Épuisement professionnel : 29 juin 2022 Cour d’appel de Limoges RG n° 21/00574

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Épuisement professionnel : 29 juin 2022 Cour d’appel de Limoges RG n° 21/00574

ARRET N° .

N° RG 21/00574 – N° Portalis DBV6-V-B7F-BIHEO

AFFAIRE :

Mme [M] [W] [J]

C/

Association ELISAD

PLP/MS

Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail

Grosse délivrée à Me Anne DEBERNARD-DAURIAC, Me Vincent BOURDON, avocats

COUR D’APPEL DE LIMOGES

CHAMBRE ECONOMIQUE ET SOCIALE

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ARRÊT DU 29 JUIN 2022

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Le vingt neuf Juin deux mille vingt deux la Chambre économique et sociale de la cour d’appel de LIMOGES a rendu l’arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :

ENTRE :

Madame [M] [W] [J]

née le 27 Janvier 1964 à , demeurant [Adresse 2]

comparante en personne, assistée de Me Vincent BOURDON, avocat au barreau de ROUEN

APPELANTE d’une décision rendue le 04 JUIN 2021 par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE GUERET

ET :

Association ELISAD, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Laurène ROUSSET-ROUVIERE de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, Me Anne DEBERNARD-DAURIAC, avocat au barreau de LIMOGES

INTIMEE

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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l’affaire a été fixée à l’audience du 16 Mai 2022. L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 avril 2022 .

Conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, Monsieur Pierre Louis PUGNET, Président de chambre, magistrat rapporteur, et Monsieur Jean-Pierre COLOMER, Conseiller, assistés de Monsieur Claude FERLIN, greffier , ont tenu seuls l’audience au cours de laquelle Monsieur Pierre Louis PUGNET a été entendu en son rapport oral.

Les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients et ont donné leur accord à l’adoption de cette procédure.

Après quoi, Monsieur Pierre Louis PUGNET, Président de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 29 Juin 2022 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.

Au cours de ce délibéré, Monsieur Pierre-Louis PUGNET a rendu compte à la Cour, composée de Monsieur Jean-Pierre COLOMER, Conseiller, de Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, et de lui même. A l’issue de leur délibéré commun, à la date fixée, l’arrêt dont la teneur suit a été mis à disposition au greffe.

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LA COUR

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EXPOSE DU LITIGE :

L’association ELISAD intervient auprès de personnes âgées, de personnes en situation de handicap, d’enfants ou de particuliers, de manière ponctuelle ou permanente pour les accompagner dans leur quotidien.

Mme [W]-[J] a été engagée par l’association ELISAD dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée du 26 juillet 1983, en qualité d’agent comptable.

Elle est par la suite devenue directrice de service.

Le 20 octobre 2016, la salariée a déclaré une maladie professionnelle, hors tableau, relative à un burn-out, prise en charge par la CPAM de Guéret suivant notification du 10 avril 2017.

Le 4 février 2019, dans le cadre d’une visite médicale, le médecin du travail a déclaré Mme [W]-[J] inapte à tous les postes.

Par courrier daté du 6 février 2019, l’association employeur a sollicité les directions de différentes associations ayant une activité similaire à la sienne, en vue d’un possible reclassement.

Les délégués du personnel ont été consultés le 6 février 2019 et ont constaté l’impossibilité dereclasser Mme [W]-[J] au sein de l’association.

Par un courrier du 14 février 2019, l’ELISAD a informé la salarié des motifs s’opposant à son reclassement et le 19 février suivant, elle a été convoquée à un entretien préalable fixé le 26 février 2019, entretien auquel elle n’a pu se rendre.

Le 1er mars 2019, Mme [W]-[J] s’est vue notifier son licenciement pour inaptitude sans possibilité de reclassement.

***

Considérant que son licenciement était nul en raison d’une situation de harcèlement à l’origine de son état de santé, Mme [W]-[J] a saisi le conseil de prud’hommes de Guéret d’une demande reçue le 25 février 2020.

Par jugement du 4 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Guéret a :

– dit que le licenciement pour inaptitude de Mme [W]-[J] est régulier et ne repose pas sur un harcèlement moral ;

– débouté Mme [W]-[J] de l’ensemble de ses demandes ;

– condamné Mme [W]-[J] à payer à l’Association ELISAD la somme de 750 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens y compris aux frais éventuels d’exécution du jugement à intervenir s’il y a lieu.

