Épuisement professionnel : 22 septembre 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 19/05147

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Épuisement professionnel : 22 septembre 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 19/05147

7ème Ch Prud’homale

ARRÊT N°404/2022

N° RG 19/05147 – N° Portalis DBVL-V-B7D-P7WD

Mme [K] [D]

C/

Association LES AMITIES SOCIALES

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 22 SEPTEMBRE 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère faisant fonction de Présidente,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Hervé KORSEC, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

GREFFIER :

Madame Hélène RAPITEAU, lors des débats, et Madame Françoise DELAUNAY, lors du prononcé,

DÉBATS :

A l’audience publique du 20 Juin 2022 devant Madame Liliane LE MERLUS et Madame Isabelle CHARPENTIER, magistrats rapporteurs, tenant seules l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui ont rendu compte au délibéré collégial

En présence de Madame RICHEFOU, médiatrice judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 22 septembre 2022 comme indiqué à l’issue des débats.

****

APPELANTE :

Madame [K] [D]

née le 09 Mars 1961 à [Localité 1]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Lara BAKHOS de la SELEURL PAGES – BAKHOS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

Association LES AMITIES SOCIALES agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Marjorie DELAUNAY, Plaidant, avocat au barreau de RENNES

***

EXPOSÉ DU LITIGE

L’association des Amitiés Sociales, dont l’objet est d’oeuvrer à l’intégration sociale et professionnelle de jeunes en leur proposant des logements et des services diversifiés sur [Localité 1] et sa périphérie, applique la convention collective des foyers de jeunes travailleurs. Le siège est situé au [Adresse 3].

Mme [K] [D] a été embauchée le 18 janvier 1980 par le Comité Rennais des Amitiés Sociales, devenu l’association des Amitiés Sociales, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, en qualité de secrétaire à mi-temps, puis à temps complet.

Durant la relation contractuelle et à l’issue de formations diplômantes, Mme [D] a été promue et occupait, en dernier lieu, un emploi de Responsable Comptable, statut cadre.

Le 2 octobre 2015, Mme [D] a été placée en arrêt de travail pour maladie à plusieurs reprises en raison d’un’syndrome dépressif’:

– jusqu’au 24 octobre 2015,

– Du 28 octobre au 9 novembre 2015,

– Du 18 novembre au 18 décembre 2015,

– Du 6 janvier au 30 septembre 2016.

Lors de la visite de reprise le 10 octobre 2016, le médecin du travail a déclaré Mme [D] apte à reprendre son poste, avec un ‘ aménagement de poste afin de favoriser la reprise dans les meilleures conditions et afin de prévenir de potentiels risques psycho-sociaux inhérents au poste ( ex = charge de travail, stress, amplitude horaire, etc..), un échange sur le contenu du travail prescrit ( = fiche de poste) et le contenu réel du travail de Mme [D] serait intéressants afin de déterminer les possibilités de diminution de charge de travail. A revoir fin novembre.’

Le 28 novembre 2016, le médecin du travail a déclaré la salariée apte sans réserve, précisant que des échanges réguliers demeuraient nécessaires.

Au mois de juin 2017, dans le cadre d’une optimisation des ressources et du fonctionnement du siège de l’association, en proie à des difficultés économiques, le Directeur a demandé aux salariés d’utiliser un agenda Google dédié à leur gestion du temps de travail.

Le 9 juin 2017, Mme [D] a été placée en arrêt maladie jusqu’au 9 juillet 2017, suivi d’une période de congés annuels du 10 au 28 juillet 2017. Elle a adressé le 9 juin 2017 un courrier recommandé au nouveau directeur de l’association, M. [P], avec copie au Président et au médecin du travail :

‘ Je vous adresse mon arrêt maladie du 9 juin au 9 juillet 2017. Lors de nos entretiens des 30 mai et 1er juin 2017, je vous ai fait part de mes interrogations concernant votre demande de notifier la gestion de mon temps de travail dans un agenda Google dédié. Le fait que cette gestion du temps quotidienne ne soit pas demandée à l’ensemble des salariés mais aux seuls salariés du siège de l’association dont je fais partie me pose questions. Je vous ai fait part que cette demande me ‘ heurtait’ étant donné mon long arrêt maladie en 2016 suite à un épuisement professionnel.

