Épuisement professionnel : 24 novembre 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/06627

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Épuisement professionnel : 24 novembre 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/06627

AFFAIRE PRUD’HOMALE

DOUBLE RAPPORTEUR

N° RG 19/06627 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MTLZ

[A]

C/

SASU MIYOSHI EUROPE

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de LYON

du 03 Septembre 2019

RG : F 17/00462

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRET DU 24 Novembre 2022

APPELANT :

[Y] [A]

né le 21 Mai 1977 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, et Me Thomas NOVALIC de la SELARL TN AVOCATS, avocat plaidant au barreau de LYON

INTIMEE :

SOCIETE MIYOSHI EUROPE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Stéphanie LE GUILLOUS de la SARL STEPHANIE LE GUILLOUS AVOCAT, avocat au barreau de LYON, substitué par Maître SECHI, avocat au même barreau

DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 23 Juin 2022

Présidée par Nathalie PALLE, président et Thierry GAUTHIER, conseiller, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Nathalie PALLE, présidente

– Thierry GAUTHIER, conseiller

– Françoise CARRIER, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

ARRET : CONTRADICTOIRE

rendu publiquement le 24 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Nathalie PALLE, présidente, et par Malika CHINOUNE, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant un contrat de travail à durée indéterminée du 3 février 2014, M. [Y] [A] a été engagé par la société Miyoshi Europe à compter du 24 février 2014, en qualité de chef d’équipe production, coefficient 250 de la convention collective nationale des industries chimiques et connexes.

Le salarié a été soumis à une convention de forfait de 218 jours par an, conformément à l’accord du 8 novembre 2011 en vigueur au sein de l’entreprise.

Au dernier état de la relation contractuelle, il occupait le poste de chef d’équipe production, statut assimilé cadre, coefficient 275.

Le 30 mai 2016, il a été victime d’un malaise sur son lieu de travail et a été placé en arrêt de travail jusqu’au 6 juin 2016 puis à nouveau à compter du 13 juin 2016, prolongé à deux reprises jusqu’au 8 septembre 2016.

Par courrier du 22 juin 2016, la société a convoqué le salarié à un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement fixé au 5 juillet 2016, et lui a notifié dans le même temps une mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 28 juin 2016, le salarié a informé l’employeur qu’il ne pourrait pas se présenter à l’entretien, a contesté les fautes qui lui étaient reprochées et a précisé être victime de harcèlement moral de la part de plusieurs salariés de l’entreprise.

Par courrier du 11 juillet 2016, la société Miyoshi Europe a notifié au salarié son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :

‘ Le 22 juin 2016, nous vous avons envoyé en lettre recommandée avec accusé de réception, reçue le 25 juin 2016, une convocation à un entretien le 5 juillet 2016 à 15 heures, préalable à une sanction éventuelle pouvant aller jusqu’au licenciement.

Entretien auquel, vous ne vous êtes pas présenté.

Vous avez eu une conduite constitutive d’une faute grave.

En effet, le lundi 13 juin 2016, il a été constaté que la machine « DDPS » tournait encore, machine dont vous aviez la responsabilité, en tant que chef d’équipe, d’assurer l’arrêt complet le vendredi 10 juin 2016 à 22h20.

Cet équipement était en cours de lancement industriel, nécessite des étapes et un respect strict des consignes, notamment la procédure d’arrêt de cette machine de façon « manuelle ». En sachant que la procédure de la machine est d’appuyer sur le bouton « fonctionnement manuel » pour que la machine arrête son cycle ; opération que vous avez d’ailleurs réalisé plusieurs fois les semaines précédentes. C’est pour cette raison que le salarié, M. [W], en charge des fabrications du matin et expérimenté sur l’utilisation de cette machine, est chargé de transmettre toutes les consignes et procédures aux changements de consignes et notamment celle d’indiquer s’il faut procéder à un arrêt manuel de la machine.

Le vendredi 10 juin 2016, vous vous êtes présenté en retard à votre poste. M. [W] chargé de vous transmettre les consignes, a donc été contraint de les transmettre à un autre salarié, M. [G]. M. [W] a, de surcroît, laissé son numéro de téléphone personnel à votre intention par mesure de précaution et de sécurité.

Vous avez d’ailleurs contacté M. [W] à 18 heures pour vous faire rappeler les consignes et vous assurer de leur bonne compréhension.

Malgré votre connaissance des consignes et de la nécessité de procéder à un arrêt manuel de l’équipement (cf. votre courrier du 28 juin 2016), la procédure d’arrêt n’a pas été enclenchée et la machine DDPS a tourné tout le week-end, jusqu’au lundi 13 juin 2016 à 6h20. Ce fait a été constaté par M. [W] lors de sa prise de poste sur cette machine, qui a donc immédiatement arrêté le cycle de cette machine.

Cette négligence professionnelle et d’autant plus grave que ces conséquences ont été lourdement préjudiciables et auraient pu avoir des conséquences dommageables encore plus lourdes puisque l’équipement DDPS ne peut jamais fonctionner sans surveillance. En effet, ces événements ont pour conséquences :

– Une détérioration de la qualité d’un lot de fabrication 1 000 kgs de NAI-C339001-10 resté dans le mélangeur en marche tout le week-end, garantie auprès de nos clients et destinée à destruction : environ 20Keuros de perte ;

– Un risque non négligeable d’atteinte à l’intégrité de l’équipement DDPS : environ 500Keuros;

– Un risque non négligeable de dommage au bâtiment.

