ARRÊT DU
25 Novembre 2022
N° 1956/22
N° RG 20/02048 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TGXR
LB/VM
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LILLE
en date du
04 Septembre 2020
(RG 16/01536 -section 4)
GROSSE :
aux avocats
le 25 Novembre 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [N] [U]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Mario CALIFANO, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Aurélie BERTIN, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
S.A. BIGBEN INTERACTIVE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI substitué par Me Cecile HULEUX, avocat au barreau de DOUAI, assistée de Me Cédric RUMAUX, avocat au barreau de LILLE,
DÉBATS : à l’audience publique du 06 Octobre 2022
Tenue par Laure BERNARD
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Gaëlle LEMAITRE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
Laure BERNARD
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 14 Septembre 2022
EXPOSE DU LITIGE
M. [N] [U] a été engagé par la société Bigben Interactive à compter du 1er octobre 2002 en qualité de chef de produit, puis de responsable propriété intellectuelle et conformité.
Suite au rachat d’une partie de l’activité du groupe Modelabs par la SA Bigben Interactive, la SASU Bigben Connected a été créée. M. [N] [U] a été engagé par cette dernière, tout en continuant de travailler pour la société Bigben Interactive.
Par courrier du 26 février 2016, M. [N] [U] a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable qui s’est déroulé le 8 mars 2016.
Par courrier du 11 mars 2016, M. [N] [U] la société Bigben Connected a notifié à M. [N] [U] son licenciement pour causes réelles et sérieuses’ et l’a dispensé d’effectuer le préavis d’une durée de trois mois.
Le 29 novembre 2016, M. [N] [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Lille aux fins principalement de contester le bien fondé de son licenciement, d’obtenir les indemnités afférentes et d’obtenir diverses sommes en exécution de son contrat de travail.
Par jugement rendu le 4’septembre’2020 et notifié le 10’septembre’2020, la juridiction prud’homale, section encadrement, a :
– dit le licenciement justifié par une cause réelle et sérieuse,
– débouté M. [N] [U] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné M. [N] [U] aux dépens de l’instance,
– condamné M. [N] [U] à payer à la SASU Bigben Connected 1 000’euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [N] [U] a régulièrement interjeté appel contre ce jugement par déclaration du 1er’octobre’2020.
Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 22’novembre’2021, M. [N] [U] demande à la cour de’:
– infirmer le jugement déféré,
– dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– dire que la convention collective Syntec est applicable,
– condamner la SASU Bigben Connected à lui payer les sommes suivantes’:
* 120’000’euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 162’263,60’euros à titre de rappels de salaire sur minima conventionnels, outre la somme de 16’263,60’euros au titre des congés payés s’y rapportant,
* 19’396,97’euros à titre de complément d’indemnité conventionnelle de licenciement,
* 24’117,21’euros à titre de rappel sur les primes de participation,
* 2’759,68’euros au titre des jours de RTT restant dus (sauf à parfaire),
* 20’000’euros à titre d’indemnité pour non-respect des dispositions des articles L.4121-1 et suivants du code du travail,
* 2’500’euros par application de l’article 700 du code de procédure civile’;
– condamner la SASU BIGBEN CONNECTED aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 9’mars’2021, la SASU Bigben Connected demande à la cour de’:
– confirmer le jugement entrepris,
– débouter M. [N] [U] de l’intégralité de ses demandes,
– condamner M. [N] [U] à lui payer 3’000’euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [N] [U] aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel.
Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA en application de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 14’septembre’2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la convention collective applicable
M. [N] [U] invoque l’application de la convention Syntec et non celle de la convention de commerce de gros, faisant état de ce que la société Bigben Connected exerce une activité de conception de jeux vidéo. Il souligne que les anciens salariés de la société Modelabs bénéficiaient de l’application de la convention Syntec.
La société Bigben Connected conteste l’application de la convention Syntec faisant valoir que son activité principale est la commercialisation d’accessoires de téléphonie mobile ; que si le groupe a bien développé une activité d’édition de jeux vidéo, il s’agissait d’une activité accessoire dont le développement a justifié la création ultérieure d’une nouvelle filiale, Nacon, en 2019.
Le champ d’application de la convention Syntec concerne notamment l’édition de jeux électroniques.
