Épuisement professionnel : 25 mai 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 21/00123

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Épuisement professionnel : 25 mai 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 21/00123

COUR D’APPEL

d’ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00123 – N° Portalis DBVP-V-B7F-EYZU.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 03 Février 2021, enregistrée sous le n° F 19/00497

ARRÊT DU 25 Mai 2023

APPELANTE :

Madame [P] [I] épouse [D]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Valérie MOINE de la SELARL MOINE – DEMARET, avocat au barreau du MANS

INTIMEE :

S.A. SOCIETE ORLEANAISE D’ASSAINISSEMENT (SOA)

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Maître Inès RUBINEL de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, avocat postulant au barreau d’ANGERS et par Maître GARCIA, avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Février 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, conseiller chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Mme Marie-Christine DELAUBIER

Conseiller : Madame Estelle GENET

Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN

ARRÊT :

prononcé le 25 Mai 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, conseiller pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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FAITS ET PROCÉDURE

La société Orléanaise d’Assainissement (ci-après dénommée la société SOA) a pour activité l’assainissement et la collecte de déchets industriels en vue de leur traitement. Elle emploie plus de onze salariés et applique la convention collective nationale de l’assainissement et de la maintenance industrielle.

Mme [P] [D] a été engagée par la société SOA dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 14 février 2005 en qualité d’assistance commerciale, statut employée, niveau II, échelon 2 coefficient 185 de la convention collective précitée.

En dernier état de la relation contractuelle, sa rémunération mensuelle brute s’élevait à la somme de 2 178,86 euros.

Le 26 février 2014, Mme [D] a été élue membre titulaire du comité d’entreprise, et en a été nommée trésorière.

Elle a été placée en arrêt de travail du 25 mai au 6 août 2014, puis du 16 au 27 janvier 2017.

Le 9 janvier 2017, elle a fait une déclaration de maladie professionnelle.

Suite au rejet de sa demande de prise en charge au titre de la législation professionnelle, Mme [D] a saisi la commission de recours amiable.

Par courrier du 22 mai 2020, la CPAM de la Sarthe (la caisse) a informé Mme [D] qu’après réception de l’avis favorable du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, sa maladie ‘hors tableau’ était reconnue d’origine professionnelle, précisant que cette décision annulait et remplaçait la précédente décision de refus.

Par courrier du 18 juin 2020, la caisse a indiqué à Mme [D] que compte tenu de son accord pour la prise en charge de sa maladie au titre de la législation professionnelle, son recours devant la commission de recours amiable était devenu sans objet.

Le 11 mai 2022, la caisse a fixé la date de la consolidation de la maladie ‘épisodes dépressifs’ au 31 juillet 2022.

Par décision du 7 septembre 2022, la caisse a fixé son taux d’IPP à 25% dont 5% pour le taux professionnel et lui a attribué une rente. Par courriers des 22 et 28 octobre 2022, la société SOA et Mme [D] ont respectivement formé un recours contre cette dernière décision.

Dans l’intervalle, en juillet 2018, Mme [D] a fait l’objet d’un nouvel arrêt de travail. Dans le cadre de la visite de reprise du 8 octobre 2018, le médecin du travail l’a déclarée ‘inapte au poste d’assistance commerciale dans l’entreprise et à tout autre poste dans l’entreprise SOA. Pourrait travailler dans une autre organisation. Pas de contre indication médicale à faire une formation’.

Lors d’une réunion du 19 octobre 2018, la société SOA a consulté les délégués du personnel sur les possibilités de reclassement de Mme [D].

Par courrier du 22 octobre 2018, la société SOA a proposé des postes de reclassement lesquels ont été refusés par Mme [D] par lettre du 31 octobre suivant.

Par courrier du 6 novembre 2018, la société SOA a informé Mme [D] de l’impossibilité de la reclasser sur un poste compatible avec les préconisations du médecin du travail.

Par courrier du 8 novembre 2018, la société SOA a convoqué Mme [D] à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement qui s’est tenu le 22 novembre 2018.

Le même jour, le comité d’entreprise a été consulté sur le projet de licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de Mme [D].

Le 28 novembre 2018, la société SOA a sollicité de l’inspection du travail l’autorisation de licencier Mme [D] pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par décision du 22 janvier 2019, l’inspection du travail a refusé d’autoriser le licenciement de l’intéressée.

