Épuisement professionnel : 26 octobre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/03432

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Épuisement professionnel : 26 octobre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/03432

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 6

ARRET DU 26 OCTOBRE 2022

(n° 2022/ , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/03432 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB4CG

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Mars 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRETEIL – RG n° F 18/01151

APPELANTE

Madame [G] [P]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Jonathan CADOT, avocat au barreau de PARIS, toque : R222

INTIMÉE

S.A.S. PHOENIX PHARMA

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représentée par Me Blandine DAVID, avocat au barreau de PARIS, toque : L0165

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 13 septembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS ET DU LITIGE

Le 21 novembre 2011, Mme [G] [P] a été engagée par la SAS Phoenix Pharma en qualité de responsable de centre d’appel national avec le statut de cadre, sous un contrat de travail à durée indéterminée et avec une reprise d’ancienneté au 2 novembre 2011.

Elle bénéficiait du statut de travailleur handicapé pour la période du 23 août 2016 au 24 mars 2024.

En dernier lieu, sa rémunération brute mensuelle était de 4.395,53 euros.

Dans le cadre de ses fonctions, Mme [G] [P] était rattachée au siège de la société situé à [Localité 2] et placée sous la responsabilité de M. [T] [J], directeur commercial & marketing.

La société SAS Phoenix Pharma est une filiale du Groupe Phoenix Pharma, spécialisée dans la distribution pharmaceutique, et ayant pour activité principale d’approvisionner les pharmacies en médicaments. Elle dispose de 22 agences sur l’ensemble du territoire national et emploie 1250 salariés.

La convention collective applicable à l’entreprise est celle de la répartition pharmaceutique du 7 janvier 1992 .

A compter d’avril 2015, M. [T] [J] a été remplacé par Mme [B] [R], directrice commerciale, qui devenait ainsi la nouvelle N+1 de Mme [P].

A compter du 16 mars 2017, Mme [P] a été placée en arrêt-maladie jusqu’au 31 mars 2017. Par la suite, elle renouvellera ses arrêts de travail pour une durée totale de plus de dix mois.

Par courrier du 22 décembre 2017, Mme [P] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement initialement fixé au 5 janvier 2018, puis reporté au 30 janvier 2018.

Le 7 février 2018, la société Phoenix Pharma lui a notifié son licenciement, en invoquant une absence prolongée désorganisant l’entreprise et rendant nécessaire son remplacement.

Son contrat a pris fin à l’expiration de son préavis de trois mois le 9 mai 2018.

Par requête du 27 juillet 2018, reçue le 31 juillet 2018, Mme [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Créteil aux fins de voir la société Phoenix Pharma condamnée sur le fondement des demandes suivantes :

dire et juger qu’elle a subi des faits constitutifs d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, et d’exécution loyale du contrat de travail ;

En conséquence :

fixer le salaire de référence à 4.395,53 euros bruts mensuels ;

condamner la société Phoenix Pharma à lui verser une somme de 39 560 euros nets (9 mois) à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat, et en tout état de cause, pour exécution déloyale du contrat de travail.

dire et juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

En conséquence :

condamner la société Phoenix Pharma à lui verser à titre principal la somme de 43.955 euros nets (10 mois) et à titre subsidiaire une somme de 30.769 euros nets (7 mois) à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

assortir la condamnation des intérêts au taux légal avec capitalisation ;

condamner la société Phoenix Pharma à lui verser la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile

ordonner l’exécution provisoire sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile.

condamner la société Phoenix Pharma aux entiers dépens.

Par jugement en date du 5 mars 2020, le conseil de prud’hommes de Créteil a débouté Mme [P] de l’ensemble de ses demandes :

Fixé la rémunération mensuelle moyenne de Mme [G] [P] à 4.395,53 euros ;

Dit que le licenciement pour cause réelle et sérieuse de Mme [G] [P] est justifié;

Débouté Mme [G] [P] de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la SAS Phoenix Pharma ;

Débouté la société Phoenix Pharma de sa demande d’application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamné Mme [G] [P] aux éventuels dépens comprenant les éventuels frais d’exécution en application de l’article 699 du Code de procédure civile.

