Épuisement professionnel : 23 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/10302

·

·

Épuisement professionnel : 23 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/10302

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 5

ARRET DU 23 JUIN 2022

(n° 2022/ , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/10302 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CAYYS

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Septembre 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRETEIL – RG n° F17/01414

APPELANTE

SASU ARC EN CIEL TERTIAIRE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Roland ZERAH, avocat au barreau de PARIS, toque : D0164

INTIME

Monsieur [P] [V]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Mounir BOURHABA, avocat au barreau de PARIS, toque : C2580

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 mars 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Lydie PATOUKIAN, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Nelly CAYOT, Conseillère

Madame Lydie PATOUKIAN, Conseillère

Greffier : Madame Chaïma AFREJ, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour.

– signé par Madame Marie-Christine HERVIER, présidente et par Madame Chaïma AFREJ, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée du 9 septembre 2014, à effet du même jour, M. [P] [V] a été engagé par la SASU Arc en ciel tertiaire, en qualité de responsable de secteur, sous le statut d’agent de maîtrise exploitation, moyennant un salaire mensuel brut de 2 500 euros pour 151,67 heures par mois, outre une prime trimestrielle sur objectifs de 300 euros et une prime de 3% du montant hors taxe de prestations supplémentaires.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 octobre 2015, M. [V] a alerté son employeur sur la charge élevée de travail qu’il devait assumer, sur les heures supplémentaires accomplies pour assurer la qualité du service et sur son épuisement, rappelant qu’il conduisait un véhicule de service. Par ce même courrier, il revendiquait l’exercice de son droit à la visite médicale d’embauche jamais organisée.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 30 octobre 2015 lui notifiant sa mise à pied à titre conservatoire, M. [V] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 9 novembre 2015, puis, par courrier adressé sous la même forme le 23 novembre 2015, la société Arc en ciel tertiaire a notifié à M. [V] sa mutation disciplinaire sur le chantier de la ville de [Localité 12], à compter du 30 novembre 2015, au motif d’une mauvaise exécution de ses tâches, l’employeur précisant que sa mise à pied serait rémunérée.

M. [V] faisait l’objet d’un arrêt maladie le 30 novembre 2015, le motif invoqué étant un ‘burn out professionnel’, dont la durée a été renouvelée successivement jusqu’au 3 janvier 2017.

M. [V] a contesté la mesure disciplinaire par courrier du 3 décembre 2015.

Par courrier du 21 décembre 2015, l’employeur a maintenu la mutation de M. [V] en l’invitant à se présenter dès la fin de son arrêt maladie sur le site de [Localité 7], précisant qu’il n’aurait en charge qu’un seul chantier, sa rémunération lui étant maintenue. Cependant, in fine dans ce même courrier, l’employeur a demandé à M. [V] d’occuper ses fonctions sur le site de [Localité 12].

Par courrier du 22 février 2016, M. [V] a souligné cette contradiction et demandé la confirmation du site sur lequel il serait affecté et a revendiqué le règlement d’heures supplémentaires depuis son embauche. Il renouvelait sa demande le 31 mars 2016, en l’absence de réponse de la société Arc en ciel tertiaire.

Par courrier en date du 11 avril 2017, M. [V] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.

Par courrier du 14 avril 2017, la société Arc en ciel tertiaire a répondu au courrier du 31 mars 2016 en réfutant toute équivoque quant au lieu d’affectation du salarié, soit [Localité 7], et en contestant les heures supplémentaires revendiquées par M. [V].

La société Arc en ciel tertiaire employait au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles et est soumise à la convention collective des entreprises de propreté et services associés.

M. [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Créteil par requête enregistrée au greffe le 22 septembre 2017, aux fins de voir dire que sa prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir la condamnation de l’employeur à lui verser diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail.