Il est démontré par l’intimée que seule une partie de l’activité du groupe Modelabs a été rachetée par la société Bigben Interactive, celle de commercialisation d’accessoires de téléphonie mobile, et qui donnait lieu à application de la convention collective de commerce de gros.
Le développement de l’activité d’édition de jeux vidéo a conduit à la création d’une nouvelle filiale (Nacon), en 2019, soit postérieurement au licenciement de M. [N] [U].
Le site internet de la société Bigben Connected fait apparaître qu’elle commercialise en ligne des accessoires de téléphonie mobile et aucun jeu vidéo. Il s’agit de son activité principale et cette activité correspond au code NAF 46.52Z.
Dans ces conditions, c’est à juste titre qu’il a été fait application de la convention de commerce de gros dans les relations entre les parties. Le jugement de première instance doit dès lors être confirmé sur ce point.
Sur les sommes sollicitées en exécution du contrat de travail
Est réputé être conclu à temps plein tout contrat de travail conclu en méconnaissance de l’article L. 3123-14 du code du travail qui prévoit d’établir par écrit les contrats à temps partiel ; en l’absence d’un écrit constatant l’existence d’un contrat de travail à temps partiel, le contrat qui a lié les parties est présumé conclu pour un horaire à temps complet justifiant le paiement du revenu minimal prévu par la convention collective applicable.
Si l’absence d’écrit fait présumer un temps complet, l’employeur qui conteste cette présomption, a toutefois la faculté d’apporter la preuve de l’existence d’un contrat de travail à temps partiel
L’employeur qui conteste la présomption de temps complet, peut rapporter la preuve qu’il s’agissait d’un emploi à temps partiel en établissant que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’était pas tenu de se tenir constamment à la disposition de son employeur.
M. [N] [U] soutient qu’il travaillait pour la société Bigben Connected à temps complet, et qu’il est bien fondé à se prévaloir de la classification 3.3 de la convention Syntec, qui prévoit une rémunération mensuelle minimale de 5 435,10 euros ; que son employeur est donc redevable de la somme de 162’263,60’euros à titre de rappels de salaire sur minima conventionnels, outre la somme de 16’263,60’euros au titre des congés payés s’y rapportant.
La société Bigben Connected expose que M. [N] [U] travaillait pour elle à hauteur de 30, 33 heures par mois ; que M. [N] [U] restait en effet employé par la société Bigben Interactive à hauteur de 121,34 heures par mois et que sa charge de travail ne correspondait nullement à deux temps complets, soit 70 heures par semaine.
En l’espèce, il n’existe aucun contrat de travail écrit signé par les parties. En l’absence de contrat de travail à temps partiel écrit, il appartient à la société Bigben Connected de démontrer que M. [N] [U] travaillait effectivement à temps partiel.
L’intimée produit les fiches de paie de M. [N] [U] dont la lecture révèle que celui-ci, initialement exclusivement salarié de la société Bigben Interactive a reçu à compter du mois de septembre 2013 une rémunération mensuelle brute de 800 euros de la société Bigben Connected, avec mention d’un temps de travail de 30,33 heures par mois. L’absence de contestation de ces fiches de paie ne vaut cependant pas acceptation par le salarié d’un contrat de travail à temps partiel.
La société Bigben Connected se contente d’affirmer que M. [N] [U] ne travaillait pas de manière assidue, utilisant sa messagerie à des fins personnelles et gérant ses problèmes personnels durant son temps de travail ; elle produit à l’appui de ses affirmations des copies de newletter reçues en nombre sur sa messagerie professionnelle et une attestation de l’un de ses collègues, M. [W].
Elle n’apporte cependant pas d’élément permettant d’objectiver la durée hebdomadaire pendant laquelle il était convenu que M. [N] [U] soit à sa disposition (aucun listing précis des dossiers qui lui étaient confiés, ni du temps de travail qui devait y être consacré, aucun accord entre les parties quant à l’organisation temporelle du temps de travail du salarié).
Le fait que M. [N] [U] soit également employé par une autre société ne permet pas de considérer que les parties avaient convenues d’une organisation du temps de travail entre les deux sociétés et que le salarié avait la possibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler pour la société Bigben Connected et quand il devait se tenir à sa disposition.
La société Bigben connected ne rapporte donc pas la preuve que M. [N] [U] n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’était pas tenu de se tenir constamment à sa disposition.