Par déclaration d’appel en date du 8 juin 2020, Mme [G] [P] a interjeté appel de ce jugement devant la cour d’appel de Paris.

Dans ses ultimes conclusions remises au greffe et notifiées le 24 juin 2022, Mme [G] [P] demande à la cour de :

-la déclarer recevable et bien fondée en son appel

-confirmer le jugement rendu le 5 mars 2020 par le conseil de prud’hommes de Créteil en ce qu’il a :

fixé la rémunération mensuelle moyenne de Mme [G] [P] à 4.395,53 euros bruts mensuels ;

débouté la société SAS Phoenix Pharma de sa demande d’application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– infirmer pour le surplus le jugement rendu le 05 mars 2020 par le conseil de prud’hommes de Créteil

Statuer à nouveau

– prononcer que Mme [G] [P] a subi des faits constitutifs d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, et en tout état de cause, d’exécution loyale du contrat de travail,

En conséquence :

– condamner la société Phoenix Pharma à verser à Mme [G] [P] une somme de 39.560 euros nets (9 mois) à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat, et en tout état de cause, pour exécution déloyale du contrat de travail.

– prononcer le licenciement de Mme [G] [P] dépourvu de cause réelle et sérieuse

En conséquence :

– condamner la société Phoenix Pharma à verser à Mme [G] [P] à titre principal la somme de 43.955,00 euros nets (10 mois) et à titre subsidiaire une somme de 30.769 euros nets (7 mois) à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

– assortir la condamnation des intérêts au taux légal avec capitalisation

– condamner la société Phoenix Pharma à verser à Mme [G] [P] la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procedure civile

– condamner la société Phoenix Pharma aux entiers dépens.

Dans ses ultimes conclusions remises au greffe et notifiées le 12 mai 2022, la société SAS Phoenix Pharma demande à la cour de :

– constater l’absence d’effet dévolutif de l’appel interjeté par Mme [G] [P] ;

En conséquence, dire n’y avoir lieu de statuer sur les demandes présentées par Mme [G] [P] devant la cour d’appel ;

A titre subsidiaire, si la cour estimait que la déclaration d’appel du 8 juin 2020 a produit un effet dévolutif,

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Créteil le 5 mars 2020 en ce qu’il a jugé que le licenciement pour cause réelle et sérieuse de Mme [G] [P] était justifié et débouté cette dernière de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la société Phoenix Pharma ;

En conséquence :

– dire et juger que le licenciement de Mme [G] [P] repose bien sur une cause réelle et sérieuse ;

– Dire et juger Mme [G] [P] non fondée en l’intégralité de ses demandes ;

– Débouter, en conséquence, Mme [G] [P] de l’ensemble de ses demandes ;

A titre infiniment subsidiaire, dans l’hypothèse où, par impossible, la cour estimerait que le licenciement de Mme [G] [P] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse et entrerait en voie de condamnation à l’encontre de la société Phoenix Pharma,

– limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à trois mois de salaire brut,

– débouter Mme [G] [P] du surplus de ses demandes.

La clôture a été prononcée par ordonnance en date du 28 juin 2022.

MOTIFS :

– Sur l’effet dévolutif de l’appel interjeté par Mme [G] [P]

L’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel, ayant abrogé l’arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel, dispose que : « Le message de données relatif à une déclaration d’appel provoque un avis de réception par les services du greffe, auquel est joint un fichier récapitulatif reprenant les données du message. Ce récapitulatif accompagné, le cas échéant, de la pièce jointe établie sous forme de copie numérique annexée à ce message et qui fait corps avec lui tient lieu de déclaration d’appel, de même que leur édition par l’avocat tient lieu d’exemplaire de cette déclaration lorsqu’elle doit être produite sous un format papier ».