Nous notons également que vous n’avez prévenu de votre absence qu’à 10h30/11 heures le lundi 13 juin 2016 alors que vous deviez prendre vos fonctions à 6h20 et ce malgré plusieurs tentatives d’appel et SMS vers 8 heures du Directeur des Opérations, ce qui, au regard de vos fonctions de chef d’équipe, a entraîné une désorganisation de l’atelier.

Vos explications dans votre courrier du 28 juin 2016, reçu le 4 juillet 2016, ne nous ont pas permis de modifier nos appréciations à ce sujet.

S’agissant de la partie de votre lettre sans rapport avec les faits objets de la présente notification (allégation de harcèlement dans un contexte de mésentente avec certains collègues), nous vous indiquons qu’elle fera l’objet d’un courrier spécifique.

Nous relevons surtout dans votre courrier, que vous aviez parfaitement connaissance de la nécessité de procéder à l’arrêt manuel de la machine, ce qui précisément n’a pas été effectué.

Nous notons d’ailleurs que vous ne faites pas mention, dans votre lettre, du retard avec lequel vous avez pris vos fonctions le vendredi 10 juin 2016.

Nous ne pouvons tolérer de tels agissements et sommes évidemment contraints de vous sanctionner.

En conséquent, nous avons décidé de prononcer à votre encontre votre licenciement pour faute grave.

Pour ces mêmes raisons, votre maintien dans la société s’avère impossible y compris durant la période de préavis de 3 mois. Votre licenciement prend donc effet à compter de la date de première présentation de la présente par LRA, date de la présente notification, sans indemnité, ni préavis.

Nous vous rappelons que vous faites également l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire. Par conséquent la période du 25 juin 2016 jusqu’à la date de première présentation de la présente par LRA ne vous sera pas rémunérée dans le cadre de ladite mise à pied conservatoire mais pourra l’être, si vous en remplissez les conditions, au titre du maintien de salaire durant l’arrêt-maladie.

Conformément aux dispositions de la convention collective et aux termes de votre contrat de travail, nous vous proposons de vous libérer, à l’occasion de la rupture de ce dernier, de la clause de non-concurrence y figurant. Dans ce cas l’indemnité mensuelle prévue (2/3 des appointements mensuels) sera payée pendant trois mois à dater à l’expiration de la période de préavis (soit, en l’absence de préavis, à la date de première présentation de la présente notification).

(…)’.

Par courrier du 13 juillet 2016, la société a informé le salarié que les allégations de harcèlement portées à sa connaissance donneraient lieu à une enquête, et l’a convié à un entretien fixé au 30 août 2016.

Par courrier du 10 août 2016, le salarié a informé la société qu’il ne pourrait pas se présenter à l’entretien du 30 août 2016, et a contesté son licenciement pour faute grave. Par courrier du 6 septembre 2016, la société a maintenu sa décision de licencier le salarié pour faute grave.

Par courrier du 22 novembre 2016, la société a informé le salarié que la commission d’enquête avait conclu à l’absence de fait de harcèlement moral à son encontre.

Par requête du 16 janvier 2017, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon aux fins de contester son licenciement, de voir déclarer la convention de forfait jours inopposable et d’obtenir la condamnation de la société Miyoshi Europe à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, les indemnités compensatrice de préavis et de congés payés afférents, l’indemnité conventionnelle de licenciement, des dommages-intérêts pour harcèlement moral, pour manquement à l’obligation de sécurité et pour exécution déloyale du contrat de travail, un rappel de salaire au titre d’heures supplémentaires et les congés payés afférents, un rappel de salaire sur repos compensateur et les congés payés afférents, une indemnité pour travail dissimulé et un rappel de salaire au titre de la clause de non-concurrence et les congés payés afférents.

Par jugement du 3 septembre 2019, le conseil de prud’hommes a débouté le salarié de l’intégralité de ses demandes et l’a condamné aux dépens.

M. [Y] [A] a relevé appel, le 27 septembre 2019.

Aux termes de conclusions notifiées le 19 mai 2022, le salarié demande à la cour de :

– réformer le jugement, sauf en ce qu’il a débouté la société Miyoshi Europe de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– fixer son salaire mensuel moyen de référence à 4 765,43 euros, subsidiairement à 4 731,62 euros et plus subsidiairement à 3 408,85 euros,

– déclarer la convention de forfait privée d’effet,

– condamner la société Miyoshi à lui payer les sommes suivantes :

‘ 21 152,03 euros, subsidiairement 20 391,13 euros au titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre les congés payés afférents,

‘ 11 098,58 euros au titre des contreparties obligatoires en repos, outre 1 109,85 euros au titre des congés payés afférents,

‘ 28 592,58 euros, subsidiairement 28 389,72 euros nets à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

‘ 28 592,58 euros, outre 2 859,26 euros au titre des congés payés afférents, subsidiairement 28 389,72 euros, outre 2 838,97 euros au titre des congés payés afférents, plus subsidiairement 20 453,10 euros, outre 2 045,31 euros au titre des congés payés afférents, au titre de la contrepartie de l’application de la clause de non-concurrence,

‘ 28 592,58 euros, subsidiairement 28 389,72 euros, plus subsidiairement 20 453,10 euros nets à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

‘ 14 296,29 euros, subsidiairement 14 194,86 euros, plus subsidiairement 10 226,55 euros nets à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat,

‘ 28 592,58 euros, subsidiairement 28 389,72 euros, plus subsidiairement 20 453,10 euros nets à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail,

‘ 14 296,29 euros, outre 1 429,63 euros au titre des congés payés afférents, subsidiairement, 14 194,86 euros outre 1 419,48 euros au titre des congés payés afférents, plus subsidiairement, 10 226,55 euros outre 1 022,65 euros au titre des congés payés afférents, à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