Dans le même temps, le remplacement du poste à temps plein qui me permet, sur une partie de ce temps, d’obtenir une aide en comptabilité et sur diverses tâches, n’a été fait, qprès une vacance de deux mois, qu’à hauteur de 60% puis à 50% à compter du 12 juin 2017. La question de ne pas me remplacer du tout a même été posée.

Depuis ma reprise en octobre 2016, et du fait des inquiétudes liées au résultat 2016 de l’association, mes conditions de travail se sont encore dégradées. Le compte de résultat m’a été demandé un mois plus tôt que les autres années, alors que je n’avais pas la totale connaissance de la comptabilité du fait de mon absence prolongée en 2016. Un plan de trésorerie et un budget sur trois années m’ont été demandées dans des délais courts sans que soit posée la faisabilité de ces tâches dans les temps, vu le retard accumulé.

Ma charge de travail ne me permet pas de répondre aux demandes par courriels des Directeurs-adjoints rapidement, ce qui génère une tension qui alimente le stress. J’ai également le sentiment que vous ne me faites pas confiance sur certains dossiers comme celui de la mise en place du nouveau plan analytique puisque vous faites appel à la DAF de la Mission Locale pour avoir ses conseils. Je vous rappelle qu’en 2000, au moment de la centralisation de la comptabilité, j’ai mis seule en place le plan analytique pour permettre à l’association d’avoir des résultats par sites ; de même en 2013 pour l’organisation par pôles et par sites.

Les administrateurs de l’association pensent qu’il y a trop de salariés au siège. Je ne ferai aucun commentaire à ce sujet; cependant, je vous demande en ce qui me concerne de me donner la possibilité d’effectuer le travail pour lequel je suis payée dans de meilleures conditions.(..) Pour toutes ces raisons, je réitère mon refus d’obtempérer à votre demande de suivi journalier de la gestion de mon temps.’

Mme [D], de retour à son poste le 31 juillet 2017, était placée en arrêt de travail à compter du 22 août 2017 pour ‘état dépressif réactionnel’, arrêt renouvelé à plusieurs reprises.

Le 11 septembre 2017, la salariée, par la voix de son conseil, a sollicité une rupture conventionnelle ‘ par suite d’un épuisement professionnel lié à une surcharge de travail et à des relations difficiles avec le Directeur’.

En l’absence d’accord avec l’association, Mme [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Rennes le 17 janvier 2018 en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur.

A l’issue de deux visites les 18 janvier et 1er février 2018, le médecin du travail a déclaré la salariée déclarée inapte à son poste de Responsable comptable et inapte à tout reclassement dans un emploi.

Le 10 avril 2018, l’employeur a convoqué la salariée à un entretien préalable à un licenciement, fixé au 19 avril 2018, après avoir recueilli l’avis des délégués du personnel et en l’absence de possibilité de reclassement.

Le 24 avril 2018, Mme [D] s’est vue notifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Mme [D] a présenté devant le conseil de prud’hommes de Rennes les demandes suivantes :

– Dire que l’Association LES AMITIÉS SOCIALES a manqué à son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels et la condamner au paiement de dommages et intérêts de 20 000 euros,

– Prononcer la résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur,

– A titre subsidiaire, constater que l’inaptitude de la salariée est consécutive à un manquement de l’employeur, et en conséquence, dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse

– Condamner l’association au paiement de :

– Indemnité compensatrice de préavis : 13 576,36 Euros et les congés payés afférents de 1 357,63 euros,

– Indemnité conventionnelle de licenciement (solde) : 1 856,10 euros

– indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 71 890 euros

– Article 700 du code de procédure civile : 2 500 euros

– ordonner la remise du bulletin de salaire, certificat de travail et attestation POLE EMPLOI régulièrement libellés, sous astreinte de 50 € par jour de retard

– Dire que le conseil se réserve le pouvoir de liquider l’astreinte

– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,

– Intérêts de droit,

– Entiers dépens y compris ceux éventuels d’exécution.

