Épuisement professionnel : 29 septembre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/01850

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Épuisement professionnel : 29 septembre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/01850

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 SEPTEMBRE 2022

N° RG 20/01850 – N° Portalis DBV3-V-B7E-UA3D

AFFAIRE :

S.A.R.L. VALMY

C/

[L] [V] épouse [P]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Juillet 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : F18/01003

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELARL ALTILEX AVOCATS

Me Marc MANDICAS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A.R.L. VALMY

N° SIRET : 814 813 945

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentant : Me Stefan RIBEIRO de la SELARL ALTILEX AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 80

APPELANTE

****************

Madame [L] [V] épouse [P]

née le 07 Avril 1960 à [Localité 3] (57)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Marc MANDICAS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 231

Représentant : Me Philippe MIALET de la SELAS MIALET-AMEZIANE SELAS, Plaidant, avocat au barreau de l’ESSONNE, susbtitué à l’audience par Maître Maria-Claudia VARELA, avocate au barreau de l’ESSONNE

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 Juin 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU,

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [P], née le 7 avril 1960, a été engagée à compter du 15 décembre 1984 en qualité d’opticienne, par la société Ris-Optique, selon contrat de travail à durée indéterminée.

Son contrat de travail s’est ensuite poursuivi avec la société Victoria au sein de laquelle elle a exercé les fonctions de Chef de succursale à [Localité 5], puis avec les sociétés [Adresse 6], devenue la société Valmy à compter du 1er janvier 2016, avec reprise d’ancienneté au 15 décembre 1984.

L’entreprise, qui exploite des magasins d’optique sous l’enseigne ‘Les Opticiens Conseils’, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective de l’optique-lunetterie de détail.

Mme [P] a été placée en arrêt de travail à compter du 27 septembre 2016 et jusqu’au 23 octobre 2016 par Mme [Y], médecin.

Par lettre recommandée du 22 février 2017, la société Valmy a indiqué à Mme [P] n’avoir reçu les arrêts maladie que jusqu’au 23 octobre 2016 et être en attente de la régularisation.

Mme [P] a transmis un arrêt de travail établi par M. [W], médecin pour la période du 9 mars 2017 au 12 février 2018.

Les 31 mai et 16 septembre 2017, Mme [P] a transmis à la société deux arrêts maladie couvrant la période du 23 octobre 2016 au 9 mars 2017 datés respectivement par un médecin, Mme [Y], au 30 mai 2017 et au 22 octobre 2016.

Par lettres des 16 septembre et 2 octobre 2017, Mme [P] a sollicité la requalification de son absence injustifiée en absence maladie pour la période litigieuse et la remise des bulletins de paie rectifiés.

Le 6 octobre 2017, la société Valmy a interrogé le Conseil départemental de l’Ordre des médecins de l’Essonne au sujet de la situation de Mme [P] ainsi que la CPAM.

Par courrier du 9 janvier 2018, la CPAM a informé l’employeur que « le dossier est en cours d’instruction auprès du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale » et qu’ « en attente de sa décision, l’absence du 24/10/2016 au 08/03/2017 reste injustifiée et les indemnités journalières maladie ne peuvent pas être versées ».

Convoquée le 22 janvier 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 6 février suivant, Mme [P] a été licenciée par lettre datée du 20 février 2018 énonçant une faute grave.

Contestant son licenciement, Mme [P] a saisi, le 8 août 2018, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt aux fins d’entendre juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

La société s’est opposée aux demandes de la requérante et a sollicité sa condamnation au paiement d’une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Entre temps, par décision du 17 avril 2019, la Chambre Disciplinaire a infligé à Mme [Y], médecin, un blâme pour avoir méconnu les articles R 4127-28 et R 4127-76 du code de la santé publique en établissant des certificats médicaux rétroactifs et antidatés au bénéfice de Mme [P], Mme [Y] ayant fait valoir ‘qu ‘elle a agi par pure bonté, de bonne foi et afin de permettre à sa patiente, qui n ‘avait pas été en mesure de consulter au cours de la période allant du 23 octobre 2016 au 9 mars 2017, d’être prise en charge financièrement au titre de cette période’

Par jugement rendu le 16 juillet 2020, notifié le 27 juillet 2020, le conseil a statué comme suit :

Dit que le licenciement pour faute grave doit être requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse

Condamne la société Valmy à verser à Mme [P] les sommes suivantes :

– 47 122,27 euros à titre d’indemnité de licenciement,

– 10 874,37 euros à titre d’indemnité de préavis,

– 1 087,44 euros à titre d’indemnité de congés payés sur préavis.