‘ 3 403,31 euros, subsidiairement 3 379,16 euros, plus subsidiairement 2 400,39 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

‘ 52 419,73 euros, subsidiairement 52 047,82 euros, plus subsidiairement 37 497,35 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– ordonner la communication par la société de son registre d’entrée et sortie du personnel,

– débouter la société de l’intégralité de ses demandes,

– assortir les condamnations prononcées à l’encontre de la société des intérêts de droit à compter du jour de la demande,

– condamner la société à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Aux termes de conclusions notifiées le 20 mai 2022, la société Miyoshi Europe demande à la cour de :

– confirmer le jugement et débouter le salarié de l’ensemble de ses demandes,

– subsidiairement, dire que l’indemnité compensatrice de préavis ne pourra être supérieure à 9 669,24 euros et l’indemnité de licenciement à 2 301,80 euros,

– en tout état de cause, condamner M. [A] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’opposabilité de la convention de forfait

Le salarié fait valoir :

– qu’un accord d’entreprise a été conclu le 8 novembre 2011 entre la société et un délégué du personnel titulaire, en vue d’instaurer une convention de forfait jours au sein de l’entreprise, que cet accord pouvait s’appliquer aux cadres, ainsi qu’aux salariés ‘dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée, et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps’, que son contrat de travail stipulait qu’il était autonome dans l’exercice de ses fonctions, de sorte que la tenue d’un entretien individuel annuel s’imposait,

– que ses horaires de travail étaient fixés par sa hiérarchie, de sorte qu’il ne disposait pas d’une réelle autonomie dans l’exercice de ses fonctions ; que la société a également été défaillante quant à son obligation de contrôler annuellement sa charge de travail, qu’en effet, un seul entretien individuel a été organisé le 18 février 2016, soit deux ans après son embauche, et que la question de sa charge de travail n’a pas été abordée.

La société fait valoir :

– que le salarié était éligible à la convention de forfait jours telle que négociée dans le cadre de l’accord d’entreprise dans la mesure où il n’était pas soumis à des horaires de travail imposés contrairement à ce qu’il prétend ; que son poste de chef d’équipe rendait sa présence indispensable aux moments clés, tels que la prise ou la fin de poste de son équipe, mais qu’il demeurait cependant libre d’organiser son temps de travail comme il le désirait,

– qu’elle a bien effectué un suivi régulier des heures de travail du salarié puisque ce dernier remplissait une fiche de suivi répertoriant ses heures de travail qui était ensuite enregistrées informatiquement par elle ; que cette fiche était signée par le salarié et donnait lieu à l’établissement d’une carte d’édition des pointages récapitulative mensuelle, elle aussi signée par le salarié,

– que le salarié a bénéficié d’entretiens annuels d’évaluation ; qu’au cours de ces entretiens, celui-ci pouvait parfaitement évoquer toute plainte éventuelle sur sa charge de travail.

Sur ce,

Aux termes des articles L. 3121-39 et suivants du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires et il appartient à l’employeur d’organiser un entretien annuel lui permettant de vérifier que l’amplitude et la charge de travail du salarié soumis à un forfait en jours restent raisonnables.

En l’espèce, l’employeur produit un document intitulé ‘entretien professionnel d’évaluation’ qu’il date du 30 avril 2015. La date du 30 avril 2015 figurant en en-tête est celle de la dernière mise à jour du formulaire d’entretien. Cette analyse est confirmée par le fait que la date mentionnée à la fin du document comme ‘date de l’entretien’ est le 18/02. La synthèse de l’entretien, qui constitue un second document de 4 pages, est également datée du 18 février 2016. Il en ressort que l’employeur ne justifie avoir organisé qu’un seul entretien individuel avec M. [A], le 18 février 2016, alors que celui-ci avait été embauché le 24 février 2014.

En outre, le compte rendu de cet entretien fait apparaître que la question de la charge de travail du salarié et de l’équilibre entre son activité professionnelle et sa vie personnelle n’a pas été abordée.

Il est ainsi établi que la société Myioshi Europe a été défaillante quant à son obligation de contrôler annuellement la charge de travail de M. [A], de sorte qu’elle n’est pas fondée à se prévaloir de la convention de forfait, inopposable au salarié.

Sur les heures supplémentaires

La salarié fait valoir :

– que la société ne disposait d’aucun système de badgeuse ; que la direction n’a eu de cesse de lui répéter qu’en application de la convention de forfait jours, aucune heure supplémentaire ne lui serait réglée, qu’il a donc renoncé à faire état de ses heures supplémentaires dans le cadre de ses saisies manuelles,

– que la société ne pouvait ignorer les heures supplémentaires effectuées par lui ; qu’elle a en effet reconnu leur existence dans le cadre du compte-rendu de l’entretien annuel du 18 février 2016, qu’elle ne remet en question que quelques dates auxquelles il indique avoir effectué des heures supplémentaires, reconnaissant implicitement la réalité de toutes les autres dates où des heures supplémentaires ont été revendiquées,

– que la société n’a pas justifié sa durée réelle de travail.

L’employeur fait valoir que le salarié ne démontre pas avoir effectué des heures supplémentaires, que le tableau qu’il produit comporte des invraisemblances et des incohérences et il est contredit par les fiches d’heures qu’il a signées.

Sur ce,

La convention de forfait étant inopposable au salarié, celui-ci est fondé à réclamer le paiement des heures effectuées au delà des 35 heures hebdomadaires.

L’article L. 3171-4 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige dispose :

«En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. (…) ».

