Épuisement professionnel : 22 juillet 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 18/12859

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Épuisement professionnel : 22 juillet 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 18/12859

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 22 JUILLET 2022

N° 2022/ 153

RG 18/12859

N° Portalis DBVB-V-B7C-BC33U

SAS EUROPCAR FRANCE

C/

[Y] [O]

Copie exécutoire délivrée le 22 Juillet 2022 à :

-Me Pierre ARNOUX, avocat au barreau de MARSEILLE

– Me Laurence DUPERIER-

BERTHON, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARSEILLE en date du 13 Juillet 2018 enregistré au répertoire général sous le n° F17/02410.

APPELANTE

SAS EUROPCAR FRANCE, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Pierre ARNOUX de la SELARL SELARL ARNOUX-POLLAK, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Nicolas SAÏDI-COTTIER, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

Madame [Y] [O], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Laurence DUPERIER-BERTHON, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 31 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Estelle DE REVEL, Conseiller, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Estelle DE REVEL, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Juillet 2022.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Juillet 2022

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Mme [Y] [O] a été engagée en qualité de chargée de clientèle par la société Europcar France selon un contrat à durée déterminée du 15 avril 2002 puis par contrat à durée indéterminée à temps complet à partir du 1er octobre suivant.

Le 25 novembre 2015, la salariée a sollicité une rupture conventionnelle.

A partir du 12 février 2016, le contrat de travail a été suspendu en raison d’un arrêt maladie d’origine non professionnelle.

Le 4 juillet 2016, lors de la visite de pré-reprise, le médecin du travail a indiqué : ‘son état de santé ne me paraît pas compatible avec une reprise de son poste de travail, un aménagement de poste ne me semble pas envisageable. La poursuite des soins est nécessaire’.

Le 3 août 2016, lors de la visite médicale de reprise, le médecin du travail a rendu l’avis suivant : ‘inapte à son poste de travail de chargée de clientèle. Visite de pré reprise effectuée le 4 juillet. Pourrait travailler sur un poste sans contact avec la clientèle et horaire de journée. Etude de poste faite le 26 juillet 2016.’

Le 23 août 2016, lors de la seconde visite de reprise, le médecin du travail a confirmé l’avis d’inaptitude en ces termes : ‘inaptitude médicale à la reprise de son poste (…) Etude de poste réalisée; pourrait travailler sur un poste sans contact avec la clientèle, en back office : tâche administrative, horaire en journée. On peut également envisager, le cas échéant, une formation professionnelle en vue de sa reconversion’.

Le 16 septembre 2016, après un avis favorable du médecin du travail, la société a proposé à la salariée un reclassement sur un poste de gestionnaire réseau franchisé et mandataires situé au siège de la société à Voisins le Bretonneux.

Le 28 septembre 2016, Mme [O] a refusé le poste.

Le 4 octobre 2016, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 12 octobre 2016.

Le 19 octobre 2016, elle s’est vue notifier son licenciement pour inaptitude.

Le 13 octobre 2017, Mme [O] a saisi le conseil des prud’hommes de Marseille aux fins de voir prononcer la nullité du licenciement pour harcèlement moral et subsidiairement voir dire qu’il est sans cause réelle et sérieuse en l’absence de toute recherche sérieuse et loyale de reclassement.

Par jugement du 13 juillet 2018, la juridiction prud’homale a statué ainsi :

‘DIT et JUGE que le licenciement pour inaptitude de Mme [Y] [O] est sans cause réelle et sérieuse en l’absence de recherches loyales et sérieuses de reclassement.

CONDAMNE la Sté EUROPCAR FRANCE, prise en lapersonne de son représentant légal, en exercice, à payer A Mme [Y] [O] sommes suivantes:

– l8.000€ nets au titre de dommages et intéréts pour licencrement sans cause reelle et sérieuse,

– l.500€ nets au titre de 1′ Article 700 du Code de Procédure civile.

DEBOUTE Mme [O] de sa demande au titre du harcelement moral.

DEBOUTE Mme [O] de sa demande de nullité du licenciement suivant un harcelement moral.

DEBOUTE les parties de toutes autres demandes différentes, plus amples ou contralres au présent dispositif.

FIXE la moyenne des salaires à la somme de 1.809€ bruts

DIT QUE le présent jugement bénéficiera de l’exécution provisoire de droit sur les créances et dans la limite des plafonds définis par Particle R1454-28 du Code du Travail.

CONDAMNE la partie défenderessc aux entiers dépens.’

