Épuisement professionnel : 22 juin 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 19/01078

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Épuisement professionnel : 22 juin 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 19/01078

9ème Ch Sécurité Sociale

ARRÊT N°

N° RG 19/01078 – N° Portalis DBVL-V-B7D-PRJQ

[6]

C/

[E] [Z]

CPAM DE LA LOIRE ATLANTIQUE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 22 JUIN 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe LE BOUDEC, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 16 Mars 2022

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 22 Juin 2022 par mise à disposition au greffe, après prorogation du délibéré initialement fixé au 1er juin 2022, date indiquée à l’issue des débats

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

Date de la décision attaquée : 20 Décembre 2018

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de NANTES

Références : 21301813

****

APPELANTE :

LA [6]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Rozenn GUILLOUZO, avocat au barreau de PARIS, substituée par Me LE NGUYEN Bao-Taon, avocat au barreau de PARIS,

et par Me Sophie GUILLON-COUDRAY, avocat au barreau de RENNES, avocat postulant,

INTIMÉS :

Monsieur [E] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 3]

comparant en personne, assisté de Me Emmanuelle POULARD de la SELARL GUIMARAES & POULARD, avocat au barreau de NANTES

LA CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA LOIRE ATLANTIQUE

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par Mme [O] [I] en vertu d’un pouvoir spécial

****

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 15 novembre 2012, la société [6] (la société) a reçu de la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire-Atlantique (la caisse) une lettre l’informant que M. [E] [Z] avait établi une déclaration de maladie professionnelle en date du 30 octobre 2012 et qu’il déclarait à cette occasion être atteint de « pathopyschologie du travail -Epuisement professionnel (burn-out) ».

A cette déclaration était joint un certificat médical en date du 21 juin 2012 dans lequel il était indiqué que l’intéressé se plaignait depuis deux mois d’un épuisement progressif lié semble-t-il aux conditions de travail avec idées noires, sensations vertigineuses.

Le 21 décembre 2012, la société a émis des réserves concernant l’origine professionnelle de la maladie déclarée.

Une instruction a alors été mise en oeuvre par la caisse afin de déterminer si cette maladie avait une origine professionnelle.

Le 3 mai 2013, la caisse a informé la société que le dossier serait transmis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), la maladie n’étant pas désignée dans un tableau de maladies professionnelles.

Le 18 juillet 2013, le CRRMP a émis un avis favorable, établissant l’origine professionnelle de la maladie caractérisée, essentiellement et directement causée par le travail habituel.

Le 12 août 2013, la caisse a ainsi pris en charge la maladie déclarée au titre de la législation professionnelle.

Par lettre en date du 26 septembre 2013, la société a saisi la commission de recours amiable afin de se voir déclarer inopposable la décision de prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle.

Le 19 décembre 2013, la société a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes, contestant la décision implicite de rejet de cette commission.

Parallèlement à ce recours, M. [Z] a demandé à la caisse la mise en oeuvre d’une procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Le 3 février 2016, il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes d’une procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, et ce suite à l’échec de la conciliation.

Par jugement du 22 juin 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes a :

– ordonné la jonction des deux instances ;

– annulé la décision du CRRMP en date du 18 juillet 2013 ;

– nommé le CRRPM Rennes Bretagne pour donner un nouvel avis sur l’origine de la pathologie de M. [Z] ;

– sursis à statuer sur toutes les autres demandes.

Le 25 mai 2018, le CRRMP a statué sur l’avis demandé.

Par jugement du 20 décembre 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes a :

– dit que la pathologie déclarée par M. [Z] le 30 octobre 2012 est d’origine professionnelle ;

– déclaré opposable à la société la décision de prise en charge de ladite pathologie au titre de la législation professionnelle par la caisse le 12 août 2013 ;

– dit que cette maladie professionnelle est due à la faute inexcusable de la société ;

– fixé au taux maximum la majoration de rente perçue par M. [Z] et dit que cette majoration suivra l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle en cas d’aggravation de l’état de santé de la victime ;

– fixé à 5 000 euros la provision à valoir sur le préjudice définitif de M. [Z] ;

– dit que la provision précitée sera réglée à la victime par la caisse ;

– dit que la caisse disposera d’un recours subrogatoire à l’encontre de la société pour l’ensemble des sommes dont elle fera l’avance ;