Il résulte de ces dispositions qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

En l’espèce, M. [A] produit un décompte précis des heures supplémentaires effectuées à compter du 3 mars 2014 faisant apparaître en général une heure supplémentaire par jour, du lundi au jeudi, et entre deux et trois heures, les vendredis, soit un total de 884,50 heures.

Il produit plusieurs attestations de membres de son équipe qui déclarent qu’il était présent dans l’atelier, selon qu’il était du matin ou de l’après-midi avant leur arrivée ou après leur départ pour ouvrir l’usine, désactiver ou réactiver l’alarme, répartir le travail de l’équipe ou faire sa ronde avant la fermeture.

L’employeur produit l’ensemble des éditions ‘de la carte des pointages’ du salarié signées mensuellement par celui-ci, desquelles il ressort que le salarié a effectué 237,50 heures supplémentaires non rémunérées au cours de la relation de travail. Le salarié reconnaît que ces documents étaient établis à partir des relevés d’heures qu’il remplissait manuellement, l’entreprise n’étant pas équipée d’une badgeuse. Dans la mesure où il était soumis à un forfait en jours, aucun enjeu ne s’attachait à ses déclarations, de sorte qu’il n’avait aucune raison de déclarer certaines heures et pas d’autres.

Il ne ressort pas de l’entretien d’évaluation du 18 février 2016 que l’employeur ait reconnu que le salarié effectuait de nombreuses heures supplémentaires, la mention d’heures supplémentaires à la rubrique ‘ce que le collaborateur apprécie dans son emploi’ s’inscrivant dans ‘l’avancement des démarches lancées en 2015″ parmi lesquelles également ‘le respect des cadences’ et ‘le passage de consigne’ et apparaissant donc sous l’angle de leur gestion par le responsable des équipes, ce que confirme la synthèse de l’entretien faisant état du professionnalisme de M. [A] dans la gestion des équipes notamment au regard de la maîtrise des heures supplémentaires.

La convention de forfait en jour n’étant pas opposable, la cour évalue la créance de M. [A] au titre des heures supplémentaires effectuées et non rémunérées pour la période de mars 2014 à juillet 2016 à 5 711 euros.

Sur la demande en paiement des repos compensateurs sur les heures supplémentaires et des congés payés afférents

Le salarié fait valoir au soutien de cette demande qu’il a effectué des heures supplémentaires au delà du contingent annuel de 130 heures prévu par l’article 8 de l’accord cadre du 8 février 1999, relatif à l’organisation et à la durée du travail annexé à la convention collective, sans bénéficier d’un repos compensateur, de sorte qu’il est fondé à se voir indemniser des 467,50 heures effectuées au delà du contingent annuel.

Selon l’article D.3121-14-1 du code du travail, le salarié dont le contrat de travail a pris fin avant qu’il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos, reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond aux droits acquis. Le calcul des heures supplémentaires effectuées au delà du contingent se fait par année civile.

Au cas présent, il ne ressort par des relevés produits par l’employeur que le salarié a effectué des heures supplémentaires au delà du contingent annuel, de sorte qu’il doit être débouté de ce chef de demande.

Sur la demande d’indemnité pour travail dissimulé

M. [A] fait valoir que la société Miyoshi Europe a délivré des bulletins de paie ne faisant pas mention des heures supplémentaires effectuées, alors qu’elle ne pouvait pas en ignorer l’existence qui n’avait pu échapper à ses supérieurs hiérarchiques.

L’employeur fait valoir qu’il a, de bonne foi, appliqué la convention de forfait et qu’il n’a jamais reçu de questionnement de M. [A] sur l’accomplissement ou la rémunération d’heures supplémentaires.

Sur ce,

L’article L. 8221-5 du code du travail répute travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur notamment de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.

Selon l’article L. 8223-1, « En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire. »

La dissimulation d’emploi n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de salaire un nombre d’heures inférieur à celui réellement effectué. Le caractère intentionnel de la dissimulation d’emploi ne peut se déduire de la seule application d’une convention de forfait illicite.

En l’espèce, M. [A] ne rapporte pas la preuve du caractère intentionnel de la dissimulation d’emploi, de sorte qu’il doit être débouté de sa demande de dommages-intérêts de ce chef.

Sur l’indemnisation au titre de la clause de non concurrence

La salarié fait valoir qu’il n’a jamais renoncé à la clause de non-concurrence insérée dans son contrat de travail, et n’a perçu les versements mensuels de la contrepartie due au titre de cette clause que pour les mois d’août à octobre 2016.

La société Miyoshi Europe fait valoir qu’elle a libéré le salarié de son obligation de non-concurrence par courrier du 11 juillet 2016, que ce dernier a contesté son licenciement mais n’a pas contesté le fait d’avoir été libéré de cette obligation.

Sur ce,

Le contrat de travail prévoyait que M. [A] serait astreint à une clause de non-concurrence d’une durée d’un an. La lettre de licenciement indiquait : ‘conformément aux dispositions de la Convention collective et aux termes de votre contrat, nous vous proposons de vous libérer […] de la clause de non concurrence y figurant’.

L’article 18 de l’avenant n°2 de la convention collective applicable prévoit que l’employeur peut libérer le salarié de la clause de non concurrence ‘avec l’accord de l’intéressé’ et que, dans ce cas, l’indemnité mensuelle est payée pendant 3 mois à dater de l’expiration de la période de préavis.

L’employeur ne justifie pas que le salarié ait donné son accord pour être libéré de la clause de non concurrence, le silence gardé par celui-ci à réception de la proposition ne pouvant valoir acquiescement.