La circulaire du ministère de la justice du 4 août 2017 présentant les dispositions du décret n°2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile est venue préciser que : « Dans la mesure où le RPVA ne permet l’envoi que de 4080 caractères, il pourra être annexé à la déclaration d’appel une pièce jointe la complétant afin de lister l’ensemble des points critiqués du jugement. Cette pièce jointe, établie sous forme de copie numérique, fera ainsi corps avec la déclaration d’appel. L’attention du greffe et de la partie adverse sur l’existence de la pièce jointe pourra opportunément être attirée par la mention de son existence dans la déclaration d’appel »

L’article 901 du code de procédure civile, dans sa version issue du décret n° 2022-245 du 25 février 2022, fait désormais expressément référence à l’annexe de la déclaration d’appel : « La déclaration d’appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le cinquième alinéa de l’article 57, et à peine de nullité ».

Conformément à l’article 6 du décret n° 2022-245 du 25 février 2022, les dispositions de l’article 901 sont applicables aux instances en cours.

L’article 2 de l’arrêté du 25 février 2022 modifiant l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel prévoit : « L’article 4 de l’arrêté du 20 mai 2020 susvisé est remplacé par les dispositions suivantes « Lorsqu’un document doit être joint à un acte, ledit acte renvoie expressément à ce document. « Ce document est communiqué sous la forme d’un fichier séparé du fichier visé à l’article 3. Ce document est un fichier au format PDF, produit soit au moyen d’un dispositif de numérisation par scanner si le document à communiquer est établi sur support papier, soit par enregistrement direct au format PDF au moyen de l’outil informatique utilisé pour créer et conserver le document original sous forme numérique. ». L’article 3 dudit arrêté précise que les dispositions ci-dessus, entrées en vigueur le lendemain de sa publication, soit à compter du 27 février 2022, sont applicables aux instances en cours.

La validité du recours à une annexe jointe à la déclaration d’appel n’est plus conditionnée à un empêchement technique depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2022-245 du 25 février 2022.

Aux termes de son avis du 8 juillet 2022, la Cour de cassation, amenée notamment à se prononcer sur l’application de la loi dans le temps, a répondu que les nouvelles dispositions régissaient, dans les instances en cours, les déclarations d’appel formées antérieurement à leur entrée en vigueur et qu’elles avaient pour effet de conférer validité aux déclarations d’appel formées antérieurement à leur entrée en vigueur, pour autant que celles-ci n’avaient pas été annulées par une ordonnance du magistrat compétent qui n’avait pas fait l’objet d’un déféré dans le délai requis, ou par l’arrêt d’une cour d’appel statuant sur déféré.

Ainsi, les dispositions du décret et de l’arrêté précités, entrés en vigueur le 27 février 2022, s’appliquent aux instances en cours, ce qui a pour effet de régulariser les déclarations d’appel antérieures dès lors que la déclaration d’appel renvoyait expressément au fichier PDF joint listant les chefs du jugement critiqués.

En l’espèce, l’objet de la déclaration d’appel du 8 juin 2020, est libellé dans les termes suivants : « Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués selon la pièce jointe faisant corps avec la déclaration d’appel ». Ainsi, l’appel de Mme [P] produit son effet dévolutif puisque l’ensemble des chefs de jugement critiqués sont contenus dans une annexe faisant corps avec le message de la déclaration d’appel à laquelle cette dernière renvoie expressément. Tout moyen contraire sera donc rejeté.

– Sur l’obligation de sécurité de la société Ph’nix Pharma

L’article L. 4121-1 du code du travail dispose que ‘L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adéquation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.’

Dès lors que le salarié invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité, il revient à l’employeur de démontrer l’absence de manquement de sa part à son obligation de sécurité. La constatation d’un tel manquement suffit à engager la responsabilité de l’employeur, dès lors que sont établis la conscience du danger qu’avait ou aurait dû avoir l’employeur (ou son préposé substitué) auquel il exposait le salarié et l’absence de mesures de prévention et de protection.