La société a interjeté appel du jugement le 30 juillet 2018.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 avril 2019, la société demande à la cour de :

‘INFlRMER le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Marseille le 13 juillet 2018 en ce qu’il a :

DIT et JUGE que le licenciement pour inaptitude de Mme [Y] [O] est sans cause reelle et serieuse en l’absence de recherches loyales et serieuses de reclassement ;

CONDAMNE la Ste EUROPCAR France, prise en la personne de son representant légal, en exercice, à payer à Mme [Y] [O] les sommes suivantes :

18. 000€ nets au titre de dommages et interets pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1.500 € nets au titre de l’Article 700 du Code de Procedure Civile.

CONDAMNE la partie défenderesse aux entiers dépens.

Statuant à nouveau :

DIRE ET JUGER que le licenciement pour impossibilite de reclassement a la suite de l’inaptitude d’origine non professionnelle de Madame [O] est fonde sur une cause reelle et sérieuse

En conséquence :

DEBOUTER Madame [O] de l’intégralité de ses demandes ;

CONDAMNER Madame [O] à verser à la Société la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du CPC ;

CONDAMNER Madame [O] aux éventuels dépens

De CONFIRMER le jugement pour le surplus :

Ainsi,

DIRE ET JUGER que Madame [O] n’a subi aucun fait de harcèlement moral ;

DIRE ET JUGER que Ie licenciement pour impossibilité de reclassement à la suite de l’inaptitude d’origine non professionnelle de Madame [O] n’est pas nul ;

DEBOUTER Madame [O] de l’intégralité de ses demandes’.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 janvier 2019, Mme [O] demande à la cour de :

‘A titre principal, réformer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de nullité du licenciement pour inaptitude de Madame [O] intervenu dans un contexte de harcèlement moral

Condamner l’employeur au paiement de la somme de 35.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

A titre subsidiaire,confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé le licenciement pour inaptitude de Madame [O] sans cause réelle et sérieuse en l’absence de toute recherche loyale et sérieuse de reclassement,

Condamner l’employeur au paiement de la somme de 35.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Fixer la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 1.895,21€

Dire et juger que les condamnations porteront intérêts légaux à compter du jour de la demande en justice avec capitalisation des intérêts

Condamner l’employeur au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du C.P.C. ainsi qu’aux entiers dépens’.

Pour l’exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif » et que les ‘dire et juger’ et les ‘constater’ ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi ; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués .

I. Sur la nullité du licenciement

Mme [O] soutient que son inaptitude physique trouve son origine dans des faits de harcèlement moral qu’elle subit de la part de son employeur. Elle fait état de méthodes de coaching intensifs, de pression et de stress ayant eu des répercussions sur son état de santé.

Elle reproche encore les contre visite médicales décidées par son employeur quelques jours après son arrêt de travail.

La société conteste tout acte de harcèlement expliquant que les coachings étaient bienveillants et avaient pour objectif d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et qu’il s’agissait de formation professionnelle mise en place au niveau national. Elle ajoute que Mme [O] n’a jamais émis de réserve sur leur déroulement ou leur fréquence.

L’employeur indique par ailleurs que le fait d’avoir diligenté deux contre-visites médicales découle du droit reconnu à tout employeur maintenant tout ou partie de la rémunération pendant l’incapacité de travail.

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l’article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction postérieure à la loi du 8 août 2016, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [O] produit notamment les pièces suivantes:

– 19 fiches de coaching et d’évaluation de la Méthode Frontline entre le mois d’août 2014 et le mois de février 2016, soit une par mois: plusieurs points sont abordés avec le salarié de façon individuelle (6 étapes décomposées en 27 points) pour améliorer leurs performances, tels ‘accueillir et créer du lien’, ‘présenter les véhicules’, ‘présenter les services additionnels’. Chaque fiche est remplie et signée par le salarié et le coach pour indiquer ce qui est acquis ou à améliorer.

– le courrier de demande de rupture conventionnelle : ‘je vous expose mes arguments pour que vous puissiez juger concrètement que mon acte a été bien réfléchi (…). Ayant un diplôme d’agent de tourisme, je n’étais pas confronté à la base à la pression des ventes qu’il y a actuellement et qui me permet d’obtenir un salaire pour vivre (…) Ce système me rend stressée et angoissée et je ne me sens plus à ma place. Je n’ai plus la force nécessaire de continuer dans ces conditions. Sachant que j’ai un enfant avec des difficultés scolaires et des horaires difficilement gérables pour lui. Je sais très bien que sur marseille, il n’y a pas d’agence avec des horaires plus adaptés pour moi, ni de week-end de repos. Il est très difficile pour moi de laisser mon enfant dans cette situation sachant que mon mari travaille dans la restauration avec des horaires de nuit. Ma situation financière ne me permet pas de démissionner’.