– avant dire droit sur l’indemnisation du préjudice subi par M. [Z] :

* ordonné une expertise médicale aux frais avancés par la caisse et désigné pour y procéder le docteur [T] [N], dont la mission est détaillée dans le dispositif ;

– dit que l’expert pourra s’adjoindre tout spécialiste de son choix ;

– dit que l’expert devra communiquer un pré-rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs écrits auxquels il répondra dans son rapport définitif ;

– dit que l’expert devra adresser son rapport au secrétariat du tribunal avant le 15 avril 2019 ;

– dit qu’en cas d’empêchement, il sera procédé au remplacement de l’expert par simple ordonnance requête ;

– condamné la société à verser à M. [Z] la somme de 1500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– sursis à statuer sur l’ensemble des autres demandes ;

– dit qu’à réception du rapport d’expertise, les parties seront convoquées à une nouvelle audience dont la date leur sera communiquée.

Par déclaration adressée le 15 février 2019, la société a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 15 janvier 2019.

Par ses écritures parvenues au greffe le 14 mai 2019 auxquelles s’est référé et qu’a développées son représentant à l’audience, la société demande à la cour de :

– constater que M. [Z] ne rapporte pas la preuve que la société aurait eu conscience d’un danger auquel elle l’exposait et qu’il ne démontre pas que la société aurait commis une faute inexcusable ;

– constater que M. [Z] ne justifie pas de son préjudice ;

– en conséquence, infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

– et statuant à nouveau :

– débouter M. [Z] de l’ensemble de ses demandes ;

– débouter M. [Z] de sa demande de provision ;

– si la cour confirmait le jugement et condamnait la société au titre d’une faute inexcusable qu’elle aurait commise à l’encontre de M. [Z], ordonner une expertise médicale afin de déterminer le quantum du préjudice esthétique temporaire subi par M. [Z] aux frais avancés par lui ;

– en tout état de cause, condamner M. [Z] à verser la somme de 3 000 euros à la société sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ses écritures parvenues au greffe le 18 décembre 2020 auxquelles s’est référé et qu’a développées son conseil à l’audience, M. [Z] demande à la cour de :

– confirmer le jugement rendu le 20 décembre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes en toutes ses dispositions ;

– débouter la société de l’ensemble de ses demandes ;

– condamner la société à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles pour la procédure d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre la confirmation de la condamnation à hauteur de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;

– la condamner aux entiers dépens de l’instance qui comprendront les frais d’expertise.

Par ses écritures parvenues au greffe le 15 mars 2021 auxquelles s’est référé et qu’a développées son représentant à l’audience, la caisse demande à la cour de :

– condamner la société, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable, à lui rembourser l’intégralité des sommes dues ;

– confirmer que la caisse dispose d’une action récursoire à l’encontre de la société ;

– demander l’avis d’un second CRRMP au cas où un différend apparaîtrait sur l’origine professionnelle de la maladie de M. [Z].

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Dans l’acte qu’elle a annexé à sa déclaration d’appel, la société a détaillé les chefs du jugement critiqué en reprenant l’ensemble du dispositif.

Si dans les écritures qu’elle a déposées et soutenues oralement à l’audience, elle sollicite l’infirmation du jugement en toutes ses dispositions, c’est sans remettre en cause le caractère professionnel de la maladie déclarée par M.[Z] et l’opposabilité de la décision de prise en charge de la caisse.

Elle conteste avoir commis une faute inexcusable sur le moyen unique de son absence de conscience du danger auquel était exposé le salarié.

Il s’ensuit que seront confirmées les dispositions du jugement du 20 décembre 2018 par lesquelles le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes a :

– dit que la pathologie déclarée par M. [Z] le 30 octobre 2012 est d’origine professionnelle ;

– déclaré opposable à la société la décision de prise en charge de ladite pathologie au titre de la législation professionnelle par la caisse le 12 août 2013.

Sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur

Des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, il résulte que l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en veillant à éviter les risques, à évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités et à adapter le travail de l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production.

Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. (2e Civ., 8 octobre 2020, pourvoi n°18-26.677; Soc., 2 mars 2022, pourvoi n° 20-16.683).

