Épuisement professionnel : 22 juin 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/01916

·

·

Épuisement professionnel : 22 juin 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/01916

N° RG 21/01916 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IYOV

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 22 JUIN 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES D’EVREUX du 16 Avril 2021

APPELANTE :

S.A.S. MANUFACTURE [D]

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Marine DUGUE, avocat au barreau de PARIS

INTIME :

Monsieur [F] [W]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Me Corinne BEAUCHENAT de l’AARPI BLM ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 02 Mai 2023 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 02 Mai 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 22 Juin 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 22 Juin 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [F] [W] a été engagé par la SAS Manufacture [D] en qualité d’assistant gestion de production et du personnel par contrat de travail à durée indéterminée du 1er juillet 1991.

En dernier lieu, le salarié occupait le poste de directeur de production.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective des cinq branches des industries alimentaires diverses.

Par requête du 10 décembre 2019, M. [F] [W] a saisi le conseil de prud’hommes d’Evreux en résiliation judiciaire du contrat de travail et paiement de rappels de salaire et d’indemnités.

En parallèle, M. [F] [W] a engagé une procédure judiciaire devant le Tribunal judiciaire d’Evreux en reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur.

Par jugement du 16 avril 2021, le conseil de prud’hommes, en formation de départage, s’est déclaré matériellement incompétent pour examiner les demandes d’indemnités de M. [F] [W] au titre d’un harcèlement moral et d’un manquement à l’obligation de sécurité ayant provoqué une maladie professionnelle déclarée et a ordonné le renvoi de l’examen de ces demandes devant le tribunal judiciaire d’Evreux pôle social, s’est déclaré compétent pour les autres demandes, a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail unissant M. [F] [W] et la SAS Manufacture [D], dit que la rupture produit les effets d’un licenciement nul, fixé le salaire mensuel brut de référence de M. [F] [W] à la somme de 8 224 euros, condamné la SAS Manufacture [D] à verser à M. [F] [W] les sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis : 24 672 euros bruts,

indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 2 467,20 euros bruts,

indemnité conventionnelle de licenciement : 152 485,19 euros bruts,

dommages-intérêts pour rupture valant licenciement nul : 165 000 euros bruts,

indemnité à titre de rappel de congés payés (période arrêt de travail) : 4 362,09 euros bruts,

indemnité au titre de la régularisation des congés payés (période antérieure) : 12 042,39 euros bruts,

indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros,

condamné la SAS Manufacture [D] à rembourser à Pôle emploi les éventuelles allocations chômage versées à M. [F] [W] dans la limite de six mois d’indemnités chômage, dit que les condamnations ayant un caractère salarial porteront intérêt légal à compter de la saisine du conseil et les condamnations ayant un caractère indemnitaire porteront intérêt légal à compter du prononcé du jugement, rejeté la demande de M. [F] [W] au titre des congés payés pour ancienneté, rejeté les demandes de la SAS  Manufacture [D] au titre d’un préjudice moral et au titre des frais irrépétibles, condamné la SAS Manufacture [D] aux dépens, ordonné l’exécution provisoire de l’entier jugement.

La SAS Manufacture [D] a interjeté appel le 3 mai 2021.

Par conclusions remises le 31 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SAS Manufacture [D] demande à la cour d’infirmer le jugement rendu sauf en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes de dommages et intérêts formulées par M. [F] [W] au titre d’un harcèlement moral et un manquement à l’obligation de sécurité ayant provoqué sa maladie professionnelle,

statuant à nouveau,

– débouter M. [F] [W] de l’intégralité de ses demandes,

– condamner M. [F] [W] à lui verser les sommes de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 24 mai 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [F] [W] demande à la cour de :

in limine litis,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il s’est déclaré matériellement incompétent pour examiner ses demandes d’indemnités au titre d’un harcèlement moral et d’un manquement à l’obligation de sécurité ayant provoqué une maladie professionnelle déclarée et a ordonné le renvoi de l’examen de ces demandes devant le tribunal judiciaire d’Evreux pôle social,

en conséquence,

– condamner la SAS Manufacture [D] au paiement de la somme de 50 131,92 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– condamner la SAS Manufacture [D] au paiement de la somme de 50 131,92 euros nets à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de résultat,

à titre principal,

– confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a limité le montant des dommages et intérêts pour licenciement nul à la somme de 165 000 euros et condamner la SAS Manufacture [D] à lui verser la somme de 246 720 euros euros nets de CSG et CRDS à ce titre,

– condamner la SAS Manufacture [D] à lui verser la somme de 9 079,46 euros bruts au titre des 23 jours de congés payés mentionnés sur le bulletin de paie de septembre 2020 non réglés dans le cadre du solde de tout compte,

à titre subsidiaire,

– prononcer la résiliation judiciaire du contrat à durée indéterminée le à la SAS Manufacture [D] et dire que la résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et, en conséquence, condamner la SAS Manufacture [D] à lui verser les sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis (3 mois) : 24 672 euros bruts,

indemnité compensatrice de congés payés : 2 467,20 euros bruts,

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (20 mois) : 164 480 euros nets

indemnité de licenciement : 152 485,19 euros nets,

en tout état de cause,

– débouter la SAS Manufacture [D] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

– condamner la SAS Manufacture [D] au paiement de la somme de 3 600 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la SAS Manufacture [D] aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 13 avril 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur la compétence du juge prud’homal pour statuer sur les demandes indemnitaires au titre du harcèlement moral et du manquement à l’obligation de sécurité

M. [F] [W] soutient que la juridiction prud’homale est compétente pour statuer sur ses demandes d’indemnisation au titre du harcèlement moral et du manquement à l’obligation de sécurité, comme étant en lien avec les obligations de l’employeur au titre du contrat de travail et, s’il a engagé une action devant les juridictions de sécurité sociale laquelle est actuellement pendante en raison d’un sursis à statuer dans l’attente d’un nouvel avis d’un CRMMP sur le caractère professionnel de sa maladie, en ce qu’il sollicite l’indemnisation au titre du harcèlement moral pour la période antérieure à la déclaration de la maladie professionnelle, sa demande relève de la compétence de la juridiction prud’homale.