Par jugement du 27 septembre 2019, auquel il convient de se reporter pour l’exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, le conseil de prud’hommes de Créteil, section commerce, a :

– condamné la société Arc en ciel tertiaire à payer à M. [V] les sommes suivantes :

* 4 500 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires effectuées entre le mois de mai et le mois d’octobre 2015,

* 5 000 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

* 500 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférents,

* 13 450 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

* 1 000 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

* 1 300 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire du jugement selon l’article 515 du code de procédure civile ;

– dit que l’exécution provisoire est de droit sur les salaires et accessoires de salaire ;

– débouté la société Arc en ciel tertiaire de ses demandes ;

– mis les dépens à la charge de la société Arc en ciel tertiaire.

La société Arc en ciel tertiaire tertiaire a régulièrement relevé appel du jugement le 11 octobre 2019.

Aux termes de ses dernières conclusions d’appelante transmises par voie électronique le 29 avril 2020, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile, la société Arc en ciel tertiaire prie la cour d’infirmer le jugement et de :

– débouter M. [V] de l’ensemble de ses demandes ;

– condamner M. [V] à lui verser une somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions d’intimé transmises par voie électronique le 30 mars 2020, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile, M. [V] prie la cour de :

– confirmer le jugement entrepris sauf dans ses dispositions portant sur le quantum de la demande de rappel de salaires sur les heures supplémentaires et infirmer le jugement entrepris de ce chef;

– condamner la société Arc en ciel tertiaire à lui verser les sommes suivantes :

* 18 305,16 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires effectuées entre le mois de mai et le mois d’octobre 2015,

* 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Arc en ciel tertiaire aux entiers dépens de l’instance ;

– assortir la décision des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 23 février 2022.

MOTIVATION

Sur le rappel d’heures supplémentaires :

M. [V] revendique la somme de 18 305,16 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires effectuées entre le mois de mai et le mois d’octobre 2015, au visa de l’article L. 3121-22 ancien du code du travail. Il expose qu’eu égard à la charge de travail particulièrement intense et excessive qu’il devait assumer, il était contraint d’effectuer quotidiennement un nombre conséquent d’heures supplémentaires. Il se réfère aux plannings de travail et au décompte qu’il produit sur la période du mois de mai au mois d’octobre 2015 pour alléguer qu’il effectuait une moyenne de 5 à 6 heures supplémentaires, afin d’achever l’ensemble du travail qui lui était confié. Il soutient qu’il a été contraint d’effectuer en raison des nécessités du service :

‘ 114,5 supplémentaires heures au cours du mois de mai 2015 ;

‘ 139 heures supplémentaires au cours du mois de juin 2015 ;

‘ 84,5 heures supplémentaires au cours du mois de juillet 2015 ;

‘ 124,5 heures supplémentaires au cours du mois d’août 2015 ;

‘ 161 heures supplémentaires au titre du mois de septembre 2015 ;

‘ 146,5 heures supplémentaires au titre du mois d’octobre 2015.

La société Arc en ciel tertiaire conteste l’exécution des heures supplémentaires alléguées par le salarié et soutient que ce dernier établissait lui-même les fiches de pointages donnant lieu au calcul de sa rémunération.

Aux termes de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

En outre, il résulte de ces dispositions, qu’il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, M. [V] verse aux débats :

– ses plannings des mois de mai à octobre 2015 extraits de son agenda électronique avec mention des activités correspondant aux tranches horaires ;

– les fiches de pointage afférentes au mois d’août 2015 concernant les sites :

* AGROPARISTECH, AFF1, [Localité 9], Net – AGROPARISTECH, le centre de [Localité 9],

* AGROPARISTECH, AFF2, Maine, Net – AGROPARISTECH, Maine,

* AGROPARISTECH, AFF2, [U], Net – AGROPARISTECH, [O] [U],

* Base aérienne, AFF1, 001, Net – Base aérienne d'[Localité 11], Base aérienne d'[Localité 11],

* Base aérienne, AFF1, 001, Net – Base aérienne d'[Localité 11], Base aérienne d'[Localité 11],

– un décompte des heures supplémentaires exécutées chaque jour avec les majorations légales, pour la période du 1er mai 2015 au 30 octobre 2015 ;

– les plannings de nettoyage de grandes vacances établis aux mois de juillet et août 2015 pour les villes d'[Localité 3] (médiathèque), de [Localité 4], de [Localité 5], de [Localité 7], de [Localité 8], fixant les lieux concernés et la nature des travaux à effectuer ;

