Épuisement professionnel : 29 novembre 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 20/00190

·

·

Épuisement professionnel : 29 novembre 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 20/00190

ARRÊT N°

N° RG 20/00190 – N° Portalis DBVH-V-B7E-HTVF

CRL/DO

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE NÎMES

24 décembre 2019

RG :18/00679

S.C.P. SCP AJILINK [Y] [D], VENANT AUX DROITS DE LA SCP [V] [Y] [D]

C/

[P]

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 29 NOVEMBRE 2022

APPELANTE :

S.C.P. SCP AJILINK [Y] [D], VENANT AUX DROITS DE LA SCP [V] [Y] [D]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Christine SOUCHE-MARTINEZ de la SCP MASSILIA SOCIAL CODE, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE

Représentée par Me Mélanie DE PRECIGOUT, Postulant, avocat au barreau D’AVIGNON

INTIMÉE :

Madame [X] [P]

née le 06 Septembre 1972 à [Localité 5] (13)

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Murielle MAHUSSIER de la SCP REVEL MAHUSSIER & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de LYON

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 13 Septembre 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère

GREFFIER :

Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l’audience publique du 27 Septembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 29 Novembre 2022.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 29 Novembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [X] [P] a été engagée à compter du 03 juin 2016 selon contrat de travail à durée indéterminée en qualité d’assistance technique confirmée, catégorie non cadre niveau T3B, au sein de la SCP [V] [Y] [D], étude d’administrateurs judiciaires.

La convention collective applicable est la convention collective nationale des administrateurs judiciaires en date du 20 décembre 2007.

Le 19 avril 2018, Mme [X] [P] adressait un courriel pour demander du renfort au motif qu’elle se retrouvait seule en raison des congés de ses deux collègues, à son employeur lequel répondait par la négative.

Par courrier du 25 avril 2018, Mme [X] [P] démissionnait de ses fonctions, puis adressait un second courrier le 2 mai 2018 par lequel elle énonçait plusieurs griefs à son employeur, sans qu’une solution amiable ne soit trouvée entre les parties.

Par requête du 27 novembre 2018, Mme [X] [P] saisissait le conseil de prud’hommes de Nîmes aux fins de voir déclarer que sa démission devait être considérée comme étant constitutive d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Par jugement en date du 24 décembre 2019, le conseil de prud’hommes de Nîmes a :

– requalifié la démission de Mme [P] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

– condamné la SCP [V] [Y] [D] à payer à Mme [P] les sommes suivantes :

* 2 614.82 euros brut + 10% de congés payés y afférent soit 261.48 euros,

* 1 287.80 euros d’indemnité de licenciement,

* 10 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1 500 euros article 700 du code de procédure civile,

– débouté la SCP [V] [Y] [D] de sa demande reconventionnelle,

– exécution provisoire de plein droit (R 1454-28 du code du travail),

– dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire s’établissait à la somme de 2 266.50 euros brut,

– dit que les dépens seraient supportés par le défendeur

Par acte du 16 janvier 2020, la SCP Ajilink [Y] [D] venant aux droits de la SCP [V] [Y] [D] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance en date du 17 juin 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 13 septembre 2022 à 16 heures. L’affaire a été fixée à l’audience du 27 septembre 2022 à 14 heures.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 08 septembre 2022, la SCP Ajilink [Y] [D] venant aux droits de la SCP [V] [Y] [D] demande à la cour de:

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

* débouté Mme [P] de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 10.000 euros pour violation par l’employeur de son obligation de sécurité à titre principal, et exécution déloyale du contrat à titre subsidiaire,

– réformer le jugement en ce qu’il a :

* requalifié la démission de Mme [P] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* l’a condamné à payer à Mme [P] les sommes suivantes :

° 2 614.82 euros brut + 10% de congés payés y afférent soit 261.48 euros,

° 1 287.80 euros d’indemnité de licenciement,

° 10 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

° 1 500 euros article 700 du code de procédure civile,

* l’a déboutée de sa demande reconventionnelle,

* dit que les dépens sont supportés par le défendeur

– juger que la démission de Mme [P] est claire et non équivoque, qu’aucun manquement grave de l’employeur n’est établi si bien que la démission produit les effets d’une démission,

– débouter Mme [P] au titre de ses demandes à raison de :

* 2 614,82 euros bruts au titre d’indemnité compensatrice de préavis,

* 261,48 euros bruts au titre d’incidence congés payés sur indemnité compensatrice de

préavis

* 1 287,80 euros au titre d’indemnité de licenciement,

* 27 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

* 10 000 euros de dommages et intérêts pour violation par l’employeur de son obligation de sécurité à titre principal, et exécution déloyale du contrat à titre subsidiaire.