L’Association LES AMITIÉS SOCIALES a demandé au conseil de lui allouer au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 3 500 euros.

Par jugement en date du 8 juillet 2019, le conseil de prud’hommes de Rennes a :

– Débouté Mme [D] de l’ensemble de ses demandes;

– Dit qu’il n’y a pas lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamné Mme [D] aux entiers dépens.

Mme [D] a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe en date du 30 juillet 2019.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 1er octobre 2020, Mme [D] demande à la cour de :

– Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de RENNES,

– Dire que l’Association LES AMITIÉS SOCIALES a manqué à son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels,

– La condamner à lui payer la somme de 20 000 € de dommages et intérêts,

– Vu les articles 1184 ancien, 1217 et 1224 nouveaux du Code Civil, les articles L. 4121-1 et suivants du Code du Travail, prononcer la résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur,

– Dire en conséquence que le licenciement prononcé le 24 avril 2018 s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– A titre subsidiaire, constater que l’inaptitude de la salariée est consécutive à un manquement de l’employeur, et en conséquence dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– Condamner l’Association LES AMITIÉS SOCIALES à lui payer :

‘ La somme de 13 576,36 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 357,63 € de congés payés afférents, avec intérêts de droit à compter de la rupture,

‘ La somme de 1 856,10 € au titre du solde de l’indemnité conventionnelle de licenciement, avec intérêts de droit à compter de la rupture,

‘ La somme de 71 890 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

‘ La somme de 3 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– Condamner l’Association LES AMITIÉS SOCIALES à délivrer sous astreinte de 50 € par jour de retard, le bulletin de salaire, le certificat de travail et l’attestation PÔLE EMPLOI régulièrement libellés,

– Dire et juger que la Cour se réserve le pouvoir de liquider l’astreinte,

– Condamner l’Association LES AMITIÉS SOCIALES aux entiers dépens, y compris ceux éventuels d’exécution.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 10 août 2020, l’Association LES AMITIÉS SOCIALES demande à la cour de :

A titre principal,

– Confirmer le jugement en ce qu’il a constaté que l’Association LES AMITIÉS SOCIALES n’a pas manqué à son obligation de sécurité à l’égard de Mme [D] et qu’il a débouté Mme [D] de l’ensemble de ses demandes ;

– Débouter Mme [D] de l’intégralité de ses demandes;

– Condamner Mme [D] au paiement d’une somme de 3.500 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens.

A titre subsidiaire,

– Confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement de Mme [D] était régulier et justifié par une cause réelle et sérieuse et qu’il a débouté Mme [D] de l’ensemble de ses demandes ;

– Débouter Mme [D] de l’intégralité de ses demandes;

– Condamner Mme [D] au paiement d’une somme de 3.500 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens

A titre infiniment subsidiaire,

– Réduire, si par extraordinaire la Cour devait estimer que la rupture du contrat de travail de Mme [D] s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, à de plus justes proportions le montant des dommages et intérêts alloués en application de l’article L.1235-3 du Code du travail ;

En tout état de cause,

– Constater que le salaire de référence de Mme [D] est de 3.492,40 € bruts ;

– Débouter Mme [D] de sa demande de versement de la somme de 20.000 € de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels, de sa demande infondée d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés y afférents et de sa demande infondée au titre du solde d’indemnité conventionnelle de licenciement.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 31 mai 2022 avec fixation de la présente affaire à l’audience du 20 juin 2022.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l’exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

Mme [D] conclut à l’infirmation du jugement qui a écarté les manquements de l’employeur à son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels à son égard alors que l’association informée de la dégradation progressive de l’état de santé de la salariée consécutive à une surcharge de travail n’a pas pris les mesures pour remédier à une situation de souffrance, que de retour d’un arrêt maladie pour épuisement professionnel en octobre 2016, elle a vu ses conditions de travail aggravées par l’attitude du nouveau directeur exprimant des exigences supplémentaires en terme de délai et dénigrant son travail injustifiés, que le refus de tenir compte de son épuisement professionnel a conduit à un nouvel arrêt le 9 juin 2017 de plus de 30 jours, que l’employeur n’a pas organisé de visite de reprise devant le médecin du travail ; qu’il l’a cantonnée à des tâches d’exécution en remplacement d’une assistante de gestion absente tout en confiant des tâches plus complexes relevant de son poste de Responsable à M.[S] recruté en contrat à durée déterminée.

