COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 02 MAI 2023
N° RG 21/02070 – N° Portalis DBVY-V-B7F-G2ON
[T] [R]
C/ S.A.S. THOM agissant poursuites et diligences de ses représentants légau
x en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de CHAMBERY en date du 04 Octobre 2021, RG F 20/00114
APPELANTE ET INTIMEE INCIDENTE
Madame [T] [R]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Christophe NOEL, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS
et par Me Anne FAIVRE-PIERRET, avocat postulant inscrit au barreau d’ANNECY
INTIMEE ET APPELANTE INCIDENTE
S.A.S. THOM agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Saskia HENNINGER de la SCP LA GARANDERIE AVOCATS, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS
et par Me Franck GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat postulant inscrit au barreau de CHAMBERY
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 12 Janvier 2023 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Frédéric PARIS, Président,
Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller, chargé du rapport
Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Capucine QUIBLIER,
********
Copies délivrées le :
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [T] [R] a été engagée le 28 juillet 1997 en qualité de vendeuse niveau « employé » au sein de la société Histoire d’Or, aux droits de laquelle vient la société SAS Thom, selon un contrat à temps plein à durée indéterminée.
La salariée a occupé différents postes au sein de la société. Depuis le 20 septembre 2015, elle occupait le poste de directrice du magasin de [Localité 7] centre, niveau G et statut cadre 1.
Elle percevait une rémunération fixe mensuelle brute de 2550 euros complétée par une part variable en lien avec les objectifs réalisés.
La convention collective applicable est celle du commerce de détail de l’horlogerie bijouterie.
Mme [T] [R] a été placée en arrêt de travail le 4 mars 2019.
Par requête en date du 29 juillet 2020, Mme [T] [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Chambéry aux fins de voir prononcer la résiliation de son contrat de travail aux torts de l’employeur, solliciter diverses sommes à ce titre, subsidiairement voir condamner l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail, et voir condamner l’employeur à lui verser des sommes au titre des heures supplémentaires efefctuées et de la contrepartie obligatoire en repos.
Par jugement du 4 octobre 2021, la formation de départage du conseil de prud’hommes de Chambéry a débouté Mme [T] [R] de l’intégralité de ses demandes, dit n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile et a condamné la salariée aux dépens de l’instance.
Par déclaration reçue au greffe par RPVA le 18 octobre 2021, Mme [T] [R] a relevé appel de cette décision dans son intégralité. La SAS Thom a formé appel incident.
Le médecin du travail a rendu un avis d’inaptitude concernant Mme [T] [R] le 23 février 2022.
Par courrier du 10 mai 2022, Mme [T] [R] a été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 15 juin 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, Mme [T] [R] demande à la cour de :
– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Chambéry le 4 octobre 2021 en toutes ses dispositions,
A titre principal :
– prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société Thom,
juger que cette rupture doit produire les effets d’un licenciement nul, ou à défaut sans cause réelle et sérieuse, au jour de la notification du licenciement par courrier du 10 mai 2022,
– condamner la SAS Thom à lui payer :
10593 euros, outre 1059 euros de congés payés afférents, à titre d’indemnité de préavis,
5888,36 euros à titre de solde d’indemnité légale de licenciement,
84744 euros d’indemnité pour licenciement nul, ou subsidiairement 60027 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
A titre subsidiaire :
– juger que son licenciement pour impossibilité de reclassement suite à inaptitude est nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse,
– juger que l’inaptitude a au moins partiellement une origine professionnelle,
– condamner la Sas Thom à lui verser :
10593 euros, outre 1059 euros de congés payés afférents, à titre d’indemnité de préavis,
31193,36 euros au titre du solde de l’indemnité spéciale de licenciement, ou subsidiairement 5888,36 euros à titre de solde d’indemnité légale de licenciement,
84744 euros d’indemnité pour licenciement nul, ou subsidiairement 60027 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
A titre infiniment subsidiaire :
à défaut de résiliation judiciaire du contrat de travail, condamner la Sas Thom à lui verser la somme de 60000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement grave et renouvelé à l’obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail,
En tout état de cause :
– condamner la Sas Thom à lui verser:
26806,92 euros, outre 2680 euros de congés payés afférents, à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires,
7985,04 euros, outre 798 euros de congés payés afférents, au titre de la contrepartie obligatoire en repos,
4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la SAS Thom aux dépens.
Mme [T] [R] soutient qu’elle subissait du harcèlement de la part de son supérieur hiérarchique direct, le directeur du secteur Rhône-Alpes, à compter de 2017, celui-ci usant de méthodes de management délétères et agressives avec notamment des reproches systématiques, injustifiés et contradictoires, des propos déplacés et dénigrants, des visites incessantes, des surveillances excessives, une surcharge de travail.
D’autres cadres de l’entreprise ont dénoncé les méthodes de management de cette personne et décrivent des faits strictement identiques à ce qu’elle a subi; trois d’entre eux ont agi en justice pour des faits de harcèlement moral commis par cette dernière.
Les deux délégués du personnel ont diligenté une enquête sur ces faits et sur le secteur dirigé par cet homme, ainsi que sur la situation de Mme [F] qui dirigeait un magasin d'[Localité 6]. La direction n’a pas réagi à la suite de ces enquêtes.
Son supérieur critiquait systématiquement son travail. Alors que tous ses entretiens annuels depuis 1997 étaient élogieux, leur ton a subitement changé à compter de 2016, pointant de soit-disant insuffisances professionnelles notamment en termes de management, qui ne correspondant pas à la réalité.
A la suite de son entretien annuel 2018, elle a eu la possibilité de rédiger un commentaire par lequel elle a posé des réponses précises à son supérieur quant aux carences qu’il lui reprochait, commentaire auquel ce dernier n’a apporté aucune réponse.