Parallèlement et par un jugement du 5 janvier 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Guéret a dit la maladie professionnelle de Mme'[W]-[J] due à la faute inexcusable de l’employeur.

Mme [W]-[J] a interjeté appel de la décision le 28 juin 2021. Son recours porte sur l’ensemble des chefs de jugement.

***

Aux termes de ses écritures du 4 mars 2022, Mme [W]-[J] demande à la cour de :

– réformer intégralement le jugement dont appel ;

Statuant à nouveau :

– à titre principal, de dire son licenciement nul, et condamner en conséquence l’association ELISAD au paiement d’une somme de 151 840 € de dommages-intérêts ;

A titre subsidiaire, de :

– dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

– condamner l’association ELISAD au paiement d’une somme de 94 900 € de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

– en tout état de cause, condamner l’association ELISAD au paiement d’une somme de 3 000 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Mme [W]-[J] soutient que l’inaptitude qui a motivé son licenciement trouve son origine dans des faits de harcèlement moral, l’employeur ayant clairement manqué à son obligation de sécurité de résultat. Ainsi, elle fait état de pressions injustifiées, d’une surcharge de travail, d’une volonté de déstabilisation, ainsi qu’un climat de travail dégradé, éléments démontrant un défaut d’exécution du contrat de travail dans des conditions normales, contraire au principe d’exécution de bonne foi du contrat. A titre subsidiaire elle invoque le manquement de son ancien employeur à son obligation de sécurité tirée des articles L 4121-1 et suivants du code du travail et à son obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail.

Aux termes de ses écritures du 29 novembre 2021, l’association ELISAD demande à la cour de :

– confirmer le jugement dont appel ;

– constater l’absence de harcèlement moral ;

– constater que la procédure de licenciement pour inaptitude a été parfaitement respectée ;

En conséquence, de :

– débouter Mme [W]-[J] de ses demandes afférentes à un licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse ;

– la débouter de l’ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire, si le licenciement devait être considéré comme étant dénué de cause réelle et sérieuse :

– de ramener le montant des dommages-intérêts alloués à de plus justes proportions, dans le barème prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail (entre 3 et 20 mois de salaire), Mme [W]-[J] ne pouvant là encore être dispensée de rapporter la preuve de son préjudice (réalité et quantum) ;

A titre infiniment subsidiaire, si la cour devait retenir que le licenciement est nul :

– de ne lui allouer qu’une somme inférieure à 6 mois de salaire, soit 28 470 €, Mme [W]-[J] ne pouvant être dispensée de rapporter la preuve de son préjudice (réalité et quantum) ;

En tout état de cause, de :

– condamner Mme [W]-[J] à lui verser la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

 

L’association ELISAD conteste l’existence de faits de harcèlement moral, indiquant que la reconnaissance d’une maladie professionnelle ne suffit pas à établir de tels faits. Ainsi, elle soutient avoir pris en compte les remarques de la salariée sur sa charge de travail, qui n’est que la résultante de ses lacunes, et objecte que rien ne prouve les comportements présumés de M. [L], président du conseil d’administration. Ainsi, l’association conteste avoir manqué à son obligation de sécurité dont elle conteste qu’elle puisse être une obligation de résultat. Elle indique ne pas remettre en question la réalité des difficultés traversées par l’appelante, mais contester que celles-ci puissent trouver leur cause dans une situation de harcèlement pour laquelle les trois conditions cumulatives ne sont en tout état de cause pas réunies. Elle conteste tout manquement à son obligation de sécurité, considérant que tout a été mis en oeuvre pour permettre à Mme [W]-[J] de mener à bien sa mission. Quant à la rupture du contrat de travail, elle affirme qu’elle s’est déroulée dans le respect des règles en vigueur, au regard de l’inaptitude établie par la médecine du travail et l’impossibilité de reclassement suite à la recherche menée par l’employeur.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 avril 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur le harcèlement moral :

Mme [W]-[J] considère que l’inaptitude prononcée par le médecin du travail est liée à l’attitude de son employeur constitutive d’une situation de harcèlement moral.

L’employeur qui n’a pas pu reclasser un salarié inapte peut procéder à son licenciement (c. trav., art. L. 1226-4) lequel est nul si l’inaptitude du salarié est consécutive à des actes de harcèlement moral.