La SAS Manufacture [D] soutient que, dès lors que M. [F] [W] a demandé la reconnaissance d’une maladie professionnelle qui a été reconnue, qu’une instance est en cours devant le Pôle social du tribunal judiciaire et que M. [F] [W] a aussi saisi le tribunal judiciaire de demandes tendant à faire reconnaître une faute inexcusable de l’employeur sur un prétendu manquement à son obligation de sécurité de résultat en invoquant une surcharge de travail et un harcèlement moral, la juridiction prud’homale est incompétente pour statuer sur l’indemnisation des dommages résultant d’une maladie professionnelle et du manquement à l’obligation de sécurité.

La juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail. En revanche, relève de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, qu’ils soient ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

En l’espèce, M. [F] [W] sollicite réparation du préjudice pour les faits de harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité, pour ceux qu’il considère antérieurs à la déclaration de maladie professionnelle à hauteur de 50 131,92 euros nets sur chaque fondement.

Dès lors que la maladie professionnelle invoquée résulterait des faits de harcèlement moral tels qu’invoqués sur la présente instance et que le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité est fondé sur l’absence de mesure de prévention à ce harcèlement moral, peu important qu’il invoque ne solliciter que réparation pour les faits commis antérieurement à la déclaration de maladie professionnelle, laquelle date de novembre 2016, dès lors que ces faits s’ils sont avérés, ont participé à la dégradation de l’état de santé du salarié ayant conduit à la déclaration de maladie professionnelle, il en résulte que le salarié ne peut, sous couvert d’une demande de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et de faits de harcèlement moral, réclamer en réalité la réparation d’un préjudice né de la maladie professionnelle.

C’est donc à juste titre que les premiers juges se sont déclarés incompétents pour statuer sur ces demandes indemnitaires.

II – Sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.

L’article L. 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M. [F] [W], qui explique s’être donné sans compter pour l’entreprise et avoir toujours donné satisfaction à son employeur malgré des conditions de travail difficiles, soutient avoir subi des agissements répétés de violence morale et psychologique constitutifs de harcèlement moral de la part de son employeur et plus particulièrement de la part de M. [O] [D], président directeur général et son supérieur direct, en ce qu’au cours des années, la charge de travail et la pression professionnelle n’ont cessé d’augmenter, au point qu’à bout de force, il a été placé en arrêt de travail à compter de janvier 2015 pour un syndrome dépressif, qu’avant même sa reprise le 11 janvier 2016, l’employeur a manifesté une attitude intolérable à son égard en le convoquant à un entretien préalable à un licenciement le 8 décembre 2015, lui proposant le 4 janvier 2016 une reprise de ses fonctions avec allégement de ses missions et de sa rémunération, disant qu’en cas de refus, une rupture conventionnelle pourrait être envisagée ; qu’après sa reprise en mi-temps thérapeutique, des mesures de rétorsion ont été prises : retrait de son téléphone de fonction, suppression de ses congés moins d’une semaine à l’avance, changement de ses jours de travail dans le cadre du temps partiel thérapeutique ; qu’après sa reprise à temps plein en août 2016, ses conditions de travail ont continué de se dégrader et le comportement de l’employeur s’est s’aggravé, au point de craquer le 11 octobre 2018 et d’être placé en arrêt de travail, que l’employeur a poursuivi ses agissements en lui adressant à nouveau une convocation à un entretien préalable au licenciement le 12 juillet 2019 alors qu’il est en arrêt pour maladie professionnelle, comportement ayant eu des incidences sur son état de santé au point que la caisse primaire d’assurance maladie a reconnu le caractère professionnel de sa pathologie le 20 août 2019 et qu’il a obtenu la reconnaissance du statut de travailleur handicapé.

Concernant la surcharge de travail, pressions et méthodes de management, M. [F] [W], directeur de production, était soumis à une convention de forfait jours à hauteur de 216 jours.

Il convient d’observer qu’il n’est sollicité ni la nullité de cette convention, ni son inopposabilité, même si le salarié invoque l’absence d’entretiens avec l’employeur, conformément à l’accord d’entreprise du 13 avril 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail, et qu’effectivement, il n’est pas justifié de la mise en oeuvre d’un tel suivi. Si l’employeur évoque le point mensuel avec le Directeur général, il n’est communiqué aucun élément quant à son contenu et les seules réponses faites sur ce sujet lors de l’entretien annuel d’évaluation du 19 octobre 2017 par l’apposition d’une croix pour répondre par l’affirmative, signé du salarié à toutes les rubriques y afférentes, il n’est apporté aucun détail sur les réponses alors qu’il existe un emplacement dédié, ce qui ne permet pas de constater qu’un réel échange s’est tenu à ce titre.