Le juge n’a pas à s’interroger sur la gravité de la négligence de l’employeur et doit seulement contrôler, au regard de la sécurité, la pertinence et l’efficacité de la mesure que l’employeur aurait dû prendre.

Sur ce

Des explications de la société et des éléments versés au dossier, il est possible de retenir que lorsque M. [Z] a été embauché le 18 avril 2011, en qualité de « conseiller client », il a été chargé de gérer la relation directe avec les clients sur une plate-forme téléphonique.

Ses missions principales consistaient à répondre aux demandes des prospects/clients/acteurs du réseau, commercialiser les contrats d’assurance de la société, assurer les tâches relatives à la gestion des contrats d’assurance, réaliser les opérations commerciales et de fidélisation et apporter informations et conseils personnalisés sur les produits de la société.

Lorsqu’il a intégré les effectifs de la société, l’entreprise venait d’être créée. Il s’agissait donc d’une période de lancement et de développement avec de très nombreuses embauches.

C’est ainsi que 118 conseillers ont été recrutés en 2011, en contrat à durée indéterminée exclusivement, dont 74 sur le service ‘front office’ (celui de M. [Z]) et que 75 de ces salariés sont arrivés à partir de mai 2011.

Dans ce contexte, sa mission a nécessairement évolué puisqu’en avril 2011, période de démarrage de la société, il n’y avait aucune gestion de clientèle, aucun portefeuille n’étant encore constitué. Tous les appels de clients étaient dès lors des appels de souscription et débouchaient donc sur de nouveaux contrats, ce qui induisait quasiment pour chaque appel un commissionnement.

Par la suite, les téléconseillers ont dû, comme cela était prévu dans leur contrat de travail, à la fois se charger des souscriptions (qui étaient également faites aux bureaux de poste) et de la gestion des contrats (avenant’), ce qui était nécessairement plus compliqué et entraînait un commissionnement diversifié qui n’était plus basé uniquement sur les ventes.

La société souligne que leur attention avait néanmoins été attirée sur ce point lors de leur embauche, puisque dès l’origine, elle était destinée à assurer ce rôle de gestion en première intention et de vente en deuxième intention et que M. [Z] qui était plus à l’aise avec les ventes qu’avec la gestion, se retrouvait moins dans cet environnement.

De son côté, M. [Z] fait valoir que l’origine de sa maladie professionnelle est à rechercher dans les faits de harcèlement et dans la pression qu’il a subie.

Sur ce :

S’agissant du contexte de travail au sein de la société, il ne peut être retenu, comme le soutient la société, que le climat et l’environnement de travail de M. [Z] étaient agréables.

Il convient au contraire de retenir que le climat social était plutôt tendu, les difficultés s’étant cristallisées sur le décompte des pauses et sur l’impossibilité, selon les salariés, de se rendre aux toilettes en dehors des moments de pause.

Par lettre du 13 avril 2012 (pièce 42 des productions de M. [Z]), interpellée à ce sujet, l’inspectrice du travail a rappelé à l’employeur qu’il ne peut pas imposer aux salariés les moments où ils s’absentent de leurs postes de travail pour aller aux toilettes. Elle indique : Ceci serait considéré par les juges comme une atteinte à la santé des salariés et contraire aux dispositions de l’article L. 4121-1 du code du travail qui prévoit que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs’ ».

Et il était demandé in fine à l’employeur de faire cesser ce genre de pratiques qui ne peuvent être que pathogènes.

En réponse, Mme [F] [U], ès qualités de « directeur des ressources humaines, de la communication interne et des services généraux » a indiqué dans sa lettre du 27 avril 2012 (pièce 41 des productions de M. [Z]) :

« Madame l’inspectrice du travail,

Par la présente, nous accusons réception de votre courrier en date du 13 avril 2012 par lequel vous faites état de pratiques contestables au sein de notre entreprise. Nous sommes très surpris de telles remontées qui résultent à l’évidence d’un malentendu.

Si la question des pauses toilettes a été abordée à deux reprises en questions DP, les 7 juillet et 21 décembre 2011, les réclamations des DP portaient sur la qualification de ses pauses au regard de la notion de temps de travail effectif (cf en pièce jointe les questions réponses DP des 7 juillet et 21 décembre 2011) et non pas sur des faits d’interdiction de se rendre aux toilettes.