Par requête du 24 janvier 2019, Mme [D] a saisi le conseil de prud’hommes du Mans afin que soit prononcée la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société SOA et obtenir la condamnation de celle-ci à lui verser, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, une indemnité de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents, des dommages et intérêts au titre de la résiliation judiciaire, des dommages et intérêts au titre du harcèlement moral et de la discrimination, et une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société SOA s’est opposée aux prétentions de Mme [D] et a sollicité sa condamnation au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Parallèlement, la société SOA a exercé un recours hiérarchique à l’encontre de la décision du 22 janvier 2019.

Par décision du 16 juillet 2019, le ministre du travail a annulé cette décision et autorisé le licenciement de Mme [D].

Par courrier du 24 juillet 2019, la société SOA a notifié à Mme [D] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 12 septembre 2019, Mme [D] a formé un recours devant le tribunal administratif de Nantes contre la décision du ministre du travail du 16 juillet 2019.

Dans le même temps, elle a saisi le conseil de prud’hommes du Mans par une seconde requête aux fins de contester le bien fondé de son licenciement. Au vu du contexte procédural, elle a sollicité un sursis à statuer dans cette seconde procédure auquel il a été fait droit par jugement du 29 juillet 2020.

Par jugement en date du 3 février 2021, le conseil de prud’hommes a :

– déclaré irrecevable la demande de Mme [D] tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société SOA le Mans Breguet 72 ;

– dit que Mme [D] n’établit pas qu’elle ait été victime de harcèlement de la part de la société SOA le Mans Breguet 72 ;

– débouté en conséquence Mme [D] de l’intégralité de ses demandes ;

– débouté la société SOA le Mans Breguet 72 de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné Mme [D] aux entiers dépens.

Mme [D] a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d’appel le 18 février 2021, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu’elle énonce dans sa déclaration.

La société SOA a constitué avocat en qualité de partie intimée le 2 mars 2021.

Par jugement du 15 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du ’15 » juillet 2019 (date mentionnée sur le jugement) autorisant le licenciement de Mme [D].

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 17 janvier 2023 et le dossier a été fixé à l’audience du conseiller rapporteur du 7 février 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Mme [D], dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 17 mai 2021, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de la juger recevable et bien fondée en son appel, d’infirmer le jugement entrepris et de :

– condamner la société SOA à lui payer les sommes suivantes :

* 9 217 euros net au titre du doublement de l’indemnité de licenciement ;

* 3 972,68 euros brut à titre d’indemnité de préavis ;

* 397,27 euros brut au titre des congés payés sur préavis ;

* 2 383,61 euros brut à titre d’indemnité de congés payés ;

* 67 512 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la violation de l’obligation de sécurité et de la discrimination dont elle a été victime du fait de son mandat ;

– condamner la société SOA à lui verser une indemnité de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

À titre liminaire, Mme [D] ne conteste par l’irrecevabilité de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail au vu de la décision du ministre du travail du 16 juillet 2019. Elle fait néanmoins valoir que le conseil de prud’hommes aurait dû faire droit à ses demandes indemnitaires dès lors que sa maladie a été reconnue comme maladie professionnelle hors tableau par décision du 22 mai 2020 et ce, même si l’autorité administrative a autorisé son licenciement.

Elle soutient ensuite avoir été victime de harcèlement moral de la part de son employeur et en particulier depuis l’arrivée de M. [J] en 2013, soulignant qu’elle a toujours donné satisfaction avant que celui-ci devienne son supérieur hiérarchique. Elle prétend alors avoir fait l’objet de brimades, de dénigrements et de discriminations. Elle fait ensuite observer que le médecin du travail a fait le lien entre la dégradation de son état de santé et ses conditions de travail dès le mois de juin 2014, préconisant qu’une fiche de poste détaillée soit établie et que les procédures de travail deviennent écrites.

Mme [D] fait également valoir qu’il lui a été donné volontairement une surcharge de travail dans l’exercice de ses fonctions et ce, alors qu’elle était trésorière de la délégation unique du personnel, charge qu’elle a assumé sans formation et sans aide. Elle ajoute qu’elle était victime de l’agressivité verbale de ses collègues exploitantes, lesquelles critiquaient ouvertement sa prise d’heures de délégation.