Le salarié produit des attestations de relations ou membres de sa famille qui évoque son rythme de travail.

Si, à juste titre, l’employeur rappelle que les personnes liées par un lien d’amitié ou familial ne peuvent attester que de faits qu’ils ont personnellement constatés, en l’espèce, il résulte des termes concordants des attestations versées par le salarié, que ses relations et membres de sa famille ont constaté que son comportement a changé, et particulièrement à partir de 2015, ce qui est de nature à corroborer le lien entre l’évolution de ses conditions de travail et son état de santé.

Elles sont également opérantes lorsqu’elles décrivent son investissement professionnel et particulièrement, les appels téléphoniques à caractère professionnel qu’il recevait lors d’événements privés et ses départs fréquents pour répondre aux besoins de l’entreprise.

Il communique également des attestations de salariés qui si elles ne permettent de connaître les conditions de travail de M. [F] [W], néanmoins, établissent un contexte au sein de l’entreprise créateur de risques psycho sociaux.

Ainsi, si M. [L] [H] directeur des opérations techniques et membre du comité de direction, dans son attestation du 26 novembre 2018, ne décrit pas de faits spécifiques relatifs à M. [F] [W], il fait néanmoins le constat que, depuis plusieurs mois, les départs volontaires s’enchaînent à la Manufacture [D], avec 19 départs en 2017 et 23 en 2018, ce qui, selon lui, révèle un climat de mal-être général, sans que les alertes portées auprès de M. [O] [D] donnent lieu à prise en compte, que les nombreux cas de burn out sont considérés par lui comme étant en lien avec des problèmes personnels, refusant de considérer que la Manufacture était le dénominateur commun, que s’il a admis la possibilité d’une réunion des membres du comité de direction pour évoquer les raisons du mal-être des salariés, il avait précisé qu’il ne se joindrait pas à cette réunion.

Cette situation est confortée par l’étude ergonomique réalisée par le médecin du travail, Mme [J], au cours de la période décembre 2015- décembre 2016, pour une approche collective de l’organisation du travail et des conditions de travail. En préambule de cette étude, il est noté que cette entreprise se distingue par un fort taux d’arrêts de travail et notamment en raison de souffrance psychique, avec une augmentation très significative des demandes de rendez-vous médicaux et de la durée des arrêts de travail, qui marque une dégradation du vécu au travail, étant observé que l’absentéisme concernait tous les secteurs de l’entreprise.

Il y est décrit une grande entreprise familiale, tant pour la famille [D] que pour les salariés où ceux-ci sont qualifiés de captifs, c’est à dire acceptent des conditions de travail dégradées sans intervenir.

Il est expliqué qu’en raison de leur captivité, les salariés, en cas de conflits ou de difficultés vont tarder à le faire savoir. De ce fait, la dégradation de la situation peut durer longtemps et s’installer en profondeur. Dans ce type d’entreprises, on ne retrouve pas comme dans les autres, une succession de petits conflits régulant l’amélioration des conditions de travail. La manufacture se situe dans la catégorie d’entreprise où en cas de conflits (rares et profonds), le système se grippe, se bloque et où les salariés craquent pour un temps assez long.

Il était conclu que la manufacture [D] possède de nombreux atouts et se positionne sur un marché fiable et prometteur. Les difficultés de cette entreprise sont essentiellement dues à une transformation qui n’a pas été achevée, le changement d’échelle. L’état de transition constant que cela implique place les salariés dans une situation inconfortable avec des procédés, des outils et une organisation mal adaptés.

L’entreprise doit investir dans son fonctionnement futur. Une grande partie du financement est présente dans les nombreux manques à gagner inventoriés dans l’étude. Des efforts concernant la rentabilité et la réduction de ces pertes doivent être menés rigoureusement et sur le long terme.

La manufacture [D] a tous les atouts pour devenir l’un des plus prestigieux confiseurs de bonbons au chocolat de renommée mondiale, mais elle est actuellement confrontée à une multitude de risques organisationnels, opérationnels et humains qui doivent nécessairement être résolus dans la décennie à venir et pris en charge au plus tôt.

Il s’ensuit qu’ont été mises en exergue des difficultés réelles au niveau de l’entreprise, créant un contexte favorisant la survenue de risques psycho-sociaux et générant une pression sur l’ensemble des salariés, laquelle augmente nécessairement avec les responsabilités confiées au sein de l’entreprise.

C’est dans ce contexte que M. [F] [W] a été en arrêt de travail à compter du 23 janvier 2015 renouvelés, prescrits initialement pas un médecin généraliste pour syndrome dépressif, et renouvelés à compter du 17 février 2015 par M. [K], psychiatre, hormis le 11 décembre 2015, à nouveau par Mme [E], médecin généraliste.

Si ces praticiens ne peuvent décrire les conditions de travail comme ne les ayant pas constatées personnellement, néanmoins, Mme [E], qui a suivi le salarié de 1984 à fin septembre 2018, peut évoquer l’évolution qu’elle a constaté lorsqu’elle le décrit comme un adolescent puis un adulte épanoui qui, soudain, a basculé en 2015 dans un état anxio dépressif.

