Épuisement professionnel : 22 juin 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/00562

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Épuisement professionnel : 22 juin 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/00562

ARRET

N° 613

CPAM DE [Localité 7]

C/

S.A.R.L. [3]

COUR D’APPEL D’AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 22 JUIN 2023

*************************************************************

N° RG 22/00562 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IK4E – N° registre 1ère instance : 19/01978

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE (Pôle Social) EN DATE DU 14 janvier 2022

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

La CPAM DE [Localité 7], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée et plaidant par Mme [M] [K] dûment mandatée

ET :

INTIMEE

La société [3] (SARL), agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

( salariée : Mme [P] [Y])

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Clémentine DAILLOUX, avocat au barreau de TOURS substituant Me Nicolas DESHOULIERES de la SAS ENVERGURE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS

DEBATS :

A l’audience publique du 27 Mars 2023 devant Mme Graziella HAUDUIN, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 22 Juin 2023.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Audrey VANHUSE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Graziella HAUDUIN en a rendu compte à la Cour composée en outre de:

Mme Elisabeth WABLE, Président,

Mme Graziella HAUDUIN, Président,

et Monsieur Renaud DELOFFRE, Conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 22 Juin 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, Mme Grazielle HAUDUIN, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.

*

* *

DECISION

Vu le jugement en date du 14 janvier 2022, auquel il convient de se référer pour l’exposé des faits, procédure et prétentions initiales des parties, par lequel le pôle social du tribunal judiciaire de Lille, statuant sur le recours de la société [3] à l’encontre de la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable (CRA) de la CPAM de [Localité 7] de sa contestation de prise en charge de la maladie professionnelle de sa salariée, Mme [P] [Y], a déclaré inopposable à la société la décision de prise en charge de la pathologie du 10 août 2017, dit n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et condamné la caisse aux dépens de l’instance.

Vu l’appel interjeté le 7 février 2022 par la CPAM de [Localité 7] de cette décision qui lui a été notifiée le 19 janvier précédent.

Vu les conclusions visées par le greffe le 10 novembre 2022 et soutenues oralement à l’audience, par lesquelles la CPAM de [Localité 7] demande à la cour de :

– infirmer le jugement entrepris,

– déclarer opposable à la société la prise en charge de la maladie déclarée par Mme [Y] au titre de la législation relative aux risques professionnels,

– condamner la société aux éventuels frais et dépens de l’instance.

Vu les conclusions enregistrées par le greffe le 22 mars 2023 et soutenues oralement à l’audience, par lesquelles la société [3] demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris,

– condamner la caisse à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

SUR CE, LA COUR :

Le 25 octobre 2016, Mme [P] [Y], salariée de la société [3], en qualité de coordinatrice puis de gestionnaire, a complété une déclaration de maladie professionnelle et y a joint un certificat médical initial du 19 octobre 2016 visant un syndrome dépressif majeur réactionnel à un épuisement professionnel avec hospitalisation, arrêt de travail depuis le 19 décembre 2014, prise d’antidépresseurs et suivi psychiatrique régulier.

Après avoir diligenté une enquête administrative et sollicité l’avis de son médecin-conseil, la CPAM de [Localité 7] a saisi le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) de la région [Localité 8], lequel a retenu un lien direct et essentiel entre la pathologie et l’activité professionnelle de Mme [Y].

Saisi par la société [3] d’un recours contre la décision de rejet implicite de la commission de recours amiable de la caisse de sa contestation de la prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle, le pôle social du tribunal judiciaire de Lille, par jugement du 15 septembre 2020, a ordonné la désignation du CRRMP du [Localité 5], qui a, dans son avis du 25 août 2021, également retenu un lien direct et essentiel entre la pathologie et l’activité professionnelle.

Le pôle social du tribunal judiciaire de Lille, par jugement dont appel, a considéré que la caisse ne rapportait pas la preuve, « au seul regard des avis » des CRRMP, du lien.

La CPAM de [Localité 7] soutient, s’agissant du caractère professionnel de la maladie, que les deux comités s’accordent pour dire que la pathologie revêt un caractère professionnel, qu’il ressort des éléments recueillis pendant l’instruction et des déclarations l’existence de facteurs de risques psychosociaux, que la société ne prouve aucunement l’existence d’une cause étrangère au travail et que Mme [D], directrice adjointe de la société, reconnaît elle-même que l’ambiance est délétère.

La société [3] fait valoir quant à elle que le changement de poste de Mme [Y] répondait à ses attentes, qu’en 2014 la salariée a été hospitalisée aux urgences psychiatriques alors même qu’elle n’avait jamais alerté sa hiérarchie d’un quelconque mal-être lié au travail, qu’aucun problème relationnel au travail n’était connu, qu’elle n’a subi aucune pression de sa hiérarchie, qu’elle n’a travaillé que dix mois sur le poste qui serait à l’origine de son état dépressif, qu’elle a attendu près de deux ans pour demander la reconnaissance de son état comme maladie professionnelle et qu’en tout état de cause, son état de santé s’étant apparemment amélioré, son taux d’incapacité ne saurait, dès lors, être forcément supérieur à 25 %.

1. Aux termes de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d’origine professionnelle s’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’un taux évalué dans les conditions mentionnées à l’article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.

Dans ce cas, la caisse reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, lequel s’impose à la caisse.

Enfin, l’article R. 142-17-2 du même code prévoit que lorsque le différend porte sur la reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie, le tribunal recueil préalablement l’avis d’un comité régional, autre que celui qui a déjà été saisi par la caisse.

