Épuisement professionnel : 26 octobre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/03909

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Épuisement professionnel : 26 octobre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/03909

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 6

ARRET DU 26 OCTOBRE 2022

(n° 2022/ , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/03909 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB62K

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Mai 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MEAUX – RG n° F19/00266

APPELANT

Monsieur [P] [U]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Christine CAMBOS, avocat au barreau de PARIS, toque : B0106

INTIMÉE

S.A.S. TRANSITIC SYSTEMS

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 septembre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

La société Transitic systems (SAS) a employé M. [P] [U], né en 1970, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2015 en qualité de chargé d’affaires, cadre.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de commerce de gros.

Sa rémunération mensuelle brute moyenne s’élevait en dernier lieu à la somme de 3 000 €. Il pouvait aussi percevoir des commissions de 1 % sur les commandes apportées par lui, facturées et réglées et des primes sur objectifs.

M. [U] a été en arrêt de travail pour maladie sans discontinuer à partir du 3 septembre 2018.

Par lettre notifiée le 13 mars 2019, M. [U] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de la société Transitic systems.

A la date de la prise d’acte de la rupture, M. [U] avait une ancienneté de 3 ans et 6 mois et la société Transitic systems occupait à titre habituel moins de onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Réclamant diverses indemnités consécutivement à la rupture de son contrat de travail, M. [U] a saisi le 5 avril 2019 le conseil de prud’hommes de Meaux et a formé les demandes suivantes :

« – Dire que la prise d’acte de la rupture du salarié en date du 13 mars 2019 était justifiée par des manquements suffisamment graves de l’employeur et qu’elle produit les effets à titre principal d’un licenciement nul et à titre subsidiaire d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– Condamner la société Transitic systems à payer à M. [U] les sommes suivantes :

– Indemnité pour licenciement nul : 40 553,63 €

– Subsidiairement

– Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 40 553,63 €

– A titre infiniment subsidiaire : 16 221,45 €

– En tout état de cause,

– Indemnité compensatrice de préavis : 9 000€

– Congés payés sur préavis : 900 €

– Indemnité légale de licenciement : 3 548,44 €

– Indemnité pour préjudice moral distinct : 16 221,45 €

– Article 700 du code de procédure civile : 4 000 €

– Certificat de travail, attestation Pôle Emploi sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard

– Intérêts au taux légal

– exécution provisoire (article 515 du Code de procédure civile) »

Et la société Transitic systems a formé les demandes reconventionnelles suivantes :

« – Dommages-intérêts pour non-respect du préavis : 9 000 €

– Article 700 du code de procédure civile : 5 000€ »

Par jugement du 28 mai 2020 auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud’hommes a débouté M. 

[U] de l’ensemble de ses demandes et la société Transitic systems de sa demande reconventionnelle et a condamné M. [U] aux dépens.

M. [U] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 2 juillet 2020.

La constitution d’intimée de la société Transitic systems a été transmise par voie électronique le 10 juillet 2020.

L’ordonnance de clôture a été rendue à la date du 21 juin 2022.

L’affaire a été appelée à l’audience du 12 septembre 2022.

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 5 mai 2022, M. [U] demande à la cour de :

« Infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Meaux en date du 28 mai 2020.

Statuant à nouveau :

A titre principal, requalifier la prise d’acte de rupture du contrat de travail de M. [U] en licenciement nul, et subsidiairement, en licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

En conséquence :

Condamner la société TRANSITIC à verser à M. [P] [U], en cas de licenciement nul la somme de 40.553,63 € (soit 10 mois de salaire)

Condamner la société TRANSITIC à verser à M. [P] [U], en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse (plafond du barème) la somme de 16.221,45 € (soit 4 mois de salaire).

En tout état de cause :

Condamner la société TRANSITIC à verser à M. [P] [U] la somme de 3.548,44 € au titre de l’indemnité légale de licenciement.

Condamner la société TRANSITIC à verser à M. [P] [U] la somme de 9.000,00 € au titre de l’indemnité de préavis.