Elle a dénoncé par écrit le comportement de son supérieur, en lui adressant un courriel le 2 juillet 2018. Celui-ci n’a jamais répondu aux problèmes qu’elle soulevait dans ce courriel, et son employeur y a répondu par un courriel de reproches qu’elle a reçu durant ses congés d’été, sans mener aucune action ou enquête par rapport à la souffrance qu’elle avait verbalisée. Seul un entretien lui a été proposé par la directrice du personnel.
L’employeur n’a pris aucune mesure en amont de nature à prévenir les risques psycho-sociaux dans l’entreprise et n’a pris aucune mesure pour faire cesser sa situation de souffrance au travail dont il était alerté, la médecine du travail ayant notamment sollicité le 13 août 2019 la mise en oeuvre d’une médiation ou d’une consultation en clinique du travail, sollicitation qui n’a pas été suivie d’effet.
Cette situation a altéré sa santé et son avenir professionnel. Son arrêt de travail initial en mars 2019 a été prolongé pendant trois ans. Elle est suivie sur le plan psychiatrique et psychologique. Le médecin du travail et son médecin traitant ont clairement fait un lien entre l’altération de sa santé et ses difficultés professionnelles. Un avis d’inaptitude a été rendu le 23 février 2022.
L’ensemble de ces éléments de fait laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral, et l’employeur ne produit aucun élément de nature à établir que ces faits sont exclusifs de tout harcèlement.
L’employeur a manqué à son obligation de sécurité en lui imposant une charge horaire de travail de 49 heures par semaine. Elle a dénoncé ce fait à deux reprises, le 10 septembre 2018 et le 26 janvier 2019, dénonciations qui n’ont été suivies d’aucun effet.
Sa convention de forfait-jours lui est inopposable. Ni l’accord d’entreprise du 21 novembre 2006, ni son contrat de travail et ses avenants ne comportent de stipulations de nature à garantir que l’amplitude et sa charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition dans le temps de son travail, ni de stipulations prévoyant un contrôle de sa charge de travail.
Les avenants à son contrat de travail prévoyant sa convention de forfait-jours ont été signés les 10 novembre et 1er décembre 2014. Ce dernier ne fait pas référence à l’accord collectif du 18 novembre 2014, qui mentionnait expressément que les modalités qu’il prévoyait s’agissant du forfait annuel en jours devaient être reprises dans un avenant remis au salarié. Cet avenant à l’accord collectif lui est donc inopposable, comme lui est inopposable celui du 19 juillet 2017 dont elle n’avait pas connaissance.
Subsidiairement, l’accord collectif n’est pas valable puisqu’il n’intègre pas les mentions obligatoires prévues aux points 4 et 5 de l’article L 3121-64 du code du travail.
Par ailleurs, le suivi de sa charge de travail n’était ni effectif ni sérieux. Elle n’a bénéficié d’aucun entretien de suivi de son forfait-jours avant 2019, entretien au cours duquel elle a fait plusieurs remarques s’agissant de sa surcharge de travail, remarques qui n’ont eu aucune suite de la part de sa direction. Il s’agissait d’un suivi purement formel.
Elle produit un décompte hebdomadaire sur la base de ses plannings de travail qui fait ressortir le nombre précis de ses heures supplémentaires. Ce décompte est corroboré par ses déclarations quant à son temps de travail reprises dans sa fiche entretien forfait-jours du 26 janvier 2019.
L’employeur n’a pas respecté les dispositions relative à la contrepartie obligatoire en repos pour les heures supplémentaires dépassant la limite du contingent réglementaire de 220 heures par an.
Son licenciement étant intervenu postérieurement à sa demande de résiliation judiciaire, la cour doit d’abord se prononcer sur la résiliation avant d’examiner le cas échéant les motifs du licenciement.
La résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur se justifie par les manquements graves rappelés ci-avant dont ce dernier s’est rendu coupable et de leur persistance depuis 2017.
En raison de l’existence d’un harcèlement moral, le licenciement est nul. Si le harcèlement moral ne devait pas être retenu, il est sans cause réelle et sérieuse.
Subsidiairement, son inaptitude est consécutive aux manquements de son employeur, et par ailleurs ce dernier n’a pas respecté son obligation de reclassement, car ses offres de reclassement ne respectaient pas les préconisations du médecin du travail.
La dégradation de ses conditions de travail est au moins partiellement à l’origine de son inaptitude, de sorte qu’elle est en droit de solliciter une indemnité spéciale de licenciement.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 4 novembre 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, la Sas Thom demande à la cour de :
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Chambéry du 4 octobre 2021, sauf en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [T] [R] à lui verser la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
La Sas Thom soutient que la salarié fait référence au sein de ses écritures à des faits remontant de 2014 à 2017, leur ancienneté ne saurait justifier une demande de résiliation judiciaire qui interviendra le 30 juillet 2020.
Plusieurs attestations produites par la salariée n’évoquent pas son cas personnel, et émaillent par ailleurs de personnes en litige prud’hommal avec l’employeur. S’agissant de l’attestation produite en appel de Mme [E], les faits rapportés ne sont pas objectifs, imprécis et pour certains non constatés par l’attestante. Par ailleurs, cette salarié n’a été présente dans le même magasin que Mme [R] que sept jours, et pas sur les mêmes horaires, sur la période au cours de laquelle cette dernière soutient avoir été harcelée par M. [L].
Mme [R] entretenait des relations tendues avec M. [L], qui était exigeant mais bienveillant, et elle ne supportait pas son autorité.
Aucun point de vigilance n’est ressorti de l’enquête effectuée par les délégués du personnel en mars/avril 2018 quant au comportement de M. [L]. L’inspectrice du travail a confirmé que les délégués du personnel lui avaient indiqué que des mesures permettant une amélioration de la communication entre les directeurs et directrices de magasins et leur N+1 avaient été prises.