En l’espèce, la pathologie déclarée ne figure dans aucun tableau de maladie professionnelle et le taux d’IPP prévisible a été évalué comme au moins égal à 25 %., étant observé que l’évolution postérieure de l’état de santé ne peut être utilement invoquée pour remettre en cause ce taux et la réunion effective des conditions de l’article précité permettant la saisine du CRRMP.

Ensuite, de l’avis rendu le 2 août 2017 par le CRRMP de [Localité 7], saisi par la caisse, il ressort que « après avoir étudié les pièces du dossier communiqué, le CRRMP constate que le changement de poste s’est effectué dans le cadre d’une inquiétude concernant la pérennité de son poste antérieur et bien qu’accompagnée d’une formation de 4 jours, s’est soldé par des difficultés à assumer la totalité des tâches confiées d’autant qu’il y avait un absentéisme de collègues et d’encadrement qui ne lui a pas facilité la tâche. Les difficultés ressenties n’ont pas été objectivement accompagnées par la direction et l’assurée a en outre subi des conflits avec son éthique dans la mesure où elle estimait ne pas pouvoir correctement effectuer son travail. Elle décrit, par ailleurs, une pression importante liée au mécontentement des clients et comme il n’existe pas de facteur de confusion extra professionnel, on retient un lien direct et essentiel entre l’affection présentée et l’exposition professionnelle ».

De l’avis rendu le 25 août 2021 par le second CRRMP, celui du [Localité 4]-Est saisi par les premiers juges, il ressort ce qui suit : « Mme [Y] travaille pour une société immobilière depuis 2009, en tant que gestionnaire-locatif, coordinatrice de syndic. Elle décrit, suite à un changement de poste, un défaut de formation, une charge de travail élevée, l’absence de soutien hiérarchique dans un contexte d’absentéisme, une ambiance dégradée. De l’étude du dossier, il ressort l’existence de facteurs de risque psychosociaux s’inscrivant dans la durée au sein de la structure confirmée par un témoignage et une enquête du CHSCT. Par ailleurs, il n’a pas été retrouvé de facteurs extra professionnels pouvant expliquer la survenance de la pathologie. Dans ces conditions, le comité peut établir un lien direct et essentiel entre l’activité professionnelle et l’affection déclarée.

Le comité émet un avis favorable à la reconnaissance en maladie professionnelle ».

Il ressort du rapport de l’enquête administrative produit part la caisse en cause d’appel, réalisé par un enquêteur assermenté le 20 mars 2017, la volonté de Mme [Y] de changer de poste sachant que son ancien poste de coordinatrice de syndic allait être supprimé suite à une restructuration de l’entreprise, la mise en place d’une formation express, des conditions de travail difficiles (pas de connexion pour son ordinateur, surcharge de travail, personnel réduit ‘), un refus d’aide par Mme [D], gérante, la mise en place d’une réunion CHSCT révèlant une mauvaise ambiance au sein de l’agence, puis un licenciement pour inaptitude le 11 janvier 2017.

En outre, plusieurs témoignages sont également retranscrits dans ce rapport, notamment :

– celui de Mme [H], membre du CHSCT qui a indiqué le 16 mars 2017 ce qui suit : « J’ai tout de suite décelé une ambiance pesante à [Localité 6], le personnel était très inquiet sur ce qui s’était passé, il n’avait pas beaucoup d’informations (…) »,

– celui de Mme [T] qui, le même jour a indiqué que « (‘) je pense que madame [Y] a eu une formation inadaptée eu égard à ses connaissances en gestion locative. Celle-ci s’est sentie vite dépassée de surcroît elle a hérité un portefeuille important dans un groupe ou l’absentéisme était important tant au niveau du personnel que de l’encadrement. Toutes ces circonstances ont concouru au mal être de madame [Y] »,

– celui de Mme [D], manager, qui le 13 mars 2017 explique que « madame [X] a instauré ce climat de dénigrement à mon encontre et s’est servi de madame [Y] qui était en souffrance à ce moment des faits et cela par pure jalousie, aigrie de ne pas avoir obtenu de promotions que sais-je ‘ les moyens employés sont inqualifiables (me rendre responsable des pensées suicidaires de madame [Y] est scandaleux). Toute cette histoire a pesé sur ma santé également, j’étais anéantie, j’ai perdu confiance en moi (…) ».

Au vu de ce qui précède, des deux avis concordants des CRRMP et des éléments du rapport d’enquête, il est démontré que Mme [Y] a été affectée par la restructuration de l’entreprise, laquelle a occasionné un climat délétère, une surcharge de travail et une absence d’accompagnement de la hiérarchie ayant eu un effet néfaste sur sa santé, notamment un syndrome dépressif majeur.

Aucun élément versé aux débats n’est de nature à remettre en cause les avis concordants et circonstanciés des CRRMP reconnaissant un lien direct et essentiel entre la pathologie déclarée et le travail.

En conséquence, par infirmation du jugement déféré, il y a lieu de déclarer opposable à la société [3] la décision de prise en charge par la CPAM de [Localité 7] du 10 août 2017 de la maladie professionnelle déclarée par Mme [Y].

2. La société [3], qui succombe totalement, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et déboutée de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau ;

Déclare opposable à la société [3] la décision de la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 7] du 10 août 2017 relative à la prise en charge de la maladie professionnelle de Mme [P] [Y],

Condamne la société [3] aux dépens de première instance et d’appel ;

Déboute la société [3] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,

 


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