Concernant les circonstances de sa reprise, le salarié produit au débat :

– la lettre de convocation en entretien préalable à licenciement du 8 décembre 2015 adressée par lettre recommandée avec accusé de réception,

– l’attestation de Mme [R], alors directrice des ressources humaines, laquelle a démissionné en septembre 2018, qui relate avoir été témoin de la pression exercée par la direction sur M. [F] [W], que le 8 décembre 2015, jour où s’était tenue une réunion avec le salarié et le médecin du travail, M. [O] [D] lui a demandé d’adresser une convocation à entretien préalable à licenciement car il voulait être sûr que M. [F] [W] ne pourrait revenir comme le sentant incapable de reprendre après un si long arrêt ; néanmoins, après la rencontre avec le médecin du travail, il a changé d’avis et a demandé à M. [F] [W] de refuser le courrier qui était parti, qu’il s’agissait d’une erreur ; à son retour, le 12 janvier 2016, elle avait dû préparer un avenant au contrat de travail en retirant de ses missions le service RxD et réduisant son salaire ; le 2 février 2016, lors d’une réunion, M. [D] a demandé le changement de la répartition des jours de travail alors qu’au départ, il considérait que c’était un détail ; il a refusé des congés la semaine suivante sans motif valable, a repris le téléphone portable professionnel, confirmant qu’il ne savait pas si c’était une bonne idée d’avoir repris ; en avril 2016, M. [D] lui a demandé d’appeler le médecin du travail pour augmenter le temps de travail du salarié afin qu’il puisse apurer ses congés plus rapidement, assertion confirmée par les mentions portées dans le dossier médical du salarié auprès du service de santé au travail ; en avril 2017, l’adjointe de M. [F] [W] a démissionné après avoir été arrêtée plusieurs fois en raison d’une pression constante ; courant 2018, Mme [T] [D] lui a demandé de contrôler les horaires de travail de M. [F] [W] malgré son statut de cadre ; enfin, le 11 octobre 2018, elle a conseillé à M. [F] [W] de rentrer chez lui et de consulter son médecin car son état ne lui permettait plus de travailler, il était en larme et elle a eu peur pour sa santé,

– l’avenant n°7 envisagé au moment de sa reprise réduisant effectivement son salaire de base dans sa première version,

– l’attestation de remise du téléphone portable professionnel le 1er mars 2016,

– les échanges de mails établissant que le 20 janvier 2016, M. [F] [W] a posé 3 jours de congés du 9 au 11 février 2016, lesquels ont été enregistrés par Mme [R], puis informant celle-ci du refus de l’employeur, faute pour le salarié d’avoir accepté de signer l’avenant réduisant son salaire et alors que [I] (son adjointe) était présente pour assumer le quotidien les jours en cause,

– le mail adressé par M. [F] [W] à Mme [R] le 9 février 2016 dans lequel il prend note de la demande du DG de lui faire changer ses jours de travail dans le cadre de son mi-temps thérapeutique, à la suite de la réunion du 2 février au cours de laquelle a été évoqué son refus de signer l’avenant, s’en étonnant dès lors qu’au cours de la réunion du 8 décembre 2015 avec le médecin du travail, le DG n’avait pas souhaité échanger sur ce point précisant que cela lui était égal, ce qu’il avait également dit lors de la réunion du 5 janvier 2016,

– le rapport d’étonnement dressé par M. [F] [W] le 25 janvier 2016 adressé à l’employeur par mail du 29 janvier 2016 dans lequel il dresse le constat de ce qu’il observe à son retour dans l’entreprise et au titre de l’ambiance, il mentionne :

. 38 arrêts de travail avec perte de compétence

. 18 accidents du travail ( 10 de plus que A-1)

. démissions avec perte de compétences

. démissions de personnel en place du CHSCT, du poste de secouriste

. perte de motivation par manque de reconnaissance, sentiment de ne pas être entendus, manque de confiance, épuisement des équipes, A/R permanent (j’ai vu des personnes de plus de 50 ans avec plus de 25 ans d’ancienneté en larme par incompréhension de la situation et peur pour l’avenir de l’entreprise,

53 personnes à la réunion annuelle du personnel dont une partie de l’encadrement et des bureaux!

Certains cadres ne voulaient pas venir à la réunion cadre du mois de juin

certains personnels (encadrants et non) ont difficilement terminé l’année, à la limite de craquer malgré leur expérience et respect de l’entreprise, voire de partir ailleurs !

S’agissant de l’organisation, il précise qu’à son arrivée, il n’a pas eu d’accompagnement en terme de matériel et d’accès informatique, avant de décrire les différents points problématiques.

S’agissant des services, il écrit que tous les services ont la volonté de mieux travailler ensemble et différemment, il reste de l’énergie et des compétences mais il va falloir la canaliser si on veut en bénéficier. Il ajoute que :

. Beaucoup de décisions prises par le DG sans accompagnement d’information et de suivi déstabilisent les responsables et leurs équipes,

. Les services et l’encadrement sont consciencieux mais s’épuisent sans savoir vraiment jusqu’ou cela va les mener,

. Il y a un décalage entre la volonté de mieux travailler ensemble et la réalité qui résulte de certaines prises de décision.