Subsidiairement :

– juger le quantum de l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés sur préavis alloués erroné, le salaire moyen de Mme [P] ressortant à 2 473, 82 euros brut par mois, l’indemnité compensatrice de préavis d’un mois ne pouvant être au-delà,

– juger le quantum des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alloués, l’avoir été en violation des dispositions de l’article L1235-3 du code du travail, Mme [P] n’ayant pas deux ans d’ancienneté à la date de sa démission, et ne pouvant dès lors prétendre percevoir que des dommages et intérêts compris entre 1 mois et deux mois de salaire entre 2473.82 euros et 4947.64 euros,

– juger les dommages et intérêts pour violation par l’employeur de son obligation de sécurité à titre principal, et exécution déloyale du contrat à titre subsidiaire ne sont nullement justifiés,

– condamner Mme [P] à la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

La SCP Ajilink [Y] [D] soutient que :

– la démission de Mme [P] est claire et non équivoque dans la mesure où la lettre de démission ne comporte aucun grief à son encontre, ni même de réserve; cette lettre ne vise pas non plus un manquement de sa part à l’obligation d’exécution loyale du contrat ou à l’obligation de sécurité de résultat, et Mme [P] n’établit pas la matérialité d’un comportement fautif de sa part et encore moins la gravité des manquements qu’elle allègue,

– aux termes de son courrier du 2 mai 2018, postérieur à sa lettre de démission, Mme [P] fait exclusivement état d’une surcharge de travail, de stress, de sollicitation devenue insupportable, et de la difficulté, voire l’impossibilité pour elle, d’effectuer le travail de trois personnes à temps plein et de répondre à toutes les demandes des associés ; qu’elle n’évoquera que devant le conseil de prud’hommes des humiliations qu’elle aurait subies de la part de l’employeur, ainsi que quelques ordres et contre-ordres qui seraient impossibles à suivre,

– Mme [X] [P] s’est en effet retrouvée seule au poste de secrétariat en avril 2018 mais uniquement pendant une très courte durée de 3 jours, et ce durant les vacations judiciaires et de congés, deux des mandataires sur les trois étant en congés également,

– le courriel dénonçant la surcharge de travail a été envoyé après la lettre de démission, au collaborateur en congés, alors que Mme [X] [P] a remis sa démission la veille au soir, juste avant le retour de congés d’une de ses deux collègues, donc en sachant que la surcharge de travail allait cesser dès le lendemain matin,

– Mme [X] [P] n’apporte aucun élément en dehors de ses propres écrits pour établir les griefs formulés à son encontre, ce qui ne peut avoir aucun caractère probant,

– Mme [X] [P] ne justifie d’aucun manquement à quelque obligation de sécurité que ce soit, pas plus que d’une exécution déloyale du contrat de travail,

– le refus de prêt qu’elle invoque est sans lien avec sa démission, les indemnités qui lui ont par ailleurs été versées ne tiennent pas compte du fait qu’elle n’avait que deux ans d’ancienneté.

En l’état de ses dernières écritures en date du 24 juin 2020, contenant appel incident, Mme [X] [P] demande à la cour de :

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nîmes du 24 décembre 2019 en ce qu’il a :

* requalifié sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* en conséquence, condamné la SCP [V] [Y] [D] à lui payer les sommes suivantes :

° 2 614.82 euros brut + 10% de congés payés y afférent soit 261.48 euros,

° 1 287.80 euros d’indemnité de licenciement,

° 10 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

° 1 500 euros article 700 du code de procédure civile,

* débouté la SCP [V] [Y] [D] de sa demande reconventionnelle,

* dit que les dépens seront supportés par le défendeur

Déclarant recevable et bien fondé son appel incident et y faisant droit,

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nîmes du 24 décembre 2019 en ce qu’il :

* l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité (à titre principal), ou de l’exécution déloyale du contrat de travail (à titre subsidiaire), à hauteur de 10 000 euros nets,

* dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire s’établi à la somme de 2 266.50 euros brut.