Ordonne à la société Valmy de remettre à Mme [P] une attestation pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de paie récapitulatif conforme au présent jugement.

Dit que les sommes ayant le caractère de salaire porteront intérêts au taux légal à compter de la date de convocation du défendeur devant le bureau de conciliation conformément aux dispositions de l’article L 1231-6 du code du travail ; les autres sommes portant intérêts à compter de la date de notification du présent jugement.

Condamne la société Valmy à payer à Mme [P] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Déboute Mme [P] de ses autres demandes.

Déboute la société de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société aux dépens.

Le 27 août 2020, la société Valmy a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Par ordonnance rendue le 25 mai 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 13 juin 2022.

‘ Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 19 janvier 2021, la société Valmy demande à la cour de :

La recevoir en son appel et ses écritures,

Infirmer le jugement en ce qu’il a :

– dit que le licenciement pour faute grave doit être requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse

– l’a condamnée à verser à Mme [P] les sommes suivantes :

– 47 122,27 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement

– 10 874,37 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

– 1 087,44 euros au titre des congés payés afférents

– lui a ordonné de remettre à Mme [P] une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de paie récapitulatif conforme au présent jugement

– dit que les sommes ayant le caractère de salaire porteront intérêts au taux légal à compter de la date de convocation du défendeur devant le bureau de conciliation conformément aux dispositions de l’article L. 1231-6 du code du travail ; les autres sommes portant intérêts à compter de la date de notification du présent jugement

– l’a condamnée à payer à Mme [P] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– l’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– l’a condamnée aux dépens.

Et statuant à nouveau,

Dire que le licenciement pour faute grave de Mme [P] est fondé,

Débouter Mme [P] de l’intégralité de ses demandes,

Condamner Mme [P] à lui verser la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamner Mme [P] aux entiers dépens.

‘ Selon ses dernières conclusions notifiées le 12 janvier 2021, Mme [P] demande à la cour de :

A titre principal,

Infirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement pour faute grave doit être requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse, condamné la société à lui verser les sommes suivantes : 10 874,37 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ; 1 087,44 euros de congés payés afférents ; 47 122,27 euros à titre d’indemnité de licenciement ; 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, l’a déboutée de ses autres demandes,

Et statuant à nouveau,

Constater la prescription des faits fautifs,

Requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

– 72 495,80 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 10 874,37 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 1 087,44 euros de congés payés afférents,

– 47 122,27 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 5 000 euros de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité de résultat,

Dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la date de convocation du défendeur devant le Bureau de conciliation,

Condamner la société au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société en tous les dépens.

A titre subsidiaire,

Confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement pour faute grave doit être requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse, condamné la société à lui verser les sommes suivantes : 10 874,37 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ; 1 087,44 euros de congés payés afférents ; 47 122,27 euros à titre d’indemnité de licenciement,

Infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité de résultat et en ce qu’il a condamné la société à 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Et statuant à nouveau,

Condamner la société à lui verser 5 000 euros de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité de résultat,

Condamner la société au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société en tous les dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

I – Sur le licenciement

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :

‘ Nous vous avons convoquée à un entretien préalable, fixé le 6 février 2018, et, à l’occasion duquel vous avez pu faire valoir vos observations sur les griefs que nous avions à votre encontre.

A la réflexion, vos explications n’ont pas été de nature à nous convaincre et nous avons décidé de vous licencier par la présente lettre pour faute grave et compte tenu, notamment, que vous avez réitéré lors de notre entretien vos explications mensongères sur vos arrêts de travail pour tenter de couvrir une absence injustifiée et soutirer arbitrairement de l’argent.

En substance, vous avez été absente sans justificatifs du 24 octobre 2016 au 8 mars 2017.

Compte tenu de votre ancienneté et des rapports que nous entretenions, nous vous avons interrogée de manière informelle, à de très nombreuses reprises, sans avoir d’explication compréhensible, nous laissant simplement entendre que vous attendiez d’être licenciée pour « abandon de poste de sorte que nous avions dû nous résoudre à vous interroger par écrit le 22 février 2017.

Or, ce n’est que le 1 er juin 2017 que nous recevions un très curieux avis d’arrêt de travail « rétroactif » daté du 30 mai 2017, émis par le Docteur [Y] [K], et couvrant la période litigieuse.

Ne sachant comment traiter ce curieux arrêt rétroactif, nous avons interrogé la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de l’Essonne.