– un mail du samedi 11 juillet 2015 programmant le nettoyage des vitres sur CB et Maine durant l’été, M. [V] y indiquant qu’il consultait ses mails durant ses congés ;

– des mails échangés notamment avec des clients démontrant l’étendue de son secteur d’activités ainsi que les horaires tardifs (21h31, 22h04, 21h35, 21h12, 22h13, 22h26, 00h41) ou très matinaux (avant 6h), voire le dimanche, auxquels ils ont été adressés ;

– une attestation de Mme [J], chef d’équipe, témoignant que M. [V] a assuré le démarrage de l’activité nettoyage sur la commune de [Localité 10] par la société Arc en ciel tertiaire, le 26 janvier 2015, ce dernier ayant mis en place des agents, organisé les sites, la livraison des produits,assuré le relationnel clients et le soutien technique ;

La cour considère dès lors que M. [V] présente, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Il incombe ainsi à la société Arc en ciel tertiaire de justifier des horaires effectivement exécutés par M. [V].

La société Arc en ciel tertiaire verse aux débats :

– un document intitulé ‘pointage’ établi mensuellement à compter du mois de mai 2015, mentionnant le nombre d’heures effectuées par jour par M. [V] sur la ville de [Localité 7] jusqu’au mois d’octobre 2015 ; la cour observe que ces décomptes d’heures, comme l’ont relevé à juste titre les premiers juges, ne sont ni datés ni signés du salarié et qu’ils ne concernent que le secteur de [Localité 7], à l’exclusion des autres sites confiés à M. [V] ;

– une attestation de la responsable comptable dont il résulte que M. [V] lui remettait chaque mois sa feuille de pointage sans faire état d’heures supplémentaires sur celle-ci ; la cour relève que le silence de M. [V] n’exclut pas l’existence d’heures supplémentaires de sorte que la valeur probante de ce témoignage se limite à l’absence d’information de l’employeur ;

– les témoignages de Mme [B] [K], chef d’équipe, et de M. [S], responsable de secteur, dont il résulte que M. [V] était rarement au bureau, M. [S] précisant que ce dernier ne s’était jamais plaint d’une surcharge de travail, qu’il n’était pas en charge de la base aérienne 123 de [Localité 6] ([Localité 11]), et que lui-même, responsable de ce site, n’effectuait aucune heure supplémentaire ; la cour observe, outre le fait que les deux salariés sont tenus par un lien de subordination à l’égard de l’employeur, que l’absence de M. [V] au siège se justifie par ses déplacements et l’activité qu’il déployait sur l’ensemble des chantiers dont il avait la responsabilité et qu’il a bien assumé celle de la base aérienne d'[Localité 11] tel que cela résulte du courrier de l’employeur du 21 décembre 2015 ; que M. [S] ne précise pas dans son témoignage le nombre de chantiers dépendant de son secteur, de sorte qu’il ne peut effectuer utilement une comparaison objective sur la nécessité ou pas pour M. [V] d’accomplir des heures supplémentaires pour remplir sa tâche, alors qu’il résulte des échanges épistolaires entre les parties que M. [V] s’était vu confier, en sus du secteur de la ville de [Localité 7], notamment les chantiers de [Localité 4], d’Agroparis, de [Localité 10], de [Localité 8], de [Localité 5] et d'[Localité 11].

En définitive, au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, la cour retient que M. [V] a accompli 218 heures supplémentaires restées impayées sur la période du 1er mai 2015 au 30 octobre 2015, l’employeur ayant opposé un refus systématique aux demandes réitérées du salarié à cet égard et confirme le jugement en ce qu’il a fait une juste appréciation des heures supplémentaires impayées à hauteur de la somme de 4 500 euros et en ce qu’il a condamné la société Arc en ciel tertiaire à son paiement.

Sur la prise d’acte :

Sur la requalification de la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse :

M. [V] a pris acte de la rupture de son contrat de travail par un courrier en date du 11 avril 2017 dans les termes suivants :

‘ Je vous informe par la présente que je vous notifie la prise d’acte de la rupture de mon contrat de travail en raison de fautes que vous avez commises dans le cadre de l’exécution de mon contrat et qui rendent impossible la poursuite de mon contrat.