Et statuant à nouveau,

– juger recevables et bien fondées ses demandes ;

– juger que la SCP [V] [Y] a manqué à son obligation de sécurité à titre principal, exécuté le contrat de manière déloyale à titre subsidiaire ;

En conséquence,

– condamner la SCP [V] [Y] à lui verser 10 000 euros nets en toutes hypothèses;

– juger que la démission doit être requalifiée en prise d’acte ;

– juger que la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

En conséquence,

– condamner la SCP [V] [Y] à lui verser :

* 1 287.80 euros nets à titre d’indemnité de licenciement ;

* 2 614.82 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 261.48 euros au titre des congés payés afférents ;

* à titre principal (hors barème Macron) : 27 000 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

*à titre subsidiaire (barème Macron) : 5 229.64 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

* 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile tant pour la 1ère instance que la procédure d’appel,

– statuer ce que de droit sur les dépens tant pour la 1ère instance que la procédure d’appel,

– débouter la SCP [V] [Y] de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires.

Elle fait valoir que :

– l’employeur a manqué, à titre principal, à son obligation de sécurité de résultat et à titre subsidiaire à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail dans la mesure où :

* elle n’a bénéficié d’aucune visite médicale d’embauche

*elle n’a bénéficié d’aucun entretien annuel d’évaluation les deux premières années de son embauche, et ce en méconnaissance des dispositions légales

* elle a été placée dans une situation de surcharge de travail et de stress, en avril 2018, juste avant la période des ponts de mai, la période de vacations judiciaires étant sans incidence sur son activité,

* l’employeur lui a adressé des ordres et contre ordres impossibles à réaliser dans les délais impartis

* l’employeur a employé un ton virulent et agressif à son endroit en vue de l’humilier, ainsi qu’en attestent les courriels qu’elle recevait de l’employeur, qui ne contiennent aucune formule de politesse,

* elle a alerté à plusieurs reprises l’employeur sur sa surcharge de travail, en amont des congés de ses collègues, dès le 19 avril 2018, mais aucune mesure n’a été prise par celui-ci pour améliorer cet état de fait, qu’elle va faire un dernier courriel avant sa démission, le matin même, en listant les tâches qui lui sont demandées et qu’elle ne peut pas tout assurer,

– à l’inverse, sa collègue a bénéficié à son retour de congés d’un renfort de Mme [U],

– sa démission en date du 25 avril 2018 doit être requalifiée en prise d’acte de la rupture du contrat car elle résulte du comportement fautif de l’employeur qui l’a placée dans une situation de surcharge de travail, qu’elle s’est retrouvée à assumer seule l’ensemble des tâches initialement confiées à trois salariées,

– ce contexte de travail a eu pour conséquence de dégrader son état de santé, et ce jusqu’à l’épuisement professionnel qui va être constaté le lendemain de sa démission, par le médecin du travail,

– l’employeur n’a pas respecté son obligation de sécurité en ne répondant pas à ses différentes alertes.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues à l’audience.

MOTIFS

* Demandes relatives à l’exécution du contrat de travail

* Manquement à l’obligation de sécurité

Selon l’article L4121-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.»

L’article L.4121-2 précise que l’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.»

En l’espèce, Mme [X] [P] reproche à la SCP [V] [Y] [D] de ne pas lui avoir fait bénéficier d’une visite médicale d’embauche et d’entretiens annuels d’évaluation, sans démontrer le préjudice qui en résulterait pour elle.

Elle reproche également à maître [Y] de s’être adressé à elle le 6 avril 2018 sur un ton inadapté, lui adressant un message suite à un transfert de courriel qui ne lui était pas destiné dans lequel il lui demandait ‘ merci de faire attention à ce que vous faites et de ne pas transférer n’importe quoi à n’importe qui sans discernement’. Si le ton de cette réponse est assez péremptoire, ce seul courriel ne peut qualifier une exécution déloyale du contrat de travail.

