition d’hospitalisation, de « crises d’angoisse fréquentes, quotidiennes » (pièce n° 25),
– un courrier du docteur [B], médecin traitant, du 20 octobre 2017 faisant mention d’un syndrome anxio-dépressif en lien avec un épuisement professionnel (pièce n° 27),
– un questionnaire sur le stress post-traumatique (pièce n° 28),
– un courrier du médecin du travail du 10 janvier 2018 évoquant des manifestations d’anxiété à l’évocation d’une reprise (pièce n° 29).
– un document rédigé par la salariée elle-même racontant son parcours professionnel au sein de la société PAGOT et SAVOIE (pièce n° 30).
Il convient néanmoins de relever que la salariée procède par voie d’affirmation s’agissant du fait de s’être vu signifier, début 2016, qu’elle n’avait pas les compétences de son poste et plus sa place dans l’entreprise, du fait que ses conditions de travail se sont dégradées et qu’elle aurait subi des pressions diverses (charge de travail, reproches…) ou encore que l’employeur lui a proposé une rupture conventionnelle qu’elle a refusé.
A cet égard, le seul fait – établi – d’avoir envisagé une reconversion professionnelle ne permet pas de supposer des éléments ayant motivé sa décision.
Par ailleurs, l’affirmation selon laquelle elle a été « contrainte de changer de site d’affectation (de [Localité 8] à [Localité 6]) sans aucune information préalable », est contredite par le fait que cette mutation a été régularisée par la voie d’un avenant à son contrat de travail (pièce n° 3), avenant prévoyant d’ailleurs une revalorisation salariale (2 034 euros bruts mensuels contre 1 560 euros bruts mensuels dans l’avenant du 21 mars 2011 (pièce n° 1).
Par ailleurs, s’agissant du fait que « ses affaires [avaient] déjà été placées dans un carton », la cour relève que l’attestation de M. [V] n’est pas probante, celui-ci ne faisant que rapporter les propos de la salariée (pièce n° 38).
Il en est de même de l’affirmation selon laquelle à son arrivée sur le site de [Localité 6] elle aurait été contrainte de travailler « sur un coin de table, ne disposant même pas d’un bureau personnel ». En effet, M. [V] n’indique pas dans quelles circonstances ni à quelle date il a prétendument constaté qu’elle n’avait pas de bureau pour travailler et seulement une chaise, ce d’autant qu’il indique par ailleurs qu’il n’était pas affecté sur le site de [Localité 6] mais à [Localité 4], [Localité 5] et [Localité 10] (pièce n° 38).
Enfin, il ne ressort pas des pièces médicales produites d’élément de nature à établir un lien entre l’état de santé dégradé de la salariée et un éventuel harcèlement moral, les mentions y figurant résultant de propos rapportés par la salariée elle-même et non de constatations effectuées par les praticiens ou le médecin du travail.
En conséquence, ces éléments, pris dans leur ensemble, ne permettent pas de supposer l’existence d’un harcèlement moral.
b – Sur le manquement à l’obligation de sécurité :
Mme [E] soutient que l’employeur n’a pris aucune mesure protectrice en sa faveur et ainsi manqué à son obligation légale de santé et de sécurité.
Elle précise à ce titre qu’en s’abstenant de donner suite à la préconisation de mi-temps thérapeutique du médecin du travail malgré deux relances, et en refusant finalement d’y faire droit au bout de 2 mois sans se justifier alors qu’il en avait l’obligation en application de l’article L.4624-6 du code du travail, il a manqué à son obligation de sécurité.
Sur ce dernier point, il est constant que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, doit en assurer l’effectivité en prenant en considération les propositions de mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge, à la résistance physique ou à l’état de santé physique et mentale des travailleurs que le médecin du travail est habilité à faire en application de l’article L. 4624-1 du code du travail.
En l’espèce, il ressort des pièces produites que par courrier du 10 janvier 2018, le médecin du travail a fait part à l’employeur que concernant Mme [E], « la reprise étant envisagée prochainement, une reprise à temps partiel thérapeuthique (mi-temps) apparaît nécessaire », assorti d’une proposition de répartition horaire étalée sur deux semaines pour permettre « une reprise dans de bonnes conditions » (pièce n° 5).
Faute de réponse, le médecin du travail a relancé l’employeur par courrier électronique du 13 mars 2018, rappelant à cette occasion que l’aménagement proposé lui paraît « indispensable » (pièce n° 7), relance suivie d’une seconde par l’intermédiaire de l’avocat de la salariée par courrier recommandé avec accusé de réception du 21 mars 2018 (pièce n° 8).