Mme [R] n’a ainsi été l’objet d’aucun fait de harcèlement moral, et l’employeur a respecté son obligation de sécurité.
Rien ne permet d’établir que les conditions de travail de Mme [T] [R] sont à l’origine de la dégradation de son état de santé. Les médecins ne peuvent porter de jugement sur les conditions de travail de la salariée ou sur l’origine professionnelle ou non de sa pathologie en l’absence de constatations personnelles de leur part. La salariée ne verse aux débats aucune décision de reconnaissance de maladie professionnelle.
Dans le cadre de son obligation de reclassement, l’employeur a interrogé l’ensemble des filiales et enseignes du groupe, et a proposé 34 postes à la salariée, en proposant au médecin du travail d’exclure tout port de charges de plus de 5 kilos et la mise à disposition d’un siège « debout-assis ». La salariée a décliné toutes les propositions. L’employeur a donc respecté son obligation de reclassement.
La convention de forfait-jours de Mme [R] est en tous points conforme aux dispositions de l’accord collectif et des accords d’entreprise successivement applicables.
Seuls les salariés nouvellement entrant dans le dispositif de forfait-jours ont eu à signer un avenant à leur contrat de travail à la suite de l’accord du 19 juillet 2017, ce qui n’était pas le cas de la salariée.
En tout état de cause, l’absence d’un avenant au contrat de travail suite à un avenant au contrat d’entreprise ne saurait rendre illicite la convention de forfait-jours, le législateur ayant précisément souhaité éviter une telle lourdeur dans le cadre de la loi du 8 août 2016.
L’employeur s’est doté des moyens suffisants pour pouvoir suivre mensuellement la charge de travail effective des salariés au forfait-jour et s’assurer que leur charge de travail et l’organisation au sein de l’entreprise sont compatibles avec la protection de leur sécurité, de leur santé et de leur épanouissement personnel: un décompte des jours travaillés est notamment repris sur les bulletins de paye; la salariée a bénéficié d’entretiens semestriels avec son supérieur hiérarchique permettant de faire le point sur l’organisation et la charge de travail, l’amplitude des journées, l’état des jours de repos ainsi que l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle.
S’il était retenu que la convention de forfait-jours était entachée de nullité, il doit être retenu que la salariée ne produit que des plannings faisant état d’une amplitude de travail et non d’un temps de travail effectif continu sur toute la plage horaire concernée, alors que celle-ci était autonome dans la gestion de son temps de travail.
S’agissant de l’indemnité légale de licenciement, l’employeur reconnaît avoir fait une erreur et s’engage à régulariser le solde restant dû avant l’audience de plaidoirie.
La clôture a été prononcée au 7 novembre 2022. L’affaire a été évoquée à l’audience du 12 janvier 2023. A l’issue, elle a été mise en délibéré au 16 février 2023, délibéré prorogé au 13 avril 2023, puis au 27 avril 2023 et au 2 mai 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande au titre des heures supplémentaires
La salariée soutient que sa convention de forfait-jours doit lui être déclarée inopposable et ainsi privée d’effets la concernant.
Il résulte des dispositions de l’article L3121-60 du code du travail que, dans le cadre de l’application d’une convention de forfait-jours, «’l’employeur s’assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail.’»
Il résulte de l’article L 3121-65 qu »«’à défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l’article L 3121-64, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous respect des dispositions suivantes:
1° L’employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;
2° L’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
3° L’employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.’»
En l’espèce, l’employeur et les organisations syndicales ont régularisé le 19 juillet 2017 un avenant à l’accord sur la réduction du temps de travail dans l’entreprise du 21 novembre 2006, applicable dans l’entreprise à compter du 1er octobre 2017.
Cet avenant avait pour objet de réviser l’accord sur le temps de travail et ses avenants pour mise en conformité avec la loi travail du 8 août 2016.
L’avenant rappelle que la loi du 8 août 2016 a instauré des clauses obligatoires dans le cadre des conventions de forfait, il s’agit des modalités d’évaluation et du suivi régulier de la charge de travail, les modalités d’exercice du droit à la déconnexion, les modalités de communication périodiques entre le salarié et l’employeur sur la charge de travail et l’articulation vie professionnelle/vie personnelle, sur sa rémunération, et enfin sur l’organisation du travail dans l’entreprise.
L’avenant du 19 juillet 2017 mentionne que les salariés cadres de niveau I doivent bénéficier «’d’entretiens trimestriels avec leur supérieur hiérarchique, au cours desquels étaient notamment évoqués l’organisation et la charge de travail du salarié, l’amplitude de ses journées de travail et la charge de travail en résultant, ses éventuels trajets, l’état des jours de repos pris et non pris à la date de l’entretien, l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Ces entretiens ont lieu selon une périodicité d’un entretien tous les trois mois’».
Cet avenant prévoit également que «’pour le cas où seraient décelées des difficultés relatives à une surcharge de travail, un non-respect des repos obligatoires, il sera procédé à un nouvel entretien avec le salarié et la hiérarchie directe pour étudier les motifs ou les difficultés rencontrées par le salarié afin que soient mises en place des mesures’».
Or l’employeur ne justifie avoir organisé, depuis l’entrée ne vigueur de l’avenant le 1er octobre 2017, qu’un seul entretien au cours duquel a été évoqué la charge de travail de la salariée, le 26 janvier 2019, alors qu’à cette date au minimum quatre entretiens portant sur ce point auraient déjà dû être organisés.