Mme [X] [P] soutient qu’elle a expliqué à plusieurs reprises à son employeur ses difficultés en raison de sa charge de travail sans réponse adaptée de sa part. Il ressort des courriels produits et des captures d’écran de téléphone concernant des SMS que :

– la semaine précédant la période où elle allait être seule, Mme [X] [P] a signalé à un des mandataires du cabinet, non identifié nominativement sur les feuillets ainsi produits, ‘ca risque d’être difficile pour moi’, son interlocuteur lui répond qu’il n’était pas nécessaire de prévoir du renfort, ‘ce sera une semaine plus cool, il y a les vacations’,

– par un courriel en date du 24 avril 2018 à 13h01 adressé par Mme [X] [P] à ‘[T] [A]’ avec en copie ‘[K] [V], [E] [Y] et [O] [D]’, elle a précisé :

‘ [T],

Etant seule cette semaine au secrétariat (et accessoirement effectuant les tâches de 3 personnes), je ne pourrai malheureusement pas préparer les rapports pour les dossiers en plan comme convenu à savoir :

– [J] – audience 09 mai

– [G] – audience 09 mai

J’en suis la première désolée’

et a reçu comme réponse un courriel en date du 25 avril 2018 à 00h21 de ‘[E] [Y]’ :

‘ [X],

un tel mail est inadmissible !

Je ne crois pas que vous ayez la latitude d’apprécier ce que vous pouvez faire ou ne pas faire ni d’évaluer les degrés de priorité, sans en référer au préalable à votre employeur, plutôt qu’au collaborateur …. absent!

Au demeurant, la réalisation de ces rapports n’est pas d’hier.

Je compte par conséquent sur le fait que ces rapports soient préparés.

Les congés ont été posés et nous n’avez rien objecté. Au demeurant, je note que vous êtes ‘seule’ durant trois jours seulement, en semaine de vacation judiciaire… dans une étude totalement dématérialisée au sein de laquelle de nombreuses tâches incombant au secrétariat ont été supprimées.

Pouvez-vous m’indiquer par exemple à quand remontent les derniers courriers que vous avez frappés en récupérant mon dictaphone  »’ je ne parle pas du rythme d’ouverture des nouvelles procédures en chute depuis des semaines …

Bonne journée’.

Force est de constater que Mme [X] [P] ne va pas indiquer clairement qu’elle n’est pas en capacité de faire le travail qui lui est demandé, mais seulement indiquer qu’elle fait le travail de trois personnes ou qu’elle risque d’être en situation difficile, et que ce n’est que par le courriel du 24 avril 2018 qu’elle va indiquer indirectement aux associés de la SCP [V] [Y] [D] qu’elle n’est pas en capacité d’assurer le traitement de deux dossiers. Dès lors qu’elle va poser sa démission le lendemain, il ne peut pas être reproché à son employeur de ne pas avoir pris en compte cette information.

Le fait que le courriel du 24 avril ait été adressé à un collaborateur et que l’employeur ait été en copie du courriel ne vaut pas information de l’employeur et ne peut pas constituer une alerte de celui-ci.

Ainsi, contrairement à ce qu’elle soutient, Mme [X] [P] n’a pas alerté à 5 reprises son employeur de ce qu’elle considérait devoir faire face à une surcharge de travail pour la période du 23 au 25 avril 2018.

S’agissant des ‘ordres et contre-ordres impossibles à réaliser dans le délai imparti’, il lui est seulement demandé d’une part de fixer un rendez-vous en tenant compte des contraintes calendaires des personnes devant y participer et d’autre part d’une réponse de l’un des mandataires lui indiquant qu’il venait de faire ce qu’elle lui avait dit ne pouvoir effectuer que le lendemain ( ‘interroger les dirigeants’). Les échanges qui sont produits aux débats ne permettent pas de considérer qu’il s’agit d’ordres contradictoires.