Aux termes de l’article L.1152-1 du Code du travail : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Par ailleurs, l’article L. 1154-1 du même code, selon sa version en vigueur à l’époque des faits, précise en ses 1er et 2ème alinéas que, d’une part, « lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement » et que, d’autre part, « au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».

En l’occurrence c’est par de justes motifs, suffisamment détaillés, en fait et en droit, non remis en cause par de nouveaux éléments en cause d’appel, que les premiers juges ont estimé que les éléments invoqués par Mme [W]-[J] ne constituaient pas des agissements répétés de harcèlement moral au sens des dispositions de l’article L.1152-1 du Code du Travail.

Le seul témoignage qu’elle produit est une attestation, établie par Mme [N], laquelle évoque le trop volumineux travail que son supérieur hiérarchique lui demandait de réaliser et décrit précisément sa dégradation physique, avec l’apparition de larmes ou de tremblements, mais ne rapporte aucun fait précis et ce témoignage n’est corroboré par aucun autre élément.

Mme [W]-[J] ne rapportant pas la preuve d’agissements fautifs de la part de son président, M. [L], l’existence d’un harcèlement moral qui lui soit imputable n’est pas avérée.

Mme [W]-[J] ne conteste pas la régularité de la procédure de licenciement, après avis médical d’inaptitude à tout poste du 04/02/2019 et sans possibilité de reclassement, mais elle soutient, à titre subsidiaire, que son employeur a violé son obligation de sécurité à son égard.

Sur le manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité :

Il résulte des dispositions des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise et qu’il doit en assurer l’effectivité.

Dans ce cadre, il lui appartient de justifier qu’il a pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

L’article L. 4121-1 du Code du travail dispose que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à

l’amélioration des situations existantes ».

Le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu’il est démontré que l’inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée.

Mme [W]-[J] expose que les pressions injustifiées, la surcharge de travail et la volonté de déstabilisation qu’elle avait rencontrées, ainsi que l’ensemble du climat de travail dégradé qu’elle avait connu, ont contribué très directement à la détérioration de son état de santé, en violation de la part de son employeur de son obligation de sécurité.

La reconnaissance de l’épuisement professionnel dont a été victime Mme [W]-[J] a été prise en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie de la Creuse suivant notification du 10 avril 2017 après une enquête ayant démontré son ‘épuisement professionnel significatif (caractérisé surtout par un épuisement émotionnel ainsi qu’un épanouissement réduit) face à des exigences engendrant un stress chronique et un investissement démesuré au travail pour répondre à celles-ci. Les premiers signes sont relevés en 2007, l’épuisement est évoqué par le corps médical en 2009. Mme'[W] a poursuivi son activité jusqu’à la phase d’effondrement en 2016. Cet état s’accompagne d’une anxiété majeure, avec des symptômes ressemblant sur certains points à ceux du stress post-traumatique, en particulier depuis l’épisode de sensation d’étouffement avec panique en 2009 […]’ selon Mme'[E] [H], neuropsychologue, dans un compte-rendu de bilan de mars 2017.

Cette enquête a également recueilli l’avis du docteur, [I] [P], psychiatre, rédigé dans ces termes le 18 novembre 2016′: «’Le tableau actuel qui associe une symptomatologie anxieuse avec cet épuisement physique et psychologique fait évoquer un burn out.

L’investissement professionnel qui paraît très important, avec un poste à responsabilité et des conditions difficiles, elle dit être seule pour une grosse charge de travail, suggère l’origine professionnelle de cette décompensation. De plus il n’y a pas d’antécédent psychiatrique autre.

Conclusion pour répondre aux questions posées’:

Oui l’affection est caractérisée

Elle est en relation directe avec le travail

L’incapacité permanente partielle prévisible est de 25’%’

Quant au Dr.'[Y] [O], psychiatre psychothérapeute spécialement sollicité par le médecin du travail, il a écrit’le 22 janvier 2019 ‘ Je vous confirme qu’à mon avis, effectivement, il semble impossible d’envisager la reprise de travail de Mme'[W]-[J], au sein de l’association ELISAD…au sein de laquelle elle travaillait, quel que soit le poste.