Or, vous nous informez avoir été alertée sur le fait que nous ne laisserions pas nos salariés se rendre aux toilettes en dehors des moments de pause. Il n’en est évidemment rien. En revanche, le fait de se rendre aux toilettes constitue une pause pendant laquelle le conseiller doit se mettre en mode « pause ».

S’agissant d’une plate-forme de relation clients, il va de soi que les exigences de la qualité de service dû au client nous imposent d’organiser le travail d’une manière permettant de répondre aux appels. Dans ce cadre, notre organisation repose sur des équipes multiples, réalisant leur journée autour d’une pause déjeuner d’une heure ainsi que d’une pause de 30 minutes, prise en 2 ou 3 fois en fonction de l’activité à l’initiative du responsable ou à la demande du conseiller. Nous demandons bien entendu à nos conseillers, dans toute la mesure du possible, de regrouper leurs activités extraprofessionnelles dans ces périodes de pause et d’éviter ainsi un éclatement trop important des 30 minutes de pause en micro-pauses plus complexes à gérer. Il va de soi que ces règles de bonne organisation s’entendent sous réserve des demandes individuelles qui peuvent périodiquement intervenir ».

De cette lettre, il peut être retenu que l’organisation du travail n’avait été envisagée que du seul point de vue des relations de l’entreprise avec ses clients et non pas sous l’angle des risques socioprofessionnels auxquels les téléconseillers pouvaient être exposés.

En outre, ce n’est pas sans une certaine contradiction que Mme [U] conteste dans le même paragraphe l’impossibilité pour les salariés de se rendre aux toilettes en dehors des moments de pause, tout en affirmant que pour se rendre aux toilettes, le conseiller doit se mettre en mode « pause », et que les pauses sont accordées « à l’initiative du responsable ou à la demande du conseiller ».

Si le salarié ne peut aller aux toilettes sans se mettre en mode pause et si pour obtenir une pause, le salarié doit obtenir l’autorisation de son responsable, alors le salarié ne peut aller aux toilettes sans obtenir l’autorisation de son responsable.

Il s’agit bien, comme le dit M. [Z], d’une pratique infantilisante. Elle renvoie les salariés aux temps de l’école primaire. Elle est de nature à porter atteinte à leur santé physique, comme justement rappelé par l’inspectrice du travail, mais également à leur santé mentale.

Il convient de rappeler que pour démontrer qu’il ne pouvait avoir aucune conscience du danger, il ne suffit pas à l’employeur de soutenir que M. [Z] effectuait 35 heures de travail effectif hebdomadaire, avec une pause déjeuner et 30 minutes de pauses réparties dans la journée et qu’il était soumis à des horaires réguliers ou encore qu’aucune raison objective dans ses conditions habituelles de travail ne permettent d’établir un lien avec le syndrome dépressif dont il se plaignait.

De fait, ce management particulièrement rigoureux du temps de travail des salariés et ce contrôle des pauses, envisagées uniquement sous l’angle de la satisfaction de leurs besoins extra professionnels, était mal vécu par les salariés et a suscité un mouvement de protestation collectif dont la presse s’est fait l’écho.

Ainsi, il est justifié de ce que l’organisation syndicale CFDT a appelé les salariés à une « pause symbolique » les 26 juin 2012 et 12 septembre 2013. Le 28 juin 2012 (pièce 53 des productions de M. [Z]), le journal Ouest-France a publié un article rendant compte de la manifestation du personnel de la [6] à [Localité 7], aux termes duquel 70 personnes sur 120 salariés de la plate-forme ont manifesté leur colère de 11 heures à 11h15 devant les locaux.

Des déclarations de M. [C] [W], délégué de cette organisation, telles que rapportées dans l’article, il doit être retenu que les salariés dénonçaient le fait d’être payés 35 heures, les 30 minutes de pause de la journée n’étant pas prises en compte.

S’agissant plus spécialement des raisons qui ont pu conduire M.[Z] à un état d’épuisement psychologique, il convient de relever que le certificat médical du 21 juin 2012 joint à la déclaration de la maladie professionnelle mentionne que l’intéressé se plaignait depuis deux mois d’un épuisement progressif « lié semble-t-il aux conditions de travail » avec idées noires, sensations vertigineuses.