Elle affirme que l’inaptitude à l’origine de son licenciement est la conséquence de la dégradation de ses conditions de travail causée par le harcèlement moral de l’employeur, ajoutant que l’exercice de son mandat était de la même manière rendu difficile par l’attitude discriminante et harcelante de la direction.

Dès lors, Mme [D] soulève le manquement à l’obligation de sécurité de son employeur et sollicite la réparation financière de son préjudice à ce titre ainsi qu’au titre de la discrimination dont elle a été victime du fait de son mandat.

*

La société SOA, dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 18 août 2021, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

– déclarer mal fondé l’appel interjeté par Mme [D] ;

– confirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes du Mans;

En conséquence :

– déclarer irrecevable la demande de dommages et intérêts formulée par Mme [D] en réparation de la violation de l’obligation de sécurité et de la discrimination dont elle a été victime du fait de son mandat ;

– débouter Mme [D] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

– condamner Mme [D] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner Mme [D] en tous les dépens de première instance et d’appel.

À titre principal, la société SOA fait valoir que les demandes de Mme [D] sont irrecevables en ce qu’elles sont fondées sur des éléments pris en compte par l’autorité administrative dans le cadre de l’autorisation de licenciement. Elle rappelle que le juge judiciaire ne peut condamner l’employeur à verser au salarié des dommages et intérêts au titre de fautes commises pendant la période antérieure au licenciement qu’à la condition qu’il s’agisse de manquements non pris en considération par l’autorité administrative dans le cadre de la procédure d’autorisation du licenciement, et assure que les manquements invoqués par Mme [D] ont nécessairement été pris en considération par le ministre du travail dans le cadre de cette procédure.

À titre subsidiaire, la société SOA conteste le harcèlement moral, la discrimination au titre de son mandat, et le manquement à l’obligation de sécurité invoqués par Mme [D].

Concernant la prétendue discrimination au titre du mandat, l’employeur indique d’abord qu’il s’agit de difficultés datant de 2015, soit près de trois ans avant le licenciement. Il fait ensuite observer que ce sujet a été réglé par l’aménagement des fonctions de Mme [D] pour lui permettre de gérer plus facilement la prise de ses heures de délégation. Il souligne l’absence de critique de Mme [D] ou de l’inspection du travail après cela. Il ajoute que les attestations produites par la salariée ne sauraient caractériser ni une faute de sa part, ni un lien entre la demande d’autorisation de licenciement et les mandats détenus par la salariée. La société SOA assure également que ce qui est décrit comme une attitude hostile et agressive correspond en réalité aux demandes légitimes de la direction d’accéder aux documents comptables et financiers du comité d’entreprise. Elle considère de surcroît que Mme [D] ne fait état d’aucun fait précis susceptible de caractériser le harcèlement moral invoqué.

Enfin, la société SOA indique que le licenciement de Mme [D] est fondé sur l’avis d’inaptitude du 8 octobre 2018 lequel ne vise en aucun cas une maladie professionnelle, et souligne que la salariée a été remplie de ses droits concernant les indemnités liées à la rupture de son contrat de travail.

*

MOTIVATION

A titre liminaire, il convient de relever que Mme [D], aux termes de ses dernières conclusions, ne demande plus à la cour de prononcer la résiliation de son contrat de travail. Les dispositions du conseil de prud’hommes ayant déclaré cette demande irrecevable sont donc définitives.

Il sera en outre observé que les parties n’ont pas conclu postérieurement au jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 décembre 2022, cette pièce étant toutefois versée aux débats et ayant été soumise au contradictoire.