– la réponse de l’employeur,

– l’attestation de Mme [J], ancienne chargée de clientèle Europcar ayant démissionné, qui indique avoir été témoin des pressions subies par Mme [O] et ‘j’ai moi-même subi des pressions, des changements de dernière minute de planning ainsi que le management intensif (…) Avec tout le stress, nous avions l’impression d’être dévalorisées’

– l’attestation de Mme [U], ancienne responsable de l’agence de [Localité 3] Saint Charles, qui évoque une pression concernant ‘les coaching pour les ventes additionnelles’

– l’attestation de M. [M], compagnon de Mme [O] indiquant que celle-ci était hyper stressée et angoissée du fait de ‘la nouvelle politique de management’.

– des prescriptions médicales de Xanax à compter du mois d’avril 2016,

– un certificat médical du 30 juin 2016 d’un psychiatre faisant état ‘d’un épuisement professionnel avec asthénie, anxiété majeure, troubles du sommeil avec difficulté d’endormissement’, ‘l’évolution reste cependant difficile et l’amélioration des troubles peu significatives malgré la mise à distance de la sphère professionnelle’

C’est par des motifs exacts et pertinents, adoptés par la cour que les premiers juges ont considéré qu’il n’y avait pas de harcèlement moral, étant ajouté que :

– le salarié ne cite aucun fait précis et daté concernant les agissements de son supérieur hiérarchique, dénoncés pour la première fois à l’employeur dans le cadre de la présente instance

– alors qu’elle reproche un coaching intensif et stressant, Mme [O] ne l’évoque pas dans son courrier du mois de novembre 2015, date à laquelle le coaching existe pourtant depuis plus d’un an. Ce courrier dont l’objet est une demande de rupture conventionnelle, fait certes état de ‘la pression des ventes’ et d’un ‘système’ qui la rend ‘stressée et angoissée’ mais ne cite aucun fait concret et n’impute pas ces pressions à un comportement fautif de l’employeur, ni au coaching. Elle ne cite pas le terme de harcèlement moral et évoque des difficultés personnelles : ses difficultés financières, ses horaires de travail qu’elle dit peu compatibles avec ceux de ses enfants et les difficultés scolaires de l’un d’entre eux.

– en réponse, l’employeur lui a proposé de discuter de sa situation ‘afin de trouver ensemble une solution à vos problématiques actuelles et voir comment l’entreprise pourrait vous aider autrement que par le biais d’une rupture conventionnelle’. Un rendez-vous téléphonique a été fixé.

– à travers le coaching, l’employeur a mis en place des outils destinés à améliorer les performances des salariés, notamment des chargés de clientèle. Cet outil, quand bien même vise-t-il l’efficacité du salarié, est d’abord un outil de formation et d’accompagnement du salarié tel que cela ressort des différentes étapes qui y figurent. Sa seule utilisation ne peut suffire à considérer qu’il est constitutif de harcèlement. La cour relève encore que l’intéressée ne s’est jamais plainte de cette méthode pourtant mise en place durant plus d’un an.

– les avis médicaux produits ne débutent qu’en avril 2016, soit deux mois après l’arrêt de travail et ne font que reproduire les dires de la patiente, les médecins n’étant pas témoins de faits,

– les attestations produites ne font référence à aucun fait précis de harcèlement commis par l’employeur et se bornent à renvoyer à des notions théoriques, vagues et particulièrement subjectives (pression, management intensif).

Ainsi, les faits présentés, pris dans leur ensemble, ne permettent pas de caractériser l’existence d’un harcèlement moral.

Dès lors, la demande de nullité du licenciement ne peut prospérer et le jugement doit être confirmé.

II. Sur le bien fondé du licenciement

Mme [O] soutient que la société Europcar France n’a pas satisfait à son obligation de recherche de reclassement en ne respectant pas les préconisations du médecin du travail relative à une formation professionnelle en vue d’une reconversion et en ne justifiant pas de son impossibilité de reclassement au sein de ses agences dans la région marseillaise et du groupe auquel elle appartient.

Elle reproche encore à l’employeur de ne pas lui avoir donné de précision sur les conditions et modalités du poste proposé à Voisins les Bretonneux notamment quant à la rémunération et aux horaires de travail, ainsi qu’aux mesures d’accompagnement pour un éventuel déménagement.