M. [O] [D], qui a pris connaissance de ce rapport, lui a répondu qu’il souhaitait qu’il le revoit en se concentrant sur la gestion de son service, la production, car pour le reste il manque d’informations et il ne s’agit pas de son domaine d’expertise,

– la notification le 20 août 2019 de la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie déclarée le 5 novembre 2016 par la caisse primaire d’assurance maladie en raison de son anxiété, humeur triste, pleurs, péjoration de l’avenir, phobies de situation, cauchemars, ruminations morbides, perte de l’élan vital, angoisses, souffrance au travail, dépression réactionnelle,

– la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé du 15 juillet 2019 au 31 juillet 2022, renouvelé du 1er août 2022 au 31 juillet 2027,

– la reconnaissance du taux d’incapacité permanente à hauteur de 60% avec versement d’une rente mensuelle de 1 985,85 euros,

– la convocation adressée le 12 juillet 2019 en entretien préalable à un éventuel licenciement en mentionnant qu’il s’agit d’un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement, laquelle a été annulée par mail du 16 juillet 2019 et lettre recommandée avec accusé de réception du 17 juillet 2019,

– le dossier tenu auprès du service de santé au travail pour la période postérieure au 15 septembre 2015 dans lequel, après exposé par le salarié de ses conditions de reprise en mi-temps thérapeutique avec proposition de l’avenant réduisant son salaire, les pressions, un retour sans matériel pendant 15 jours, avec un employeur qui le pousse à bout pour qu’il craque, le médecin du travail qualifie le comportement de l’employeur de pervers,

– l’attestation de Mme [B], psychologue clinicienne qui indique avoir vu pour la première fois M. [F] [W] à la suite de l’accident mortel survenu sur le lieu de travail le 8 mars 2007, puis à la suite de son arrêt de travail de longue durée. Elle décrit un homme de valeurs, très rigoureux, qui a souhaité reprendre son travail après son long arrêt ; que la déception, l’incompréhension, le sentiment d’injustice jouent sur le moral de cet homme aux valeurs fortes, qui ne se reconnaît plus dans une entreprise qui n’a plus sa valeur humaine historique, décrivant des dysfonctionnements dans la lisibilité des actes et décisions professionnelles dans un climat social qui menace son équilibre, dans une situation marquée par la proximité affective avec la famille [D], générant ainsi un marasme psychique,

– l’attestation de M.[Z] [M], infirmier dans l’entreprise, qui expose que dans la semaine du 8 au 12 octobre, il a constaté que M. [F] [W] présentait les symptômes d’épuisement professionnel : fatigue excessive, pleurs incontrôlés sur le lieu de travail, frustrations professionnelles, sensations d’incompétence, pertes de mémoire, démotivation et confusion, situation dont il a alerté le médecin du travail le 22 octobre 2018.

Ainsi, dans un contexte où le salarié était très fortement investi dans l’entreprise dans laquelle il avait évolué, passant d’agent de maîtrise lors de son recrutement en juillet 1991 à directeur de production, où l’entreprise était confrontée à une multitude de risques organisationnels, opérationnels et humains, créatrice de risques psychosociaux, et génératrice de pressions, en adressant au salarié deux convocations en entretien préalable non suivies d’effet, en lui proposant une réduction de sa rémunération de base lors de la reprise en temps partiel thérapeutique, lui retirant aussi son téléphone portable alors qu’il était directeur de production, nécessitant qu’il dispose de moyens fournis par l’employeur pour assumer la plénitude de ses missions et alors que quelques semaines plus tard l’employeur diffusait par mail son numéro personnel dans le cadre d’une permanence, en lui refusant des congés validés par la directrice des ressources humaines, en modifiant ses jours de travail alors qu’avant sa reprise, le directeur général s’affranchissait de cette question précise, M. [F] [W] présente ainsi l’existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre, en ce qu’ils ont participé à la dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.

La SAS Manufacture [D], qui se présente comme une entreprise familiale, comptant près de 200 salariés, au sein de laquelle M. [F] [W] a eu un parcours exceptionnel avec des avantages hors du commun, membre du Comité de direction, entretenant des relations intimes avec la famille [D], n’ayant jamais émis la moindre réserve ou critique sur ses conditions de travail, lesquelles ont toujours été excellentes, ravi de reprendre son activité après 12 mois d’arrêt de travail, sans que celui-ci ne soit jamais imputé à l’entreprise, a pu reprendre son activité dans le cadre d’un temps partiel thérapeutique avec l’accord du médecin du travail, qui l’a vu régulièrement. Elle observe la contradiction entre les allégations du salarié et la réalité objective résultant des avis d’aptitude, des échanges au cours des entretiens d’évaluation, de la signature sans réserves des objectifs pour l’exercice 2017/2018, la participation aux festivités de l’entreprise et aux fêtes privées de la famille [D], l’absence de signalement de la moindre difficulté dans l’exécution du contrat de travail, ni auprès de la direction, ou encore auprès des représentants du personnel ou de l’inspection du travail.

Elle fait valoir qu’en réalité, M. [F] [W] cherche un responsable à ses difficultés personnelles en lien avec des difficultés rencontrées par son fils, à la suite d’une dénonciation portée par la fille de la soeur de M. [F] [W].

Concernant les convocations en entretien préalable au licenciement, l’employeur explique que celle du 8 décembre 2015 l’était pour envisager son remplacement définitif au regard de l’impact de l’absence prolongée qui désorganisait le service production, ce qui peut effectivement être un motif, néanmoins contredit par Mme [R] dans son attestation, à laquelle la cour accorde valeur probante, dès lors que ses propos sont pour la plupart confirmés par d’autres éléments et dont les conditions de départ de l’entreprise n’ont pas donné lieu à contentieux, comme n’ayant pas remis en cause le caractère non équivoque de sa démission de septembre 2018.

Néanmoins, la cour constate que l’employeur a d’initiative renoncé à cette procédure de licenciement au cours de la réunion qui s’est tenue le même jour avec le médecin du travail pour envisager la reprise du salarié.