Dans le même temps, et plutôt que de faire profil bas face à cette situation peu commune, vous avez commencé à exiger que votre situation soit « régularisée », notamment par courrier du 16 septembre 2017, en suggérant à cette occasion que cet arrêt rétroactif n’était qu’un « duplicata », ce qui est totalement inexact, et en nous adressant alors une nouvelle version de cet avis rétroactif, avec des mentions manuscrites différentes ou en nous faisant adresser un courrier par votre Avocat, aux termes mensongers et nous menaçant même !

Or par courrier du 9 janvier 2018, la CPAM de l’Essonne nous répondait, indiquant que « tout arrêt de travail doit être établi par le médecin prescripteur le jour de la consultation du patient, il ne peut être rétroactif » et que, partant, « l’absence du 24/10/2016 au 08/03/2017 reste injustifiée et les indemnités journalières ne peuvent être versées ».

C’est à réception de ce courrier, qui matérialisait juridiquement comme certaine votre absence injustifiée du 24 Octobre 2016 au 08 Mars 2017 que nous avons en conséquence engagé la présente procédure.

Dans le même temps, nous avions interrogé l’Ordre des Médecins sur cette situation inédite d’arrêts de complaisance « rétroactifs et antidatés » de la part du Dr [Y], qui dans ce contexte a été renvoyé devant la chambre disciplinaire départementale.

A la suite de quoi sur la suggestion de l’Ordre des médecins nous avons déposé une plainte ordinale contre le Docteur [Y]. Lors du rendez-vous de la Conciliation devant le Conseil de l’Ordre, le Docteur [Y] a notamment reconnu avoir établi ces certificats rétroactifs de complaisance à votre demande et pour « rendre service à une patiente de 20 ans ».

Votre subterfuge était définitivement mis à jour et confirmé.

De telles manipulations ne sont pas acceptables et ont profondément mis à mal le lien de confiance que nous devons avoir avec chacun de nos salariés. Dans votre situation, cette rupture est accentuée encore par le fait que vous avez maintenu ce curieux positionnement lors de l’entretien préalable. sans reconnaître que vous avez ainsi bien maladroitement tenté de couvrir une absence injustifiée de longue durée, pour in fine soutirer de l’argent de façon totalement injustifié et fallacieuse tant à la sécurité sociale qu’à votre employeur.

C’est la raison pour laquelle nous sommes amenés à procéder à votre licenciement pour faute grave et pour les motifs ci-dessus.

Votre licenciement pour faute grave vous prive donc d’indemnité de licenciement et du règlement de préavis.

La période de mise à pied conservatoire nécessaire pour cette procédure ne vous sera donc pas réglée.

Nous vous adresserons sous quelques jours vos documents de fin de contrat. »

Sur la prescription des faits fautifs.

Mme [P] invoque la prescription des faits fautifs en rappelant avoir été convoquée à un entretien préalable au licenciement par lettre du 22 janvier 2018 et licenciée par lettre en date du 20 février 2018.

Elle expose que par courrier du 6 octobre 2017 la société l’informait interroger les autorités compétentes sur la régularisation rétroactive par arrêt de travail du 30 mai 2017 de la période litigieuse. Elle ajoute que la société confirmait aux termes de ce courrier n’avoir reçu aucun arrêt de prolongation après le 23 octobre 2016 et jusqu’en mars 2017.

Elle précise n’avoir jamais reçu de mise en demeure de justifier son absence, la société connaissant parfaitement son état de santé.

La société oppose que c’est suite au courrier de la CPAM du 09 janvier 2018 qu’elle a été informée que l’absence de la salariée sur la période du 24 octobre 2016 au 8 mars 2017 était injustifiée.

S’agissant de la prescription des griefs, l’article L. 1332-4 du code du travail dispose qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

Lorsque les faits sanctionnés par le licenciement ont été commis plus de deux mois avant l’engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l’employeur d’apporter la preuve qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l’engagement des poursuites. Le délai court du jour où l’employeur a eu connaissance exacte et complète des faits reprochés.

La société établit avoir interrogé la salariée, par courrier du 22 février 2017, sur l’absence de communication d’arrêts de prolongation à compter du 23 octobre 2016.

Il est également établi par la production aux débats de la pièce n° 37 de la société, qu’un arrêt de travail de prolongation de Mme [P] a été établi de façon rétroactive le 30 mai 2017 pour la période du 23 octobre 2016 au 9 mars 2017.

Il ressort du courrier adressé par la société Valmy le 6 octobre 2017 à Mme [P] qu’après étude du dossier de cette dernière, la société s’interrogeait sur la façon de traiter l’arrêt de régularisation et informait la salariée contacter à cette fin les autorités compétentes.

Il ressort de ces deux courriers une interrogation légitime de la société et une absence de certitude quant à la réalité de l’arrêt de prolongation rétroactif de Mme [P].

