Épuisement professionnel : 24 juin 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 20/01369

·

·

Épuisement professionnel : 24 juin 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 20/01369

ARRÊT DU

24 Juin 2022

N° 1053/22

N° RG 20/01369 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TBH5

PS / GD

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CALAIS

en date du

02 Juin 2020

(RG F18/00020 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 24 Juin 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANTE :

Mme [S] [D]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me David BROUWER, avocat au barreau de DUNKERQUE

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 59178002/20/07295 du 20/09/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de DOUAI)

INTIMÉE :

S.A.R.L. MENUISERIE INDUSTRIELLE DU CALAISIS

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Jérôme AUDEMAR, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER

DÉBATS :à l’audience publique du 26 Avril 2022

Tenue par Patrick SENDRAL

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Gaëlle LEMAITRE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Monique DOUXAMI

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT :Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Juin 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Monique DOUXAMI, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 05 avril 2022

FAITS ET PROCEDURE

En septembre 2010 la société Menuiserie industrielle du Calaisis (M.I.C) a engagé Mme [D] en qualité de commerciale à temps partiel, coefficient 750 de la Convention collective nationale de la plasturgie. Le 1er juin 2016 elle a été placée en arrêt-maladie suite à un accident domestique. Lors de la visite de reprise, le 20 janvier 2017, le médecin du travail l’a déclarée inapte à tout poste dans l’entreprise. Ayant été licenciée le 22 février 2017 pour inaptitude et impossibilité de reclassement elle a saisi le Conseil de Prud’hommes de diverses réclamations salariales et indemnitaires.

Par jugement ci-dessus référencé les premiers juges l’ont déboutée de ses demandes, ont rejeté la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par l’employeur et alloué à ce dernier la somme de 100 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu l’appel formé par Mme [D] contre ce jugement et ses conclusions du 1/9/2020 tendant à la condamnation de la société M.I.C au paiement des sommes suivantes:

– salaires par reclassification au coefficient 910 : 49 085 euros

– heures supplémentaires: 63 120 euros outre l’indemnité de congés payés afférente

– rappel d’indemnité compensatrice de préavis : 16 950 euros

– rappel d’indemnité de licenciement : 2763 euros

– dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse: 50 000 euros

– dommages-intérêts pour harcèlement moral: 70 000 euros

– dommages-intérêts pour absence de prévention des risques professionnels: 10 000 euros

– frais non compris dans les dépens: 4000 euros

Vu les conclusions du 30/11/2020 par lesquelles la société M.I.C demande la confirmation du jugement, le rejet des demandes adverses ainsi qu’une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

Vu l’article 455 du code de procédure civile

Vu l’ordonnance de fixation de l’affaire et de clôture

MOTIFS

Les moyens présentés en cause d’appel par la salariée ne font que réitérer sous une forme nouvelle, mais sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs abondants et pertinents que la Cour adopte sans qu’il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.

Il convient d’ajouter ce qui suit’:

sur la demande de rappel de salaires au titre de la reclassification

Mme [D] prétend avoir accompli dès son embauche des fonctions de directrice commerciale ouvrant droit au coefficient 910 mais pour en bénéficier elle devait disposer d’au moins 58 points dans la grille de pondération des critères conventionnels étant précisé que l’octroi dudit coefficient répond suppose en outre que :

«A partir de directives définissant le cadre général de l’emploi combinant travaux de conception, de coordination, d’analyse et de synthèse, réalisation de travaux d’ensemble complexes impliquant la prise en compte de contraintes techniques, économiques, sociales, … L’emploi comporte une part d’innovation importance s’exerçant dans un domaine technique précis. Formation bac + 5. Proposer des modifications à l’objectif global initialement défini conduisant à optimiser la performance du service dont il a la responsabilité. L’emploi intègre une composante relationnelle prépondérante dans le cadre d’un emploi basé sur la négociation.

Présentement, il résulte des courriels, des attestations, de documents de toute nature et des explications des parties que’:

-Mme [D] a reçu les candidatures de commerciaux, M.[E] et Mme [R]

-elle a déposé pour le compte de son employeur une offre d’emploi sur le site de Pôle Emploi

-elle a préparé deux contrats de travail

-elle recevait en copie des échanges de correspondance entre le gérant et des clients

-elle lui communiquait en fin de mois le chiffre d’affaires des commerciaux et retransmettait à ces derniers, par courriel, les objectifs fixés par l’entreprise

-elle prospectait, éditait des devis et traitait les commandes des clients conformément au contrat de travail mais non en sus

-elle ne réalisait pas des travaux d’ensemble pouvant être qualifiés de complexes et n’avait pas de rôle particulier en matière d’innovation

-elle n’a pas joué de rôle structurel dans la définition de la politique commercial

-elle demandait fréquemment ses instructions techniques ou commerciales au gérant

-elle ne justifie pas de son niveau de diplômes ni a fortiori d’une formation de niveau bac + 5

-elle justifie d’une expérience professionnelle comme commerciale mais non comme encadrante

-elle a mis en garde un collègue sur instructions du gérant

-subordonnée à celui-ci, astreinte à des horaires et devant lui rendre des comptes, elle avait une autonomie limitée

-elle n’était pas chargée de former les arrivants ni d’animer habituellement le service au sens de la Convention collective.