Condamner la société TRANSITIC à verser à M. [P] [U] la somme de 900 € au titre de l’indemnité de congés payés sur préavis.

Ordonner la Remise des documents légaux rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard.

Condamner l’employeur au paiement de l’intérêt légal à compter l’introduction de l’instance devant le Conseil de Prud’hommes de Meaux.

Débouter la société TRANSITIC de son appel incident au motif que la demande d’effectuer le préavis n’a jamais été formulée au moment de la prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié.

Débouter la société TRANSITIC de ses demandes fins et conclusions.

Condamner la société TRANSITIC à verser à M. [P] [U] la somme de 4.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile. »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 22 décembre 2020, la société Transitic systems demande à la cour de :

« Confirmer la décision du Conseil de Prud’hommes en ce qu’elle a débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes.

La réformer en ce qu’elle a débouté la société TRANSITIC de ses demandes reconventionnelles.

Y ajoutant ;

Débouter Monsieur [U] de l’ensemble de ses demandes ;

Le condamner reconventionnellement au paiement de :

– 9.900 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du préavis,

– 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Le condamner aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel. »

Lors de l’audience présidée selon la méthode dite de la présidence interactive, le conseiller rapporteur a fait un rapport et les conseils des parties ont ensuite plaidé par observations et s’en sont rapportés pour le surplus à leurs écritures ; l’affaire a alors été mise en délibéré à la date du 26 octobre 2022 par mise à disposition de la décision au greffe (Art. 450 CPC)

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud’hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties auxquelles il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l’article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, M. [U] invoque les faits suivants :

– des reproches mensongers et vexatoires, des propos humiliants et dénigrants, à répétition,

– une dévalorisation infondée du travail du salarié,

– mettant systématiquement en échec les efforts du salarié,

– imposant unilatéralement une modification des fonctions du salarié,

– des propos tournant en dérision la gravité de l’état de santé de son salarié,

– des propos l’incitant à quitter la société

– aucun décompte de la durée de travail du salarié, au mépris des obligations légales.

– les alertes du salarié pour dénoncer ses conditions de travail, n’ont pas empêché l’employeur de l’importuner de manière répétée, y compris pendant ses arrêts-maladie, maintenant une pression continuelle (demandes de transmission des dossiers en cours, codes d’accès à la messagerie modifiés, brutal retrait du véhicule de fonction, etc.)

– sa commission pour l’année 2018, d’un montant de 6 904,11 €, récompensant son volume de commande de 746 062,49 € ne lui a été versée qu’en juin 2019, pendant l’instance prud’homale.

Pour étayer ses affirmations, M. [U] produit notamment deux attestations (pièces salarié n° 46 et 47), le courrier du 26 septembre 2018 dans lequel il signale le harcèlement moral qu’il subit et la dégradation de ses conditions de travail et la réponse de la société Transitic systems (pièces salarié n° 6 et 7), des courriers électroniques dont ceux du 29 août 2018 et du 3 septembre 2018 de M. [U] (pièces salarié n° 7 à 10), des copies d’écran de SMS (pièces salarié n° 12 et 13) et les pièces relatives à la restitution du véhicule.

M. [U] établit ainsi l’existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.

En défense, la société Transitic systems fait valoir :

– Monsieur [C], dirigeant de l’entreprise, a souhaité interpeller le salarié par un mail du 29 août 2018 ; l’interpellation n’a pas plu à M. [U] qui a alors réagi en reconnaissant son manque de résultats mais en tentant d’en rejeter la responsabilité sur une prétendue désorganisation de l’entreprise (pièces employeur n° 4 et 5) ; finalement, les parties ont convenu de se voir le 11 septembre pour discuter de l’évolution de la relation de travail mais à compter du 3 septembre, M. [U] « s’est placé » (sic) en arrêt de travail

– les dossiers traités par M. [U] n’ont pas pu aboutir de son fait et non du fait de la société Transitic systems

– les SMS ne prouvent aucunement que M. [U] travaillait tard jusqu’à 20 heures

– l’évolution professionnelle de M. [U] à compter du 16 mai 2018 n’est pas une rétrogradation mais un changement d’affectation que l’employeur pouvait décider comme le contrat de travail le prévoit