Par ailleurs, alors que lors de cet entretien du 26 janvier 2019 la salariée pointait des difficultés relatives à une surcharge de travail (selon elle l’application du forfait-jour ne lui permettait pas de faire face à sa charge de travail, elle était «’moyennement d’accord’» sur le fait qu’elle arrivait à concilier vie familiale et professionnelle en raison d’une surcharge de travail entraînant de la fatigue, elle n’arrivait pas toujours à prendre tous ses jours de RTT) aucun nouvel entretien n’a été organisé par sa hiérarchie afin de mettre en place des mesures pour pallier à ces difficultés.
Il résulte de ces constatations que l’employeur n’a pas respecté les stipulations de l’avenant du 19 juillet 2017 dont le respect était de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé de la salariée soumise au régime du forfait en jours, de sorte que la convention de forfait-jours de la salariée est privée d’effet et lui est inopposable.
La demande de paiement des heures supplémentaires est dès lors recevable.
Il résulte de l’article L3171-4 du code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties ; l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande.
Au dernier état de la jurisprudence de la cour de cassation (Cass soc 18 mars 2020 n°18-10.919 P+B+R) ‘le salarié doit présenter des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur qui assure le contrôle des heures effectuées d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments’ ; après analyse des pièces produites par l’une et l’autre partie, ‘dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant’.
La salariée produit au soutien de sa demande un tableau de sa main mentionnant les heures qu’elle estime avoir effectuées chaque semaine depuis le 3 juillet 2017 jusqu’au 3 mars 2019. Il doit être observé que sur cette période elle estime avoir effectué, à l’exception de 13 semaines, chaque semaine un horaire de 47 heures.
Elle produit par ailleurs sa fiche d’entretien forfait-jour du 26 janvier 2019 au cours duquel elle a indiqué travailler 9 heures par jour en moyenne, sans que celui-ci ne fasse la moindre remarque sur ce point.
Elle produit également une attestation de Mme [E] qui indique avoir travaillé avec [T] [R] de 2016 à 2018, que celle-ci «’ne comptait pas ses heures, était présente du matin au soir et parfois même sur ses jours de repos…’», et qu’elle venait beaucoup plus tôt le matin avant l’ouverture.
Ces éléments apparaissent suffisamment précis pour permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses éléments.
L’employeur soutient notamment que la salariée bénéficiait d’une autonomie dans l’organisation de son travail et de son emploi du temps, lui permettant si elle le souhaitait de prendre des temps de pause durant sa journée de travail voire de modifier ses horaires d’arrivée et de départ.
Si la salariée disposait bien d’une autonomie, l’employeur ne produit aucun élément établissant les heures réellement accomplies.
Ainsi, au regard des éléments produits par chacune des parties, il convient d’allouer à Mme [T] [R] une somme de 26806,92 euros, outre 2680 euros de congés payés afférents, au titre des heures supplémentaires effectuées.
La décision sur ce point du conseil de prud’hommes sera donc infirmée.
Sur la demande au titre de la contrepartie obligatoire en repos
Il ressort du décompte de la salariée que le contingent des heures supplémentaires de 220 heures a été régulièrement dépassé. La salariée a droit sur les heures dépassant le contingent au paiement d’une contrepartie obligatoire en repos égale à 100 % de chaque heure accomplie conformément aux articles L 3121-30 et suivants du code du travail.
Au vu du décompte d’heures supplémentaires, les heures à 100 % retenues par la salariée dans ses écritures sont justifiés. Il convient de faire droit à la demande au titre de la contre partie obligatoire en repos à hauteur de 7985,04 euros, outre 798 euros de congés payés afférents.
La décision sur ce point du conseil de prud’hommes sera donc infirmée.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
Il résulte des dispositions des articles 1224 et 1228 du code civil qu’un contrat de travail peut être résilié aux torts de l’employeur en cas de manquement suffisamment grave de sa part à ses obligations contractuelles rendant impossible le maintien du contrat de travail.
Il appartient au salarié de rapporter la preuve par tous moyens de ces manquements.
Le salarié reprochant à son employeur des manquements graves, il convient de rechercher au regard des pièces produites la réalité de ces manquements et leur caractère de gravité.
En l’espèce, au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, la salariée soutient avoir subi de la part de son supérieur direct des méthodes de management agressives et délétères caractérisant un harcèlement moral, sans que l’employeur réagisse pour les faire cesser.
L’article L 1152-1 du code du travail dispose : ‘Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.’.
L’employeur doit veiller à ce que ses salariés n’adoptent pas des agissements de harcèlement moral et doit prendre toutes dispositions pour prévenir ou faire cesser ce type de comportement.
En application de l’article L 1154-1 du code du travail cas de litige, il appartient d’abord au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ; que l’employeur doit ensuite prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étranger à tout harcèlement.
Les méthodes de gestion dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible notamment de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, ou d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel peuvent caractériser un harcèlement moral.
Le juge doit considérer les faits pris dans leur ensemble pour apprécier s’ils permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.
L’article L 1152-2 du même code prévoit notamment qu’aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte ‘pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.’.
L’article L 1152-3 dispose que ‘toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2 L 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire L 1152-2 est nul’.