Ainsi, les éléments apportés par la société Bigben Connected sont insuffisants pour combattre la présomption de temps de travail à temps complet liée à l’absence de contrat à temps partiel écrit, de sorte que la cour ne peut que retenir que M. [N] [U] travaillait pour cette société à temps complet.
Dans la mesure où la convention Syntec n’est pas applicable et M. [N] [U] est bien fondé à solliciter un rappel de salaire équivalent à un temps complet, soit la somme de 71 278, 69 euros, outre 7 127,87 euros au titre des congés payés afférents.
Tenant compte du salaire rectifié, il sera fait droit à la demande de rappel de prime de participation, calculée sur la base d’une rémunération erronée, à hauteur de 11 344,12 euros.
Concernant le rappel de RTT, faute d’élément apporté par les parties sur l’application d’un avenant RTT, M. [N] [U] sera débouté de sa demande.
Le jugement du conseil de prud’hommes sera en conséquence infirmé en ce qu’il a débouté M. [N] [U] de ses demandes relatives à l’exécution du contrat de travail.
Sur le caractère abusif du licenciement
Aux termes de l’article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre.
Il est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur. Il forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, si besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ; afin de déterminer si les faits imputés au salarié sont ou non établis, les juges du fond apprécient souverainement la régularité et la valeur probante des éléments de preuve qui leur sont soumis. La lettre de licenciement fixe les limites du litige.
M. [N] [U] conteste le bien fondé de son licenciement, l’employeur soutenant quant à lui que celui-ci est justifié.
M. [N] [U], engagé en qualité de responsable propriété intellectuelle et conformité, s’est vu notifier le 11 mars 2016, après une mise à pied à titre conservatoire, son licenciement pour ’causes réelles et sérieuses’ et a été dispensé par son employeur d’effectuer le préavis d’une durée de trois mois.
Le service juridique comptait, au moment du licencement, trois salariés : M. [N] [U] chef de service, M. [F] [W] juriste en propriété intellectuelle engagé en septembre 2015, et Mme [R] [K], assistante.
Les motifs visés par l’employeur dans la lettre de licenciement sont les suivants :
– absence d’aboutissement de la procédure de recrutement d’un collaborateur en propriété intellectuelle initiée en 2013,
– manque de réactivité dans la gestion du dossier Quicksilver,
– absence de traitement en direct du dossier Orange,
– mise à l’écart de M. [F] [W] et recours excessif aux conseils extérieurs : comportement démontrant un refus d’appliquer les directives de la hiérarchie et en totale contradiction avec ce qu’on peut attendre d’un manager du niveau de M. [N] [U].
La société Bigben Connected évoque dans ses écritures une difficulté concernant l’organisation (classement et archivage) et la complétude des dossiers dont M. [N] [U] avait la charge. Celle-ci n’a pas à être examinée par la cour, s’agissant d’un élément qui ne figure pas dans la lettre de licenciement. Il en est de même pour celle relative aux risques psycho-sociaux auxquels M. [N] [U] aurait exposé ses collègues, et notamment Mme [K].
Concernant l’échec de la procédure de recrutement d’un collaborateur, s’il est bien démontré que la société Bigben Connected avait initié en 2013 une procédure de recrutement pour un juriste en propriété intellectuelle, M. [N] [U] établit, par la production des échanges de mails avec la directrice des ressources humaines, qu’il s’est impliqué dans la procédure de recrutement et qu’il a procédé aux entretiens avec elle. Il ne ressort d’aucune pièce que M. [N] [U] soit à l’origine du fait que cette procédure n’ait pas abouti.
S’agissant du dossier Quiksilver, la société Bigben Connected soutient que le manque de diligence de M. [N] [U] dans la gestion du dossier Quicksilver et notamment dans la dénonciation du contrat de licences a causé un préjudice financier important à la société. M. [N] [U] conteste avoir reçu pour instruction de dénoncer les contrats de licences dès septembre 2015.