L’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires à la protection des salariés contre les risques psycho-sociaux qui sont à l’origine d’une altération de la santé mentale et physique des salariés, tel notamment que le stress au travail. L’obligation de sécurité de l’employeur implique au préalable une identification de ces risques psycho-sociaux en vue de les prévenir ou de les faire cesser.

Il convient de déterminer si, indépendamment de la caractérisation ou non d’un harcèlement moral, l’employeur a agi de manière appropriée à la suite des alertes données par la salariée conformément au droit commun de l’obligation de sécurité. Le comportement de l’employeur doit alors être apprécié à l’aune des dispositions générales des articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail.

En l’espèce les échanges de courriels produits aux débats par Mme [P] démontrent que celle-ci subissait des reproches vifs et réitérés de la part de sa responsable Mme [B] [R], directrice commerciale.

Par courriel du 17 mai 2016 cette dernière lui avait, entre autres injonctions, intimé d’avoir à intégrer Mme [Y] au sein du service. La réponse circonstanciée de Mme [P] démontre qu’elle avait pourtant déjà mis en ‘uvre toutes les mesures nécessaires afin de faciliter l’intégration de cette dernière, qui allait être placée sous sa responsabilité mais dont elle avait été évincée du processus de recrutement par la directrice. Le reproche s’était donc avéré injustifié puisque Mme [R] n’évoquait plus ce point par la suite.

Ensuite, Mme [R] reprochait à Mme [P] la mauvaise qualité de la communication interne sur la mise en place du guide vocal alors que c’est elle-même qui avait validé le travail proposé par Mme [P]. Concernant le reproche relatif aux clients non reconnus et les prospects qui n’avaient aucun moyen de la joindre, encore une fois, Mme [R] avait validé les procédures internes.

Le reproche relatif au recrutement pour l’agence de [Localité 5] en juin 2016 n’apparaissait pas davantage fondé car Mme [P] avait bien avisé sa supérieure hiérarchique qu’il n’était pas possible de procéder à un recrutement interne pour pourvoir 3 postes vacants au sein de l’agence.

Le 5 décembre 2016, Mme [R] reprochait à nouveau à Mme [P] d’avoir décidé du transfert vers le « service Clients » des appels du « service Pharminfo » dont les membres étaient absents pour suivre une formation les 17 et 18 novembre 2016. Or, il est établi que Mme [P] n’était pas à l’origine de cette décision qui émanait en réalité d’un autre service.

En février 2017, Mme [R] reprochait à Mme [P] son absence pour suivre la formation MBA en management à [3] de [Localité 4] alors qu’elle l’avait validée quelques jours plus tôt.

Dès le 8 juin 2016, Mme [P] avait écrit à M. [M], DRH, en lui rappelant que ce dernier devait revenir vers elle pour l’organisation d’un rendez-vous avec Mme [R] mais qu’elle n’avait pas eu de retour. Ce courriel demeurait sans réponse.

Par e-mail du 27 juin 2017, un groupe de salariés utilisait la procédure interne de signalement des violations du code de conduite pour dénoncer, auprès du Compliance manager du groupe basé en Allemagne, les méthodes de management de Mme [R].

Par e-mail du 30 juin 2017, le Compliance manager accusait réception de ce message. Le 4 juillet 2017, il demandait des preuves « solides » car cela rendrait « l’enquête » plus facile. Aucune suite ni aucune enquête n’apparaissait cependant avoir été menée. Les salariés le recontactaient en janvier 2018 en déplorant qu’aucune action n’ait été menée. Le 8 janvier 2019, le Compliance manager exposait qu’une enquête appropriée était menée…La société ne devait pourtant jamais en justifier.

