Épuisement professionnel : 27 janvier 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 20/01107

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Épuisement professionnel : 27 janvier 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 20/01107

ARRÊT DU

27 Janvier 2023

N° 77/23

N° RG 20/01107 – N° Portalis DBVT-V-B7E-S7EJ

FB/NB

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LILLE

en date du

30 Janvier 2020

(RG 18/00322)

GROSSE :

aux avocats

le 27 Janvier 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANT :

S.A.R.L. ABM en liquidation judiciaire

Me [R] [V] ès qualites de mandataire liquidateur de la SARL ABM

[Adresse 3]

représenté par Me Pierre DELANNOY, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Onurkan POLAT, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

Mme [G] [T]

[Adresse 1]

représentée par Me Charlotte BARGIBANT, avocat au barreau de LILLE

CGEA DE [Localité 4]

[Adresse 2]

représenté par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI substitué par Me Cecile HULEUX, avocat au barreau de DOUAI

DÉBATS : à l’audience publique du 10 Mai 2022

Tenue par Frédéric BURNIER

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Serge LAWECKI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Stéphane MEYER

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Béatrice REGNIER

: CONSEILLER

Frédéric BURNIER

: CONSEILLER

Le prononcé de l’arrêt a été prorogé du 30 septembre 2022 au 27 janvier 2023 pour plus ample délibéré.

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Janvier 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Frédéric BURNIER, conseiller et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 19 avril 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [G] [T] a été engagée par la société Bigophone, aux droits de laquelle la société ABM se trouve actuellement, pour une durée indéterminée à compter du 16 mars 1998, en qualité de standardiste dactylo.

Après plusieurs arrêts de travail pour maladie à compter du mois de mars 2016, Madame [T] a été déclarée inapte à son poste de travail selon avis du médecin du travail délivré le 11 octobre 2017.

Par lettre du 13 octobre 2017, Madame [T] a été convoquée pour le 20 octobre suivant, à un entretien préalable à son licenciement.

Par lettre du 2 novembre 2017, la société ABM a notifié à Madame [G] [T] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 21 mars 2018, Madame [G] [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Lille et formé des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’à l’exécution de son contrat de travail.

Par jugement du 28 mai 2018, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société ABM et par jugement du 6 novembre 2019 a prononcé sa liquidation judiciaire et désigné Maître [R] [V] en qualité de liquidateur judiciaire.

Par jugement du 30 janvier 2020, le conseil de prud’hommes de Lille a :

– dit que l’employeur n’avait pas respecté son obligation de reclassement;

– dit que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse;

– fixé la créance de Madame [T] au passif de la procédure collective de la société ABM aux sommes suivantes:

– 5 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail;

– 27 482,55 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

– 3 664,34 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis;

– 366,43 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférente;

– 2 000,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile;

– débouté Madame [T] du surplus de ses demandes;

– dit le jugement opposable à l’AGS ;

– laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.

Maître [R] [V], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société ABM, et l’AGS – CGEA de [Localité 4] ont régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 16 mars 2020, en visant expressément les dispositions critiquées.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 novembre 2020, Maître [R] [V], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société ABM, demande à la cour d’infirmer le jugement, de débouter Madame [T] de l’ensemble de ses demandes et de la condamner au paiement d’une indemnité de 2 000 euros pours frais de procédure ainsi qu’aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 août 2020, l’AGS – CGEA de [Localité 4] demande à la cour d’infirmer le jugement, de débouter Madame [T] de l’ensemble de ses demandes et de la condamner au remboursement des sommes avancées. Elle demande qu’il soit en tout état de cause fait application des limites légales de sa garantie.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 21 août 2020, Madame [G] [T], qui a formé appel incident, demande à la cour de confirmer le jugement, excepté en ce qu’il l’a déboutée du surplus de ses demandes, et, statuant de nouveau, de fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société ABM aux sommes de:

– 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive;

– 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 19 avril 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail

Selon l’article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

Madame [T] fait état d’une surcharge de travail et de pressions.

Toutefois, elle ne présente aucune précision concernant les circonstances et manifestations de cette prétendue dégradation de ses conditions de travail. L’attestation, dactylographiée et non signée, de Madame [C] ne fournit aucune information concernant la situation personnelle de Madame [T]. Les proches de l’intimée ne rapportent pas de descriptions que celle-ci aurait pu leur confier concernant l’évolution de son emploi. Enfin, il n’apparaît pas manifeste que le courriel daté du 12 mai 2017, par lequel la gérante de la société s’excusait auprès de son personnel pour ses sautes d’humeur, visait Madame [T], celle-ci étant alors en arrêt de travail pour maladie depuis le 10 novembre 2016.

En l’absence d’éléments circonstanciés susceptibles de décrire la réalité des conditions de travail de Madame [T], les documents médicaux produits, qui, certes, constatent un surmenage et un épuisement professionnel tout en soulignant un état psychologique fragilisé, ne peuvent suffire, seuls, à caractériser des manquements de l’employeur dans l’exécution du contrat de travail.

En revanche, il est constant que le médecin du travail a, le 19 octobre 2016, délivré un avis d’aptitude sous réserve d’un aménagement du poste de travail de Madame [T], en préconisant : ‘ne doit travailler que sur une ligne’.

Alors qu’il incombe à l’employeur de prouver qu’il s’est acquitté de l’ensemble de ses obligations visant à assurer la santé et la sécurité de ses salariés, le mandataire liquidateur n’établit pas que la société ABM a procédé à l’aménagement du poste de travail préconisé.