Les plaintes relatives à cet épuisement sont donc contemporaines de la lettre de l’inspectrice du travail relativement à l’organisation du travail au sein de cette société et elles étaient jugées suffisamment préoccupantes par le médecin traitant pour que, dès le mois de juin, il oriente son patient vers un médecin psychiatre.

Au soutien de sa contestation, l’employeur fait valoir que ni le CHSCT, ni même M. [Z] ne l’ont jamais alerté sur une pression particulière ou pire un « harcèlement » comme le terme peut parfois être employé sur sa personne.

Pour autant, s’il est établi qu’en raison de la progression de l’effectif, la société s’est dotée d’un CHSCT (lequel aurait été mis en place au mois de janvier 2012), il n’est justifié d’aucune mesure particulière qui aurait été prise pour évaluer les risques qui ne pouvaient pas être évités et adapter le travail de l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production.

Or, ainsi qu’il le reconnaît dans ses écritures, le rapport de l’INRS (institut national de recherche et de sécurité) produit par M. [Z] (pièce 76 et 77 de ses productions) montre que toutes les centrales d’appel sont confrontées aux mêmes difficultés : niveau sonore élevé, clients pouvant être désagréables voire agressifs et que cela est inhérent à ce type de poste.

Le développement des « call centers » ou plateaux téléphoniques ou centres d’appels téléphoniques a commencé en France dans les années 70 et s’est poursuivi activement dans les années 90.

De nombreuses études ont été publiées, en langue anglaise mais également française, quant aux conditions de travail dans ces centres et aux répercussions sur la santé des salariés. Les références en sont données dans l’étude publiée par l’INRS au 2° trimestre 2011, laquelle a été réalisée à la demande d’une quarantaine de médecins du travail préoccupés par les conditions de travail dans les centres d’appels téléphoniques et la santé des téléopérateurs.

Si cette étude ne porte pas spécifiquement sur l’organisation du centre d’appels téléphonique de la [6], y sont décrites les différentes contraintes que l’on peut retrouver dans ces organisations et qui sont présentes au cas particulier : l’organisation du temps de travail adapté à la clientèle, des systèmes de contrôle de la « qualité » du service à la clientèle avec en particulier des doubles écoutes de la part du superviseur, des réunions secondaires à des appels à problèmes.

Tel est bien le cas en l’espèce, M. [Z] ayant fait l’objet d’une mise au point le 31 mai 2012, verbale puis résumée par mail par M. [P] [M], pour une erreur d’imputation d’un contrat sur le compte d’un client, avec remise en cause de la qualité de son échange téléphonique, décrypté à cette occasion.

Ont déjà été mentionnées et s’y ajoutent en l’espèce de fortes exigences en terme de qualité du service rendu au client et d’expertise du téléopérateur, en raison de l’évolution des prestations à fournir « [se charger des souscriptions et de la gestion des contrats (avenant’)] » dont l’employeur admet que pour les téléopérateurs c’était « nécessairement plus compliqué», dans un contexte où les rémunérations baissent, par la diminution du commissionnement sur les ventes alors même que les mérites comparés des téléopérateurs ont pu faire l’objet d’un concours (défis 2011 spécial lancement) destiné à favoriser l’émulation des conseillers clientèle (pièce 89 des productions de M. [Z]).

Au regard de sa taille et de son importance, la société ne peut sérieusement soutenir qu’elle ignorait les risques liés à l’organisation du travail qu’elle avait mise en place, lesquels étaient connus. Elle ne saurait davantage être admise à soutenir qu’elle pouvait les ignorer.

Et ce d’autant qu’il convient de retenir des déclarations de M. [S] (attestation du 3 novembre 2015, pièce 50 des productions de M.[Z]) qui a été conseiller client pour la société du mois de novembre 2010 au mois de septembre 2012 et membre du CHSCT dès sa création, que les risques psychosociaux ont été abordés à plusieurs réunions et qu’il a, en outre, « à de nombreuses reprises, alerté de nombreux responsables d’équipe ».