La salariée produit au soutien de ses allégations les éléments suivants :
– un courriel adressé à son supérieur direct le 1er juillet 2018 par lequel elle lui fait part de son incompréhension quant au fait qu’il remette constamment en cause son management et ses résultats commerciaux, et par lequel elle lui exprime qu’elle trouve que leur relation professionnelle est de mauvaise qualité ;
– une réponse à ce courrier signée de son supérieur direct M. [L] ainsi que de la directrice de zone Mme [K] et reçu le 6 août 2018, qui maintient que Mme [T] [R] rencontre des difficultés dans le management de son équipe et que ses résultats en-deçà des objectifs fixés confirment les dysfonctionnements constatés, qui relève un turn-over important au sein de son magasin lié à son management, plusieurs de ses collaborateurs s’étant plaints de son attitude et ayant demandé à être mutés sur un autre point de vente. Il mentionne que lors de l’entretien téléphonique du 29 juin 2018 avec M. [L], elle a haussé le ton, que ce dernier lui a demandé de se calmer et lui a conseillé de prendre du recul sur la situation et de stabiliser son équipe, qu’elle s’est mise à hurler au téléphone qu’elle ne souhaitait pas entendre cela puis a raccroché. Il lui est indiqué qu’une telle attitude envers son supérieur n’est pas acceptable ;
– une réponse de la part de la salariée à ce dernier courrier en date du 10 septembre 2018, adressée à Mme [K], dans laquelle elle indique que M. [L] lui a dit lors d’un entretien le 3 juillet 2018 qu’il ne serait jamais son allié, qu’elle a bien haussé le ton lors de l’entretien téléphonique du 29 juin mais pas hurlé, qu’elle est surprise que son management soit critiqué alors que M. [L] ne lui avait jamais fait de remarques négatives en sur ce point en un peu plus de trois ans de collaboration, qu’aucun des départs de collaborateurs du magasin ne s’est fait dans le conflit ou ne s’est terminé en procédure, qu’elle ne cherche pas le conflit avec M. [L] et encore mois avec sa direction mais qu’elle rencontre une très grande frustration dans sa relation avec celui-ci,
– un courrier de sa directrice de zone Mme [K] faisant suite à leur entretien en date du 24 octobre 2018 qui confirme les difficultés mentionnées dans son courrier d’août 2018 et mentionne notamment « Je vous confirme n’avoir aucun doute sur le développement de votre magasin dans la mesure où vous continuerez à être motivée et si vous vous efforcez à avoir une communication efficace et positive avec votre Directeur de secteur »;
– un courrier de Mme [B], manager des ventes au magasin de [Localité 9], du 8 février 2018 adressé à la directrice du personnel de la SAS Thom, par lequel elle fait part à cette dernière des difficultés qu’elle rencontre avec M. [L]. Elle indique notamment s’être retrouvée plusieurs fois en difficulté quand elle a remplacé sa directrice en arrête maladie, qu’elle a demandé de l’aide à M. [L] mais que celui-ci n’était jamais disponible et ne répondait pas au téléphone ;
– une attestation de Mme [O] [F], directrice de magasin au sein de la société Thom, qui indique que le récit que lui a fait Mme [R] de ses difficultés avec M. [L] est en tous points similaire avec ce qu’elle a subi de sa part depuis 2017, à savoir des propos vexatoires et dénigrants, une pression psychologique et une insatisfaction permanente qui l’ont conduite à un arrêt de travail en avril 2019 pour épuisement professionnel avec syndrome dépressif réactionnel ;
– un courriel de Mme [F] adressé à M. [L] le 8 janvier 2019 lui faisant part de son ressenti par rapport à sa façon de faire ;
– un courrier de Mme [K] adressé à Mme [F] à la suite d’un entretien disciplinaire relatif au courriel du 8 janvier 2019. Par ce courrier, Mme [K] soutient l’action de M. [L], estime que le contenu du courriel du 8 janvier 2019 adressé à son directeur de secteur est particulièrement inadmissible, avec des propos irrespectueux ;
– une attestation de Mme [H], directrice du magasin de [Localité 9], indiquant être en arrêt maladie pour syndrôme anxio-dépressif réactionnel lié au travail depuis le 4 septembre 2017 suite au management délétère qu’elle soutient avoir subi de la part de M. [L] pendant deux ans, évoquant de sa part des remarques non constructives et systématiques dévalorisant son travail, modifiant son équipe à sa convenance ;
– une attestation de Mme [J], ex directrice du magasin de [Localité 8], indiquant avoir été en arrêt de travail de septembre 2017 à juillet 2019 pour épuisement professionnel ;
– une attestation de Mme [S], vendeuse, indiquant avoir constaté les pressions que faisait subir M. [L] lors de ses visites notamment à sa directrice de magasin Mme [F], celui-ci se montrant un peu trop pointilleux notamment sur la propreté du magasin lors de périodes de très forte affluence, sans prendre en considération le flux client. Elle indique également avoir constaté les nombreuses heures effectuées par sa directrice pour pallier à la charge de travail demandée par ses supérieurs dont M. [L] ;
– une attestation de Mme [E], vendeuse sous les ordres de Mme [R] de 2016 à 2018, qui indique avoir constaté que cette dernière recevait beaucoup de pression de la part de M. [L], ce qui la stressait énormément, que lorsque celui-ci venait au magasin l’ambiance était très tendue car il cherchait quelque chose de négatif à noter dans son rapport à chaque visite, qu’il faisait faire à Mme [R] des tâches dégradantes, qu’il posait des questions aux employés quant à la façon d’être et de travailler de cette dernière quand elle était en repos. Elle indique qu’elle trouvait qu’il s’adressait à Mme [R] sur un ton « méprisable » et humiliant ;