Or, il résulte d’un courrier du médecin du travail adressé au médecin traitant, daté du 9 novembre 2016, que l’inaptitude temporaire prononcée le jour-même est consécutive à un défaut d’aménagement du poste de travail. Madame [T] a été placée, à nouveau, en arrêt de travail pour maladie le 10 novembre 2016. Cet arrêt de travail a été prolongé jusqu’au licenciement pour inaptitude de l’intéressée.

Il n’est nullement démontré une impossibilité de procéder à l’aménagement prescrit.

Le manquement de l’employeur à son obligation d’adapter le poste de travail de la salariée conformément aux recommandations du médecin du travail constitue une violation de l’obligation générale d’exécution de bonne foi du contrat de travail.

Ce manquement ayant eu pour conséquence d’empêcher une reprise par la salariée de son emploi et de maintenir durablement celle-ci en arrêt de travail, c’est par une juste appréciation des éléments de la cause que les premiers juges ont évalué à la somme de 5 000 euros le préjudice en résultant pour l’intimée.

Le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive

Il n’est pas contesté que la société ABM a décidé d’échelonner le paiement de l’indemnité de licenciement. Par courrier de son conseil, daté du 19 décembre 2017, Madame [T] a indiqué n’accepter que parce qu’elle y était contrainte, en exigeant de recevoir le solde avant le 8 janvier 2018. Or, le solde a été réglé par chèque daté du 13 avril 2018 (7 034,98 euros), après que l’intéressée a saisi le conseil de prud’hommes.

Il s’ensuit, qu’en imposant à la salariée un paiement échelonné de l’indemnité de licenciement, l’employeur a commis une faute.

L’intimée justifie de difficultés financières à compter du mois de décembre 2017 (paiements rejetés pour défaut de provision, frais bancaires) qui auraient pu être évités si l’indemnité de licenciement d’un montant de 10 534 euros avait été intégralement versée au moment de la rupture du contrat de travail.

Dès lors, par infirmation du jugement entrepris, il convient de réparer le préjudice résultant de cette faute de l’employeur en allouant à Madame [T] la somme de 1 000 euros.

Sur le licenciement pour inaptitude

Il est constant que la méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte consécutivement à un accident non professionnel ou une maladie, dont celle imposant à l’employeur de consulter les délégués du personnel en application des dispositions de l’article L.1226-2 du code du travail, prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, alors que la société ABM a organisé l’élection des délégués du personnel le 13 juin 2017, il n’est nullement démontré que ceux-ci ont été consultés dans le cadre de la recherche de solutions de reclassement suite à l’avis d’inaptitude délivré à Madame [T] par le médecin du travail le 11 octobre 2017.

Ni la lettre du 12 octobre 2017 informant la salariée de l’impossibilité de procéder à son reclassement, ni la lettre de licenciement du 2 novembre 2017 n’évoquent une consultation des délégués du personnel.

Le mandataire liquidateur ne peut valablement arguer que l’employeur s’est trouvé dans l’impossibilité d’organiser cette consultation en raison de l’arrêt maladie d’une déléguée du personnel. D’une part, cette prétendue absence n’est aucunement étayée. D’autre part, à la supposer établie, cette absence n’était pas de nature à faire obstacle à la consultation requise puisque l’entreprise, qui employait 28 salariés, disposait d’une seconde déléguée du personnel titulaire ainsi que de deux déléguées suppléantes.

C’est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu que le licenciement prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement sans consultation préalable des délégués du personnel se trouvait dénué de cause réelle et sérieuse.

Il est constant que l’indemnité compensatrice de préavis est due au salarié dont le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l’employeur à son obligation de reclassement.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a alloué à Madame [T] les sommes, dont le quantum n’est pas discuté, de 3 664,34 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de 366,43 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférente.

L’entreprise comptait plus de dix salariés.

Au moment de la rupture, Madame [T], âgée de 42 ans, comptait plus de 19 années d’ancienneté. Elle justifie de sa situation de demandeur d’emploi jusqu’au 17 avril 2020.

Au vu de cette situation, du montant de la rémunération et de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, il convient, par réformation du jugement entrepris, d’évaluer son préjudice à la somme de 22 000 euros.

Sur les autres demandes

Sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a alloué à Madame [T] une indemnité de 2 000 euros destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu’elle a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et y ajoutant, de lui octroyer une indemnité de 1 000 euros en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a :

– dit le licenciement de Madame [G] [T] sans cause réelle et sérieuse,

– fixé la créance de Madame [G] [T] au passif de la procédure collective de la société ABM aux sommes de :

– 5 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,

– 3 664,34 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– 366,43 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférente,

– 2 000,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Infirme le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant :

Fixe la créance de Madame [G] [T] au passif de la procédure collective de la société ABM aux sommes suivantes :

– 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

– 22 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne Maître [R] [V], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société ABM, à verser à Madame [G] [T] la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Maître [R] [V], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société ABM, aux dépens de première instance et d’appel,

Déclare l’arrêt opposable à l’AGS – CGEA de [Localité 4] qui sera tenue de garantir, entre les mains du liquidateur, le paiement des sommes allouées à Madame [G] [T], dans les limites légales et réglementaires de sa garantie résultant des dispositions des articles L. 3253-17 et D.3253-5 du code du travail, à l’exclusion des sommes allouées sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens, et sous réserve de l’absence de fonds disponibles.

Le Greffier,

Annie LESIEUR

Pour le Président empêché

Frédéric BURNIER, conseiller

 


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