Comme vous le savez, j’ai dû être arrêté par mon médecin à plusieurs reprises et pour des périodes importantes.

Ces arrêts de travail ont été rendus nécessaires en raison de la dégradation de mon état de santé, elle-même découlant directement de la dégradation de mes conditions de travail.

En effet, vous avez fait peser sur moi une charge de travail excessive et impossible à réaliser.

Vous n’avezpas tenu compte de mes alertes et avez continué à me charger de travail.

Il en a résulté une grosse fatigue et une dégradation de ma santé jusqu’à arriver à un Burn out.

Je n’ai pas réussi à m’en remettre.

S’ajoute à cette charge de travail, vos prises de décisions m’imposant diverses modifications de mes conditions de travail telles que mutations, suppressions d’avantages (véhicule de fonction) et autres mesures qui m’ont affaibli psychologiquement.

Par ailleurs, vous avez refusé de me payer de nombreuses heures supplémentaires que j’ai faites.

Tous ces éléments caractérisent des fautes d’une gravité qui empêchent la poursuite du contrat de travail.

Par conséquent, je considère que mon contrat est rompu à vos torts exclusifs.’.

La prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du dit contrat. Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifient, soit dans le cas contraire d’une démission. La rupture du contrat de travail est immédiate et la prise d’acte ne peut être rétractée.

L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige. Le juge doit examiner l’ensemble des manquements de l’employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans sa lettre de rupture. La charge de la preuve des faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur à l’appui de sa prise d’acte pèse sur le salarié.

– sur la surcharge de travail et la mutation :

M. [V] fait valoir que lors de son embauche, il s’était vu confier la gestion du secteur de la ville de [Localité 7], de manière exclusive, lequel comprenait 13 sites différents répartis sur la ville ; que cependant, la société Arc en ciel tertiaire lui a très rapidement confié la gestion de nouveaux clients situés hors du secteur géographique initialement attribué. Il soutient qu’à compter du mois de mai 2015, il avait pour habitude de débuter sa journée de travail vers 6 heures du matin et de ne l’achever que vers 20 heures ou 21 heures le soir et qu’il était ainsi contraint de multiplier les heures supplémentaires afin de réaliser l’ensemble des tâches lui incombant. Il ajoute, qu’il était également dans l’obligation de travailler à partir de son domicile avant de se de se rendre sur les divers chantiers dont il avait la charge ou au retour de ses missions.

Il invoque à cet égard :

‘ la multitude de tâches qui lui étaient dévolues ;

‘ la multiplication des chantiers qui lui étaient confiés ;

‘ les moyens humains limités mis à sa disposition afin de satisfaire aux missions dont il avait la charge le contraignant à faire appel à des entreprises extérieures spécialisées dans le nettoyage et les travaux de réfection, afin de sous-traiter cette prestation déjà facturée au client.

Il souligne les difficultés rencontrées à cet égard et le temps nécessaire à s’y consacrer, dès lors que l’ensemble des devis effectués parles sous-traitants étaient trop élevés au regard du prix auquel la prestation avait été facturée au client par la société Arc en ciel tertiaire.

M. [V] soulève également la gravité des manquements de l’employeur au regard de l’amplitude horaire quotidienne de 14 heures qu’il accomplissait en ne bénéficiant d’un temps de repos de seulement 8 heures par jour, de sorte qu’il dépassait les durées quotidiennes et hebdomadaires maximales de travail et contrevenait à la durée légale de repos quotidien.

Il fait valoir enfin l’altération de son état de santé et le burn out dont il a été victime, son employeur étant resté sourd à ses alertes et lui ayant au contraire, infligé en réponse, une mutation disciplinaire.