Enfin, le certificat médical produit par Mme [X] [P], établi le 26 avril 2018, et qui fait état d’un épuisement professionnel ne permet pas, dès lors qu’il ne fait que reprendre les propos qui ont été tenus par Mme [X] [P] lors de sa consultation médicale, de caractériser un lien entre les conditions de travail sur une courte période de trois jours et l’état de santé constaté.

Ainsi, Mme [X] [P] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de ce que la SCP [V] [Y] [D] aurait manqué à son obligation de sécurité à son égard, et subsidiairement aurait exécuté déloyalement le contrat de travail.

* Demandes relatives à la rupture du contrat de travail

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur et lorsqu’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, le juge doit l’analyser en une prise d’acte qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d’une démission.

Il appartient au juge de vérifier la réalité de cette volonté non équivoque de démissionner. Ce caractère équivoque ne pouvant résulter que de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission, ce n’est que si de telles circonstances sont caractérisées que le juge devra analyser cette démission, eut-elle été donnée sans réserve, en une prise d’acte de la rupture ayant les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient soit dans le cas contraire d’une démission. La démission est nécessairement équivoque lorsque le salarié énonce dans la lettre de rupture les faits qu’il reproche à l’employeur.

Même exprimée sans réserve, la démission peut être considérée comme équivoque lorsqu’il est établi qu’un différend antérieur ou concomitant à la rupture opposait les parties et la prise d’acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu’il reproche à son employeur entraîne la rupture immédiate du contrat de travail et ne peut en conséquence être rétractée. Dès lors, le comportement ultérieur du salarié est sans incidence

Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il impute à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.

Dans cette hypothèse, il appartient au salarié de démontrer la réalité des griefs qu’il impute à son employeur, lesquels doivent présenter un caractère suffisamment grave pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

Mme [X] [P] a remis en main propre le 25 avril 2018 un courrier à son employeur rédigé dans les termes suivants :

‘Mon cher Maître,

Je vous informe par le présent courrier de ma démission à compter de ce jour du poste d’assistante technique confirmée au sein de votre Etude.

Vous en souhaitant bonne réception,

Cordialement’

Puis par courrier en date du 2 mai 2018, elle lui adressait un second courrier rédigé en ces termes :

‘Maître,

Je tiens par la présente à revenir sur les conditions de ma démission que je vous ai remise en mains propres le 25 avril 2018 en début d’après-midi.

En effet, comme indiqué dans le courriel que je vous ai adressé le matin même ( ci-joint en copie), il était très difficile voire impossible d’effectuer le travail de trois personnes à temps complet, et de répondre à toutes vos demandes (preuve en est, le 30 avril il y avait déjà trois personnes au secrétariat ).

En trois jours, la surcharge de travail, de stress et de sollicitations est devenue insupportable, et je n’ai pas eu d’autre choix que de donner ma démission, ne pouvant faire tout ce que vous me demandiez.

Cordialement’.

Le courriel daté du 25 avril 2018 à 8h14 adressé par Mme [X] [P] aux trois administrateurs judiciaires est ainsi rédigé :

‘ Chers Maîtres,

depuis le début de la semaine, je suis seule à assurer le secrétariat de l’Etude, les 2 autres assistantes étant en congés, ce qui revient à traiter les tâches de 3 personnes à temps complet.

Nous sommes en période de vacation judiciaire certes, mais les fonctions sont les mêmes, et le volume d’informations à traiter reste très important.

Vous m’avez précisé que tout renfort était inutile et qu’accessoirement je me noyais ‘ dans une flaque’ lorsque je vous ai fait part de la situation.

Or, il me revient les tâches suivantes assurées d’ordinaire par 3 personnes : traitement de tous les mails, du courrier, de listes de paiement, des contrats salariés, de la tournée à la Poste et au Tribunal et de tous les appels téléphoniques ( liste non exhaustive ).

Il m’est par conséquent difficile, voire impossible, en plus de tout cela, de faire mon travail au mieux (tâches non répertoriées précédemment et qui m’incombent directement).

De plus, je connais votre niveau d’exigence ce qui rajoute à la pression exercée.

Il m’a été de plus précisé, que ‘puisque je ne pouvais pas tout faire (faire le travail de 3 personnes), il serait possible ‘que mes vacances soient annulées la semaine prochaine’, ce que je trouve profondément injuste.

