AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/02642 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M6VQ
[X]
C/
[H]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’OYONNAX
du 09 Mars 2020
RG : F 18/00108
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 02 JUIN 2023
APPELANT :
[C] [X]
né le 25 Mai 1964 à [Localité 6]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Vincent DE FOURCROY de la SELARL DE FOURCROY AVOCATS ASSOCIES, avocat postulant inscrit au barreau de LYON, et représenté par Me Benoit DARRIGADE, avocat plaidant inscrit au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
[A] [H] épouse [E]
née le 11 Octobre 1958 à [Localité 4]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Philippe METIFIOT-FAVOULET, avocat au barreau d’AIN
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 07 Avril 2023
Présidée par Béatrice REGNIER, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Béatrice REGNIER, président
– Catherine CHANEZ, conseiller
– Régis DEVAUX, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 02 Juin 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Béatrice REGNIER, Président et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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La société Bryssinckx dirige un cabinet d’assurance AGEA, puis Axa à [Localité 5].
Mme [A] [H] épouse [E] a été embauchée par la société Bryssinckx à compter du 1er décembre 2003, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de collaboratrice d’agence.
Le 1er janvier 2015, le cabinet d’assurance a été repris par M. [C] [X], en qualité d’agent général d’assurance Axa.
Le 4 juillet 2016, la salariée a été placée en arrêt maladie.
Le 5 juillet 2018, la médecine du travail a déclaré la salariée inapte à son poste.
Le 6 juillet 2018, l’employeur a notifié à la salariée son licenciement pour inaptitude.
Par acte du 24 octobre 2018, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes d’Oyonnax aux fins de condamnation de son employeur pour exécution déloyale de son contrat de travail, violation de son obligation de sécurité, et licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 9 mars 2020, le conseil de prud’hommes d’Oyonnax a :
Débouté Mme [H] épouse [E] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de rappel de préavis et congés payés afférents,
Condamné M. [C] [X], agent général d’assurance Axa, à verser à Mme [H] ép. [E] la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de ‘l’obligation de santé de résultat’ et déclaré que cette somme portera intérêts à compter du jour de la saisine du présent conseil jusqu’au jour du paiement,
Débouté M. [C] [X], agent général d’assurance Axa, de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 15 mai 2020, M. [X] a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 février 2023, M. [X] demande à la cour de :
Rejeter des débats la pièce adverse n°38 : le certificat du Dr [K] [I] du 4 décembre 2020,
Confirmer le jugement du 9 mars 2020 en ce qu’il a considéré le licenciement de Mme [H] ép. [E] pourvu d’une cause réelle et sérieuse,
Débouter Mme [H] ép. [E] de toutes ses demandes indemnitaires liées à ce licenciement,
Infirmer le jugement du 9 mars 2020 en ce qu’il a considéré qu’il avait manqué à son obligation de santé de résultat et a alloué la somme de 1 500 euros à Mme [H] ép. [E] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Débouter Mme [H] ép. [E] de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de santé de résultat,
Condamner Mme [H] ép. [E] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner Mme [H] ép. [E] aux dépens.
Il fait valoir que :
Sur le licenciement pour inaptitude
Le licenciement de la salariée est justifié par son inaptitude,
La salariée ne rapporte ni la preuve de l’existence du comportement de l’employeur qu’elle allègue à son égard, ni la preuve de l’existence d’une surcharge de travail,
La salariée ne rapporte pas la preuve d’un lien entre ses conditions de travail et l’attitude de son employeur d’une part, avec son inaptitude d’autre part,
Sur le manquement à l’obligation de sécurité
La salariée a été placée en arrêts maladie pour maladie ordinaire et non pour maladie professionnelle, et n’a pas demandé la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie auprès de la CPAM,
La salariée ne rapporte pas la preuve du comportement de son nouvel employeur à son égard, prétendument inadapté,
La salariée ne rapporte pas la preuve d’un lien entre ses conditions de travail et l’attitude de son nouvel employeur, et ses arrêts de travail.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 février 2023, Mme [H] ép. [E], intimée, demande pour sa part à la cour de :
Débouter l’employeur de ses demandes,
Réformer le jugement déféré en ce qu’il a déclaré le licenciement pour inaptitude valide,
Condamner M. [C] [X], agent général d’assurance Axa à lui verser les sommes suivantes :
55 000 euros pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
6120 euros bruts à titre d’indemnité de préavis, outre 612 euros de congés payés afférents,
Confirmer le jugement en ce qu’il condamné M. [C] [X], agent général d’assurance Axa, à payer à Mme [H] ép. [E] la somme de 15 000 euros pour violation de l’obligation de santé de résultat, et pour le surplus,
Assortir les condamnations des intérêts au taux légal en vigueur, à compter du jour de la demande jusqu’à parfait paiement,
Ordonner la capitalisation des intérêts échus, selon les modalités fixées par les dispositions de l’article 1154 du code civil,
Condamner M. [C] [X], agent général d’assurance Axa, au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner M. [C] [X], agent général d’assurance Axa, aux dépens.
Elle fait valoir que :
Sur le licenciement pour inaptitude
Ses conditions de travail se sont dégradées depuis l’arrivée de son nouvel employeur (absence répétées du nouvel employeur, surcharge de travail, désorganisation de l’agence et des méthodes de travail, comportement inadapté du nouvel employeur qui se moquait d’elle’),
Ses conditions de travail et l’attitude de son nouvel employeur sont la cause de son burn-out à l’origine de son inaptitude professionnelle,
Sur le manquement à l’obligation de sécurité
Elle a été victime d’un burn-out,
L’employeur n’a mis en place aucune organisation ni aucun moyen adapté pour éviter les situations d’épuisement professionnel.