Il cite notamment [P] [M] (supérieur hiérarchique immédiat de M.[Z]), [Y] [K] ainsi que [G] [H] (alors responsable du plateau), [F] [U] (alors DRH) et le docteur [D] (alors médecin du travail) sur le fait « que la grande majorité des conseillers clients subissaient un stress anormal et très important lié aux conditions de travail. La forte pression, le stress, l’absentéisme, le manque de communication, les problèmes de management et les conditions de travail qui se dégradaient étaient des sujets abordés quasi quotidiennement dans les RAQ (réunions d’activité quotidiennes) ».

En réponse, la société indique qu’elle surveillait l’absentéisme mais n’indique pas en quoi elle en aurait analysé les causes et les mesures qu’elle aurait pu prendre pour y remédier.

Cette attestation de M. [S] corrobore les déclarations qu’il a faites à l’agent assermenté de la caisse le 26 mars 2013 (pièce 10 des productions de M. [Z]) et dont il ressort que l’intéressé était en arrêt de travail depuis le mois de novembre 2012 pour épuisement professionnel.

Aux termes de ses déclarations M. [S] indique que comme beaucoup de personnes de la plate-forme, il connaissait des problèmes de stress dus à une succession de faits insidieux, de manque d’autonomie, d’infantilisation, de recherche sans cesse de la faute.

Il y avait selon lui une crise de management, avec beaucoup d’absentéisme (jamais une marguerite n’était complète) dans un contexte d’évolution rapide de la structure, passée de 12 personnes à 2010 à 200 personnes en 2013.

Il souligne que la charge d’appels était très importante, avec des appels de typologie différente, beaucoup d’entre eux étant conflictuels et ce alors que les téléconseillers devaient essayer de vendre des contrats.

Il indique qu’à compter de mars 2011, les salariés avaient commencé à subir une diminution de leur avantage sur les ventes forcées dans un contexte de dégradation des relations, de manque de communication verticale et horizontale et des gros problèmes informatiques.

Les critiques dirigées contre les attestations de Mmes [A] et [L]

ne sont pas de nature à les priver de valeur probante.

Si Mme [L] qui a été embauchée le 18 avril 2011 a rompu sa période

d’essai deux mois plus tard, le 21 juin 2011 après avoir passé un mois en formation et n’a donc passé que peu de temps avec M. [Z], elle est en mesure d’attester des conditions de travail pendant sa période d’emploi.

Elle témoigne ainsi de ses conditions de travail qu’elle qualifie justement d’anormales telles qu’imposées par la hiérarchie.

Elle indique : « En effet, dès notre prise de poste, nous avons souffert d’un manque total de liberté et d’autonomie dans notre fonction. Pas de possibilité de bouger de sa place même pour aller aux toilettes sans demander l’accord de notre manager (pause pipi décomptée de notre temps de travail), double écoute téléphonique systématique et omniprésence du responsable derrière notre dos, nous étions surveillés tout au long de la journée, infantilisés et stressés par la charge de travail importante et les objectifs commerciaux que nous devions réaliser (un système de tableaux avec des bâtons représentant les ventes de chaque conseiller avait été mis en place, ce qui nous exposait aux yeux de tous et nous poussait à la vente forcée et à la compétition. Nous nous sentions harcelés psychologiquement.

Au cours des RAQ (réunions activités quotidiennes), à chaque début de journée, nous avons souvent fait part de nos remarques, notamment [E] qui a manifesté à plusieurs reprises son sentiment de stress et de pression auprès de notre manager ([R] [V]) mais rien ne semblait s’améliorer et le mal être commençait à se faire ressentir au sein de toutes les équipes.

[E] m’a alors fait part de son désir de rencontrer notre N+2 (Mme [B] [J]) compte tenu de l’absence de changement d’attitude de notre (un mot manquant) et pour lui exposer son malaise au travail.

Si comme l’indique la société, M. [Z] n’a notamment jamais sollicité de rendez-vous auprès de la direction des ressources humaines, il n’est pas indiqué quelle suite a été donnée à son mail du 28 juin 2011à Mme [B] [J] (pièce 88 de ses productions) dont fait état Mme [L] et par lequel il demandait à sa « N+2 » un rendez-vous physique « concernant mes conditions de travail auprès de ma responsable actuelle, [R], avec laquelle j’éprouve des difficultés relationnelles et qui pratique des méthodes que je qualifie de harcèlement et de pression au quotidien envers moi, malgré mes résultats commerciaux, et le challenge que j’ai remporté la semaine dernière.