S’agissant de celle de juillet 2019, l’employeur qui l’a justifie par la nécessité de procéder à son remplacement définitif compte tenu de son absence depuis octobre 2018, est contredit par le texte même de la convocation qui mentionne qu’il s’agit d’un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement.

S’agissant des conditions de retour du salarié en janvier 2016, si l’employeur s’est conformé aux avis du médecin du travail et que finalement un ‘avenant n°8 en vue de la reprise progressive du travail à durée déterminée Directeur de production’ a été signé par les parties le 24 février 2016, soit après la reprise effective du 12 janvier 2016, c’est après que l’employeur ait proposé un avenant réduisant significativement la rémunération de base du salarié sans prise en compte de son temps partiel et c’est le refus du salarié de le signer qui a donné finalement lieu à un avenant conforme à la situation médicale du salarié, l’employeur ne pouvant justifier objectivement cette proposition de réduction de salaire, alors que le salarié devait reprendre son poste de directeur de production.

Même si cette question relève du pouvoir de direction de l’employeur, la SAS Manufacture [D] n’apporte pas d’éléments permettant de justifier son changement de position par rapport à la détermination des jours travaillés par le salarié dans le cadre de son temps partiel, alors que cette question lui apparaissait indifférente jusqu’à ce que le salarié s’oppose à la signature de l’avenant réduisant sa rémunération, étant précisé que ces jours ont été définis dans l’avenant signé le 24 février 2016, soit plus d’un mois après la reprise et après que le salarié ait refusé les conditions de reprise préconisées par l’employeur en terme de rémunération.

S’agissant du refus de lui accorder des congés posés en février 2016, validés par la directrice des ressources humaines et alors que l’absence du salarié était organisée en terme de remplacement,

que cette décision a été prise dans le contexte du refus de la signature de l’avenant n°7, il ne peut être retenu que cette décision était justifiée par des éléments objectifs exempts de tout harcèlement.

S’agissant du retrait du téléphone portable professionnel, si l’employeur l’explique par sa volonté de faire respecter le temps partiel thérapeutique, cette justification n’est pas recevable dès lors qu’il suffisait de permettre l’accès du salarié uniquement sur ses jours travaillés et de renvoyer à un message d’indisponibilité pour le reste du temps, sans retirer au salarié ses outils de travail, d’autant plus nécessaire qu’il occupe des fonctions à responsabilité nécessitant qu’il puisse être joint de manière quasi-permanente sur son temps de travail.

Dans la mesure où l’attachement réel à cette entreprise dans le cadre d’un processus très bien décrit dans le rapport ergonomique, évoquant la notion de salariés captifs, ne rendait pas incompatible le fait que le salarié participe aux festivités de l’entreprise et aux fêtes privées de la famille [D], ou exprime sa reconnaissance quant à son évolution au son sein et soit fier d’en être un des ambassadeurs, attachement et investissement corroborés par la volonté réelle du salarié de reprendre son travail après un an d’arrêt de travail, sans que l’employeur n’ait de critiques à formuler sur l’appréhension de ses différentes missions, attachement à l’entreprise ne rendant pas davantage contradictoire le fait que le salarié puisse être victime de conditions de travail dégradées et recrute des membres de sa famille, ce d’autant que les derniers recrutements concernant ses fils l’étaient pour des temps déterminés de courte durée, l’employeur échoue à démontrer que les faits matériellement présentés par M. [F] [W] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le harcèlement moral est établi.

La cour confirme ainsi le jugement entrepris.

III – Sur le manquement à l’obligation de sécurité

M. [F] [W] soutient que la SAS Manufacture [D] a manqué à son obligation de sécurité en ce qu’il a été victime d’un harcèlement moral émanant principalement du dirigeant de la société, M. [O] [D] et qu’aucune mesure n’a été prise pour prévenir les agissements de harcèlement, en le soumettant à une surcharge d’activité pendant plusieurs années, travaillant en moyenne 57h50 par semaine, ce qui a conduit à son épuisement professionnel, l’employeur ne mettant aucune mesure de contrôle de sa charge de travail dans le cadre de la convention de forfait jours.

Il résulte de l’article L. 4121-1 du code du travail que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, lesquelles comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Par ailleurs, l’article L.1152-4 du même code impose à l’employeur de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Cette obligation de prévention est distincte de celle résultant de l’article L.1152-1. Aussi, la méconnaissance de chacune des obligations, lorsqu’elle entraîne des préjudices différents pour le salarié, peut ouvrir droit à des réparations spécifiques.

Au titre de la convention de forfait jours, le contrat de travail, conformément à l’accord d’entreprise du 13 avril 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail, prévoyait la mise en place d’un relevé individuel dans lequel seraient indiquées les journées et demi-journées travaillées et les journées et demi-journées de repos, un décompte annuel récapitulant le nombre de jours travaillés en fin d’année (1er septembre au 31 août), que la charge de travail et l’amplitude de ses journées d’activité feront l’objet d’un suivi et d’un ajustement éventuel lors d’un entretien annuel avec le Directeur général.

Il n’est pas justifié de la mise en oeuvre d’un tel suivi et si l’employeur évoque le point mensuel avec le Directeur général, il n’est communiqué aucun élément quant à son contenu.