Elle fait valoir le comportement déloyal de la société dans cette proposition de reclassement en l’état de son contrat de travail qui ne prévoyait qu’une mobilité dans les agences Europcar de la zone d’exploitation de [Localité 3] et de la connaissance par l’employeur de sa situation personnelle et familiale.

L’employeur réplique avoir parfaitement respecté les préconisations du médecin du travail et son obligation de reclassement, en proposant à l’intéressée un poste au sein du groupe, sans contact avec la clientèle, avec des horaires en journée et comprenant des tâches administratives, de surcroît validé par le médecin du travail.

Il indique qu’il ne peut lui être reproché de n’avoir pas précisé les conditions du poste proposé alors que la salariée l’a refusé sans demander aucune précision complémentaire.

Il rappelle également qu’elle n’a pas émis de souhait d’orientation.

Il soutient qu’un reclassement dans les agences n’était pas possible dès lors que le médecin du travail avait proscrit tout contact avec la clientèle.

Il indique enfin qu’il ne peut lui être reproché de n’avoir pas recherché un reclassement au sein du groupe dès lors que cela aurait entraîné un départ à l’étranger alors que Mme [O] avait refusé de déménager à Voisins les Bretonneux.

L’article L. 1226-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable jusqu’au 1er janvier 2017, édicte que lorsque, à l’issue des périodes de suspension du contrat de travail, consécutive à une maladie non professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. Cette proposition prend en compte les conclusions du médecin du travail et les indications qu’il formule sur l’aptitude du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise. L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutation, transformation de postes de travail ou aménagement du temps du travail.

L’avis du médecin du travail concluant à l’inaptitude du salarié à tout emploi dans l’entreprise et à l’impossibilité de son reclassement au sein de celle-ci ne dispense pas l’employeur de son obligation de reclassement.

Il incombe à ce dernier de justifier des recherches de reclassement qu’il a effectuées et de l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé de reclasser la salariée.

Les possibilités de reclassement du salarié déclaré inapte à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment doit s’apprécier à l’intérieur du groupe auquel appartient l’employeur, parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation lui permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.

Il appartient à l’employeur qui prétend s’être trouvé dans l’impossibilité d’effectuer un tel reclassement d’en rapporter la preuve. Cette recherche de reclassement doit être mise en oeuvre de façon loyale et personnalisée.

Il suit de là que, quoique reposant sur une inaptitude physique d’origine non professionnelle régulièrement constatée par le médecin du travail, le licenciement n’est légitime que pour autant que l’employeur aura préalablement satisfait à l’obligation de reclassement mise à sa charge par ce texte.

En l’espèce, la société a licencié la salariée dans les termes suivants :

‘(…) Au regard de ces restrictions médicales, ainsi que des possibilités d’affectation, tant au sein du groupe, qu’au sein du réseau des franchisés Europcar, dans le cadre des dispositions de l’article L.1226-2 du code du travail, nous avons cherché un poste de reclassement en lien étroit avec le médecin du travail.

Comme nous vous l’avons indiqué lors de nos différents échanges, après avoir recensé tous les postes adéquats, nous vous avons proposé en date du 16 septembre 2016 un poste de reclassement compatible avec les restrictions médicales édictées : un poste de gestionnaire franchisé et mandataire H/F basé au siège Europcar France

Vous n’avez cependant pas souhaité donner suite à cette proposition en nous notifiant votre refus par courrier (…).

Nous sommes au regret de vous informer qu’aucun autre poste n’est disponible ni dans l’entreprise, ni au sein du groupe, conforme à votre statut et à vos compétences professionnelles, et compatible avec les recommandations du médecin du travail.

Dans ces circonstances, nous sommes donc contraints de vous notifier votre licenciement pour impossibilité de reclassement, faisant suite à votre inaptitude d’origine non professionnelle constatée par les services de santé au travail et en dépit de notre proposition de reclassement interne. (…)’.