Finalement, la société PAGOT et SAVOIE a informé Mme [E] de son refus par courrier du 29 mars 2018, soit deux mois et demi après le premier courrier du médecin du travail, dans les termes suivants : « […] nous vous informons que nous ne pouvons pas accéder à cette demande. Nous en avons informé le médecin du travail, le docteur [F] […] » (pièce n° 9).
La cour relève néanmoins qu’il n’est justifié d’aucune information effective du médecin du travail par l’employeur.
Par ailleurs, l’article L 4624-6 du code du travail, qui impose à l’employeur de prendre en considération l’avis et les indications ou les propositions émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2 à L. 4624-4, dispose également qu’en cas de refus, l’employeur doit faire connaître par écrit au salarié et au médecin du travail les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite. Or le courrier du 29 mars 2018 informe le salarié de sa décision de refus sans en expliquer les motifs, ce alors même que l’avis du médecin du travail exprimé dans son courrier du 10 janvier et sa relance du 13 mars 2018, est dépourvu d’ambiguïté.
Il s’en déduit que l’employeur a effectivement manqué à son obligation de sécurité envers la salariée.
Néanmoins, il ressort du premier avis d’inaptitude du 23 avril 2018 les mentions suivantes :
« inaptitude au poste de commercial prescripteur dans l’entreprise à envisager.
Pas de :
– station debout prolongée
– station assise prolongée
– posture contraignante du dos
– déplacements sur les chantiers
pourrait occuper un poste de type administratif respectant les restrictions ci-dessus.
A revoir le 4 mai à 11h après étude du poste et des conditions de travail dans l’entreprise » (pièce n° 12)
A l’issue de l’étude de poste effectuée le 3 mai suivant, un avis d’inaptitude définitif a été émis comportant les mentions suivantes :
« inaptitude au poste de commercial prescripteur dans l’entreprise confirmée ce jour, après étude de poste et des conditions de travail dans l’entreprise le 03/05/2018.
Pas de :
– station debout prolongée,
– station assise prolongée,
– posture contraignante du dos,
– déplacements sur les chantiers.
Pourrait occuper un poste similaire dans un contexte différent, prenant en compte les restrictions exposées ci-dessus ». (pièce n° 13)
La cour relève qu’il n’est aucunement fait état du fait que le refus, même irrégulier, de l’employeur de faire droit à la proposition de mi-temps thérapeuthique serait la cause de l’inaptitude.
En effet, contrairement à ce que soutient la salariée, aucun élément ne permet d’établir que si l’employeur avait respecté ses obligations, elle aurait pu reprendre son travail et ainsi échapper à l’inaptitude puis conserver son emploi (page 15 de ses écritures) dès lors que ce qui est à juste titre reproché à l’employeur, à savoir ne pas avoir motivé sa décision vis-à-vis du salarié et ne pas en avoir informé le médecin du travail, ne remet pas en cause le fait que l’employeur peut, à condition d’en justifier, refuser une telle proposition.
En conséquence, en l’absence d’une part d’élément permettant de supposer l’existence d’un harcèlement moral et d’autre part de lien entre le manquement à son obligation de sécurité reproché à l’employeur et l’inaptitude de la salariée, il y a lieu de considérer que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes de la salariée à titre d’indemnité de perte d’emploi et d’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents.
II – Sur l’exécution déloyale du contrat de travail :
Au visa des articles L-1222-1 et L 1226-2 du code du travail, Mme [E] soutient que l’employeur a eu un comportement fautif au cours de l’exécution du contrat :
– en refusant sans motif et sans respect de ses obligations le mi-temps thérapeutique proposé par le médecin du travail,
– en ne lui proposant pas un poste de reclassement de vendeur libre-service professionnel à [Localité 8] (pièce n° 15) pourtant libre alors que d’autres postes de même nature lui ont été proposés à [Localité 6] (21), [Localité 12] (39), [Localité 7] (52), Saint-Geosmes (52) et [Localité 11] (67) (pièces n° 15 à 17),
– en étant à l’origine de ses problèmes de santé (pièces n° 25 à 30).
Elle sollicite à ce titre la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice distinct.
La société PAGOT et SAVOIE ne formule aucune observation sur ce point.
Il ressort des développements qui précèdent que les pièces médicales produites ne permettent pas d’établir un lien entre l’état de santé dégradé de la salariée et un éventuel harcèlement moral de la part de l’employeur.