– comme pour l’activité logistique à laquelle il était affecté avant l’été 2018, son affectation à l’activité textile de l’entreprise a fait l’objet d’un accompagnement et d’une formation dont M. [Y] atteste (pièce employeur n° 25)

– le courrier électronique du 29 août 2018 de M. [C] n’est que l’expression d’une inquiétude légitime et une rencontre a donc été fixée au 11 septembre 2018

– au lieu d’accepter la main tendue de l’employeur, M. [U] a changé d’avis et « comme cela est tristement banal dans ce type de situation, l’argument bien classique du manque prétendu de formation était alors invoqué » (sic)

– M. [C], « fortement interpellé par une telle mauvaise foi et lui a alors rappelé un certain nombre de choses et notamment le fait qu’il n’avait jamais réussi à faire aboutir un dossier seul » dans un courrier électronique du 3 septembre 2018

– « c’est donc dans ce contexte que M. [U] s’est placé en arrêt maladie »

– M. [U] a été sollicité plusieurs fois parce qu’il ne répondait pas « ponctuellement au téléphone » (sic)

– sa messagerie professionnelle n’a pas été bloquée, il y avait un problème technique lié à la migration des boites mails

– il y a une différence entre stress et harcèlement moral

– M. [U] souffre de bipolarité et une crise est déclenchée par un stress même léger ; les troubles anxio-dépressifs dont M. [U] souffrent n’ont pas lieu d’être rattachés à des faits de harcèlement moral

– « M. [U] ose instrumentaliser à des fins exclusivement financières et spéculatives, une pathologie visiblement ancienne et pour laquelle la société Transitic systems n’a aucune responsabilité est d’une rare malhonnêteté intellectuelle. »

– l’attestation de M. [B] ne concerne pas M. [U]

– l’attestation de M. [W] est dépourvue de valeur probante.

Il est constant que M. [C] a adressé des courriers électroniques à M. [U] le 29 août 2018 à 17h45 et le 3 septembre 2018 à 9h54, ce dernier étant une réponse à un courrier électronique de M. [U] de 8h42 et que M. [U] a été placé en arrêt de travail pour maladie par son psychiatre le 3 septembre 2018 pour le motif médical suivant « état dépressif majeur + anxiété + épuisement professionnel ».

M. [U] mentionne qu’un entretien téléphonique a eu lieu au cours duquel M. [C] lui a dit « je n’ai jamais eu un commercial aussi mauvais que vous » propos que la société Transitic systems conteste mais qui est aussi rapporté par un témoin ; en effet M. [W] atteste notamment en ce qui concerne M. [U] « j’ai constaté Mr [C] [G] incendier [P] [U] au téléphone au cours duquel Mr [C] a littéralement rabaissé [P] en l’insultant de moins que rien et en lui disant sans cesse que c’était le pire commercial jamais connu. Il n’a fait qu’hurler tout au long de la discussion. » (pièce salarié n° 46).

La cour constate que :

– M. [C] lui a adressé le SMS suivant alors qu’il était en arrêt de travail pour maladie « On est au courant que tu es en arrêt maladie depuis l’envoi de mon mail en raison d’une prise de conscience de tes responsabilités. A voir le message de ta messagerie, faudra voir si tu comptes jouer les prolongations :-). Pour ta boîte mail, pour rappel; Merci de contacter [R] [A]. »

– M. [C] lui a adressé un courrier électronique le 3 septembre 1018 à 9h54 dont la teneur suit : « Ton approche est « stupéfiante ». II n’y a aucune demande que tu as apporté que nous avons « avorté! (sauf si cette demande n’est pas de notre ressort, ce qui peut arriver).

Bien au contraire, nous avons tout mis en ‘uvre pour répondre à l’ensemble de tes demandes, et ce malgré la médiocrité de ta compréhension des besoins clients car jamais ton cahier des charges ne fût compréhensible ou encore complet. Notre BE a passé des milliers d’heures à travailler / échanger avec toi sur tes dossiers et aucun dossier n’a réussi à aboutir! Est-ce Transific’

Les seuls dossiers qui ont abouti, sont soit des clients existants, soit des dossiers portés par les autres commerciaux. ([K], [L] ou moi-même).