L’entretien annuel d’évaluation du 19 octobre 2017 signé du salarié et qui, concernant le forfait jours, se limite à répondre affirmativement à toutes les rubriques y afférentes par le biais de croix apposés, sans aucun détail sur les réponses alors qu’il existe un emplacement dédié, ne permet pas de constater qu’un réel échange s’est tenu sur ce sujet.

En tout état de cause, il n’est produit aucun autre justificatif d’entretien annuel abordant cette question bien spécifique dans le respect de l’accord d’entreprise.

Par ailleurs, si l’employeur justifie de la comptabilisation annuelle des jours RTT pris, l’analyse des documents produits à ce titre montre que chaque année, il restait un reliquat de jours à prendre.

Il en résulte suffisamment que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne veillant pas à ce que le salarié ait une activité de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et, donc, à assurer la protection de sa sécurité et de sa santé.

Pour les motifs sus développés, la cour n’est pas compétente pour statuer sur l’indemnisation devant en découler.

IV – Sur les congés payés

IV-1- congés payés acquis au cours de la période de maladie professionnelle

Compte tenu de la reconnaissance du caractère professionnel de son affection, M. [F] [W] sollicite que les périodes d’arrêt de travail à ce titre soient assimilées à du travail effectif pour les congés payés pour une durée d’un an.

Selon l’article L.3141-5 du code du travail, sont notamment considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé, les périodes, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an, pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle.

En l’espèce, alors que M. [F] [W] est en arrêt maladie depuis le 11 octobre 2018, que cet arrêt résulte de la situation de harcèlement moral subi et que donc un lien est établi avec la maladie professionnelle qu’il a déclarée, l’examen de ses bulletins de paie révèle que les congés payés acquis ont été comptabilisés jusqu’en décembre 2018 inclus et n’ont plus été pris en compte à partir de janvier 2019, le compteur de congés s’arrêtant à 14,56 jours, pour passer à 13 jours en août 2020 et être rétabli à 23 jours en septembre 2020.

Aussi, alors qu’à la date de son arrêt, M. [F] [W] disposait d’un solde de 8,32 jours de congés, que le salarié a acquis 25 jours ouvrés au cours de l’année d’arrêt pour maladie professionnelle, le solde s’établit à 33,32 jours, de sorte qu’il peut prétendre à un solde de 10,32 jours, représentant la somme de 3 762,57 euros, à laquelle, par arrêt infirmatif, l’employeur est condamné.

IV- 2- régularisation des jours de congés indûment décomptés

M. [F] [W], faisant valoir que de nombreuses erreurs ont été accomplies dans le décompte de ses congés, sollicite un rappel à ce titre.

La SAS Manufacture [D] s’y oppose en faisant valoir qu’en août 2017, a été opérée une régularisation à hauteur de 25 jours ouvrables en août 2017 pour les congés payés indûment comptabilisés de mars 2015 à janvier 2016, que pendant le temps partiel thérapeutique, elle avait effectué un décompte des congés en retenant les jours travaillés par la SAS Manufacture [D] et non tous les jours ouvrables pendant la période d’absence, de sorte que 5 jours ouvrables sont aussi à déduire pour les 8, 9 et 11 avril 2016 et 27 et 28 mai 2016, qu’à compter du 1er juin 2018, le décompte est passé en jours ouvrés et que pour juillet et août 2018, le décompte est correct.

L’entreprise est effectivement passée d’un décompte en jours ouvrables en jours ouvrés au 1er juin 2018. Si l’horaire de travail est réparti sur 5 jours, une semaine de congés équivaut à 5 jours ouvrés et dans cette hypothèse, lorsqu’un salarié ne travaille que certains jours ouvrés de la semaine, les jours non travaillés restent ouvrés pour le calcul de ses congés.

Quand le calcul est opéré en jours ouvrables et que l’horaire hebdomadaire est réparti sur 5 jours, le décompte d’une semaine de congé s’effectue sur 6 jours ouvrables.

En l’espèce, il n’est pas produit au débat les bulletins de paie de 2015 à janvier 2016 permettant de vérifier un décompte erroné de l’employeur au cours de l’arrêt maladie ayant pris fin en janvier 2016.

De même, alors qu’il résulte du calendrier de suivi de ses jours de congé que M. [F] [W] a été en congé du 5 au 7 avril 2016 et du 23 au 26 mai 2016, il n’est pas davantage communiqué les bulletins de paie des mois correspondant établissant un décompte inexact des congés payés à imputer sur le solde.

Par ailleurs, l’examen des bulletins de paie montre que :

– en juillet 2017, le salarié avait un solde de congés payés de 52,5.

Après avoir pris 12 jours de congé du 1er au 15 août , son solde a été mentionné pour 10,5 jours, soit une perte de 30 jours, équivalent à 10 937,70 euros

– en juillet 2018, le salarié avait un solde de congés payés de 17.

Après avoir pris des congés du 30 juillet au 14 août , puis du 16 au 17 août, soit 16 jours ouvrés, son solde a été réduit à 0, soit une perte de 1 jour, équivalent à 364,59 euros, soit un total de 11 302,29 euros.

Par arrêt infirmatif, l’employeur est condamné au paiement de cette somme.