Il en ressort qu’en application de la Convention collective son emploi est classé à 52 points répartis comme suit’:

– dans le critère «’connaissances’», 12 dans le critère «’technicité’», 10 dans le sous critère «’animation’», 4 dans le sous critère «’responsabilité hiérarchique’», 5 dans le critère «’traitement de l’information’», et 15 dans le critère autonomie.

N’atteignant pas 58 points Mme [D] sera donc déboutée de sa demande.

Sur les heures supplémentaires

Aux termes de l’article L 3171-2 du code du travail, lorsque tous les’salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de’travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Il résulte de ces dispositions qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies il appartient au salarié’de présenter, à l’appui de sa demande, des’éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées prétendument accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre en produisant ses propres éléments.

Force est de relever, en premier lieu, que l’appelante ne produit aucun tableau ni décompte des heures effectuées. Elle se borne à prétendre avoir travaillé entre «’10 et 12 heures par jour 5 à 6 jours par semaine’» mais cette allégation est particulièrement floue, l’amplitude variant à ses dires entre 50 et 72 heures hebdomadaires. Par ailleurs, elle évalue, tout aussi forfaitairement, les heures supplémentaires accomplies mensuellement à 108 heures. Les éléments présentés au soutien de sa demande manquent donc de précision.

Surabondamment, elle n’apparaît pas avoir dépassé la durée fixée au contrat l’astreignant à une activité les lundis, mardis, jeudi et vendredis et elle n’a pas travaillé les mercredis sauf exceptionnellement afin de récupérer un vendredi non travaillé. Le fait qu’elle ait répondu à des courriels depuis chez elle, sans que l’employeur l’y obligeât, est indifférent alors même qu’aucun de ses états de frais ne porte sur la journée du mercredi et que la plupart des témoins déclarent ne pas l’avoir vue travailler dans l’entreprise ce jour-là. Elle soutient avoir journellement travaillé de 8 h 30 à 18 h 30 sans pause y compris ses jours de repos et à son domicile mais cette assertion n’est corroborée par aucun élément. Elle n’a par ailleurs jamais été sous la subordination de son employeur les samedis, dimanches et jours fériés, jours de fermeture de l’entreprise.

Pour l’ensemble de ces raisons le jugement sera confirmé.

Les demandes de revalorisation salariale étant toutes rejetées les demandes de rappel d’indemnité de licenciement et de préavis le seront également.

Sur les demandes indemnitaires au titre du harcèlement moral, du manquement à l’obligation de sécurité et du licenciement sans cause réelle et sérieuse

En cause d’appel, outre des allégations imprécises étayées d’aucun élément et l’énoncé de généralités impropres à fonder sa demande, Mme [D] soutient avoir été surchargée de travail mais l’excès de missions confiées n’est pas avéré, même si elle a accompli des tâches en sus de celles prévues au contrat de travail. Ses réclamations salariales ont été rejetées pour les raisons sus-énoncées. Elle évoque des relations difficiles du gérant avec des clients mais à supposer ces faits avérés, ce qui n’est pas le cas, ce grief serait inopérant dans leurs rapports mutuels. Elle se prévaut sans fondement de manquements de l’employeur à sa promesse d’octroyer des gratifications aux salariés. Ne sont établies ni la mise en place illicite d’un contrôle électronique de leur activité (dûment déclaré à la CNIL) ni la limitation indue de l’usage des toilettes.

L’appelante fait plaider que le fils du gérant s’est présenté chez elle pour récupérer un téléphone professionnel lorsqu’elle était en arrêt-maladie mais il ressort des justificatifs qu’elle en a été informée préalablement par le gérant et que ce dernier était fondé de reprendre ce matériel appartenant à l’entreprise. N’est pas plus fondé le grief tenant au retard apporté par l’employeur à la régularisation de ses droits à maintien de salaires pendant l’arrêt-maladie puisqu’il a régularisé la situation rapidement et que le retard, dû à l’absence de communication en temps utile des relevés d’indemnités de sécurité sociale, ne présente pas d’anormalité.