De mémoire – et sauf erreur de ma part – tu n’as depuis ton arrivée chez nous jamais réussi à porter un dossier seul l’offre à la signature. Est-ce Transitic’

A fortiori, nous n’aurions pas travaillé et perdu autant de temps sur tes dossiers si nous pensions que de toute manière ils n’allaient pas aboutir.

II nous faudra trouver d’autres excuses [P]. Je te signale que ton « pipe » est vide depuis plus de 6 mois. Est-ce Transitic’

C’est le moment idéal pour se poser les bonnes questions … Ce job « projet – processus » est-il réellement fait pour rnoi’

Es -ce que tu te sens confortable avec la représentation des produits VEIT en IDF’

Cordialement »

A l’examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que la société Transitic systems échoue à démontrer que les faits matériellement établis par M. [U] (des reproches mensongers et vexatoires, des propos humiliants et dénigrants, à répétition, une dévalorisation infondée du travail du salarié mettant en échec ses efforts, des propos tournant en dérision la gravité de l’état de santé de son salarié, des propos l’incitant insidieusement à quitter la société) sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; en effet la société Transitic systems ne prouve ni même n’invoque aucun élément objectifs étrangers à tout harcèlement pour justifier que M. [C] hurle et insulte M. [U] au téléphone, qu’il lui adresse un SMS provocateur et narquois pendant son arrêt de travail pour maladie et qu’il lui adresse le 3 septembre 2018 un courrier électronique humiliant à la réception duquel il a décompensé et a dû aller consulter son psychiatre qui l’a placé en arrêt de travail pour maladie pour le motif médical suivant « état dépressif majeur + anxiété + épuisement professionnel ».

La cour retient donc que le harcèlement moral est établi.

Sur la prise d’acte de la rupture

Il est constant que le contrat de travail de M. [U] a été rompu par la prise d’acte de la rupture du 13 mars 2019.

Il entre dans l’office du juge, dans le contentieux de la prise d’acte de la rupture, de rechercher si les faits invoqués justifient ou non la rupture du contrat et de décider par la suite si cette dernière produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d’une démission.

Il résulte de la combinaison des articles L 1231 ‘ 1, L 1237 ‘ 2 et L 1235 ‘ 1 du code du travail que la prise d’acte ne permet au salarié de rompre le contrat de travail aux torts de l’employeur qu’en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.

Il appartient au salarié d’établir les faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur.

En ce qui concerne le risque de la preuve, lorsque le juge constate qu’il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués par le salarié à l’appui de sa prise d’acte, il peut estimer à bon droit que le salarié n’a pas établi les faits qu’il alléguait à l’encontre de l’employeur comme cela lui incombait ; en effet, c’est au salarié d’apporter la preuve des faits réels et suffisamment graves justifiant la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur ; il appartient donc au juge de se prononcer sur la réalité et la gravité des faits allégués par le salarié à l’appui de sa prise d’acte et non de statuer « au bénéfice du doute ».

L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige ; le juge est tenu d’examiner les manquements de l’employeur invoqué devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnées dans cet écrit.

A l’appui de sa demande de prise d’acte aux torts de l’employeur, M. [U] soutient que la société Transitic systems a commis les manquements suivants :

– M. [U] a subi des agissements répétés qui ont conduit à une dégradation de ses conditions de travail du fait de l’organisation interne peu efficace et du comportement méprisant et humiliant de M. [C], et de sa santé ;

– M. [U] a subi des agissements de harcèlement moral du fait des propos dénigrants et humiliants tenus par M. [C] ;

– l’employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat (l’employeur n’a pas pris de mesures adéquates à la suite de son signalement du 26 septembre 2018) ;

– l’employeur a manqué à son obligation d’adapter le salarié à son poste (l’employeur n’a bénéficié d’aucune formation sérieuse ou d’adaptation en 3 ans en dépit du caractère technique des solutions vendues) ;

– l’employeur a manqué à son obligation de loyauté (l’employeur lui a& ordonné de restituer son véhicule de fonction pendant son arrêt maladie et a modifié sa rémunération en supprimé l’indemnité afférente).