– une attestation de Mme [P], vendeuse sous les ordres de Mme [R], qui indique que cette dernière était toujours submergée de travail, qu’elle la trouvait fatiguée et stressée, qu’elle avait un comportement changeant quand M. [L] venait sur le magasin, souvent sans prévenir. Elle indique que celui-ci était très exigeant et intransigeant sur la propreté et le redressage des vitrines, qu’il était très difficile de réaliser tous les objectifs donnés et les tâches de travail. Elle explique que selon elle la direction dont M. [L] n’était pas à l’écoute des salariés, qu’elle avait une sensation de manipulation en particulier envers Mme [R] qui s’affairait après chaque passage de M. [L] à des tâches dégradantes ;
– ses entretiens annuels de développement entre 2012 et 2018. L’entretien portant sur l’année 2012-2013 mentionne une note de 3 avec la mention « Maîtrise son poste ». L’entretien portant sur l’année 2013-2014 lui attribue une note de 1, soit la meilleure, avec la mention « Dépasse les attentes ». L’entretien portant sur l’année 2014-2015, soit le dernier avant l’arrivée de M. [L] comme directeur de secteur, mentionne « supérieur aux attentes du poste » (soit la note la plus haute, équivalente à la note 4 selon l’échelle d’évaluation adoptée ultérieurement) à la rubrique « Synthèse de l’analyse des performances et des compétences de l’exercice écoulé ». Les entretiens de 2016 et 2017, soit après l’arrivée de M. [L], mentionnent à cette même rubrique « conforme aux attentes du poste », et les deux entretiens de 2018 mentionnent « ne répond pas aux attentes ». L’appréciation du travail de la salariée est donc passée de la meilleure note pour les années 2013 à 2015 à la moins bonne note pour l’année 2017-2018 ;
– l’entretien annuel du 9 novembre 2018, réalisé après l’entretien que la salariée a eu avec sa directrice de zone Mme [K], a corrigé son évaluation initialement effectuée par M. [L] le 18 septembre 2018, la performance économique du magasin qu’elle dirige et sa performance économique globale passant de « en dessous des attentes » à « conforme aux attentes » ;
– un courrier du médecin du travail du 13 août 2019 rédigé suite à la visite de pré reprise de la salariée et adressé à l’employeur, par lequel celui-ci indique ses recommandations pour favoriser le maintien de Mme [T] [R] dans son emploi. Le médecin du travail précise également « devant les difficultés évoquées par les différents acteurs, l’intervention d’un médiateur externe ou d’un consultant en clinique du travail est préconisée ». ;
– un document rédigé par le médecin du travail le 15 janvier 2020 par lequel il indique, s’agissant de la salariée, « avoir pu constater un désaccord professionnel avec son équipe et son manager, cliniquement elle présente un syndrome anxieux avec des éléments revendicatifs et de colère, sans épisode dépressif caractérisé, pas d’avis spécialisé, pas de suivi psychologique, prescription d’un traitement anti-dépresseur par son médecin traitant. Le médecin indique que si les faits décrits par la salariée, à savoir charge de travail élevée et reproches de sa hiérarchie perçus comme injustifiés, sont avérés, deux des six facteurs reconnus de risques psycho-sociaux peuvent être identifiés dans son histoire professionnelle ;
– un certificat médical de son médecin traitant du 31 juillet 2020 mentionnant que la salariée souffre d’un syndrome anxio-dépressif et de cervicalgies ayant nécessité son arrêt de travail depuis le 4 mars 2019, que son état a nécessité une prise en charge par psychothérapie, antidépresseurs, antalgiques, kinésithérapie et suivi psychiatrique,
– une « fiche traitement » du 22 septembre 2020 mentionnant 18 rendez-vous de kinésithérapie entre le 16 juin et le 22 septembre 2020 ;
– un certificat médical d’un psychiatre du 5 août 2020 mentionnant un suivi depuis le 6 février 2020 pour trouble dépressif, avec persistance au jour du certificat des symptomes de la dépression ;
– un courrier d’un psychologue mentionnant 4 entretiens de psychothérapie en 2019 ;
– un courrier d’un médecin du centre d’étude et de traitement de la douleur en date du 20 décembre 2021, mentionnant que la salariée a présenté trois ans auparavant des cervicalgies sans traumatisme initial; que « lors de la prise en charge ces douleurs cervicales vont révéler un état d’épuisement physique et psychologique en lien avec un syndrome dépressif sur harcèlement professionnel ». Il est mentionné que le retentissement psychologique est toujours très marqué, avec des items dépression et surtout anxiété très significatifs au questionnaire HADS, et que son état clinique actuel ne permet pas dans l’immédiat la reprise d’une activité professionnelle au vu de la limitation marquée de la mobilité cervicale, de la conduite et des activités quotidiennes,
– un avis d’inaptitude de la médecine du travail du 23 février 2022 mentionnant une aptitude « à un poste sans sollicitations cervicales, sans piétinement et sans manutention. Un poste uniquement administratif aménagé ergonomiquement pourrait convenir ».
L’analyse de ces éléments, pris dans leur ensemble, laisse supposer l’existence de faits de harcèlement moral.