Les échanges de mails entre M. [H] (directeur général de la société) et M. [N] [U] d’une part et M. [H] et Mme [G] (interlocutrice de la société Quicksilver) d’autre part, font apparaître qu’en septembre 2015, M. [H], compte tenu de l’annonce de la mise en faillite de la société Quicksilver, a sollicité M. [N] [U] le 9 septembre 2015 pour prendre toute mesure pour sauvegarder les intérêts de la société Bigben Connected et que celui-ci lui a répondu le 14 septembre 2015 qu’après vérification, le contrat signé avec la société Quicksilver ne prévoyait pas de résiliation anticipée au motif du placement de cette société sous Chapter 11 ; qu’une procédure de renégociation du contrat a donc été initiée immédiatement par M. [H], avec toutefois le souci de préserver les intérêts de Bigben Connected, dans l’éventualité d’une future dénonciation du contrat en 2016 ; que suite à un entretien avec Mme [G] sur les performances des ventes des produits Quicksilver le 14 décembre 2015, M. [I] [H] lui a indiqué que la société souhaitait désormais une sortie du contrat, et lui a fait une proposition en ce sens ; que celle-ci a été refusé par mail du 17 décembre 2015 adressé à M. [H] seul ; que ce n’est que le 8 février 2016, sur relance de Mme [G], que M. [N] [U] et M. [W] ont été sollicités par M. [H] afin de préparer une nouvelle proposition de sortie de contrat.
Ainsi, il n’est pas caractérisé de manque de diligence de M. [N] [U] dans la gestion de ce dossier, étant observé que la société Bigben Connected ne précise pas à quelles conditions le contrat Quicksilver a finalement été dénoncé et en quoi celles-ci ont été plus défavorables à la société que si elles avaient été négociées en septembre 2015.
Concernant le dossier Orange, la société Bigben Connected soutient que M. [N] [U] ne l’a pas traité en interne, en dépit des moyens (équipe interne) mis à sa disposition, et qu’il a eu un recours non justifié aux prestataires extérieurs. M. [N] [U] conteste ne pas avoir traité ce dossier.
Le simple fait que des échanges soient intervenus entre Maître Debiesse, avocat, et M. [N] [U] dans ce dossier ne suffit pas à caractériser le fait que ce dernier s’en soit déchargé totalement sur des tiers ; M. [N] [U] verse en effet aux débats des échanges avec les collaborateurs internes de la société et l’interlocuteur de la société Orange dans lesquels il donne son avis et ses recommandations sur la mise en conformité des produits aux normes communautaires et françaises.
Concernant la mise à l’écart de M. [F] [W] et le recours excessif aux conseils extérieurs, il doit être relevé qu’il n’est produit par la société aucun écrit permettant d’établir que M. [N] [U] avait reçu pour instruction de limiter le recours aux prestataires extérieurs en raison du recrutement de M. [F] [W], juriste.
De fait, les pièces produites établissent qu’après le départ de M. [N] [U], en dépit de la réorganisation du service juridique, aucune baisse des honoraires d’avocats n’est intervenue.
Si M. [W] a adressé à certains collaborateurs extérieurs de la société en octobre 2015 (alors qu’il avait été engagé un mois auparavant) un mail sollicitant d’être mis en copie de tous les échanges avec le service juridique et si Mme [K] atteste que celui-ci n’était pas toujours en copie des mails envoyés par M. [N] [U] aux collaborateurs extérieurs, il ne peut en être déduit une mise à l’écart systématique de M. [W] par M. [N] [U].
L’attestation rédigée par M. [W] dans laquelle celui-ci évoque sa mise à l’écart des dossiers, la rétention d’information par M. [N] [U] et le recours excessif aux prestataires extérieurs doit être reçue avec prudence. En effet, celui-ci évoque son ancien responsable dans des termes qui reflètent son absence de considération, le décrivant comme ayant ‘un simple rôle de boîte aux lettres’ et indiquant ‘j’ai dû subir en open space d’interminables entretiens téléphoniques avec nos prestataires où ceux-ci lui expliquaient les dossiers que M. [U] ne maîtrisait nullement et se contentait de prendre des notes et de les retranscrire sur les documents corespondants’. Ce salarié, auteur de 10 mails à charge envoyés à la direction et à la responsable des ressources humaines le 8 février 2016 et le 23 février 2016 a été nommé responsable juridique, et chef du service juridique en lieu et place de M. [N] [U].