La cour a retenu plus haut que le moyen tiré du harcèlement moral est bien fondé.

Dans ces conditions, et sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner chacun des faits invoqués à l’appui des manquements, la cour retient que la prise d’acte de M. [U] est justifiée du fait des agissements de harcèlement moral qu’il a subis et que la rupture du contrat de travail de M. [U], imputable à la société Transitic systems, produit les effets d’un licenciement nul en application de l’article L.1152-3 du code du travail.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a jugé que la rupture du contrat de travail de M. [U] n’est pas imputable à faute à la société Transitic systems et qu’elle produit les effets d’une démission, et statuant à nouveau de ce chef, la cour dit que la rupture du contrat de travail de M. [U], imputable à la société Transitic systems, produit les effets d’un licenciement nul sur le fondement de l’article L.1152-3 du code du travail.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul

M. [U] demande la somme de 40 553,63 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ; la société Transitic systems s’oppose à cette demande.

Tout salarié victime d’un licenciement nul qui ne réclame pas sa réintégration à droit, quelle que soit son ancienneté dans l’entreprise, d’une part, aux indemnités de rupture, d’autre part, une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération de M. [U], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour retient que l’indemnité à même de réparer intégralement le préjudice de M. [U] doit être évaluée à la somme de 20 000 €.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a débouté M. [U] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul et statuant à nouveau de ce chef, la cour fixe la créance de M. [U] au passif de la société Transitic systems à la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Sur l’indemnité compensatrice de préavis

M. [U] demande la somme de 9 000 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ; la société Transitic systems s’oppose à cette demande.

La cour constate que M. [U] était cadre et que le délai de préavis est donc de 3 mois l’indemnité de préavis doit donc être fixée sans que cela ne soit utilement contredit à la somme de 9 000 €.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a débouté M. [U] de sa demande formée au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société Transitic systems à payer à M. [U] la somme de 9 000 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis.

Sur l’indemnité compensatrice de congés payés afférente à la période de préavis

M. [U] demande la somme de 900 € au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente à la période de préavis ; la société Transitic systems s’oppose à cette demande.

L’indemnité de congés payés est sans que cela ne soit contredit égale au dixième de la rémunération totale perçue par le salarié au cours de la période de référence ayant déterminé le droit et la durée des congés ; la présente juridiction a fixé à la somme de 9 000 €,

l’indemnité compensatrice de préavis due à M. [U] ; en conséquence, l’indemnité compensatrice de congés payés afférente à la période de préavis due à M. [U] est fixée à la somme de 900 €.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a débouté M. [U] de sa demande formée au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente à la période de préavis, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société Transitic systems à payer à M. [U] la somme de 900 € au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente à la période de préavis.

Sur l’indemnité de licenciement

M. [U] demande la somme de 3 548,44 € au titre de l’indemnité légale de licenciement ; la société Transitic systems s’oppose à cette demande.

Il résulte de l’examen des pièces versées aux débats, que le salaire de référence s’élève à 3 000 € par mois.

Il est constant qu’à la date de la rupture du contrat de travail, M. [U] avait une ancienneté de 3 ans et 6 mois et donc au moins 8 mois d’ancienneté ; l’indemnité légale de licenciement doit donc lui être attribuée ; cette indemnité ne peut être inférieure à une somme calculée sur la base d’un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans et sur la base d’un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans (Art. R. 1234-1 et suivants du code du travail) ; les années incomplètes doivent être retenues, la fraction de l’indemnité de licenciement afférente à une année incomplète étant proportionnelle au nombre de mois de présence ; pour le calcul du montant de l’indemnité, l’ancienneté prise en considération s’apprécie à la date de fin du préavis ; l’indemnité légale de licenciement doit donc être fixée à la somme de 2 812,50 € calculée selon la formule suivante : [(3 ans + 3/4)] x 1/4] x salaire.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a débouté M. [U] de sa demande formée au titre de l’indemnité de licenciement, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société Transitic systems à payer à M. [U] la somme de 2 812,50 € au titre de l’indemnité de licenciement.