Par ailleurs, il est constant que l’employeur satisfait à son obligation de recherche loyale d’un reclassement dès lors qu’il propose au salarié au moins un poste conforme aux restrictions émises par le médecin du travail dans l’avis d’inaptitude, quand bien même la salariée manifesterait une préférence personnelle pour un autre poste que celui ou ceux proposés.
Néanmoins, la société PAGOT et SAVOIE a manqué à son obligation de sécurité envers la salariée en ne respectant pas les dispositions de l’article L 4624-6 du code du travail qui impose à l’employeur de prendre en considération l’avis et les indications ou les propositions émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2 à L. 4624-4, et en cas de refus de faire connaître par écrit au salarié et au médecin du travail les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite.
Dès lors, il y a lieu de considérer que l’employeur n’a pas exécuté loyalement le contrat de travail.
Néanmoins, il ne peut y avoir de réparation sans preuve du préjudice subi, l’existence et l’évaluation de celui-ci relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond sur la base des justificatifs produits aux débats.
En l’espèce, étant observé que la faute de l’employeur n’a pas eu pour conséquence la perte injustifiée de son emploi par la salariée, la cour relève que Mme [E] n’apporte aucun élément permettant de justifier de la réalité d’un préjudice à ce titre.
La demande sera donc rejetée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
III – Sur la clause de non-concurrence :
Au visa de la clause de non concurrence figurant à l’avenant au contrat de travail du 14 octobre 2009 faisant interdiction à Mme [E] de travailler directement ou indirectement dans une entreprise exerçant la même activité que celle développée par elle pendant un an à compter de la cessation effective du contrat de travail et ce sur 4 départements (Côte d’Or, Jura, Haute-Marne et Saône-et-Loire – avenant du 18 janvier 2017), la société PAGOT et SAVOIE sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a condamné la salariée à lui payer 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de ladite clause.
Mme [E] oppose que :
– l’employeur n’a pas levé la clause de non-concurrence lors de la notification du licenciement et n’a pas non plus réglé la contrepartie pécuniaire à cette interdiction à hauteur de 25 % de la rémunération brute des 12 derniers mois comme prévu (pièce n° 22), et sollicite à ce titre la somme de 6 773, 52 euros bruts, outre 677, 35 euros bruts au titre des congés payés afférents,
– la coopérative SCABOIS dans laquelle elle a travaillé du 18 novembre 2018 au 18 février 2019 est une coopérative non commerciale composée exclusivement d’artisans du bois, ce qui ne correspond pas à l’activité commerciale « très large de négoce de matériaux » de la société PAGOT et SAVOIE (pièces n° 34 et 35).
L’objet d’une clause de non-concurrence est d’interdire au salarié, après la rupture de son contrat de travail, d’entrer au service d’une entreprise concurrente ou d’exercer, sous quelle que forme que ce soit, une activité concurrente à celle de son ancien employeur.
Pour être valable, une clause de non-concurrence doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, être limitée à la fois dans le temps et dans l’espace, tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporter l’obligation, pour l’employeur, de verser au salarié une contrepartie financière, ces quatre conditions étant cumulatives.
La société PAGOT et SAVOIE soutient dans ses écritures que :
– le fait que l’indemnisation de la clause ne soit pas intervenue dès la rupture du contrat pouvait le cas échéant autoriser la salariée soit à considérer que l’employeur n’entendait pas se prévaloir de cette clause (Mme [E] a travaillé chez SCABOIS moins de deux mois plus tard), soit à en réclamer le paiement mais pas de cumuler les deux positions,
– Mme [E] n’a réclamé le paiement de l’indemnisation contractuelle que le 9 mai 2019 en contestant avoir travaillé chez un concurrent.
Au terme du contrat, en dehors de toute renonciation au bénéfice de la clause de non concurrence, le non-paiement par un employeur de la contrepartie financière convenue permet au salarié de considérer soit que ce non paiement a un effet libératoire sur son engagement de non-concurrence, soit d’en exiger le paiement.
En l’espèce, il est constant que Mme [E] a travaillé pour la société coopérative des artisans du bois (SCABOIS) du 18 novembre 2018 au 18 février 2019.
Il ressort des pièces produites que cette entité est une société anonyme coopérative artisanale à conseil d’administration depuis 10 ans installée à [Localité 9] (39) spécialisée dans le secteur d’activité du commerce de gros (commerce interentreprises) du bois et de matériaux de construction (pièce n° 35).