Son état a résulté d’une pression professionnelle excessive à laquelle elle a longtemps fait face, et qui s’est soldée par une dépression d’épuisement professionnelle (alias ‘burn-out’), qui laisse des séquelles pour l’instant non réductibles malgré le traitement médicamenteux et le suivi psychiatrique.’

Mme'[W]-[J]’ est progressivement devenue responsable administrative, puis directrice de l’établissement de [Localité 3] en 1992 nécessitant des compétences dans des domaines très variés. Selon le « document unique de délégation professionnel » de mars 2009 sa mission générale consistait à manager le service prestataire et le service mandataire dans le cadre de la politique générale définie par le conseil d’administration. Le ‘périmètre de sa délégation’ était particulièrement étendue. Il était défini dans un document d’une page entière, recto verso, comportant 5 domaines d’intervention:

– La conduite de la définition et de la mise en oeuvre du projet de service, comprenant 11 mission détaillées,

– L’animation et la gestion des ressources humaines, comprenant 13 missions détaillées, de l’exercice du pouvoir disciplinaire à la réalisation de la saisie et du contrôle des paies,

– La gestion budgétaire, financière et comptable, comprenant 5 missions détaillées,

– La coordination avec les institutions et intervenants extérieurs, comprenant 6 missions détaillées,

– La vis institutionnelle, comprenant trois missions détaillées

L’association ELISAD dit concéder à Mme [W]-[J] un développement très rapide de la structure qui est passé en quelques années de 40 salariés à près de 150 (non justifié, le chiffre de 300 salariés étant par ailleurs évoqué sans être expressément démenti), ce qui a entraîné un surcroît de travail pour l’ensemble des salariés administratifs et surtout pour la directrice.

Par ailleurs l’employeur était parfaitement conscient de la très forte charge de travail que cela représentait pour Mme [W]-[J], dont il ne cessait de vanter les mérites à l’occasion de la présentation des rapports moraux lors des assemblées générales, et cela dès 2003 (‘ ne ménage pas sa peine’, ‘ ne ménage pas son temps’, ‘ est toujours- au four et au moulin-‘) soulignant l’importance de son investissement afin de permettre à la structure de conserver sa place sur le marché de l’aide à domicile malgré les contraintes financières.

Dans le rapport moral 2014 lors de L’assemblée générale du 21 octobre 2015, le président, M. [D] [L] évoquait la nécessité de licencier du personnel administratif pour réaliser de nouvelles économies de gestion, en précisant que la structure était en deçà des rations nationaux ce qui entraînait du stress, des souffrances et des risques d’erreur, que le personnel n’arrivait plus à faire face, qu’ils avaient une directrice pour 138,61 intervenants à domicile alors qu’au niveau national c’était de un pour 97,04. Il ajoutait même qu ‘il ne faut pas s’étonner si l’ensemble de ce personnel (administratif) est en grande souffrance, si la directrice a fait 2 burn out depuis le début de 2015 et si le CHSCT de notre association a exigé la prise urgente de mesures pour améliorer au plus vite la situation. Une situation qui met en danger la santé de notre personnel.’

Il a lui-même reconnu, quand il a été interrogé par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, le 13 décembre 2016, que le problème du manque de financement s’était répercuté sur le travail de tous les jours et que l’absence d’une équipe de direction complète avait induit un investissement de la part de la directrice sur un champ qui ne correspondait pas à sa mission première de pilotage et d’orientation.

Malgré cette connaissance avérée de la charge de travail excessive que Mme [W]-[J] devait assumer, et cela bien avant 2015 puisque en 2009 elle a été victime d’un malaise qualifié d’épuisement professionnel, son employeur, qui affirme avoir eu connaissance des nombreuses sollicitations et contraintes de son poste de travail et de ses limites (audition du 13/12/2016) ne justifie pas d’actions ayant eu pour objectif de remédier au danger que cela représentait pour son état sa santé. Il ne peut utilement chercher à mettre en cause les financeurs dont les décisions, même défavorables aux besoins de l’association, ne sauraient l’exonérer de sa propre responsabilité qui lui imposait de prendre, en interne, les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de la directrice.

Lorsque Mme [W]-[J] a été victime en 2015, de ce qu’il a appelé lui-même un ‘burn out’, l’employeur disposait de toute latitude, sans moyens financiers supplémentaires, pour refuser son retour avant la fin de son arrêt maladie, au lieu d’accepter de l’anticiper, ce qui constituait un comportement contraire à la protection de la santé de Mme [W]-[J], et qu’il a renouvelé lors de son deuxième ‘effondrement’ survenu en septembre 2016.