La société Arc en ciel tertiaire conteste la surcharge d’activité, rappelle que le contrat de travail visait l’ensemble des secteurs qu’elle occupe, que M. [V] a fait preuve d’une insuffisance professionnelle ayant motivé sa mutation disciplinaire sur le chantier de la Ville de [Localité 12] avec les horaires suivants : du lundi au vendredi de 7 heures à 10 heures et de 15 heures à 19 heures, ce que le salarié a refusé. Elle allègue la seconde proposition concernant l’unique site de [Localité 7], du lundi au vendredi de 7 heures à 10 heures et de 17 heures à 20 heures, non suivie d’effet dès lors que M. [V] a prétendu ignorer le site de sa nouvelle affectation.

La société Arc en ciel tertiaire conteste l’accomplissement des heures supplémentaires invoquées par M. [V] ainsi que le lien de causalité avec son état de santé défaillant, soutenant que les arrêts de travail qui lui étaient communiqués ne mentionnaient pas le motif, que M. [V] ne s’en était jamais plaint durant la relation de travail, que le 8 mars 2017, elle lui a remis une convocation en vue d’une visite à la Médecine du travail, à laquelle il n’a pas déféré et qu’il n’a pas jugé utile de faire reconnaître son arrêt de travail en maladie professionnelle.

Elle invoque enfin l’ancienneté des faits allégués par le salarié.

Aux termes de l’article L. 4121-1 code du travail, en sa version applicable au litige :

‘ L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.’

En outre, l’article 1er de l’avenant du 18 janvier 2012 à la convention collective, relatif à la prévention des risques professionnels, rappelle que l’employeur est tenu, en vertu de l’article L. 4121-1 du code du travail de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de tous les travailleurs.

En l’espèce, les premiers juges ont à juste titre retenu que la multiplication des chantiers confiée à M. [V], laquelle résulte, comme il l’a été indiqué précédemment, des échanges épistolaires entre les parties, est la cause directe de la surcharge de travail invoquée par le salarié et ce, d’autant qu’aux termes de son contrat de travail, son poste comprenait une multitude de tâches, à savoir :

– assurer la réalisation et le respect des objectifs définis par la Direction en terme de :

‘ suivi de chantier et de la clientèle ;

‘ rentabilité et sécurité ;

– assurer le bon fonctionnement des services techniques de son site ;

– de visiter régulièrement les clients et de s’assurer de la bonne exécution des travaux prévus ;

– d’accomplir dans le respect de la légalité les tâches administratives afférentes à l’exploitation de la partie technique et de diriger le personnel placé sous sa responsabilité et de le former ; ces tâches devenant d’autant plus lourdes au regard du nombre important des sites qui lui ont été attribués.

De même, l’employeur reste taisant sur l’insuffisance des moyens humains invoqués par M. [V] dénoncés par ce dernier dans son courrier du 28 octobre 2015.

S’agissant des conséquences de ce surcroît d’activité imposé à M. [V] sur son état de santé, la cour observe que les arrêts de travail communiqués par ce dernier et dont il a fait l’objet sur une période ayant couru du 30 novembre 2015 au 3 janvier 2017, mentionnent l’existence d’un burn out, c’est à dire un épuisement professionnel ayant entrainé une altération de son état de santé physique et psychique provoqué par la dégradation de ses conditions de travail. et qu’il est justifié que ces arrêts se sont prolongés jusqu’au 8 mars 2017, soit durant plus de 15 mois.

Si la cour observe que la société Arc en ciel tertiaire a, à deux reprises, soit dès le 23 novembre 2015 et le 21 décembre 2015, proposé à M. [V] de le muter sur un site unique en prévoyant des horaires précis, ces propositions sont intervenues dans un cadre disciplinaire humiliant pour M. [V], dès lors qu’elles le plaçaient sous l’autorité du responsable de secteur, aucune pièce n’étant produite aux débats par la société Arc en ciel tertiaire pour justifier de cette sanction, à l’exception de ses courriers, de sorte qu’à la date de la prise d’acte, les faits invoqués à l’encontre de l’employeur restaient d’actualité.

En considération de l’ensemble des éléments qui précèdent, la cour retient le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité lié à la surcharge de travail imposée au salarié.

Sur les heures supplémentaires impayées :

La cour a retenu que M. [V] avait accompli des heures supplémentaires restées impayées et qu’il en a sollicité vainement le paiement auprès de son employeur par ses courriers successifs des 28 novembre 2015 et 22 février 2016.