L’employeur produit en réponse :
– une attestation de Mme [X], responsable de magasin, indiquant avoir constaté que Mme [F], lors des réunions de secteur, coupait très souvent la parole à son supérieur M. [L], contestant ce qu’il indiquait de façon infondée. Elle précise que sa relation avec M. [L] est totalement cordiale, qu’ils communiquent très souvent, qu’il s’agit d’une personne très proche de ses collaborateurs qui leur apporte aide et soutien avec justesse ;
– une attestation de Mme [Y] qui indique avoir notamment constaté que la salariée s’absentait pendant ses heures de travail, laissant son collaborateur seul à la boutique ; qu’elle rallongeait ses pauses déjeuner sans justification ; qu’elle lui faisait une pression psychologique importante avec des critiques incessantes ; qu’elle manipulait les salariés en les montant les uns contre les autres ; qu’elle s’attribuait des ventes de ses salariés en manipulant la caisse ; qu’elle avait la volonté malveillante et malsaine de toujours être la meilleure ;
– une attestation de Mme [U] qui indique que M. [L] l’a accompagnée dans sa progression au sein de l’entreprise, a été à l’écoute et disponible quand elle a eu besoin d’aide ;
– une attestation de Mme [Y], ancienne salariée, qui indique avoir constaté que Mme [R] s’absentait pendant ses heures de travail, rallongeait ses pauses déjeuner sans justification, mettait sur elle une pression psychologique importante via des critiques incessantes, manipulait les salariés afin de les monter les uns contre les autres, s’attribuait des ventes des salariés via des manipulations de caisse, accusait les salariés de vol, avait une volonté malsaine et malveillante de toujours être la meilleure et était incapable de se remettre en cause ;
– une attestation de Mme [Z], ancienne salariée, qui indique que Mme [R] avait des horaires « à la carte », manquait de respect à ses salariés et ses clients, présentait un comportement bipolaire, volait des ventes à ses collègues pour faire son chiffre, les accusait de vol ;
– une attestation de Mme [A], conseillère de vente, qui indique que l’ambiance au travail était rendue pesante et stressante du fait de Mme [R]; que celle-ci lui volait des ventes, leur faisait suivre des procédures frauduleuses, , leur faisait garder de l’argent dans une « caisse noire », trichait sur les étiquettes, faisait rarement ses 39 heures; que son but était de diviser le magasin pour que personne ne s’entende; qu’elle essayait par tous les moyens de leur monter la tête contre M. [L], leur indiquant que c’était un pervers narcissique, qu’il n’aimait pas les femmes, qu’il fallait formaliser toutes leurs conversations par courriel ;
– une attestation de Mme [U], responsable de magasin, indiquant avoir pu constater de l’argent liquide dans une « caisse noire »; que le personnel ne voulait plus travailler avec Mme [R] car elle pouvait se montrer très désagréable avec eux (ventes volées aux autres salariés, dénigrement devant les clients; que Mme [R] ne respectait pas tous les process de gestion courante ;
– une autre attestation de Mme [U] dans laquelle celle-ci indique que M. [L] l’a accompagnée sur son parcours de formation manager, qu’il est présent pour l’accompagner dans sa fonction de manager, est à l’écoute et disponible ;
– une attestation de Mme [G], qui indique que Mme [R] était irrespectueuse envers ses vendeuses devant les clients, qu’elle laissait le personnel débutant seul en magasin, qu’elle ne respectait pas les procédures internes, qu’elle arrivait tard le matin, partir déjeuner, revenir à 14h et finir sa journée à 15h30 ; qu’elle l’a menacée de la virer si elle ne revenait pas au magasin durant un de ses jours de repos pour retrouver un produit perdu ;
Les éléments produits par l’employeur mettent en évidence des difficultés relationnelles entre Mme [R] et les salariés qu’elle avait sous ses ordres, difficultés déjà pointées par sa hiérarchie, notamment dans le courrier du 6 août 2019. Sont également évoquées de possibles malversations, dont sa hiérarchie n’avait jusqu’alors jamais fait état.
Ces éléments ne sauraient en tout état de cause démontrer que M. [L] n’ a pas adopté envers Mme [T] [R] une attitude et des méthodes de management dont plusieurs salariées ont décrit le caractère délétère notamment à l’égard de celle-ci. Il sne sauraient d’autant plus justifier cette attitude et ces méthodes de management.
L’employeur reconnaît que les délégués du personnel ont diligenté une enquête régionale sur le comportement de M. [L], indiquant sans produire aucun justificatif sur ce point qu’elle aurait été effectuée en mars-avril 2018. L’inspectrice du travail a indiqué à Mme [F] « qu’à la suite de cette enquête, des mesures permettant une amélioration de la communication entre les directeurs et directrices de magasin et leur N+1 ont été prises. Il n’y a pas eu d’enquête harcèlement vous concernant, ni de rapport écrit ».
Cet élément ne saurait suffire à établir l’absence de faits de harcèlement au préjudice de Mme [T] [R]. Par ailleurs, il doit être constaté que l’employeur ne produit aucun élément s’agissant de ce qui a pu être recueilli ou constaté par les délégués du personnel, et des mesures qui auraient été prises pour améliorer la communication entre M. [L] et ses subordonnés.
La salariée a alerté son supérieur hiérarchique M. [L], par son courriel du 3 juillet 2018, sur le fait qu’elle estimait que leur relation professionnelle était de mauvaise qualité, qu’il remettait constamment en cause son management et ses résultats commerciaux. Il appartenait à sa hiérarchie de tenir compte de ce courriel susceptible de caractériser une situation de souffrance au travail et d’adopter les mesures nécessaires afin, à minima d’évaluer ces difficultés relationnelles, d’en rechercher la cause et des solutions, d’autant plus pour une employée présentant à l’époque plus de vingt ans d’ancienneté et qui donnait manifestement, avant l’arrivée de M. [L] en tant que supérieur hiérarchique entière satisfaction dans le cadre de son travail.
L’entretien avec Mme [K] du 24 octobre 2018 a permis à la salariée de voir corriger son entretien annuel de 2018, ses performances économiques passant de « en dessous des attentes » à « conforme aux attentes ». Une telle modification apparaissait cependant incontournable, la salariée ayant quasiment réalisé l’objectif de chiffre d’affaires annuel lui ayant été fixé (objectif atteint à 1200 euros près). L’appréciation initiale de M. [L] sur ce point apparaît ainsi objectivement injustifiée. L’employeur n’a apporté aucune explication à ce sujet.
En dehors de cette modification de la notation initiale effectuée par M. [L], les alertes de Mme [T] [R] n’ont été suivi d’aucune réaction de la part de sa hiérarchie.
Au contraire, Mme [K], supérieure de M. [L], a, dans son courrier de réponse du 6 août 2018, immédiatement adopté le point de vue et pris la défense de celui-ci, en témoigne le fait qu’elle ait repris sans aucun recul ses propos selon lesquels Mme [T] [R] aurait hurlé sur lui au téléphone, ce que conteste la salariée, et alors même que Mme [K] n’avait manifestement pas assisté à cet appel.