L’appelante évoque des reproches incessants de la part du gérant mais il appert que celui-ci a agi sans abus conformément au pouvoir de direction dont il est investi. Il l’a d’ailleurs encouragée et félicitée, comme ses collègues, lorsque la situation le justifiait. Mme [D] déclare avoir pâti d’un épuisement professionnel mais les certificats médicaux versés au dossier, postérieurs à son arrêt-maladie en juin 2016 consécutif, selon elle, à une chute dans les escaliers de son domicile, sont exclusivement basés sur ses déclarations. Il ne peut d’autre part être exclu que ses problèmes de santé présentent un lien avec sa situation personnelle délicate ni que dans ce contexte elle ait eu des difficultés à supporter la pression inhérente à son activité professionnelle.

Il a par ailleurs été jugé que Mme [D] n’a effectué aucune heure en sus de celles prévues au contrat et qu’elle était libre le mercredi et les fins de semaine. Si son employeur lui a confié des responsabilités en plus de celles prévues au contrat il n’a ce faisant commis aucune faute. Il a certes pu manifester d’importantes exigences mais la pression à laquelle il a soumis la salariée ne peut être qualifiée d’anormale pour une petite entreprise confrontée à une intense concurrence. Les courriels du gérant ne contiennent au demeurant aucun terme dérogeant à l’obligation de courtoisie. Mme [D] soutient qu’il lui a adressé des reproches mais l’examen des dizaines de courriels produits aux débats ne révèle pas d’exercice abusif du pouvoir de direction. Force est par ailleurs de constater qu’avant la rupture du contrat de travail l’appelante n’a adressé à sa direction aucune récrimination sur ses conditions de travail.

Il s’ensuit que Mme [D] n’établit pas la réalité de faits laissant, pris dans leur ensemble, présumer le harcèlement moral, que l’employeur n’a pas commis de manquement à l’obligation de sécurité et que l’inaptitude ne peut être reliée à des manquements à ses obligations.

Sur le licenciement proprement dit, Mme [D] soutient que la société M.I.C a méconnu l’obligation de reclassement aux motifs, notamment qu’elle n’a pas proposé de reclassement au sein du groupe. Il ressort de ses écritures que la société M.I.C était membre d’un groupe de société ayant le même dirigeant en la personne de M.[V], composé, outre la M.I.C, des sociétés MATECO et MAT NEGOCE commercialisant les fabrications de cette dernière aux particuliers et aux entreprises. Il appert que la permutation des personnels entre ces sociétés était largement facilitée par la présence d’un même dirigeant et leur objet. La société M.I.C ne fournit aucune indication sur les démarches entreprises afin de reclasser la salariée dans le groupe et elle ne conteste pas les allégations de celle-ci quant à l’existence d’un groupe et à l’absence d’efforts de reclassement en son sein.

La preuve du respect de l’obligation de reclassement incombant à l’employeur il se déduit des considérations précitées qu’il a méconnu son obligation de reclassement et que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

N’ayant pas le statut de cadre il sera alloué à Mme [D], à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 2 mois de la rémunération qu’elle aurait dû percevoir s’il avait été travaillé, soit la somme de 7000 euros vu les éléments produits.

Compte tenu des effectifs de l’entreprise, de l’ancienneté de la salariée, de son âge, du revenu dont elle a été privée, de ses qualifications, de ses difficultés à retrouver un emploi et des justificatifs sur sa situation postérieure à la rupture il y a lieu de lui allouer 15 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et financier causé par la perte d’emploi injustifiée.

Les frais

Il n’est pas inéquitable de condamner l’employeur, en appel, au paiement d’une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

CONFIRME le jugement sauf en ses dispositions ayant débouté Mme [D] de ses demandes d’indemnité de préavis, congés payés afférents et dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

statuant à nouveau sur les dispositions infirmées et y ajoutant :

DIT que le licenciement de Mme [D] est dénué de cause réelle et sérieuse

CONDAMNE la société MENUISERIE INDUSTRIELLE DU CALAISIS à lui payer les sommes suivantes’:

– indemnité compensatrice de préavis 7000 euros

– indemnité de congés payés afférente’: 700 euros

– dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse’: 15 000 euros

– frais de procédure en appel’: 2000 euros

DEBOUTE Mme [D] du surplus de ses demandes

CONDAMNE la société MENUISERIE INDUSTRIELLE DU CALAISIS aux dépens d’appel.

LE GREFFIER

Nadine BERLY

LE PRESIDENT

Monique DOUXAMI

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x