Sur l’application de l’article L.1235-4 du code du travail

L’article L.1235-4 du code du travail dispose « Dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées. ».

Le licenciement de M. [U] ayant été nul, il y a lieu à l’application de l’article L.1235-4 du Code du travail ; en conséquence la cour ordonne le remboursement par la société Transitic systems aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à M. [U], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.

Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral

La cour constate que M. [U] n’a pas repris dans le dispositif de ses conclusions son moyen relatif aux dommages et intérêts pour préjudice moral distinct.

Cette demande ne sera donc pas examinée par la cour au motif que l’article 954 du code de procédure civile dispose notamment que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.

Sur la délivrance de documents

M. [U] demande la remise de documents (certificat de travail, bulletins de paie, attestation destinée à Pôle Emploi) sous astreinte.

Il est constant que les documents demandés lui ont déjà été remis ; il est cependant établi qu’ils ne sont pas conformes ; il est donc fait droit à la demande de remise de documents formulée par M. [U].

Rien ne permet de présumer que la société Transitic systems va résister à la présente décision ordonnant la remise de documents ; il n’y a donc pas lieu d’ordonner une astreinte.

Le jugement déféré est donc infirmé sur ce point, et statuant à nouveau, la cour ordonne à la société Transitic systems de remettre M. [U] le certificat de travail, les bulletins de paie et l’attestation destinée à Pôle Emploi, tous ces documents devant être établis conformément à ce qui a été jugé dans la présente décision.

Sur la demande reconventionnelle

La demande reconventionnelle formulée par la société Transitic systems est rejetée du fait que la prise d’acte est justifiée.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu’il a débouté M. [U] de sa demande reconventionnelle.

Sur les autres demandes

Les dommages et intérêts alloués seront assortis des intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Les autres sommes octroyées qui constituent des créances salariales, seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la société Transitic systems de la convocation devant le bureau de conciliation.

La cour condamne la société Transitic systems aux dépens de la procédure de première instance et de la procédure d’appel en application de l’article 696 du Code de procédure civile.

Le jugement déféré est infirmé en ce qui concerne l’application de l’article 700 du Code de procédure civile.

Il apparaît équitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de condamner la société Transitic systems à payer à M. [U] la somme de 3 000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

L’ensemble des autres demandes plus amples ou contraires formées en demande ou en défense est rejeté, leur rejet découlant des motifs amplement développés dans tout l’arrêt.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME le jugement sauf en ce qu’il a débouté la société Transitic systems de sa demande reconventionnelle et M. [P] [U] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct ;

Statuant à nouveau et ajoutant,

DIT que la rupture du contrat de travail de M. [P] [U], imputable à la société Transitic systems, produit les effets d’un licenciement nul sur le fondement de l’article L.1152-3 du code du travail ;

CONDAMNE la société Transitic systems à payer à M. [P] [U] les sommes de :

– 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

– 2 812,50 € au titre de l’indemnité de licenciement,

– 9 000 € au titre de l’indemnité de préavis,

– 900 € au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente à la période de préavis ;

DIT que les dommages et intérêts alloués à M. [P] [U], sont assortis d’intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

DIT que les créances salariales allouées à M. [P] [U], sont assorties d’intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la société Transitic systems de la convocation devant le bureau de conciliation ;

ORDONNE à la société Transitic systems de remettre M. [P] [U] le certificat de travail, les bulletins de paie et l’attestation destinée à Pôle Emploi, tous ces documents devant être établis conformément à ce qui a été jugé dans la présente décision,

ORDONNE le remboursement par la société Transitic systems aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à M. [P] [U], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage,

CONDAMNE la société Transitic systems à verser à M. [P] [U] une somme de 3 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

CONDAMNE la société Transitic systems aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT

 


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