En effet, après échanges sur ce sujet en RAQ avec [R], et toi-même lors de son absence en RAQ, rien n’a changé ».

À supposer que l’attestation de Mme [A] contienne des inexactitudes s’agissant notamment de la période d’essai de M. [Z], qui a été effectivement prolongée de trois mois alors qu’à la même époque il avait remporté le challenge des défis 2011 en tant que meilleur vendeur, il n’en demeure pas moins qu’elle a quitté son poste en décembre 2014 en négociant une rupture conventionnelle, après plusieurs mois d’arrêt de travail suite à un épuisement professionnel.

Ayant été collègue de M. [Z] à proximité du poste de travail de celui-ci, ils déjeunaient régulièrement ensemble. Elle rapporte que leurs conditions de travail étaient déplorables et témoigne de leurs échanges relativement au mode de management exercé au sein de l’entreprise.

Elle fait mention de la pression psychologique subie quotidiennement, selon elle en raison de l’incompétence de certains chefs d’équipe, mais exercée entre autres par des entretiens individuels très réguliers reprochant le comportement des personnes sans reproches quant au travail, rappelant la pression continuelle au sujet des chiffres en termes de production, l’enregistrement des communications dans le dessein d’être écoutés à nouveau puis notés. Elle indique que les RAQ quotidiennes, d’une durée de 15 minutes, avant de commencer chaque journée d’activité, se faisaient debout face à un tableau.

L’employeur ne saurait être admis à s’exonérer de ses obligations et de sa responsabilité en faisant valoir que le salarié ne s’était jamais plaint de ses conditions de travail, du comportement de ses collègues ou de sa hiérarchie ou encore du fait qu’il subirait un stress particulièrement intense auprès de sa direction.

La circonstance que M. [Z] a obtenu de bons résultats commerciaux lui permettant de se voir octroyer une augmentation individuelle en 2012 (pièce n°2) ne peut suffire à établir qu’il ne souffrait pas de conditions de travail délétères à l’origine du syndrome dépressif dont il poursuit à ce jour la réparation.

Il n’est ni allégué ni justifié de mesures que l’employeur auraient prises pour évaluer les risques psychosociaux induits par l’organisation du travail qu’il avait mise en place, ni de manière générale, ni dans l’environnement immédiat de travail de M. [Z] et ce alors qu’il avait été repéré que ce salarié qui était « plus à l’aise avec les ventes qu’avec la gestion, se retrouvait moins dans cet environnement ».

Il s’ensuit que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a reconnu la faute inexcusable de la société, fixé au taux maximum la majoration de la rente, accordé à M. [Z] une provision de 5 000 euros et ordonné une expertise en faisant droit à l’action récursoire de la caisse.

Celle-ci n’a pas pour objet de pallier la carence de M. [Z] dans l’administration de la preuve de son préjudice, alors que son état est consolidé avec un taux d’incapacité permanente partielle de 25 %, confirmé par arrêt de la CNITAAT du 30 juin 2021 (pièce 98 de ses productions), qu’il a été licencié pour inaptitude et justifie de la poursuite du traitement pour y remédier.

En application des articles L.452-1 et L.452-3 du code de la sécurité sociale, lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime a droit, indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit, de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

Et tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale permet à la victime d’un accident du travail de demander à l’employeur dont la faute inexcusable a été reconnue la réparation d’autres chefs de préjudice que ceux énumérés, à la condition que ses préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

La demande tendant à ce que l’expertise soit limitée au préjudice esthétique temporaire est donc mal fondée et sera rejetée.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [Z] le montant des frais irrépétibles exposés pour faire valoir ses droits.

Outre la confirmation des dispositions du jugement lui ayant alloué la somme de 1 500 euros, l’appelante sera condamnée à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

S’agissant des dépens, l’article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale étant abrogé depuis le 1er janvier 2019, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de la société qui succombe à l’instance et qui de ce fait ne peut prétendre à l’application des dispositions l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement du 20 décembre 2018 du tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes ;

Y ajoutant :

Condamne la société [6] à verser à M. [Z] une indemnité de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Déboute la société [6] de sa demande d’indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société [6] aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018 ;

Renvoie les parties devant les premiers juges pour qu’il soit statué sur les points non jugés.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

 


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