La société produit les pièces suivantes :

– les avis d’inaptitude du médecin du travail

– les mails émis entre le 2 et le 6 septembre aux termes desquels la société propose à Mme [O] d’échanger sur ses compétences et expériences et sur le type de poste qu’elle pourrait occuper ‘au regard des restrictions émises par le médecin du travail’, l’envoi de son CV par la salariée et la réponse de la société ‘je note que vous n’avez pas émis de souhait particulier concernant un type de poste que vous souhaiteriez occuper. En tenant compte de vos compétences et des préconisations du médecin du travail, je vous ai plutôt orientée vers des postes administratifs’,

– l’avis du médecin du travail le 14 septembre 2016 sur le poste de reclassement envisagé indiquant qu’il ‘correspond aux recommandations émises’,

– la proposition de reclassement faite à la salariée le 16 septembre 2016 pour un poste de gestionnaire réseau franchisé et mandataire, avec prise d’effet au plus tôt, à Europcar France situé à Voisins les Bretonneux, en qualité de responsable de la franchise, statut cadre forfait jours; et demande de confirmation avant le 30 septembre 2016,

– la réponse négative de Mme [O] le 28 septembre 2016

La société justifie d’un dialogue avec le médecin du travail, à l’issue du dernier avis d’inaptitude, en vue d’envisager le type de poste compatible et avoir interrogé la salariée sur ses perspectives de reclassement.

Il ne peut lui être reproché d’avoir fait une proposition de reclassement comprenant une modification du lieu de travail laquelle reste autorisée dans le cadre d’un reclassement, ni de ne pas avoir apporté suffisamment de précisions sur le poste de reclassement proposé en l’état des éléments susvisés.

Cependant, afin d’apprécier la pertinence du sérieux des recherches engagées il convient de rappeler que la société est membre du groupe Europcar et qu’en dépit du peu d’éléments produits sur ce groupe, aux termes de l’annexe 1 de la proposition de reclassement susvisée, il est indiqué que ‘Europcar est un acteur mondial et le leader européen de la location de véhicules, présent dans plus de 140 pays dans le monde’.

Or, la société, à laquelle revient d’établir la loyauté et le sérieux de ses recherches de reclassement, peu important l’absence de réponse de la salariée, ne justifie d’aucune demande auprès des entités régionales et agences en France, ni à l’étranger. Aucun élément produit ne laisse apparaître que la société Europcar France ait engagé la moindre recherche au niveau du groupe.

Elle ne produit pas les registres du personnel interne, ni ceux d’autres entités.

Sans justifier d’aucune interrogation auprès de l’une quelconque de ces agences ni que celles-ci n’engageaient que des salariés au contact de la clientèle comme elle l’affirme, et sans avoir envisagé aucune formation professionnelle pourtant évoquée comme possibilité par le médecin du travail, la société n’a proposé le 16 septembre 2016 qu’un poste de cadre au siège social en région Ile de France avec un délai fixe de réponse de moins de deux semaines.

Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que la société Europcar France n’a pas procédé de manière loyale et sérieuse aux recherches de reclassement de Mme [O] tant au niveau interne en France qu’au niveau du groupe dont elle fait partie.

Dès lors, le licenciement notifié le 19 octobre 2016 est sans cause réelle et sérieuse ; le jugement est confirmé de ce chef.

III. Sur les conséquences financières du licenciement

Mme [O] justifie sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 35 000 euros par son ancienneté dans la société et le fait qu’après la rupture, elle n’ait travaillé qu’à temps partiel dans le restaurant de son compagnon.

La société fait valoir que la salariée ne démontre pas son préjudice et qu’en tout état de cause, la demande est particulièrement élevée compte tenu de la volonté de la salariée de rompre le contrat de travail.

En l’état de l’ancienneté de la salariée (plus de 14 ans), de son salaire de référence qui s’élève à la somme de 1 895 euros et des conséquences justifiées au plan financier et personnel par la salariée, il convient de confirmer le jugement entrepris de ce chef.

IV. Sur le remboursement des indemnités de chômage

Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du même code qui l’imposent et sont donc dans le débat, d’ordonner d’office à l’employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de six mois d’indemnités.

V. Sur les autres demandes

Les créances indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter du jugement avec capitalisation.

Partie perdante, la société Europcar France doit supporter les dépens d’appel et être condamnée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à payer en cause d’appel à Mme [O], une indemnité de 1 500 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, en matière prud’homale,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Dit que les intérêts au taux légal sur les dommages et intérêts sont dûs à compter du jugement, avec capitalisation à condition qu’ils soient dûs pour une année entière,

Ordonne le remboursement par la société Europcar France aux organismes concernés des indemnités chômage payées à la salariée du jour du licenciement au jour de la présente décision dans la limite de 6 mois,

Dit que la copie de la présente décision sera adressée par le greffe au Pôle Emploi du lieu où demeure la salariée,

Condamne la société Europcar France à payer à Mme [Y] [O] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Europcar France aux dépens d’appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

 


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