Le salaire perçu par M. [A] au cours des 12 derniers mois était de 40 238,28 euros, soit un salaire moyen mensuel de 33 53,19 euros, auquel il convient d’ajouter une moyenne de 251,28 euros au titre des heures supplémentaires soit au total 3 604,47 euros, de sorte que la créance au titre du complément de la clause de non concurrence s’établit à la somme de 3 604,47 euros x 2/3 x 9 = 21 626,82 euros.

S’agissant d’une somme à caractère indemnitaire n’ayant pas le caractère de salaire, le salarié n’est pas fondé à solliciter une somme au titre des congés payés afférents.

Sur le harcèlement moral

Le salarié fait valoir :

– qu’il a été contraint d’exercer ses fonctions dans un environnement de travail anxiogène et particulièrement dégradé,

– qu’il a été soumis à une cadence de travail insoutenable, qu’il s’est vu confier un grand nombre de tâches excédant sa mission initiale de chef d’équipe,

– qu’il a également subi de nombreuses pressions de la part de la direction,

– que son état de santé a été fortement impacté, qu’il a été victime d’un accident du travail, que le médecin psychiatre de la caisse primaire d’assurance maladie a confirmé le lien direct entre la dégradation de son état de santé et ses conditions de travail,

– que l’enquête interne diligentée par la société a été réalisée a minima, qu’il n’a pu se rendre à l’entretien en raison de son état de santé, et que les salariés entendus étaient précisément les personnes mises en cause par lui.

L’employeur fait valoir :

– que le salarié a formulé les premières accusations de harcèlement moral par courrier du 28 juin 2016, soit après avoir reçu le courrier de convocation à l’entretien préalable,

– que le salarié a fait l’objet d’une visite médicale auprès de la médecine du travail, le 24 juin 2015, et qu’il n’a pas fait état de faits de harcèlement moral,

– qu’en tout état de cause, le salarié ne verse aux débats aucun élément sérieux et probant démontrant des faits de harcèlement moral alors qu’aux termes l’enquête approfondie diligentée suite au courrier du salarié du 28 juin 2016, il n’est pas apparu d’élément permettant de retenir la réalité des faits de harcèlement moral.

Sur ce,

Aux termes des articles L.1152-1 et suivants du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Toute rupture du contrat de travail qui en résulterait est nulle de plein droit. L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Selon l’article L.1154-1, dans sa rédaction applicable à la cause, il appartient au salarié qui s’en prétend victime d’établir les éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que les agissements reprochés ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Le salarié veut pour preuve des faits de harcèlement moral dont il se dit victime une série d’attestations de membres de son équipe qui indiquent qu’il avait une charge de travail ‘colossale’, qu’il subissait une pression ‘démesurée’, qu’il était victime de ‘sabotages’ et de ‘méthodes malsaines’et que ses supérieurs se liguaient contre lui et le harcelaient, ainsi que les circonstances de son arrêt de travail traduisant son épuisement professionnel.

Toutefois, les attestations produites par M.[A] ne rapportent aucun fait précis matériellement vérifiable laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Le seul état d’épuisement professionnel attesté par les éléments médicaux ne saurait faire la preuve d’agissements répétés à l’origine d’une dégradation des conditions de travail du salarié.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté M. [A] de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

Sur le manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité

Le salarié fait valoir :

– qu’il a évolué dans un environnement professionnel empreint de dangers pour sa sécurité, qu’il travaillait notamment sur des machines industrielles complexes et dangereuses pour lesquelles il n’a bénéficié d’aucune formation,

– qu’il a en outre été exposé à des températures élevées et a inhalé des produits nocifs, faute de système d’aération suffisant,

– que ce n’est que tardivement qu’un bureau a été mis à sa disposition,

– que l’employeur est dans l’incapacité de justifier de mesures efficientes prises pour assurer la santé et la sécurité de ses salariés.

La société Miyoshi Europe fait valoir :

– que ,d’une part, elle a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale afin de contester la prise en charge de l’accident du 30 mai 2016 au titre de la législation professionnelle et, d’autre part, M. [A] a introduit une procédure en reconnaissance de sa faute inexcusable à l’origine de cet accident,

– que le salarié ne peut pas, sur la base des mêmes faits, solliciter une indemnisation au titre d’une faute inexcusable de l’employeur et une indemnisation au titre de prétendus manquements à l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur,

– qu’en tout état de cause, elle verse aux débats des éléments démontrant qu’elle a assuré la protection de la sécurité de ses salariés.

Sur ce,

En application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées dans le dispositif des conclusions.

En l’espèce, le dispositif des conclusions de la société Miyoshi Europe ne soulève pas l’irrecevabilité de la demande formulée par le salarié au titre d’un manquement à l’obligation de sécurité, de sorte que la cour n’a pas à se prononcer sur ce point faute d’en être valablement saisie.

Selon l’article L.4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’article L. 451-1 du code de la sécurité sociale dispose que ‘sous réserve des dispositions prévues aux articles L. 452-1 à L. 452-5, L. 454-1, L. 455-1, L. 455-1-1 et L.455-2 aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit’.

Ce texte instaure une compétence exclusive de la juridiction de sécurité sociale pour trancher tout litige relatif à un accident du travail et une maladie professionnelle.

L’article L. 452-1 du même code dispose que ‘Lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants’.

L’indemnisation complémentaire pour faute inexcusable est également de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale.

Il en résulte qu’aucune action en réparation des accidents du travail et maladies professionnelles ne peut être exercée conformément au droit commun par la victime ou ses ayants droit.

En l’espèce, l’employeur justifie qu’il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale le 11 octobre 2017 afin de contester la décision de prise en charge de l’accident du salarié survenu le 30 mai 2016 au titre de la législation relative aux risques professionnels et que le 18 octobre 2017, le salarié a sollicité la reconnaissance d’une faute inexcusable de celui-ci.