L’association Les Amitiés Sociales considère à l’inverse qu’elle a toujours veillé à la santé et la sécurité de ses salariés et notamment de Mme [D], en respectant les réserves et préconisations du médecin du travail, en aménageant sa durée de travail et ses tâches à la reprise de son poste en octobre 2016, en recrutant M.[S] dans le cadre d’un contrat à durée déterminée de deux mois ; que le directeur de l’association n’a jamais manqué de respect envers Mme [D] ni fait des reproches; que la salariée a fait une mauvaise lecture du courriel du 7 août 2017 transmis par le Directeur;

que les faits invoqués par la salariée à l’appui de sa demande de résiliation judiciaire sont anciens et inopérants et ne constituent pas des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité de nature à faire obstacle à la poursuite de l’exécution du contrat de travail.

Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur et que le licenciement intervient ultérieurement en cours de procédure, le juge doit rechercher au préalable si la demande de résiliation était justifiée en raison de manquements suffisamment graves de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.

Mme [D], licenciée pour inaptitude le 24 avril 2018, avait introduit une demande de résiliation judiciaire le 17 janvier 2018 pour manquements de l’employeur à son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels.

Selon les articles L4121-1 et L4121- 2 du code du travail, l’employeur tenu d’une obligation en matière de protection de la santé physique et mentale et de la sécurité de ses salariés, doit en assurer l’effectivité. Cette obligation légale lui impose de prendre les mesures nécessaires pour y parvenir et de prévenir par des moyens adaptés tout risque lié à l’exécution de la prestation de travail et aussi de l’environnement professionnel dans lequel elle est délivrée.

Le service de comptabilité de l’association était composé en janvier 2015 de trois collaboratrices, encadrées par Mme [D] , à savoir : une assistante paie ( 0,80 ETP) et une assistante RÉSIDENCE HABITUELLE

( temps plein) et une assistante de gestion à temps plein. Après une réorganisation au sein de l’association en 2015, ce service a connu des périodes de vacance de postes non remplacés ( congé maternité, départ retraite) et son effectif est passé de 3,80 ETPT à 2,48 ETP en avril 2015. Selon les dires non contestés de la salariée, le service n’a bénéficié d’aucun allégement de ses missions et au contraire, a vu ses tâches accroître.

En l’absence de fiche de poste, il convient de se référer à la description des missions confiées à Mme [D] auprès du médecin du travail le 23 août 2017 (pièce 46) :

– service comptabilité ( 80% TT) : saisie compta, tableaux de bord mensuels, prévisionnel, compta analytique, comparatif budgétaire, bilans ,

– 20 % TT : partenariat extérieur, calculs des subventions, CAF, responsable de service (points réguliers, 4 salariés),

– participation au Comité de Direction depuis septembre 2015.

Pour établir la preuve de sa surcharge de travail, Mme [D] verse aux débats :

– un extrait d’un livret de présentation du service de la comptabilité, piloté par Mme [D], Responsable Comptable (pièce 29) aux termes duquel il est annoncé ‘une intensification en 2015 de la transversalité et de la mutualisation des services dans le domaine de la comptabilité générale de l’association, de la facturation, des ressources humaines et de la paie’de l’association.

– son courrier adressé le 9 juin 2017 à M.[P], Directeur, resté apparemment sans réponse, aux termes duquel elle dénonce une dégradation de ses conditions de travail depuis son retour d’un long arrêt maladie en octobre 2016 , induite par une charge excessive de travail et des pressions subies.

( Pièce 37)

– le premier contrat de travail à durée déterminée conclu le 11 juillet 2017 par l’association avec M.[S] pour assurer le remplacement provisoire de Mme [D], absente pour congés payés durant 3 semaines, et le second contrat à durée déterminée conclu le 1er août 2017 jusqu’au 29 septembre 2017 en qualité de Chargé de mission, pour surcroît temporaire d’activité afin d’accompagner le développement de la comptabilité de l’association.