Sur les dommages et intérêts pour non respect de l’obligation de sécurité et discrimination du fait de son mandat

Mme [D] reproche à son employeur des faits de discrimination du fait de son mandat, et de harcèlement moral constitutif d’un manquement à son obligation de sécurité de résultat. A cet égard, elle rappelle avoir été élue déléguée du personnel titulaire et nommée trésorière du comité d’entreprise le 26 février 2014. Elle indique que le 13 juin 2014, le médecin du travail a attiré l’attention de la société SOA sur la dégradation de son état de santé du fait d’une organisation délétère du travail, que le 19 juin 2014 elle a fait l’objet d’un avertissement alors qu’elle était en surcharge de travail et dans l’impossibilité de prendre ses heures de délégation, qu’elle a rencontré des difficultés dans la gestion des comptes du comité d’entreprise du fait de son manque de formation et d’un logiciel non adapté mis à sa disposition, que son honnêteté a été mise en doute, qu’elle a dû subir les remarques désobligeantes et humiliantes de la direction et d’autres représentants du personnel, et que son état de santé s’est dégradé de ce fait, précisant que sa maladie déclarée le 9 janvier 2017 consistant en un épuisement professionnel a été reconnue comme maladie professionnelle.

La société SOA soulève l’irrecevabilité de cette demande au motif que les manquements invoqués par la salariée tant au titre de la discrimination qu’au titre de l’obligation de sécurité liée à un harcèlement moral ont été pris en considération par la décision du ministre du travail du 16 juillet 2019 ayant autorisé le licenciement. A titre subsidiaire, elle conteste toute discrimination, tout harcèlement moral et tout manquement à son obligation de sécurité, soutenant que les difficultés sont anciennes en ce qu’elles datent de 2015, que les fonctions de Mme [D] ont été aménagées pour qu’elle puisse exercer ses mandats dans de bonnes conditions, qu’elle n’a manifesté aucune hostilité et aucune agressivité à son égard, que les attestations communiquées par la salariée sont vagues et imprécises, et que ses demandes ne consistaient qu’à accéder aux documents comptables et financiers du comité d’entreprise que cette dernière refusaient de communiquer alors qu’elle était aidée dans la gestion des comptes.

Sur la recevabilité de la demande

Il convient de rappeler préalablement que si le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire postérieure au prononcé du licenciement notifié sur le fondement d’une autorisation administrative, même si la saisine du conseil de prud’hommes est antérieure à la rupture, il reste compétent pour allouer des dommages-intérêts au salarié au titre des fautes commises par l’employeur pendant la période antérieure au licenciement.

Pour autant, il ne peut faire droit à une telle demande lorsque les manquements invoqués par le salarié ont nécessairement été pris en considération par l’autorité administrative dans le cadre de la procédure d’autorisation. Lorsque l’autorisation de licencier a été refusée comme en l’espèce, les motifs, qui sont le soutien nécessaire de la décision, s’imposent au juge judiciaire, en vertu du même principe.

Il s’en suit que la fin de non recevoir présentée par la société SOA doit être rejetée, la cour étant tenue dans son examen au fond, par les motifs retenus par l’autorité administrative.

Sur le fond

Aux termes de son jugement du 15 décembre 2022, le tribunal administratif a retenu qu’il ressortait des pièces du dossier que :

– Mme [D] a entretenu des relations conflictuelles avec ses supérieurs hiérarchiques, M. [J], directeur de l’agence du [Localité 4], et M. [W], directeur général et président du comité d’entreprise ;

– cette dégradation des relations s’est traduite par des saisines récurrentes de l’inspection du travail, compte tenu de ses difficultés à prendre ses heures de délégation, eu égard à sa charge de travail ;

– l’employeur a engagé une procédure disciplinaire le 23 mai 2014 ayant donné lieu à un avertissement pour accomplissement défectueux de ses missions d’assistante commerciale, alors qu’elle ne pouvait pas prendre l’intégralité de ses heures de délégation, et qu’elle avait été nommée trésorière du comité d’entreprise, fonction à laquelle elle n’était pas formée ;

– Mme [D] a contesté cet avertissement en faisant état d’une charge de travail excessive et en augmentation, d’injonctions contradictoires de son employeur, et de l’impossibilité de prendre ses heures de délégation nécessaires à l’exercice de ses fonctions représentatives ;

– elle a rencontré des difficultés dans la tenue de la comptabilité du comité d’entreprise du fait de son absence de maîtrise du logiciel ‘money’ ;

– le logiciel ‘bank perfect’ mis à sa disposition par le directeur opérationnel de la société SOA n’était pas configuré pour établir un bilan ;

– elle a de ce fait pris du retard pour présenter les comptes 2016 et 2017 et a vu mettre en cause sa probité par le président du comité d’entreprise et d’autres représentants du personnel avant que le caractère irréprochable de cette gestion soit certifié par le consultant extérieur l’ayant vérifiée ;