IV-3- congés payés pour ancienneté

M. [F] [W] ne remet pas en cause devant la cour la décision entreprise ayant rejeté la demande à ce titre.

V – Sur les demandes au titre de la rupture du contrat de travail

V-1- Sur la résiliation judiciaire

La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être prononcée si l’employeur n’exécute pas ses obligations contractuelles et que les manquements sont d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

M. [F] [W], invoquant les faits de harcèlement moral dont il a été victime, le manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité et l’absence de suivi de sa charge de travail, manquements qui se sont poursuivis à l’issue de son premier arrêt maladie, sollicite la confirmation du jugement entrepris ayant prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail, laquelle produit les effets d’un licenciement nul, non seulement en raison de ce qu’elle est motivée par le harcèlement moral, mais aussi en ce qu’elle intervient au cours d’un arrêt de travail pour maladie professionnelle.

La SAS Manufacture [D] soutient n’avoir commis aucun manquement permettant de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail, que le salarié a saisi le conseil de prud’hommes le 10 décembre 2019, alors qu’il évoque des faits de 2015, 2016, dont l’ancienneté n’est pas de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

Dès lors que l’employeur a commis des faits de harcèlement moral, quand bien même, de fait, ces faits ont pris fin avec la suspension du contrat de travail en raison de l’arrêt maladie du salarié à compter du 11 octobre 2018, et que le salarié a saisi le conseil de prud’hommes en décembre 2019, soit plus d’un an plus tard, les faits sont d’une telle gravité par leur nature, qu’ils empêchent la poursuite du contrat de travail.

La cour confirme donc le jugement entrepris ayant prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail, laquelle produit les effets d’un licenciement nul.

VI-2- Sur les conséquences

Les parties ne remettent pas sérieusement en cause de manière explicite et motivée les sommes allouées par les premiers juges au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement et de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, de sorte qu’elles sont confirmées.

S’agissant des dommages et intérêts pour licenciement nul, M. [F] [W] sollicite l’infirmation du jugement entrepris, estimant que son préjudice doit être réparé par l’octroi de la somme de 246 720 euros, soit 30 mois de salaire, compte tenu de son ancienneté de près de 30 ans, de ce qu’il escomptait achever sa carrière au sein de la SAS Manufacture [D], qu’il a fait preuve d’un dévouement sans borne, a grandement contribué à l’activité et au développement de l’entreprise, que l’attitude harcelante a été destructrice au point de se voir reconnaître une incapacité permanente à hauteur de 60 %, qu’il lui sera difficile de retrouver un emploi au même niveau de responsabilité et de rémunération, ce qui aura également un impact sur ses revenus futurs mais aussi sur ses droits à retraite.

La SAS Manufacture [D], rappelant que cette demande ne peut avoir pour seul objet que de réparer les conséquences de la rupture du contrat de travail, considère que le salarié se fonde sur un préjudice hypothétique qui ne peut être indemnisé.

Alors qu’au regard des aléas liés à la vie économique, mais aussi des vicissitudes d’une vie professionnelle, lesquels ne permettent à aucun salarié de prétendre faire une carrière complète au sein d’une même entreprise, que les préjudices en lien avec le harcèlement moral et le manquement à l’obligation de sécurité ne peuvent être intégrés à l’indemnisation liée à la seule perte de l’emploi, en considération de l’ancienneté du salarié (28 ans), de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (53 ans), de son salaire moyen de 8 224 euros, des droits ouverts à Pôle emploi à compter du 25 juillet 2022 pour un montant non communiqué, en l’absence de justification de démarches en vue de rechercher un nouvel emploi, du montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement (152 485 euros), son préjudice est plus justement réparé par l’octroi de la somme de 110 000 euros.

La cour infirme sur ce point le jugement entrepris.

Les autres dispositions du jugement déféré non spécialement critiqués sont confirmées

VII – Sur la demande reconventionnelle de la SAS Manufacture [D]

Invoquant la déstabilisation de l’entreprise et l’atteinte à son climat social par la publicité qu’il fait de son contentieux sur la base d’allégations mensongères, avec pour objectif d’entacher la réputation de l’entreprise, son image et de porter atteinte à l’autorité de la direction, la SAS Manufacture [D] sollicite la condamnation de M. [F] [W] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Il résulte des développements qui précèdent que les dénonciations du salarié relativement à la dégradation de ses conditions de travail sont avérées, qu’il n’a pas usé d’allégations mensongères pour les présenter, et il n’est pas établi qu’il aurait accompli des actes de nature à déstabiliser l’entreprise ou de porter atteinte à son image en dehors de l’instance qui le concerne.

Aussi, aucune faute ne peut lui être reprochée, de sorte que c’est à juste titre que la demande de la SAS Manufacture [D] a été rejetée.

VIII – Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie principalement succombante, la SAS Manufacture [D] est condamnée aux entiers dépens, déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à M. [F] [W] la somme de 2 000 euros en cause d’appel, en sus de la somme allouée en première instance pour les frais générés par l’instance et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a statué sur le montant de la régularisation au titre des congés payés jusqu’en octobre 2018 et à partir d’octobre 2018 et des dommages et intérêts pour licenciement nul ;

Statuant à nouveau,

Condamne la SAS Manufacture [D] à payer à M. [F] [W] les sommes suivantes :

solde de congés payés jusqu’en octobre 2018 : 11 302,29 euros

solde de congés payés à partir d’octobre 2018 : 3 762,57 euros

dommages et intérêts pour licenciement nul : 110 000,00 euros

Le confirme en ses autres dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la SAS Manufacture [D] aux entiers dépens de première d’instance et d’appel ;

Condamne la SAS Manufacture [D] à payer à la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel ;

Déboute la SAS Manufacture [D] de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile en appel.

La greffière La présidente

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x