Il résulte du courrier de la CPAM de l’Essonne adressé à la société Valmy le 9 janvier 2018, que c’est bien à la date de ce courrier que cette dernière a été effectivement informée du fait que l’absence de la salariée du 24 octobre 2016 au 8 mars 2017 était injustifiée et que les indemnités journalières ne pouvaient pas être versées, rappel étant fait par la caisse que tout arrêt de travail devait être établi par le médecin prescripteur, le jour de la consultation du patient et ne pouvait être rétroactif.

La convocation à l’entretien préalable au licenciement étant intervenue le 22 janvier 2018, la prescription des faits reprochés par la société Valmy ne peut utilement être invoquée par Mme [P], l’employeur ayant agi dans les deux mois de la connaissance des faits reprochés.

Mme [P] conteste le motif du licenciement et soutient que la société a préféré contourner la procédure d’inaptitude en cours en engageant en parallèle une procédure de licenciement pour faute grave.

Elle conteste toute faute grave en indiquant que la société était parfaitement informée de son état de santé en burnout, qu’il s’était écoulé près de quatre mois avant que la société ne lui demande de transmettre les autres arrêts et qu’à aucun moment l’employeur ne l’a mise en demeure de reprendre son poste ou de justifier de sa prolongation d’absence.

La société estime la faute grave caractérisée du fait de l’absence injustifiée de la salariée du 24 octobre 2016 au 8 mars 2017 et des man’uvres de cette dernière consistant à produire des avis d’arrêt maladie frauduleux et à les antidater pour couvrir une période rétroactive afin d’obtenir frauduleusement de l’argent tant de la sécurité sociale que de son employeur.

En cas de litige, en vertu des dispositions de l’article 1235-1 du code du travail, le juge, a’ qui il appartient d’appre’cier la re’gularite’ de la proce’dure suivie et le caracte’re re’el et se’rieux des motifs invoque’s par l’employeur, forme sa conviction au vu des e’le’ments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave se de’finit comme e’tant un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarie’ qui constitue une violation des obligations re’sultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarie’ dans l’entreprise et la poursuite du contrat et la charge de la preuve repose sur l’employeur qui l’invoque.

Il est constant que l’absence de Mme [P] du 24 octobre 2016 au 8 mars 2017 n’a pas été justifiée en temps utile à l’employeur et que cette absence a fait l’objet d’une justification rétroactive, au moyen d’un premier arrêt de travail en date du 30 mai 2017, établi par le docteur [Y].

Il est également établi que la salariée a par courrier du 16 septembre 2017, adressé à la société un nouvel avis d’arrêt de travail de prolongation pour la même période du 24 octobre 2016 au 8 mars 2017, cet arrêt étant daté cette fois du 22 octobre 2016, en précisant qu’il s’agissait d’un duplicata, courrier aux termes duquel la salariée demandait à son employeur de requalifier son absence en arrêt maladie, au lieu d’absence injustifiée.

La salariée réitérait sa demande par courrier du 2 octobre 2017 en sollicitant, outre la notice d’information de garantie du contrat de prévoyance, la réédition des bulletins de salaire corrigés pour la même période.

Il est donc avéré que deux arrêts de travail de prolongation concernant la même période établis à des dates différentes ont été adressés par la salariée à son employeur.

Contrairement aux allégations de la salariée, si la lettre de licenciement rappelle qu’elle a été absente sans justificatif du 24 octobre 2016 au 8 mars 2017, il ne lui est pas reproché de ne pas avoir justifié de son absence en temps utile, mais d’avoir tenté de couvrir une absence injustifiée de longue durée pour être indemnisée.

Ce qui est d’ailleurs confirmé par la décision prise par la chambre disciplinaire de l’ordre des médecins à l’encontre du Docteur [Y], décision de laquelle il résulte que cette dernière a expliqué avoir établi les arrêts de travail rétroactifs et le second arrêt antidaté, en précisant avoir agi pour permettre à sa patiente qui n’avait pas été en mesure de consulter au cours de la période litigieuse, d’être prise en charge financièrement au titre de cette période.

Vainement la salariée précise que la période litigieuse a été indemnisée par la CPAM pour conclure que la caisse a bien pris en compte l’arrêt de travail du 23 octobre 2016 au 8 mars 2017.

En effet, l’attestation de paiement des indemnités journalières en date du 2 mai 2019 produite par la salariée ( pièce n° 22) établit seulement que la salariée a bénéficié d’indemnités journalières sur la période du 22 octobre 2016 au 5 mars 2018, dont le paiement a été effectué par subrogation à l’employeur. Mais à lui seul, ce document qui ne précise pas à quelle date et sur le fondement de quel document ou de quelle décision un versement des indemnités journalières serait intervenu au titre de la période litigieuse, n’exonère pas la salariée des manquements démontrés par l’employeur.