En revanche, s’agissant de la société PAGOT et SAVOIE, celle-ci ne précise pas dans ses écritures et ne produit aucune pièce décrivant son objet social et la nature de son activité.
Par ailleurs, la clause de non concurrence figurant à l’article 6 de l’avenant au contrat de travail du 18 janvier 2017 (pièce n° 3 produite par la salariée) est rédigée dans les termes suivants :
« Compte-tenu de la nature des fonctions de Madame [H] [E] qui l’amènent entre autres, à avoir une connaissance globale de la clientèle, des fournisseurs, des politiques de la société et globalement des savoir-faire collectifs, et compte tenu des risques de conccurence déloyale que reprsenterait son départ chez un concurrent pour ses collègues et pour l’agence, Madame [H] [E] s’interdit à la cessation de son contrat de travail, pour quel que motif que ce soit, de :
– s’engager au service d’une entreprise concurrente et en particulier une entreprise dont l’activité se rapporte, sous une forme quelconque, à l’activité de la SAS PAGOT-SAVOIE,
– de créer directement ou par personne interposée une entreprise susceptible de concurrencer la société PAGOT-SAVOIE […] »
Or il n’est nul part précisé la nature de l’activité de la société PAGOT et SAVOIE.
Par ailleurs, les logos figurant sur les avenants au contrat de travail et sur les divers courriers échangés portant la mention « les matériaux », « le matériel électrique » ou encore « espace AUBADE sanitaire, carrelage, chauffage » comme la référence à des « déplacements sur les chantiers » dans l’avis d’inaptitude (pièces n° 12 et 13) ou encore la mention « négoce second oeuvre du bâtiment » sur les annonces d’emploi à pourvoir (pièce n° 16) sont insuffisants pour déterminer la nature de l’activité de la société.
Il en est de même de la mention, par la salariée elle-même, d’une activité « très large de négoce de matériaux » de son ancien employeur.
Dès lors, nonobstant l’article 2-6-4 de la convention collective du négoce de matériaux construction prévoyant que la zone géographique d’application de l’interdiction de non-concurrence doit être limitée aux zones dans lesquelles le salarié a travaillé dans les deux années précédentes, en l’absence d’élément de comparaison permettant à la cour de déterminer si les sociétés PAGOT et SAVOIE et SCABOIS interviennent sur le même marché, s’adressent au même public et développent des activités similaires, et étant relevé que dans son courrier du 9 mai 2019 Mme [E] conteste que la société SCABOIS soit un concurrent de la société PAGOT et SAVOIE, il y a lieu de considérer que l’embauche de Mme [E] par la société SCABOIS ne caractérise pas une violation de la clause de non concurrence à laquelle elle était soumise à ce moment-là.
Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en ce qu’il l’a condamnée à payer à la société PAGOT et SAVOIE la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts.
Mme [E] se trouve en outre de ce fait fondée à réclamer le paiement de la contrepartie pécuniaire contractuelle prévue par l’article 6 de l’avenant à son contrat de travail du 18 janvier 2017, soit 25% de la rémunération brute des douze derniers mois.
Cette somme étant payée mensuellement, la société PAGOT et SAVOIE reste redevable de son paiement jusqu’au terme du délai contractuel, soit un an à compter du 28 septembre 2018.
Il lui sera en conséquence alloué la somme de 4 077,35 euros correspondant à 25% des sommes brutes perçues de novembre 2017 à octobre 2018, outre 407,73 euros au titre des congés payés afférents.
IV – Sur les demandes accessoires :
– Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [E] succombant au principal, elle supportera les dépens de première instance et d’appel, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement rendu le 22 décembre 2020 par le conseil de prud’hommes de Dijon sauf en ce qu’il a :
– condamné Mme [H] [E] à payer à la société PAGOT et SAVOIE la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de la clause de non concurrence,
– rejeté la demande de Mme [H] [E] au titre de la compensation financière à l’obligation de non concurrence,
– laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
REJETTE la demande de la société PAGOT et SAVOIE à titre de dommages-intérêts pour violation de la clause de non concurrence,
CONDAMNE la société PAGOT et SAVOIE à payer à Mme [H] [E] la somme de 4 077,35 euros au titre de la compensation financière à l’obligation de non concurrence, outre 407,73 euros au titre des congés payés afférents,
CONDAMNE Mme [H] [E] aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffierLe président
Frédérique FLORENTINOlivier MANSION