– la note de service du 10 juillet 2017 du Directeur annonçant l’arrivée de M.[S] comme Responsable comptable durant les congés payés de Mme [D] jusqu’au 31 juillet 2017. ( pièce 40)

– un courriel du Directeur transmis le 31 juillet 2017 intitulé ‘ Campagne budgétaire 2018 ‘ ( pièce 41) annonçant aux salariés ‘ une petite révolution et un vrai challenge’ pour le service de la comptabilité chargé d’ ‘élaborer le budget prévisionnel de 2018 en même temps que l’activité traditionnellement soutenue du mois de septembre'(2017). Pour accompagner le service dans cette élaboration budgétaire, M.[S] est chargé de deux missions jusqu’à fin septembre 2017, et plus précisément de la construction du budget et de l’évolution de la comptabilité analytique.’

– un échange de courriels le 7 août 2017 entre M.[P] et Mme [D] (pièce 42) à propos du retard d’envoi de formulaires destinés à la CAF, pour l’échéance du 13 juillet, aux termes desquels le Directeur lui fait le reproche de ne pas avoir respecté le délai et lui demande de compléter à l’avenir l’agenda perpétuel, comme il l’avait demandé dans son mail du 23 juin précédent, mais Mme [D] lui répond qu’elle était absente pour maladie à cette période et n’a pas pu prendre connaissance du mail du 23 juin ni procéder à l’envoi des formulaires de la CAF. Elle s’engageait néanmoins pour l’avenir à mettre à jour l’agenda perpétuel comme demandé.

Concernant la dégradation de son état de santé, Mme [D] établit que :

– elle a fait l’objet d’arrêts de travail pour maladie durant une longue période entre le 2 octobre 2015 et le 30 septembre 2016, en lien avec ‘un syndrome dépressif,’ d’un nouvel arrêt de travail d’une durée d’un mois entre le 9 juin 2017 et le 9 juillet 2017, suivi de ses congés payés jusqu’au 28 juillet 2017,

– elle a subi un autre arrêt de travail le 22 août 2017 pour ‘ état dépressif réactionnel’ jusqu’à l’établissement d’un avis d’inaptitude ‘à son poste et à tout poste dans l’entreprise’ établi par le médecin du travail le 1er février 2018.

– elle a exprimé ses doléances de manière récurrente auprès du médecin du travail depuis mai 2015 sur ses conditions de travail (réorganisation des services, alourdissement des tâches, pression),

– en raison d’un syndrome dépressif, elle a bénéficié d’un suivi médical avec traitement médicamenteux (antidépresseurs), de séances avec une psychologue du travail stoppées pour des raisons financières,

– le médecin du travail a déclaré la salariée apte avec aménagement du poste dans son avis du 10 octobre 2016 lors de la reprise de poste (pièce 31) en prescrivant des mesures ‘ afin de prévenir de potentiels risques psychosociaux inhérents au poste (charge de travail, stress, amplitude horaire, etc..) , échange sur le contenu du travail prescrit ( = fiche de poste) et le contenu réel du travail de Mme [D] serait intéressant, afin de déterminer les possibilités de diminution de charge de travail. A revoir fin novembre 2016’

– le médecin du travail, dans son avis du 28 novembre 2016 (pièce 33), a jugé la salariée apte à son poste tout en ajoutant ‘ des échanges réguliers avec la salariée demeurent nécessaires’

– lors des visites suivantes le 26 mai 2017 et le 23 août 2017, la salariée a dénoncé auprès du médecin du travail les difficultés rencontrées depuis sa reprise du poste à temps complet le 15 novembre 2016 se traduisant par ‘une pression continuelle, des entretiens avec son responsable qui se passent mal, un sentiment d’un manque de considération, de confiance , de reconnaissance dans son travail, difficultés relationnelle et de communication+++, sentiment d’être évincée’, conjugués à une charge de travail très importante, une pression sur les délais, une aide insuffisante. Le médecin décrivait un état de souffrance morale de la salariée ( troubles du sommeil, pleurs, asthénie).