M. [I] [U] [E], représentant du personnel chez Phoenix Pharma, attestait que la société était informée des agissements de Mme [R] non seulement à l’égard de Mme [P] mais également envers d’autres salariés. Il précisait avoir été avisé de la situation dès le mois de mai 2016 par Mme [P] et témoignait de ce que cette dernière était dans un état de stress important et néfaste pour sa santé. Il avait contacté le représentant de sa chambre syndicale afin d’obtenir les informations et pouvoir la conseiller au mieux sur la manière de se défendre. Il lui avait indiqué d’aller voir la médecine du travail dans un premier temps, ce qu’elle avait fait et d’alerter le DRH, ce qu’elle avait fait aussi. Le représentant de sa chambre syndicale et lui-même avaient ensuite conseillé à Mme [P] de faire un signalement auprès de l’inspection du travail, mais cette dernière avait refusé de le faire par peur de représailles, le signalement du DRH ayant déjà eu pour effet d’aggraver la situation. Le témoin ajoutait qu’aucune action n’avait été entreprise par le DRH pour solutionner le problème. En tant que membre du CHSCT, il avait pour sa part tenté de déclencher une enquête mais celle-ci n’avait jamais été suivie d’effet.

M. [C] [F], chargé de coordination entre les sections syndicales et la CDFT-SECIF, avait confirmé avoir été sollicité par plusieurs salariés de Phoenix Pharma dès la fin d’année 2016 pour signaler des difficultés avec leur responsable hiérarchique.

Mme [H] [S], ayant occupé les fonctions de Responsable Grands Comptes de la région Est d’octobre 2015 à juin 2018 au sein de l’entreprise Phoenix Pharma avait eu à collaborer avec Mme [R], directrice commerciale et marketing qui était sa N+2, à partir de 2015. Elle attestait que dès son arrivée, le climat social au sein de la direction commerciale s’était fortement dégradé. En effet, son management était basé sur un climat de tension, de suspicion et de pression. Elle indiquait avoir démissionné pour cette raison en 2018.

Mme [L] [A], directrice régionale des ventes chez Phoenix Pharma, attestait avoir constaté un mode de fonctionnement particulier de Mme [R] à son égard : ordres donnés à l’oral, contredits immédiatement par écrit, remarques dégradantes et injustifiées. Elle avait dû subir un arrêt de travail pendant trois semaines.

En dépit des éléments ci-dessus retracés, la société n’a pris aucune mesure de nature à protéger les salariés contre les risques psycho-sociaux portés à sa connaissance. Elle n’a pas davantage mis en ‘uvre une enquête ni même des investigations afin d’identifier ces risques, et d’agir en conséquence.

Mme [P] s’est trouvée exposée à un stress permanent et prolongé conduisant à un épuisement professionnel de nature à entraîner une dégradation de son état de santé. Les éléments du débat, ci-dessus retracés caractérisent un lien entre la maladie de la salariée et un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

En s’abstenant d’agir, la société Phoenix Pharma a manqué à son obligation de prévention des risques professionnels consacré par l’article L 4121-1 du code du travail.

L’état de santé de Mme [P] s’est gravement détérioré suite à son exposition au risque.

Elle a subi une crise d’angoisse suivie d’une perte de connaissance le 15 mars 2017 nécessitant son transport aux urgences de l’hôpital de [Localité 2] par les sapeurs-pompiers. Le lendemain, elle était reçue par le médecin du travail, le Dr [O] qui préconisait la prescription d’un arrêt de travail dans les termes suivants:

« Cher confrère,

Je vois ce jour votre patiente Mme [P], salariée qui m’explique sa situation qui dure depuis 1AN.

Elle a fait hier un épisode d’angoisse panique au travail qui a nécessité son hospitalisation.

Je pense qu’il faut la mettre en recul de son travail quelques temps tout en lui permettant de faire sa formation qui pour elle revêt un caractère important.

Merci de la revoir et lui prescrire un arrêt de travail.

Les Urgences conseillent de la mettre à un psychiatre »

Elle devait être suivie régulièrement par un psychiatre.

Son état de santé ne s’améliorant pas, ses arrêts de travail étaient systématiquement prorogés et elle ne devait pas reprendre son poste jusqu’à son licenciement le 7 février 2018. Elle se trouvait prise en charge au titre de la législation sur les accidents de travail.

Il résulte de ce qui précède que l’absence prolongée de Mme [P] à compter du 16 mars 2017 avait pour cause le manquement par la société Phoenix Pharma à son obligation de sécurité.