Au soutien de ses demandes devant les juridictions de sécurité sociale, le salarié invoque également sa charge de travail, la température dans les ateliers, l’atmosphère et l’empoussièrement, le port de charges lourdes et le turn over au sein du personnel.

Aucune décision définitive sur la prise en charge de l’accident litigieux au titre de la législation professionnelle et sur l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur n’étant intervenue à ce jour, il convient de surseoir à statuer sur la demande de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Sur l’exécution déloyale du contrat de travail

Le salarié reproche à l’employeur :

– l’irrégularité de la convention de forfaits en jours,

– une charge écrasante de travail,

– le non paiement des heures supplémentaires,

– l’absence de formation lui permettant de s’adapter à ses conditions de travail et préservant sa sécurité,

– l’absence de contrepartie aux temps d’habillage et de déshabillage avant le 1er janvier 2016,

– le non paiement du temps de douche.

L’employeur fait valoir :

– que le salarié ne démontre pas la surcharge de travail alléguée, ni les heures supplémentaires prétendument effectuées,

– que le salarié disposait des compétences requises pour assumer les responsabilités de chef d’équipe, qu’il ne s’est jamais plaint de ne pas avoir les compétences nécessaires ou de ne pas avoir bénéficié des formations requises pour occuper son poste, qu’il a participé aux formations sur le port des EPI et des masques et à la formation QSSE du 27 mai 2016, qu’il avait également été formé à la nouvelle machine DDPS,

– que la prise de douches au sein des locaux n’était pas obligatoire et que les fonctions de M. [A], qui n’était pas constamment dans les ateliers, ne relevaient pas des dispositions légales en la matière,

– que les temps d’habillage et de déshabillage ont bien fait l’objet d’une contrepartie financière.

Sur ce,

Selon l’article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

L’absence d’entretien annuel permettant de vérifier que l’amplitude et la charge de travail du salarié restaient raisonnables constitue un manquement de l’employeur à ses obligations. Le non paiement des heures supplémentaires n’est qu’une conséquence indirecte de ce manquement réparé par l’allocation du rappel de salaire correspondant.

Le salarié ne fournit aucun élément objectivant sa charge de travail et permettant d’affirmer qu’elle était excessive.

De même, il ne précise pas en quoi sa formation était insuffisante pour son poste, alors qu’il était titulaire d’un BTS ‘maintenance industrielle’, qu’il avait occupé antérieurement un poste de chef de lignes de conditionnement dans l’industrie pharmaceutique pendant 13 ans et exercé comme technicien de maintenance dans l’industrie pharmaceutique ce qui lui conférait les compétences requises pour occuper le poste de chef d’équipe dont la mission principale était, aux termes de son contrat de travail, de gérer/coordonner le déroulement des fabrications et conditionnements et, développer la polyvalence dans les ateliers, et qu’il ne s’est jamais plaint d’un manque de formation.

S’agissant de l’indemnisation des temps d’habillage et de déshabillage, le règlement intérieur de la société Miyoshi Europe prévoit l’obligation pour les salariés travaillant dans les unités de production, les laboratoires et les unités de stockage de porter une tenue de travail dès leur prise de poste. Ils doivent la quitter pendant la pause déjeuner et la remettre ensuite.

Selon l’article L.3121-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, le temps nécessaire aux opérations d’habillage et de déshabillage fait l’objet de contreparties, soit sous forme de repos soit sous forme financière, lorsque le port d’une tenue de travail est imposés par des dispositions légales ou conventionnelles et que l’habillage et le déshabillage doivent être réalisés sur le lieu du travail.

L’employeur ne justifie pas avoir indemnisé les temps d’habillage et de déshabillage imposés par le règlement intérieur avant le 1er janvier 2016, de sorte que ce manquement est également avéré.

S’agissant du temps de douche, selon l’article R. 3121-1 du code du travail, en cas de travaux insalubres et salissants, le temps passé à la douche est rémunéré au tarif normal des heures de travail, sans être pris en compte dans le calcul de la durée du travail effectif.

L’annexe 2 du 23 juillet 1947, prise en application de l’article R. 4228-8, vise parmi les travaux insalubres ou salissants ‘la fabrication et la manipulation des pigments en poudre’.

Il résulte des attestations produites par le salarié que celui-ci n’a pas toujours disposé d’un bureau fermé, effectuant alors ses tâches administratives sur un pupitre au sein de l’atelier et qu’en tout état de cause, il était souvent appelé à intervenir dans les ateliers dans lesquels régnait une ambiance poussiéreuse. Dès lors ses temps de douche auraient dû lui être rémunérés.

L’ensemble de ces manquements ont causé à M. [A] un préjudice qui sera justement réparé par l’allocation d’une somme de 3 000 euros.

Sur le licenciement pour faute grave

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige reproche à M. [A] de n’avoir pas procédé à l’arrêt de la machine ‘DDPS’ à l’issue de sa journée de travail le 10 juin 2016 et de n’avoir prévenu de son absence le 13 juin qu’à 10h30 et non lors de sa prise de poste à 6h20.

Selon l’article L.1226-9 du code du travail, au cours des périodes de suspension, l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie.

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant le préavis. La charge de la preuve repose sur l’employeur. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Sur l’arrêt de la machine DDPS

Il résulte des explications concordantes des parties que M. [W], qui était en charge des fabrications du matin et expérimenté sur l’utilisation de la machine DDPS, avait été chargé de transmettre les consignes et procédures concernant l’arrêt de cette machine à M. [A]; que cette transmission ne s’est pas faite de vive voix mais par l’intermédiaire de M. [I] [G], opérateur de production, à qui M. [W] avait laissé son numéro de téléphone portable pour le cas où M. [A] aurait eu besoin de guidage pour effectuer l’opération ; que ce dernier l’a contacté téléphoniquement dans l’après-midi pour se faire rappeler les consignes.