– la salariée par la voix d’un avocat a sollicité le 11 septembre 2017 une rupture conventionnelle de son contrat de travail ‘ par suite d’un épuisement professionnel lié à une surcharge de travail et à des relations difficiles avec le directeur’.

– dans sa réponse du 27 septembre 2017, le président de l’association lui a indiqué ne pas s’opposer à évoquer l’éventualité d’une rupture conventionnelle.

Contrairement à ce qu’a retenu le conseil, la salariée rapporte la preuve suffisante que l’association était informée de l’accroissement de la charge de travail confiée à la salariée en lien avec la réorganisation des services mise en oeuvre depuis 2015, avec une réduction des effectifs du service de la comptabilité dont elle assurait l’encadrement et le pilotage. De retour d’un long arrêt maladie en octobre 2016, Mme [D] fait valoir sans être sérieusement démentie qu’elle a été confrontée seule à la résorption du retard consécutif à des vacances de poste de collaboratrices non remplacées durant de nombreux mois fin 2016, pour un poste de comptable, et en mars 2017 pour un poste d’assistante de gestion, tout en répondant aux sollicitations des administrateurs en vue de l’établissement des documents comptables prévisionnels. La surcharge objective de travail était conjuguée à des exigences supplémentaires présentées par le nouveau directeur formulées en juin 2017 et en juillet 2017 qualifiées de ‘vrai challenge’ (budget prévisionnel 2018).

Alors que l’association avait connaissance des prescriptions du médecin du travail émises le 10 octobre 2016 et le 28 novembre 2016 après le retour de Mme [D] d’un long arrêt de travail en lien avec un épuisement professionnel, l’employeur ne justifie pas avoir répondu aux mesures de prévention passant notamment par l’établissement d’une fiche de poste et à des échanges réguliers sur l’évolution de ses missions et sa charge de travail. Si la salariée a bénéficié à son retour sur une période limitée de deux mois d’un aménagement de ses horaires correspond précisément à la demande du médecin du travail du 10 octobre 2016, l’employeur ne démontre pas la mise en place de mesures précises et concrètes au-delà du 28 novembre 2016 avec des moyens adaptés pour résorber le retard cumulé durant les mois d’absence de la salariée et de ceux de ses collaboratrices ni pour organiser sa charge de travail au regard des nouvelles exigences de la Direction en terme de délai et de budget prévisionnel. L’association dont les allégations ne sont pas suffisantes, ne communique aucun planning ni relevé d’activité hebdomadaire de Mme [D] durant la période suivant la reprise à temps complet de Mme [D] et antérieurement à son arrêt de travail du 9 juin 2017.

Si l’employeur justifie avoir recruté le 11 juillet 2017 un salarié M.[S] en contrat à durée déterminée pour remplacer Mme [D] durant ses congés annuels (3 semaines en juillet), il apparaît que le remplacement de la salariée durant son arrêt de travail pour maladie (5 semaines ) n’a pas été assuré entre le 9 juin 2017 et le 9 juillet 2017. Il ne démontre pas avoir procédé à l’organisation d’une visite médicale de reprise par le médecin du travail à l’issue des congés annuels de la salariée le 31 juillet 2017. Enfin, la mission ponctuelle confiée ultérieurement à M.[S] d’une durée de deux mois ( août-septembre 2017) était destinée uniquement à la mise en place de nouveaux outils comptables et à faire face à des demandes exceptionnelles du conseil d’administration de l’association et non pas à fournir une aide à Mme [D] notamment dans la résorption du retard accumulé dans le service depuis le 9 juin 2017.

Le reproche formulé par le Directeur à l’égard de Mme [D] dans son courriel du 7 août 2017 à propos du retard d’envoi des formulaires de la CAF était injustifié en qu’il concernait une période au cours de laquelle la salariée était absente et remplacée par M.[S] ( 13 juillet 2017), ce que M.[P] ne pouvait pas sérieusement ignorer. Les termes désobligeants de ce courriel étaient d’autant plus mal venus que les compétences professionnelles et l’implication de Mme [D] étaient reconnues par sa hiérarchie depuis de nombreuses années au vu des pièces produites. Si Mme [D] évoque dans ses conclusions des propos agressifs et dénigrants tenus par le directeur, lors d’entretiens des 30 mai, 1er juin et 31 juillet 2017 sans en rapporter la preuve formelle, force est de constater que le courriel du 7 août 2017 du Directeur accusant Mme [D] à tort et les termes de son courriel du 31 juillet 2017 confiant à M.[S], recruté dans le cadre d’un contrat à durée déterminée, une mission comptable relevant des fonctions normales de Mme [D] en qualité de Responsable Comptable (courriel du directeur à l’ensemble du personnel) ont contribué , à juste titre, à alimenter le sentiment chez Mme [D] d’une défiance de la part du Directeur, d’une mise à l’écart et d’un manque de considération à son égard.