– si ses tâches ont été allégées à partir de juin 2015 pour pouvoir exercer ses mandats dans de bonnes conditions, elle a fait l’objet, à plusieurs reprises de propos désobligeants, vexatoires et humiliants de la part du directeur général de la société SOA et d’autres représentants de la direction ;

– le médecin du travail a indiqué dans un courrier du 13 juin 2014 que son état de santé s’était dégradé suite à une organisation délétère du travail ;

– elle a été en arrêt de travail du 25 mai au 6 août 2014, puis du 16 au 27 janvier 2017;

– le 18 juin 2020 (en réalité 14 avril 2020), le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles a reconnu la maladie déclarée le 9 janvier 2017 portant sur un épuisement professionnel comme maladie professionnelle.

Il en déduit que ‘l’inaptitude constatée de l’intéressée à son emploi doit être regardée comme résultant d’une dégradation de son état de santé en rapport avec les difficultés rencontrées dans l’exercice de ses mandats.’

Les éléments allégués par Mme [D] au soutien des manquements de la société SOA ont donc été soumis à l’examen de l’autorité administrative, et il revient à la cour de les apprécier dans le seul but de déterminer le cas échéant si les éléments constitutifs de ces manquements sont ou non réunis.

En application de l’article L.1132-1 du code du travail aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte en raison, notamment, de ses activités syndicales.

Par ailleurs, l’ employeur tenu à une obligation de sécurité laquelle est une obligation de moyen renforcée, doit assurer la protection et la santé des travailleurs dans l’entreprise et notamment prévenir les faits de harcèlement moral.

Aux termes de l’ article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Aux termes des articles L.1134-1 du code du travail s’agissant de la discrimination, et L.1154-1 du code du travail s’agissant du harcèlement moral, en cas de litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination ou d’ un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision ou ses agissements sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ou à tout harcèlement.

A cet égard, la salariée produit:

– le procès-verbal de réunion du comité d’entreprise du 26 février 2014 la nommant membre titulaire ;

– la procédure disciplinaire engagée le 23 mai 2014 de laquelle il résulte qu’elle a été convoquée à un entretien préalable, qu’elle a adressé un certificat médical faisant part de son impossibilité de s’y rendre, qu’elle a toutefois reçu un avertissement le 19 juin 2014 lui reprochant des erreurs dans son travail, qu’elle a saisi l’inspection du travail qui s’en est étonnée, et qu’elle a contesté, en vain, cet avertissement en invoquant une surcharge de travail et l’impossibilité de prendre la totalité de ses heures de délégation;

– l’avis du médecin du travail du 13 juin 2014 faisant état d’une dégradation de son état de santé du fait d’une organisation de travail délétère, et exigeant une fiche de poste détaillée et des procédures de travail écrites ;

– plusieurs mails relatifs à ses difficultés à tenir les comptes du CE, sans formation et avec le logiciel ‘bank perfect’, celui-ci ne permettant ni de clôturer une année comptable ni de faire un bilan et un compte de résultat ;

– cinq attestations de collègues faisant état de propos ‘peu appréciables’ ou ‘diffamatoires, injustifiés et humiliants’ tenus par la direction lors des réunions DUP (délégation unique du personnel) des 18 janvier et 15 mars 2017 ainsi que des propos laissant planer un doute sur un possible détournement de fonds de sa part, l’un d’eux évoquant un acharnement de M. [H] et un autre précisant que le président lui a même demandé de démissionner ;

– un mail du 17 mai 2017 émanant du consultant externe ayant vérifié les comptes la félicitant pour la tenue de la comptabilité du comité d’entreprise ;

– le PV de la réunion du CE du 15 mars 2017 mentionnant que M. [W] et M. [H] ont détaillé les comptes présentés par Mme [D] avec un zèle excessif qui n’a pas échappé à l’ensemble des membres présents ce jour ;

– la retranscription de deux SMS du 15 décembre (année non précisée), le premier de M. [V] lui adressant ses excuses pour ses propos, et le second de M. [B] regrettant ne pas avoir ‘réussi à juguler les manières brutales de certains’ et en étant désolé ;

– un arrêt de travail du 16 au 27 janvier 2017, un certificat médical de son psychiatre du 19 septembre 2018 faisant état d’un suivi depuis trois mois et d’un état dépressif sévère d’épuisement, la décision de la caisse du 22 mai 2020 reconnaissant la maladie déclarée le 9 janvier 2017 comme ayant une origine professionnelle, le courrier de la caisse du 10 mai 2022 fixant la date de consolidation de la maladie du 9 janvier 2017 ‘épisodes dépressifs’ au 31 juillet 2022, ainsi que la notification d’une rente calculée sur un taux d’IPP de 25% dont 5% pour le taux professionnel.

Ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer tant une discrimination au titre de ses mandats qu’un harcèlement moral.

De son côté, la société SOA verse aux débats :

– un courrier du 1er juin 2015 confiant à la salariée, la gestion de la clientèle des particuliers à compter du 1er septembre et assurant que cet aménagement lui permettra d’exercer ses mandats ;

– deux courriers des 20 juillet et 24 août 2015 suite au refus réitéré de la salariée, contestant qu’il s’agisse d’une modification de son contrat et affirmant que ‘ce recentrage sur des tâches qui pourront être suppléées’ lui permettra d’exercer ses mandats ;

– un courrier et un mail du 16 janvier 2017 annonçant la mise en place du logiciel ‘bank perfect’ ne nécessitant aucune connaissance en comptabilité suite aux difficultés rencontrées par Mme [D] ;

– un courrier et le PV de la réunion de la DUP du 18 janvier 2017 nommant un trésorier adjoint pour l’épauler ;

– les justificatifs de deux formations suivies par Mme [D] les 3 et 4 octobre 2016 et du 13 au 15 juin 2018 relatifs à ses mandats.

Il est ainsi avéré que la société SOA n’apporte aucun élément objectif quant à la justification de l’avertissement du 19 juin 2014, alors que Mme [D] se plaignait de ne pas pouvoir prendre ses heures de délégation et que le médecin du travail l’avait alertée quelques jours auparavant sur une organisation délétère du travail. Elle a au surplus attendu un an avant d’alléger sa charge de travail. Partant, et de ce seul fait, la discrimination est constituée.

Il ressort également de ces éléments que la société SOA a attendu janvier 2017, soit le moment où Mme [D] a été placée en arrêt de travail, pour proposer l’installation d’un logiciel, de surcroît, inadapté, et pour envisager de nommer un trésorier adjoint alors que la salariée était trésorière du comité d’entreprise depuis 2014 et avait fait part à de nombreuses reprises de son absence de formation et de ses difficultés. Ajouté au fait que l’employeur n’apporte aucun élément objectif en réponse aux paroles humiliantes et vexatoires tenus par les membres de la direction et à la mise en doute de la probité de Mme [D] alors qu’il est établi que la comptabilité était parfaitement tenue, il est manifeste que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité.

Mme [D] en a subi un préjudice en ce que la dégradation de son état de santé a été considérée par le médecin du travail dès le 13 juin 2014 comme étant en lien avec ses conditions de travail, et en ce que sa maladie déclarée le 9 janvier 2017 constituée par des ‘épisodes dépressifs’ a été reconnue comme étant d’origine professionnelle. Il convient en outre de rappeler que l’autorité administrative, dans son jugement du 15 décembre 2022 a constaté le lien direct entre les difficultés rencontrées dans l’exercice de ses mandats et l’état de santé dégradé de la salariée.

Par conséquent, la réparation de son préjudice sera assurée par des dommages et intérêts pour discrimination et manquement à l’obligation de sécurité que la cour est en mesure d’évaluer à la somme de 14 000 euros.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur le préavis, les congés payés afférents et l’indemnité de licenciement

Mme [D] fait valoir que son licenciement a été prononcé du fait d’une inaptitude d’origine professionnelle consécutive à un manquement de l’employeur qui l’a provoquée, de sorte qu’elle doit percevoir une indemnité de préavis, les congés payés afférents et une indemnité de licenciement.

La société SOA, outre le fait qu’elle conteste toute discrimination et tout manquement à son obligation de sécurité, indique que les arrêts de travail de Mme [D] étaient des arrêts maladie ‘simple’ et qu’elle n’avait pas connaissance de l’origine professionnelle de sa maladie.

Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l’inaptitude, il appartient à l’administration de rechercher si cette inaptitude est telle qu’elle justifie le licenciement envisagé. En revanche, il ne lui appartient pas, dans l’exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude.

Partant, l’autorisation de licenciement donnée par l’autorité administrative ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations.

Il en va de même lorsque l’autorisation de licenciement a été refusée, étant à nouveau rappelé que les motifs qui sont le soutien de la décision s’imposent au juge judiciaire.

En application de l’article L.1226-14 du code du travail, la rupture du contrat de travail pour inaptitude consécutive à une maladie professionnelle ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis ainsi qu’à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l’indemnité légale de licenciement.

Les règles protectrices des victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a au moins partiellement pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

En l’espèce, Mme [D] a été licenciée le 24 juillet 2019 pour inaptitude, et il a été vu précédemment que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité.

En outre, il ressort des pièces versées aux débats que :

– Mme [D] a été placée en arrêt de travail du 25 mai au 6 août 2014 ;

– l’employeur a été alerté dès le 13 juin 2014 par le médecin du travail de la dégradation de l’état de santé de la salariée en lien avec l’organisation du travail ;

– Mme [D] a de nouveau été placée en arrêt de travail du 16 au 27 janvier 2017, puis de manière ininterrompue à compter de juillet 2018 jusqu’à son licenciement pour inaptitude ;

– dans l’avis d’inaptitude du 8 octobre 2018, le médecin du travail déclare la salariée ‘inapte au poste d’assistante commerciale dans l’entreprise et tout autre poste dans l’entreprise SOA’; il précise toutefois que celle-ci ‘pourrait travailler dans une autre organisation’ ;

– la maladie du 9 janvier 2017 pour ‘épisodes dépressifs’ a été reconnue d’origine professionnelle par décision de la caisse du 22 mai 2020 et consolidée le 31 juillet 2022.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’inaptitude de Mme [D] a, au moins partiellement, une origine professionnelle, et que l’employeur doit être considéré comme en ayant eu connaissance, à la date du licenciement. En conséquence, la salariée est bien fondée à réclamer le doublement de l’indemnité de licenciement qui lui a d’ores et déjà été versée, soit la somme de 9 217 euros, ainsi qu’une indemnité qui sera fixée dans les limites de la demande à la somme de 3 972,68 euros brut à titre d’indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis. Elle sera en revanche déboutée de sa demande de congés payés afférents, cette indemnité compensatrice ne générant pas de congés payés.

La société SOA sera en conséquence condamnée à verser à Mme [D] la somme de 9 217 euros à titre de complément d’indemnité de licenciement et celle de 3972,68 euros brut à titre d’indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis.

Le jugement sera infirmé de ces chefs.

Sur les congés payés

La société SOA affirme que la salariée a été remplie de ses droits à ce titre.

Mme [D] n’explicite pas davantage cette demande qu’en première instance.

Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [D] de ce chef.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement doit être infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile sauf en ce qu’il a débouté la société SOA de ce chef.

L’équité commande de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [D]. Il lui sera alloué la somme de 3 000 euros à ce titre.

La société SOA, partie perdante, doit être condamnée aux dépens de première instance et d’appel, et déboutée de sa demande au titre l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l’appel, par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes du Mans le 3 février 2021 sauf en ce qu’il a débouté Mme [P] [D] de sa demande de congés payés et en ce qu’il a débouté la société SOA de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant :

CONDAMNE la société SOA à payer à Mme [P] [D] la somme de 14 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination et manquement à l’obligation de sécurité ;

CONDAMNE la société SOA à payer à Mme [P] [D] la somme de 9 217 euros à titre de complément d’indemnité de licenciement ;

CONDAMNE la société SOA à payer à Mme [P] [D] la somme de 3 972,68 euros brut à titre d’indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis ;

DEBOUTE Mme [P] [D] de sa demande de congés payés sur préavis ;

CONDAMNE la société SOA à payer à Mme [P] [D] la somme de 3 000 euros au titre l’article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE la société SOA de sa demande au titre l’article 700 du code de procédure civile présentée en appel ;

CONDAMNE la société SOA aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT empêché,

Viviane BODIN C. TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

 


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