Le harcèlement moral est dès lors établi, caractérisé par les méthodes managériales et l’attitude délétère adoptée par le supérieur hiérarchique de Mme [T] [R] envers elle, consistant en des agissements répétés ayant eu pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité et d’altérer sa santé physique ou mentale.
L’employeur, alors que la salariée se plaignait du comportement managérial de son supérieur hiérarchique, tout comme d’autres directrices de magasin du même secteur géographique, n’a pas mis en oeuvre de mesures pour assurer la sécurité de la salariée et prévenir toute persistance pour elle de risque psycho-social. Il n’a pris aucune mesure suite à l’entretien relatif à l’application du forfait-jours du 26 janvier 2019 au cours duquel la salariée pointait ses difficultés relatives à une surcharge de travail entraînant notamment de la fatigue.
L’employeur a ainsi manqué gravement à son obligation de sécurité et de prévention, manquement rendant impossible la poursuite du contrat de travail et justifiant sa résiliation aux torts exclusifs de celui-ci.
Il résulte des éléments médicaux produits que le médecin traitant de la salariée a retenu dans le cadre de son arrêt de travail initial l’existence d’une maladie professionnelle; que la prise en charge des cervicalgies de la salariée, apparues sans traumatisme initial, va révéler un état d’épuisement physique et psychologique, les cervicalgies en étant la conséquence; que le médecin du travail a indiqué avoir constaté personnellement l’existence d’un désaccord professionnel entre la salariée et son équipe et son manager, et que celle-ci présentait un syndrome anxieux avec des éléments revendicatifs et de colère, sans épisode dépressif caractérisé; que Mme [T] [R] s’était plainte avant son arrêt de travail des méthodes de management et de l’attitude de son supérieur envers elle, et de la fatigue engendrée par les conditions de travail qui lui étaient imposées; qu’elle a toujours soutenu devant les médecins que son arrêt de travail trouvait sa source dans ces difficultés. Ces éléments conduisent donc à retenir que le harcèlement moral subi par la salariée est au moins partiellement à l’origine de l’inaptitude de la salariée.
La résiliation du contrat de travail produit dès lors les effets d’un licenciement nul à compter de la de la date du licenciement, soit le 10 mai 2022.
La salariée a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, conformément à l’article 1235-3-1 du code du travail.
Elle percevait un salaire mensuel de 3531 euros.
Le juge apprécie le préjudice résultant nécessairement du licenciement sans être tenu par le barème de l’article L 1235-3 du code du travail, en raison de la nullité du licenciement.
La salariée a été licenciée le 10 mai 2022. Elle ne justifie pas de l’évolution de sa situation depuis cette date. Elle bénéficiait d’une ancienneté de 24 ans et 8 mois à la date de la résiliation. Elle a 50 ans. L’avis d’inaptitude du 23 février 2022 mentionne une aptitude « à un poste sans sollicitations cervicales, sans piétinement et sans manutention. Un poste uniquement administratif aménagé ergonomiquement pourrait convenir », de sorte que ses perspectives d’emploi sont limitées au regard de ces contraintes d’adaptation. Elle subi donc un préjudice de perte d’emploi très important, outre un préjudice moral résultant du harcèlement à l’origine du licenciement.
Au regard de ces éléments, il convient d’allouer à Mme [T] [R], au titre de la nullité du licenciement, une somme de 70620 euros net.
La salariée a droit en outre à une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité légale de licenciement.
L’employeur n’établit pas avoir payé à la salariée une indemnité de préavis suite à la résiliation du contrat de travail.
Le contrat de travail stipule une durée de préavis de trois mois. Il sera donc alloué à ce titre à la salariée la somme de 10593 euros, outre 1059 euros de congés payés afférents.
L’employeur reconnaît au sein de ses conclusions avoir commis une erreur sur le calcul de l’indemnité de licenciement. Le montant sollicité par la salariée au titre de cette erreur, soit 5888,36 euros, n’est pas contesté par l’employeur et apparaît justifié par les éléments produits aux débats, il y a donc lieu de faire droit à la demande de la salariée à ce titre.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
La SAS Thom sera condamnée aux dépens.
Elle sera également condamnée à verser à Mme [T] [R] la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
DECLARE recevables Mme [T] [R] et la SAS Thom en leurs appel et appel incident,
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Chambéry du 4 octobre 2021,
Statuant a nouveau :
DIT que la convention de forfait-jours de Mme [T] [R] est privée d’effet et lui est donc inopposable,
CONDAMNE la SAS Thom à verser à Mme [T] [R] la somme de 26806,92 euros, outre 2680 euros de congés payés afférents, au titre des heures supplémentaires effectuées,
CONDAMNE la SAS Thom à verser à Mme [T] [R] la somme de 7985,04 euros, outre 798 euros de congés payés afférents, au titre de la contrepartie obligatoire en repos,
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur à la date du 10 mai 2022,
DIT que cette résiliation produit les effets d’un licenciement nul,
CONDAMNE la SAS Thom à verser à Mme [T] [R] :
70620 euros net à titre d’indemnité pour licenciement nul,
10593 euros, outre 1059 euros de congés payés afférents, au titre de l’indemnité de préavis,
5888,36 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,
Y ajoutant
Vu l’article L 1235-4 du code du travail,
ORDONNE d’office le remboursement par la SAS Thom à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées le cas échéant à Mme [T] [R] , du jour de la résiliation de son contrat de travail au jour de la présente décision dans la limite de 6 mois d’indemnités de chômage,
DIT qu’à cette fin, une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée à Pôle Emploi Rhône-Alpes – service contentieux – [Adresse 1],
CONDAMNE la SAS Thom aux entiers dépens de l’instance,
CONDAMNE la SAS Thom à verser à Mme [T] [R] la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ainsi prononcé publiquement le 02 Mai 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président