Il résulte de cette chronologie que l’association, dûment informée par la médecine du travail depuis le mois d’octobre 2016 des risques psychosociaux liés à une surcharge de travail de sa salariée, n’a pas cherché à approfondir la problématique soulevée par Mme [D] lors des entretiens avec le Directeur, notamment les 30 mai et 1er juin 2017 et dans son courrier du 9 juin 2017 concernant l’étendue de ses missions, l’accroissement de ses tâches et la vacance des postes non compensée de ses collaboratrices. L’employeur ne démontre pas avoir pris les mesures concrètes préconisées par le médecin du travail dans son avis du 10 octobre 2016 notamment l’élaboration d’une fiche de poste pour Mme [D], la mise en place d’entretiens réguliers avec elle sur l’évolution de sa charge de travail. A l’inverse, des missions supplémentaires étaient confiées dans des délais contraints à Mme [D] sans que la direction ne prévoit un dispositif d’accompagnement et de renforcement du service, alors qu’il s’agissait ‘d’un vrai challenge’ pour le service de la comptabilité ‘en même temps que l’activité traditionnellement soutenue du mois de septembre'(2017) selon les termes du directeur a dans son courriel du 31 mai 2017.

L’addition de ces manquements qui ont perduré dans le temps jusqu’au 22 août 2017, date du dernier arrêt de travail de la salariée, leur confère un caractère de gravité qui ne permettait plus, du fait de l’employeur, la poursuite de la relation contractuelle avec Mme [D]. La demande de résiliation judiciaire aux torts de l’association étant justifiée, il en résulte que la rupture du contrat de travail de la salariée dont la date est fixée à la date d’envoi de la lettre de licenciement pour inaptitude au 24 avril 2018, s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il convient en conséquence, par voie d’infirmation du jugement, d’indemniser Mme [D] des conséquences de la rupture.

S’agissant de l’indemnité compensatrice de préavis, elle est équivalente à quatre mois de salaire selon les dispositions conventionnelles. Dès lors que l’inaptitude physique de la salariée ayant abouti au licenciement trouve son origine dans un manquement imputable à l’employeur et que la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, Mme [D] a droit à l’indemnité compensatrice de préavis, peu importe qu’elle ait été dans l’incapacité de l’exécuter. Il sera fait droit par voie d’infirmation à sa demande en paiement de l’indemnité conventionnelle de préavis de 13 576,36 euros brut outre 1 357,63 euros pour les congés payés afférents, sur la base de la rémunération qu’elle aurait perçue si elle avait effectué son préavis (3 394,09 euros brut par mois).

La salariée qui a perçu une indemnité conventionnelle de licenciement de 44 916,14 euros se contente de soutenir qu’elle a droit à un complément de 1 856,10 euros mais ne fournit aucun élément justifiant la détermination du salaire de référence (3 636,75 euros) servant de base à sa demande d’indemnité conventionnelle de licenciement.

Le mode de calcul proposé par l’employeur, conforme aux dispositions légales, doit être retenu sur la base du salaire de référence de 3 492,40 euros brut par mois et d’une ancienneté de 38 ans et 7 mois, intégrant la durée de préavis de 4 mois au sens de l’article L 1226-4 du code du travail. Il s’ensuit que Mme [D] ayant été remplie de ses droits au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement, n’est pas fondée en sa demande en paiement d’un complément d’indemnité. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de la salariée sur ce point.