Il doit être relevé que l’enquête interne mentionnée par l’employeur dans la lettre de licenciement correspond en réalité à la réception en février 2016 par la responsable des ressources humaines de courriels émanant de :
– M. [F] [W] le 8 février 2016 et le 23 février 2016 qui évoque des dysfonctionnements du service juridique imputables à M. [N] [U] et qui indique ‘je ne peux donc que m’en remettre à vous afin que soit arrêtée une décision susceptible de satisfaire mes préoccupations et mettre un terme à la situation à laquelle je suis confronté’,
– Mme [R] [K] le 18 février 2916, qui évoque l’ambiance pesante de travail au sein du service juridique, qui loue les qualités de M. [F] [W], et souligne que le problème vient du fait que M. [N] [U] ne partage pas cet avis sur ce dernier,
– M. [I] [H] qui indique le 23 février 2016 : ‘depuis l’arrivée de [F] [W], je constate une amélioration très sensible du delivery sur les dossiers (…). BBC est plus à même d’avancer sur les sujets d’IPR, comme Force Glass, avec le concours de [F] notamment.’
A aucun moment les difficultés managériales imputées à M. [N] [U], et notamment la nécessité de mieux intégrer M. [W], nouvellement arrivé au sein de la société, dans le fonctionnement du service juridique n’ont été évoquées par l’employeur auprès de lui. Il en est de même des tensions internes liées à cette arrivée.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les motifs invoqués par l’employeur dans la lettre de licenciement ne pouvaient justifier le licenciement de M. [N] [U], salarié bénéficiant d’une ancienneté de plus de 13 ans et qui n’avait fait jamais fait l’objet d’évaluation négative, ni d’aucune mesure disciplinaire.
Le licenciement de M. [N] [U] est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse et le jugement entrepris sera en conséquence infirmé sur ce point.
Sur les conséquences du licenciement
– L’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse
En application de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au présent litige, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, en l’absence de réintégration, le juge octroie une indemnité au salarié à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
M. [N] [U], exerçait les fonctions de responsable propriété intellectuelle et conformité dont la rémunération mensuelle à temps complet était fixée à 5 000 euros. Licencié à l’âge de 41 ans, il bénéficiait d’une ancienneté de 13 ans.
M. [N] [U] justifie de démarche actives pour retrouver un emploi après son licenciement. Il a été engagé à compter du 3 avril 2017 par le bureauVeritas en qualité de Key Account Manager moyennant un salaire mensuel brut de 3 333 euros. Il n’apporte pas de précision sur ses charges, notamment de famille.
Au vu de ces éléments, il y a lieu de fixer le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 30 000 euros, le jugement de première instance étant réformé en ce sens.
– Le complément d’indemnité conventionnelle de licenciement
M. [N] [U] sollicite un complément de l’indemnité conventionnelle de licenciement versée par son employeur invoquant l’applicabilité de la convention collective Syntec et un salaire de référence à temps plein.
Faute d’applicabilité de la convention collective Syntec, mais tenant compte de la prestation de travail à temps complet au sein de la société Bigben Connected, il y a lieu d’accorder un complément de 14 910 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement.
– Le remboursement des indemnités versées par Pôle Emploi
Aux termes de l’article L. 1235-4 dans sa rédaction applicable au présent litige, dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.
Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
La société Bigben Connected sera condamné à rembourser à Pôle Emploi les indemnités qu’il versées à M. [N] [U] pendant les six premiers mois suivant le licenciement.
Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité
En application de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés et doit veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances.
M. [N] [U] reproche à son employeur d’avoir manqué à son obligation de sécurité en lui imposant une surcharge de travail, sachant qu’il travaillait également à temps complet pour la société Bigben Interactive, en le mettant à l’écart progressivement (rétention d’information concernant la gestion de ses dossiers, absence d’invitation aux séminaires d’hiver), en le privant d’entretien individuel annuel, en refusant de déclarer un accident du travail suite à un malaise au travail (allergie alimentaire), en suite duquel il a été placé en arrêt de travail pour syndrome anxio-dépressif et épuisement professionnel, avant une reprise du travail dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique, puis à temps plein à compter du 22 mai 2015.
La société Bigben Connected conteste tout manquement à son obligation de sécurité. Elle soutient que M. [N] [U] n’était soumis à aucune surcharge du travail. Elle estime en outre qu’elle n’a commis aucun manquement en refusant d’établir la déclaration d’accident du travail du 20 février 2015 ; que c’est à tort que M. [N] [U] invoque une mise à l’écart et un traitement différent des autres cadres de la société.