SUR CE :
Attendu que la cour observe en premier lieu qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoit la possibilité pour le juge d’écarter une pièce au motif de l’impartialité de son auteur ; qu’elle doit dans cette hypothèse simplement apprécier sa force probante au regard des observations fournies par les parties ; que la cour ne fait donc pas droit à la demande de M. [X] tendant à voir rejeter le certificat du docteur [K] [I] du 4 décembre 2020 produit en pièce 38 par Mme [E] ;
– Sur la violation de l’obligation de sécurité :
Attendu que, selon l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur a l’obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés et veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes;
Que l’article L.4121-2 du code du travail édicte neuf principes généraux de prévention’:
éviter les risques,
évaluer les risques qui ne peuvent être évités
combattre les risques à la source
adapter le travail à l’homme (‘)
tenir compte de l’évolution de la technique
remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou moins dangereux
planifier la prévention en y intégrant dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel
prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle
donner des instructions appropriées aux travailleurs.
Que par ailleurs l’article R. 4121-1 du code du travail dispose que : ‘ L’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l’article L. 4121-3. / Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques.’ et que, selon l’article R. 4121-2 du même code dans sa version en vigueur : ‘ La mise à jour du document unique d’évaluation des risques est réalisée : / 1° Au moins chaque année ; / 2° Lors de toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, au sens de l’article L. 4612-8 ; / 3° Lorsqu’une information supplémentaire intéressant l’évaluation d’un risque dans une unité de travail est recueillie.’ ;
Qu’il en résulte que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2’du code du travail ;
Attendu que dans ce cadre juridique, il appartient au juge de vérifier la matérialité des événements invoqués par la salariée puis des mesures prises par l’employeur tant en amont, sur le plan préventif, en suivant le guide donné par l’article L.4121-2 du code du travail, qu’en aval pour traiter et prendre en charge la situation de risque telle que dénoncée ou avérée ;
Attendu qu’en l’espèce Mme [E] soutient sans être contredite qu’il n’existait pas de document unique d’évaluation des risques au sein du cabinet de M. [X] et que par ailleurs ce dernier n’avait mis en place aucune organisation ni aucun moyen adapté pour éviter les situations à risque ; que la société a donc méconnu son obligation de sécurité de prévention ;
Attendu qu’en revanche Mme [E] ne justifie pas avoir effectivement été soumise à une surcharge de travail ainsi qu’à une attitude dénigrante de son employeur ; que les seuls documents produits de ces chefs sont des certificats médicaux ainsi que trois témoignages peu exploitables ; que, si les médecins ont pu donner un avis éclairé sur l’état de santé de la salariée et notamment constaté chez elle des symptômes dépressifs, leurs conclusions concernant l’origine de cette dépression sont dépourvues de toute objectivité dans la mesure où ils n’ont pu se fonder que sur les propres déclarations de Mme [E] qu’ils n’ont pu vérifier ; que, s’agissant des témoignages, ils émanent du compagnon de Mme [E], qui se borne à déclarer avoir aidé au déménagement de l’agence – au cours duquel la salariée a dû trier et répertorier les dossiers, ainsi que de deux clients – dont les documents attestant de leur identité ne sont au demeurant pas produits – qui, s’ils font état d’un surcroît de travail de Mme [E], n’ont pu personnellement le constater faute de travailler avec elle ; qu’il ne ressort pas davantage des pièces fournies que Mme [E] aurait alerté son employeur des difficultés qu’elle pouvait rencontrer au travail durant la relation contractuelle et qu’il ne peut donc être fait grief à M. [X] de ne pas avoir pris en compte la souffrance au travail alléguée ;
Attendu que le préjudice subi par Mme [E] en raison du seul manquement à l’obligation de prévention tel que ci-dessus caractérisé est indemnisé à hauteur de la somme de 2 000 euros ; que ce montant produira intérêts au taux légal à compter du 9 mars 2020, date du jugement, et que les intérêts seront capitalisés ;
– Sur le licenciement :
Attendu que Mme [E] soutient que son inaptitude est la conséquence d’un épuisement professionnel lui-même consécutif à une surcharge de travail ;
Attendu toutefois que, la cour ayant retenu que la réalité de la surcharge de travail n’est pas établie, la salariée ne peut imputer son inaptitude au manquement de l’employeur à ce titre ; qu’elle n’est donc pas fondée à soutenir que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; qu’elle est par voie de conséquence déboutée de ses demandes en paiement de l’indemnité de préavis, des congés payés y afférents et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– Sur les frais irrépétibles :
Attendu qu’il convient pour des raisons tenant à l’équité d’allouer à Mme [E] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel, les dispositions du jugement relatives aux frais exposés en première instance étant quant à elles confirmées ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a fixé à 15 000 euros le montant des dommages et intérêts alloués à Mme [A] [H] épouse [E] pour non-respect de l’obligation de sécurité,
Statuant à nouveau sur le chef réformé et ajoutant,
Condamne M. [C] [X] à payer à Mme [A] [H] épouse [E] les sommes de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité et de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel,
Condamne M. [C] [X] aux dépens d’appel,
Le Greffier La Présidente