Si Mme [D] a retrouvé le 11 juin 2018, rapidement après son licenciement, un emploi stable auprès de l’association de la Croix Rouge à [Localité 1], sa nouvelle situation professionnelle lui procure s’agissant d’un emploi à temps partiel à qualification inférieure ( TAM), un revenu moins élévé de l’ordre de 1 750 euros, constitué par un salaire de 1 363 euros net par mois et des indemnités Assedic de 385 euros destinées à disparaître.

Compte tenu de l’effectif de l’entreprise supérieur à 10 salariés, du montant de la rémunération, de son âge (57 ans), de son ancienneté (38 ans ), il convient d’allouer à Mme [D] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en réparation de son préjudice lié à la rupture de son contrat de travail en application des dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017, qui sera évaluée à la somme de 48 000 euros. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat,

Le fait pour l’employeur de s’abstenir d’assurer le suivi régulier de la charge de travail de la salariée préconisé par le médecin du travail, de ne pas tenir compte des alertes de la salariée exprimant une situation de souffrance morale consécutive à un épuisement professionnel, tout en aggravant les tâches du service dont elle était Responsable dans un contexte de sous effectif chronique, l’association ne démontre pas son implication dans la prise en compte réelle et efficace des risques psychosociaux. L’association ayant manqué gravement à son obligation de sécurité à l’égard de Mme [D], ayant eu pour conséquence d’altérer gravement sa santé, comme le confirment les arrêts de travail de la salariée liés à ‘ un syndrome dépressif’en lien avec les difficultés professionnelles.

L’existence d’un préjudice subi par la salariée du fait de ces manquements, distinct du préjudice lié à la rupture de son contrat de travail, est incontestable.

Au vu des éléments de l’espèce, la cour est en mesure d’apprécier le préjudice de Mme [D] qui sera indemnisé à hauteur de la somme de 10 000 euros sur le fondement de la violation par l’employeur de son obligation de sécurité.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur les autres demandes et les dépens

Les conditions d’application de l’article L 1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage payées à la salariée et ce à concurrence de deux mois.

Aux termes de l’article R 1234-9 du code du travail, l’employeur doit délivrer au salarié au moment de l’expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications lui permettant d’exercer son droit aux prestations sociales.

Il convient en conséquence d’ordonner à l’employeur de délivrer à Mme [D] le bulletin de salaire, le certificat de travail et l’attestation Pôle Emploi rectificatifs conformes aux dispositions du présent arrêt et ce au plus tard dans le mois de la notification du présent arrêt sans qu’il y ait lieu de prévoir une astreinte.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Mme [D] les frais non compris dans les dépens. L’employeur sera condamné à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles, le jugement déféré étant infirmé en ses dispositions relatives de l’article 700 du code de procédure civile

L’employeur qui sera débouté de sa demande d’indemnité de procédure sera condamné aux entiers dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

– INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu’il a rejeté la demande de Mme [D] en paiement d’un solde de l’indemnité conventionnelle de licenciement.

STATUANT de nouveau des chefs infirmés et y AJOUTANT :

– PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail liant les parties à la date du 24 avril 2018 et juge que la rupture du contrat s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

– CONDAMNE l’association Les Amitiés Sociales à payer à Mme [D] les sommes suivantes :

– 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,

– 13 576,36 euros au titre de l’indemnité conventionnelle compensatrice de préavis,

– 1 357,63 euros pour les congés payés y afférents,

– 48 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile .

– ORDONNE à l’association Les Amitiés Sociales de délivrer à Mme [D] le bulletin de salaire, le certificat de travail et l’attestation Pôle Emploi conformes aux dispositions du présent arrêt et ce au plus tard dans le mois de la notification du présent arrêt.

– ORDONNE le remboursement par l’association Les Amitiés Sociales aux organismes intéressés comme Pôle Emploi, organisme les ayant servies, les indemnités de chômage versées à la salariée, dans la limite de deux mois d’indemnités de chômage.

– REJETTE le surplus des demandes de Mme [D].

– DEBOUTE l’association Les Amitiés Sociales de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

– CONDAMNE l’association Les Amitiés Sociales aux dépens de première instance et d’appel.

Le Greffier Le Conseiller

Faisant Fonction de Président

 


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