La mise en péril de la santé de M. [N] [U] par une mise à l’écart progressive n’est pas démontrée, étant observé que le séminaire auquel il n’a pas été invité ne concernait pas chaque année tous les cadres de l’entreprise.
Aucun élément du dossier n’établit que M. [N] [U] travaillait à temps complet pour deux sociétés. Toutefois, si l’employeur a entrepris une procédure de recrutement pour renforcer l’équipe du service juridique dès 2013, cette procèdure n’a pas abouti et M. [N] [U] na fait l’objet d’un arrêt de travail le 25 février 2015 pour épuisement professionnel.
Concernant l’absence de déclaration de l’accident de travail du 29 février 2015, il ressort des pièces versées aux débats que le 9 mars 2015, M. [N] [U] a sollicité de son employeur qu’il déclare un accident du travail en suite d’un malaise survenu le 20 février 2015 (poussée d’urticaire diffuse) et que celui-ci a refusé, au motif que cette demande était tardive et qu’il n’existait pas de témoin de cet accident.
Or, il appartenait à l’employeur, compte tenu de la demande de son salarié à qui il avait été délivré un certificat médical initial d’accident du travail, de procéder à la déclaration d’accident du travail, à charge pour la société Bigben Connected, le cas échéant, de contester ultérieurement la prise en charge de cet accident au titre de la législation professionnelle ; le fait que M. [N] [U] ait la possibilité de faire reconnaître lui-même cet événement en accident du travail n’enlève nullement son caractère fautif au refus de l’employeur de déclarer cet accident à la caisse primaire d’assurance maladie.
Enfin, s’agissant des entretiens individuels annuels de M. [N] [U] avec sa hiérarchie, l’employeur ne démontre pas les avoir mis en place, alors que ce type d’entretien offre la possibilité pour le salarié de s’exprimer sur ses conditions de travail, et partant, est de nature à prévenir les risques psycho-sociaux.
Or, M. [N] [U] a fait l’objet d’un arrêt pour épuisement professionnel le 25 février 2015 (le certificat médical initial mentionnant une poussée d’urticaire diffuse, d’origine probablement sommatique vu le contexte d’épuisement professionnel qui s’est révélé) , prolongé le 17 avril 2015,pour ‘état anxio-dépressif/ épuisement professionnel’ ; qu’il a ensuite repris le travail à mi-temps thérapeutique jusqu’au mois de juin 2015, puis à temps complet.
Il résulte de ces éléments que la société Bigben Connected ne démontre pas avoir mis en place toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de M. [N] [U].
Ainsi, il est bien caractérisé un manquement de la société Bigben Connected à son obligation de sécurité, et le préjudice qui en est résulté pour M. [N] [U] doit être réparé par l’allocation de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Le jugement de première instance sera réformé en ce sens.
Sur les dépens et l’indemnité de procédure
Le jugement de première instance sera réformé concernant le sort des dépens et l’indemnité de procédure.
La société Bigben Connected, partie succombante au sens de l’article 696 du code de procédure civile sera condamnée aux dépens et à payer à M. [N] [U] la somme de 2 000 euros à titre d’indemnité de procédure, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Lille du 4 septembre 2020 sauf en ce qu’il a dit que la convention collective Syntec est inapplicable et l’a débouté de sa demande de rappel de RTT ;
Statuant à nouveau,
DIT que le licenciement de M. [N] [U] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la SASU Bigben Connected à payer à M. [N] [U] :
– 71 278, 69 euros à titre de rappel de salaires, outre 7 127,87 au titre des congés payés y afférent,
– 11 344,12 euros à titre de rappel de prime de participation,
– 30 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 14 910 euros à titre de complément d’indemnité de licenciement conventionnelle,
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité ;
CONDAMNE la SASU Bigben Connected à rembourser à Pôle Emploi les indemnités versées à M. [N] [U] pendant les six premiers mois suivant le licenciement ;
CONDAMNE la SASU Bigben Connected aux dépens ;
CONDAMNE la SASU Bigben Connected à payer à M. [N] [U] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER
Valérie DOIZE
LE PRÉSIDENT
Pierre NOUBEL