Pour justifier du manquement imputé au salarié, l’employeur produit une attestation de M. [W] qui déclare avoir laissé par écrit à M. [A] la consigne d’éteindre la machine DDPS à la fin de son poste à 22h20 et la lui avoir rappelée oralement lors de son appel téléphonique mais avoir constaté le lundi 13 juin, en prenant son poste, que la machine n’avait pas été arrêtée.

Il produit également un rapport d’incident daté du 21 juin 2016, signé du responsable de production, M. [L], et contresigné par M. [W], établi à la suite d’une enquête menée le 13 juin, duquel il ressort que les consignes étaient les suivantes : ‘si LOD ok : vidange product / si LOD non ok : arrêt machine en passage en mode manuel’ : que lors de la communication téléphonique entre M. [W] et M. [A], ce dernier avait indiqué avoir bien compris la consigne ; qu’à sa prise de poste le lundi 13, M. [W] avait constaté que l’équipement tournait encore ; qu’une vérification du programme et des consommations électriques de la machine démontraient que celle-ci avait fonctionné pendant tout le week end.

Le salarié fait valoir qu’il n’était pas formé sur la machine DDPS et qu’il a suivi strictement les consignes d’arrêt en manuel qui lui avaient été données par M. [W].

Il produit des attestations de M. [G], opérateur de production qui l’assistait ce soir là, aux termes de laquelle celui-ci déclare : ‘la semaine du vendredi 10 juin 2016, j’étais polyvalent. Nous avons fait l’inspection finale ensemble. Je témoigne que M. [A] [Y] a éteint la DDPS à 22h20″ et de M. [N], agent de production de service ce soir là, qui confirme que M. [A] avait éteint la machine le 10 juin 2016 au soir avec M. [G], qui démentent qu’il ait omis de procéder aux opérations d’arrêt de la machine.

L’employeur entend rapporter la preuve de la formation et de l’information reçues par le salarié par des attestations :

– de M. [V], responsable des méthodes opérationnelles, qui déclare avoir montré et expliqué le fonctionnement de la machine et avoir indiqué qu’une procédure d’utilisation de la machine simplifiée était disponible sur l’armoire électrique du mélanger 1600L DDPS de M. [W],

– de M. [E], également chef d’équipe, qui déclarer que M. [A] et lui savaient éteindre la machine en toute conformité et qu’ils avaient eu l’occasion de la faire individuellement sans problème.

Il ne produit toutefois pas la fiche de procédure prétendument affichée dans l’armoire électrique, ni d’attestation de formation.

M. [A] produit des attestations de MM. [G] et [F] qui affirment que le personnel de production n’était pas formé à l’utilisation de la machine DDPS à l’exception de M. [V], responsable méthode, et de M. [W], opérateur détaché pour le projet du DDPS.

Il ressort en outre du rapport d’incident que la machine DDPS était ‘un équipement en cours de lancement industriel qui nécessite d’être arrêté de façon manuelle’ et que le salarié en charge de l’arrêter était susceptible d’avoir ‘besoin de guidage’ et devait en conséquence solliciter l’aide de M. [W].

Il est ainsi établi qu’il s’agissait d’une machine dont l’utilisation était compliquée et nécessitait une formation spécifique que seul M. [W] avait reçue, de sorte que les attestations produites par l’employeur sont insuffisantes à faire la preuve de la pertinence de la formation dispensée à M. [A] pour arrêter la machine et de la mise à disposition d’une notice simplifiée.

Il est d’autre part établi que M. [A] avait reçu les directives de M. [W], de sorte que l’inefficacité de l’opération d’arrêt a pu provenir d’une erreur de guidage de ce dernier.

Ainsi, il existe un doute sur la matérialité des faits reprochés au salarié s’agissant de l’arrêt de la machine DDPS.

Sur la justification tardive de l’absence du 13 juin

Le salarié fait valoir que, victime d’une importante crise d’angoisse, il n’a pas été en mesure de prendre attache immédiatement auprès de son employeur, qu’il s’est rendu en urgence chez son médecin traitant qui l’a placé en arrêt de travail et qu’il a contacté l’employeur au sortir de son rendez-vous, conformément aux dispositions du règlement intérieur en la matière.

Le règlement intérieur de l’entreprise dispose en son article 6-2 ‘en cas d’absence imprévue ou pour raison indépendante de sa volonté, le salarié doit aviser le service du personnel dans le journée sauf en cas de force majeure’. L’article 6-3 précise que ‘toute absence pour maladie ou accident doit être signalée immédiatement et dans les 48 heures par l’envoi d’un certificat médical à la direction de l’entreprise et par communication téléphonique’.

A supposer que le salarié ait été en état de prévenir de son absence à l’heure d’ouverture de l’atelier et que les dispositions susvisées lui en aient fait l’obligation, le retard reproché à un salarié n’ayant jamais fait l’objet d’une remarque aurait pu tout au plus justifier un avertissement.

Il est en outre établi par les attestations concordantes de MM. [M] et [N] que l’atelier a été ouvert sans difficulté ce matin là et que les salariés ont pu prendre leur poste malgré l’absence de M. [A], de sorte que la désorganisation alléguée n’est pas établie et que le manquement imputé au salarié ne saurait constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Sur les indemnités de rupture

En l’absence de faute grave, le salarié est fondé à obtenir le versement d’une indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité de congés payés afférents.