La société qui ne justifie donc pas avoir pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de Mme [P] a manqué à ses obligations à cet égard.

A supposer que cette absence de la salariée ait pu entraîner une désorganisation de l’entreprise, la société ne pouvait pas s’en prévaloir pour fonder le licenciement.

En effet, lorsque l’absence prolongée du salarié pour cause de maladie résulte d’un manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité, ses conséquences sur le fonctionnement de l’entreprise ne peuvent être invoquées pour justifier un licenciement.

Du reste, la société Phoenix Pharma est une entreprise de près de 353 salariés à l’agence de [Localité 2] et emploie près de 1250 salariés en France. L’absence de Mme [P] n’a entraîné aucun dysfonctionnement puisque, même lors d’absences prévisibles et autorisées par la direction, c’est Mme [N] [Y] qui reprenait ses fonctions. L’absence était exclusivement limitée au centre d’appels du service clients et la société ne démontre nullement que l’absence prolongée de Mme [P] avait eu des répercussions au niveau de l’entreprise dans son ensemble.

Dès lors la demande indemnitaire formée par Mme [P] au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité est fondée et il lui sera accordé de ce chef une indemnité de 5000 euros.

En outre, le licenciement de Mme [P] s’est trouvé dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu’il a jugé que le licenciement était fondé et a rejeté les demandes indemnitaires de la salariée.

Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mme [P] soulève l’inconventionnalité des barèmes fixés par l’article L.1235-3 du code du travail tant au regard de de l’article 24 de la Charte sociale européenne du 3 mai 1996 qu’au regard de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT.

Il a néanmoins été jugé que les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu’ils prennent des actes complémentaires d’application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. L’invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Il a également été jugé que ces mêmes dispositions étaient de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et dès lors les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée. Il appartient donc à la cour d’apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l’article L. 1235-3 du code du travail.

Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération de Mme [P], de son âge au moment du licenciement (48 ans), de son ancienneté (6 ans et 3 mois), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle (cette dernière s’étant inscrite à Pôle Emploi, se trouvant toujours au chômage, en fin de droit depuis le 18 juillet 2020, et ayant le statut de travailleur handicapé), la cour retient que l’indemnité à même de réparer de manière adéquate le préjudice de Mme [P] doit être évaluée à la somme de 30 000 euros.

La société Phoenix Pharma sera donc condamnée à paiement de ce chef et le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a rejeté ce chef de demande.

En application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail la société Phoenix Pharma sera condamnée à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage payées entre le jour du licenciement et le jugement, dans la limite de trois mois.

Les indemnités seront libellées en brut et non en net étant précisé que les sommes allouées à titre indemnitaire seront exonérées de cotisations sociales dans les conditions légales et réglementaires applicables

Il y a lieu d’ordonner la capitalisation des intérêts.

La société Phoenix Pharma sera condamnée à verser à Mme [P] une somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

DIT que la déclaration d’appel est revêtue d’un effet dévolutif et rejette tout moyen contraire.

INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté la société Phoenix Pharma de sa demande d’application de l’article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau,

DIT que Mme [G] [P] a subi des faits constitutifs d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et condamne la société Phoenix Pharma à lui verser une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts de ce chef.

DIT que le licenciement de Mme [G] [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamne la société Phoenix Pharma à lui verser à ce titre 30 000 euros de dommages et intérêts.

CONDAMNE la société Phoenix Pharma à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage payées entre le jour du licenciement et le jugement, dans la limite de trois mois, en application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail .

DIT que les indemnités auxquelles la société Phoenix Pharma est condamnée sont libellées en brut et non en net étant précisé que les sommes allouées à titre indemnitaire seront exonérées de cotisations sociales dans les conditions légales et réglementaires applicables

ORDONNE la capitalisation des intérêts.

CONDAMNE la société Phoenix Pharma à verser à Mme [P] une somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE la société Phoenix Pharma aux entiers dépens.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE

 


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