Par ailleurs, la salariée oppose sans en justifier, avoir signalé à M. [E], directeur de la société, qu’une procédure d’inaptitude était en cours et affirme que ce dernier y faisait obstruction en ignorant les tentatives du médecin du travail pour le joindre.

Le dossier médical de la salariée mentionne que le médecin du travail a tenté de joindre téléphoniquement, par deux fois l’employeur, les 11 et 22 janvier 2018 sans succès et qu’un mail a été adressé à la société, le 22 janvier 2018 pour réaliser une étude de poste.

La salariée produit aux débats deux courriels du médecin du travail en date des 22 et 26 janvier 2018 adressés pour le premier à l’assistante de M. [E] et le second adressé à M. [E], que la société conteste avoir reçu en raison d’une erreur dans le libellé de l’adresse mail, « [Courriel 7] » et non « [Courriel 8] » erreur qui n’est pas contestée par la salariée.

Par ailleurs, il n’est pas établi par la salariée un refus délibéré de l’employeur de répondre par téléphone au médecin du travail.

Dans ces conditions il n’est pas démontré que l’employeur ait cherché à éluder une procédure pour inaptitude, en préférant tel qu’allégué par la salariée une procédure de licenciement pour faute grave.

Il résulte de ces éléments que Madame [P] a effectivement travestit la réalité de sa situation auprès de son employeur en tentant de justifier a posteriori sa période d’absence par l’envoi de deux arrêts de prolongation d’arrêt de travail, dont l’un était rétroactif et l’autre antidaté.

Partant, il est démontré que Mme [P] a ainsi manqué à son obligation de loyauté envers son employeur et de bonne foi dans l’exécution de son contrat de travail, manquement de nature à rompre tout lien de confiance entre les parties.

En l’état de ces éléments, ces faits ainsi établis constituent une violation par la salariée de ses obligations contractuelles d’une importance telle qu’elle rendait immédiatement impossible son maintien dans l’entreprise.

En conséquence, ce licenciement reposant sur une faute grave, la salariée sera déboutée de ses prétentions subséquentes et le jugement infirmé de ces chefs.

Sur la demande de dommages intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité.

La salariée soutient que la dégradation de son état de santé depuis son placement en arrêt maladie le 27 septembre 2016 est dû à une surcharge de travail et à un état d’épuisement avéré.

Elle estime que la société n’a pas pris les mesures nécessaires pour protéger sa santé physique et mentale et sollicite la réparation son préjudice moral qu’elle évalue à la somme de 5000 euros.

La société oppose n’avoir jamais été alertée par Mme [P] d’éventuelles difficultés de santé en rapport avec son activité professionnelle.

En vertu des articles L.4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, l’employeur est tenu à l’égard de son salarié d’une obligation de sécurité dont il doit assurer l’effectivité. Il doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, actions d’information et de formation, mise en place d’une organisation et de moyens adaptés) en respectant les principes généraux de prévention, tels que éviter les risques, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production (…).

Ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L .4121-2 du code du travail et il lui appartient donc de rapporter la preuve qu’il a mis en place qu’il a mis en place toutes les mesures de protection et prévention nécessaires, conformément à ses obligations, surtout lorsqu’il a connaissance des risques encourus par le salarié.

Mme [P] n’établit pas avoir alerté l’employeur relativement à une surcharge de travail ou à un épuisement professionnel et hormis son dossier médical de la médecine du travail, elle ne communique aucun élément de nature à étayer la thèse développée d’une telle surcharge.

Par ailleurs, l’employeur a assuré à la salariée un suivi régulier par la médecine du travail ainsi qu’il ressort du dossier médical produit par l’intéressée.

Aussi, l’employeur justifiant avoir satisfait à son obligation de sécurité, la salariée sera déboutée de sa demande à ce titre par confirmation du jugement entrepris.

Sur les autres demandes.

Il n’y aura pas lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Mme [P] supportera les dépens de l’instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne Billancourt le 16 juillet 2020 en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté Mme [P] de sa demande de dommages intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité.

Statuant des chefs infirmés,

Dit que le licenciement de Mme [P] par la société Valmy OC est justifié par une faute grave et en conséquence la déboute de toutes ses demandes à ce titre

Déboute Mme [P] de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance.

Y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Condamne Mme [P] aux dépens d’instance et d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Monsieur Mohamed EL GOUZI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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