Soyez assurés que je fais le maximum pour gérer au mieux cette situation particulièrement difficile et stressante pour moi, situation que vous m’imposez, et que je prévois des heures supplémentaires depuis lundi pour ce faire.

Il est probable que je sois contrainte de venir samedi en plus.’,

complété à 8h15 par ‘ et j’ai oublié qu’en l’état de la situation, je ne pouvais pas répondre à toutes vos demandes’.

Pour démontrer les griefs formulés à l’encontre de son employeur, soit le fait de devoir assumer seule les tâches des trois personnes en charge du secrétariat, et le risque de voir annuler ses congés si elle n’y parvenait pas, Mme [X] [P] verse aux débats les pièces fondant sa demande au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Force est de constater qu’elle ne produit aucun élément permettant de caractériser concrètement la surcharge de travail dont elle se prévaut, le fait de se retrouver seule pendant trois jours, en l’absence de ses deux collègues ne suffisant pas à établir ce fait.

Ainsi, alors qu’elle liste les tâches lui incombant, elle ne les quantifie pas et n’oppose par exemple aucun argument au relevé des appels téléphoniques sur les trois journées concernées produit par la SCP Ajilink [Y] [D] ou au tableau de synthèse qui démontre qu’il n’y a eu que 4 ouvertures de nouveaux dossiers sur la période du 23 au 25 avril 2018, alors qu’il y en avait eu une quinzaine par semaine sur les périodes précédant les vacances scolaires et judiciaires. Elle n’apporte aucune explication par ailleurs quant au fait que les dossiers qu’elle a choisi de ne pas traiter lui auraient été confiés bien en amont de cette période.

La SCP Ajilink [Y] [D] n’est par ailleurs pas utilement contredite lorsqu’elle rappelle que Mme [X] [P] ne devait assurer seule le secrétariat que pendant trois jours, soit du 23 au 25 avril 2018, Mme [N] n’étant absente que sur ces trois jours ainsi qu’en atteste le planning des congés et la fiche de salaire de cette dernière produits par l’employeur.

Au surplus, l’examen du planning des congés pour l’année 2018 démontre que Mme [N] devait être également seule au secrétariat pendant les 4 jours de congés à venir de Mme [X] [P], soit du 30 avril au 3 mai puis pour la journée du 7 mai 2018, cette situation particulière et ponctuelle s’expliquant par le congé maternité alors en cours de la troisième personne assurant également le service du secrétariat.

Le fait que postérieurement à sa démission, il ait été fait appel à une personne supplémentaire pour rattraper le travail en retard au niveau du secrétariat ne signifie pas pour autant que Mme [X] [P] avait été placée dans une situation de surcharge de travail.

Par ailleurs, elle procède par affirmation pour soutenir qu’il lui aurait été fait la menace de la priver de ses congés à venir si elle ne faisait pas l’entièreté de son travail.

Sans méconnaître le fait que Mme [X] [P] ait pu considérer comme stressant de devoir assurer seule le service du secrétariat de l’étude sur trois jours, comme elle avait pu le faire lors de la période des fêtes de fin d’année ou pendant la période estivale, il n’en demeure pas moins que d’une part sa lettre de démission est rédigée dans des termes non équivoques, et que d’autre part les griefs formulés de manière séparée mais concomitante à cette lettre ne sont pas démontrés.

En conséquence, c’est à tort que les premiers juges ont requalifié la démission de Mme [X] [P] en licenciement sans cause réelle et sérieuse et ont fait droit à ses demandes indemnitaires. Leur décision sera infirmée en ce sens

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;

Infirme le jugement rendu le 24 décembre 2019 par le conseil de prud’hommes de Nîmes,

Et statuant à nouveau,

Déboute Mme [X] [P] de l’ensemble de ses demandes,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette les demandes plus amples ou contraires,

Rappelle en tant que de besoin que le présent arrêt infirmatif tient lieu de titre afin d’obtenir le remboursement des sommes versées en vertu de la décision de première instance assortie de l’exécution provisoire,

Condamne Mme [X] [P] aux dépens de la procédure d’appel.

Arrêt signé par le président et par la greffiere.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x