La cour dispose des éléments lui permettant de fixer la moyenne des trois derniers mois de salaire, y compris les heures supplémentaires de la période, à 3 642,80 euros, de sorte que le salarié est fondé à se voir allouer la somme de 10 928,38 euros à titre d’indemnité de préavis, outre la somme de 1 092,83 euros au titre des congés payés afférents.

Selon l’article L.1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée alors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

L’article 21 de l’avenant n°2 de la convention collective applicable prévoit que les salariés ayant plus de deux ans d’ancienneté ont droit à une indemnité de licenciement de 3/10 de mois par année à compter de la date d’entrée dans l’entreprise.

Selon l’article R.1234-4 du code du travail, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime à caractère annuel ou exceptionnel versée au salarié pendant cette période n’est prise en compte dans la limite d’un montant calculé à due proportion.

En l’espèce, le salarié est fondé à voir calculer son indemnité de licenciement sur la base de la moyenne des trois derniers mois qui est la plus avantageuse soit 3 642,80 euros. Son ancienneté était de 2 ans, 4 mois et 17 jours.

Il convient en conséquence de faire droit à sa demande à hauteur des sommes suivantes: (3 642,80 euros x 3/10 x 2) + (3 642,80 euros x 3/10/12 x 4) + (3 642,80 euros x 3/10/12 / 30 x 17 ) = 2 185,68 euros + 364,28 + 51,61 euros = 2 601,57 euros.

Sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

En application de l’article L 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de notification du licenciement, le salarié peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure au montant des salaires bruts qu’il a perçus pendant les six derniers mois précédant son licenciement.

Le salarié invoque au soutien de sa demande de dommages-intérêts la violence de son licenciement à effet immédiat qui l’a privé de la possibilité de faire ses adieux à ses collègues et de rétablir la vérité sur les motifs de la rupture, ce alors qu’il n’avait jamais fait l’objet du moindre recadrage, ni de la moindre sanction, ainsi que la précarisation de sa situation financière et la dégradation de son état de santé consécutive à son épuisement professionnel lui ayant interdit toute recherche d’emploi.

L’employeur fait valoir que l’état dépressif du salarié n’est pas en lien avec son emploi au sein de la société.

Compte tenu de l’effectif de l’entreprise dont il n’est pas contesté qu’il était d’au moins onze salariés, de l’ancienneté de deux ans et quatre mois et de l’âge du salarié à la date du licenciement, des circonstances ayant entouré la rupture des relations contractuelles et des difficultés de réinsertion professionnelle prévisibles, et au regard de la moyenne des six derniers mois de salaire (3 620 euros), le préjudice subi du fait de son licenciement injustifié sera réparé par l’allocation d’une somme de 22 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Aux termes de l’article L.1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L.1235-3 et L.1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié concerné. Ce remboursement est ordonné d’office par la juridiction dans le cas où les organismes concernés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Il convient en conséquence d’ordonner d’office à la société Miyoshi Europe de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage servies à M. [A], dans la limite de six mois d’indemnisation.

Sur les demandes accessoires

Les intérêts courent sur les sommes dues à titre de salaire et d’indemnités de licenciement à compter du 27 février 2017, date de réception de la demande par la société Miyoshi Europe et sur les dommages-intérêts à compter du jugement du 3 septembre 2019.

La société Miyoshi Europe qui succombe à titre principal, supporte les dépens de première instance et d’appel ainsi qu’une indemnité de procédure dans la mesure énoncée dans le dispositif.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

Réforme le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [Y] [A] de l’intégralité de ses demandes  ;

Statuant à nouveau,

DÉCLARE la convention de forfait en jours inopposable à M. [Y] [A] ;

CONDAMNE la société Miyoshi Europe à payer à M. [Y] [A] les sommes suivantes :

– 5 711 euros, à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre 571,10 euros au titre des congés payés afférents,

– 21 626,82 euros au titre de la contrepartie de l’application de la clause de non-concurrence,

– 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

– 10 928,38 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 092,83 euros au titre des congés payés afférents,

– 2 601,57 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 22 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

DIT que l’indemnité allouée au titre de la contrepartie de l’application de la clause de non concurrence n’ouvre pas droit à congés payés et déboute M. [Y] [A] de ce chef de demande ;

DIT que les sommes allouées supporteront, s’il y a lieu, le prélèvement des cotisations et contributions sociales ;

DIT que les intérêts courent sur indemnités à caractère salarial à compter du 27 février 2017 et sur les sommes allouées à titre de dommages-intérêts ou d’indemnité à caractère non salarial à compter du 3 septembre 2019 ;

ORDONNE le remboursement par la société Miyoshi Europe à Pôle emploi des indemnités de chômage servies à M. [Y] [A] dans la limite de six mois d’indemnisation en application de l’article L. 1235-4 du code du travail ;

DÉBOUTE M. [Y] [A] de sa demande d’indemnité au titre de la contrepartie obligatoire en repos des heures supplémentaires excédant le contingent annuel, de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé et de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

SURSOIT à statuer sur la demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité jusqu’à décision définitive de la juridiction de sécurité sociale sur la prise en charge de l’accident du 30 mai 2016 au titre de la législation sociale et la reconnaissance d’une faute inexcusable à l’origine de cet accident ;

ORDONNE la radiation de l’affaire du rôle des affaires en cours et dit qu’elle sera inscrite à nouveau à l’initiative de la partie la plus diligente ou à la diligence de la cour, aux fins de reprise de l’instance suspendue, sur justification de l’événement attendu ;

CONDAMNE la société Miyoshi Europe à payer à M. [Y] [A] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Miyoshi Europe aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

 


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