Durant plus de 20 d’exercice de ses fonctions de directrice, Mme [W]-[J] n’a bénéficié d’aucune formation spécifique pour exercer ses fonctions dans les domaines très variés précédemment décrits. Il n’est même pas justifié d’un aménagement de sa charge de travail pour suivre sa formation diplomante de niveau bac + 4 intitulé ‘directrice qualité’.

L’association ELISAD évoque comme exemple des mesures d’accompagnement et de soutien de Mme [W]-[J] le recrutement d’un directeur-adjoint à temps partiel. Toutefois, pour des raisons budgétaires explique M. [L], cette aide n’a duré qu’un an et demi. Il en va de même du recrutement, toujours à temps partiel, d’une responsable ressources humaines, là aussi très limité dans le temps.

Par ailleurs il ne saurait être efficacement reproché à Mme [W]-[J] de n’avoir pas suffisamment déléguer, en lui reprochant la réalisation de la paie alors que cette mission était inscrite dans son périmètre de délégation et que la comptable travaillait, elle aussi, à temps partiel.

L’association Alisad ne produit aucune réflexion, analyse, proposition ou projet, mené ou mis en oeuvre pour empêcher Mme [W]-[J] d’être victime de ce ‘surmenage professionnel.’

En définitive il est démontré que le licenciement Mme [W]-[J] est intervenu en conséquence de son inaptitude elle-même due à une maladie professionnelle médicalement qualifiée de syndrome d’épuisement professionnel laquelle est le résultat direct et certain d’un manquement de son ancien employeur, l’association ELISAD, à son obligation de sécurité.

Sur l’indemnisation :

En l’absence de harcèlement moral le licenciement de Mme [W]-[J] ne peut pas être considéré comme étant nul et elle doit être déboutée de sa demande en paiement d’une indemnité d’un montant de 151.840 €.

En revanche le manquement de son employeur à son obligation de sécurité, en lien direct avec son inaptitude, justifie de considérer son licenciement comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur ce fondement Mme [W]-[J] sollicite la condamnation de l’association ELISAD à lui verser une indemnité d’un montant de 94.900’€.

L’association ELISAD demande à la présente juridiction, dans une telle hypothèse, de réduire le montant des dommages et intérêts à de plus justes proportions, dans le barème prévu par l’article L.1235-3 du Code du travail (entre 3 et 20 mois de salaire).

Après une longue période d’arrêt de travail suivie de ce licenciement, Mme [W]-

[J] a obtenu la reconnaissance de la MDPH, a été admise au bénéfice de l’allocation de retour à l’emploi le 20 mai 2019 et elle est inscrite sur la liste des demandeurs d’emploi en catégorie 3 depuis le 4 mars 2019.

Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise (plus de dix salariés), des circonstances de la rupture, du montant de sa rémunération, de son âge, de son ancienneté, de sa reconnaissance de travailleur handicapé et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, il apparaît qu’il y a lieu de réparer son préjudice en lui allouant une indemnité de 70 846,65 € en application de l’article L. 1235-3 du code du travail.

Sur les demandes annexes :

L’association ELISAD, qui succombe dans ses prétentions, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et l’équité commande d’allouer à Mme [W]-[J], contrainte de faire valoir en justice ses justes droits une indemnité de 2 500 € au titre de ses frais irrépétibles.

—==oO§Oo==—

PAR CES MOTIFS

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La Cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Infirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Guéret rendu le 4 juin 2021 ;

Statuant à nouveau ;

JUGE que l’inaptitude de Mme [M] [W]-[J] résulte d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ;

DECLARE son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE l’association ELISAD à lui verser la somme de 70 846,65 € à titre de dommages et intérêts en application de l’article L. 1235-3 du code du travail ;

DEBOUTE Mme [W]-[J] du surplus de ses demandes et l’association ELISAD de l’intégralité de ses demandes ;

CONDAMNE l’association ELISAD aux dépens de première instance et d’appel ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE l’association ELISAD à verser à Mme [W]-[J] une indemnité de 2 500 € ;

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,

Sophie MAILLANT. Pierre-Louis PUGNET.

 


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