Dès lors, ce manquement de l’employeur est retenu.

En définitive, au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, la cour retient que M. [V] justifie de l’existence de manquements de la société Arc en ciel tertiaire, à savoir la violation de son obligation de sécurité et le défaut de paiement des heures supplémentaires accomplies sur la période du mois de mai 2015 au 30 octobre 2015, suffisamment graves pour empêcher la poursuite de son contrat de travail et justifier la prise d’acte de la rupture dudit contrat en date du 11 avril 2017 aux torts de l’employeur, de sorte que celle-ci s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en produit les effets.

Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur les conséquences financières de la requalification de la rupture du contrat de travail:

Sur l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés incidents :

M. [V] sollicite les sommes de 5 000 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de 500 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente.

M. [V] justifie d’une ancienneté de 2 ans et 7 mois.

En application des dispositions conjuguées des articles L. 1234-1 et L.1234-5 du code du travail, il peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis correspondant à 2 mois de salaire.

En conséquence, la société Arc en ciel tertiaire est condamnée à verser à M. [V] une somme de 5 000 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 500 euros au titre des congés payés incidents, le jugement étant confirmé de ces chefs.

Sur l’indemnité légale de licenciement :

M. [V] revendique une somme de 1 000 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement.

En application des dispositions conjuguées des articles L. 1234-9 et R. 1234-2 du code du travail, en leur version applicable au litige, après une année d’ancienneté, le salarié peut prétendre à une indemnité de licenciement qui ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d’ancienneté, auquel s’ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de dix ans d’ancienneté.

M. [V] justifiant d’une ancienneté de 2 ans et 9 mois préavis inclus a droit à une indemnité d’un montant de 1 374,99 euros.

Cependant, M. [V] sollicitant la somme de 1 000 euros de ce chef, la société Arc en ciel tertiaire sera condamnée à lui verser une somme de 1 000 euros telle que sollicitée au titre de l’indemnité légale de licenciement, le jugement étant confirmé à cet égard.

Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse :

M. [V] sollicite une somme de 13 450 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

En application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié.

Cette indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l’indemnité de licenciement prévue à l’articleL. 1234-9.

En l’espèce, le salaire mensuel brut s’élevant à 2 500 euros, M. [V] peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 15 000 euros minimum représentant 6 mois de salaire.

M. [V] sollicitant à ce titre la seule somme de 13 450 euros, il sera fait droit à sa demande et le jugement confirmé en ce qu’il a condamné la société Arc en ciel tertiaire au paiement de ladite somme.

Sur le cours des intérêts :

La cour dit qu’en application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les intérêts au taux légal portant sur les créances salariales sont dus à compter de la date de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes et les intérêts au taux légal portant sur les créances de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce.

Sur le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage :

Aux termes de l’article L. 1235-4 du code du travail, en sa version applicable au litige, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Il sera fait application des dispositions qui précèdent à l’encontre de la société Arc en ciel tertiaire dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.

Sur les mesures accessoires :

La société Arc en ciel tertiaire succombant à l’instance sera condamnée aux dépens d’appel, le jugement étant confirmé quant à la charge des dépens de première instance.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la société Arc en ciel tertiaire sera condamnée au paiement de la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par M. [V], le jugement étant confirmé en ce qu’il lui a alloué la somme de 1 300 euros sur ce fondement.

La société Arc en ciel tertiaire sera déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et le jugement confirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Dit que la prise d’acte par M. [P] [V] le 11 avril 2017 de la rupture de son contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dit que les intérêts au taux légal portant sur les créances salariales sont dus à compter de la date de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes et les intérêts au taux légal portant sur les créances de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce,

Ordonne le remboursement par la SASU Arc en ciel tertiaire aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à M. [P] [V], du jour de son licenciement au jour du prononcé de la décision, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage,

Condamne la SASU Arc en ciel tertiaire à payer à M. [P] [V] une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute la SASU Arc en ciel tertiaire de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

Condamne la SASU Arc en ciel tertiaire aux dépens d’appel.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x