COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 19 JANVIER 2023
N° RG 21/01516 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GYHY
[A] [F]
C/ Société SERVICE PRÉSENCE AIDE À DOMICILE Service Présence Aide à Domicile (SPAD), Société coopérative d’intérêt collectif à responsabilité limitée dont le siège social est situé à [Adresse 3].
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ALBERTVILLE en date du 21 Juin 2021, RG F20/102
APPELANTE ET INTIMEE INCIDENTE
Madame [A] [F]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Charline BEDDED-GARNIER, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON
et par Me Franck GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat postulant inscrit au barreau de CHAMBERY
INTIMEE ET APPELANTE INCIDENTE
Société SERVICE PRÉSENCE AIDE À DOMICILE Service Présence Aide à Domicile (SPAD), Société coopérative d’intérêt collectif à responsabilité limitée dont le siège social est situé à [Adresse 3].
[Adresse 3]
[Adresse 3] / FRANCE
Représentée par Me Stéphane PICARD de la SELEURL PICARD AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 08 Décembre 2022 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Frédéric PARIS, Président,
Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,
Madame Françoise SIMOND, magistrat honoraire, chargée du rapport
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Capucine QUIBLIER,
Copies délivrées le :
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [A] [G] née [F] a été engagée par la société Spad, société de service à la personne sur le bassin albertvillois et les cantons avoisinants, selon contrat à durée indéterminée à compter du 24 mars 2003, en qualité de secrétaire d’accueil.
Selon avenant à son contrat de travail en date de 18 décembre 2015, des fonctions d’assistante technique handicap lui ont été confiées à compter de janvier 2016.
Mme [A] [F] a été en arrêt de travail pour trouble anxiodépressif à compter du 28 janvier 2017 jusqu’au 17 octobre 2017, puis en congés payés du 18 octobre 2017 au 21 novembre 2017 et à nouveau en arrêt de travail à compter du 23 janvier 2018 jusqu’au 24 avril 2019.
Le 25 avril 2019, le médecin du travail déclarait Mme [A] [F] inapte, l’état de santé de la salariée faisant obstacle à tout reclassement dans un emploi au sein de la société Spad.
Le 16 mai 2019, Mme [A] [F] était licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par requête réceptionnée le 18 juin 2020, Mme [A] [F] (Mme [G]) a saisi le conseil de prud’hommes d’Albertville pour voir dire et juger qu’elle avait fait l’objet de harcèlement moral, que son licenciement pour inaptitude était nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et lui allouer des dommages-intérêts, une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité spéciale de licenciement et un rappel d’indemnité compensatrice de congés payés.
Par jugement en date du 21 juin 2021, le conseil de prud’hommes d’Albertville a :
– dit et jugé que le licenciement de Mme [A] [F] pour inaptitude pour cause non professionnelle est régulier et conforme à la législation au titre de l’article L. 1152 du code du travail,
– condamné la société Spad à verser à Mme [A] [F] les sommes de :
.10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail,
.1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté Mme [A] [F] du surplus de ses demandes,
– débouté la société Spad de ses demandes,
– condamné la société Spad aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 16 juillet 2021, Mme [A] [F] a interjeté appel de la décision.
Dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 31 mars 2022, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions, Mme [A] [F] demande à la cour d’appel de :
– juger recevables et non prescrites les demandes formulées,
– confirmer partiellement le jugement en ce qu’il a :
. dit que la société Spad a exécuté de manière fautive et déloyale le contrat de travail,
. condamné la société Spad à lui verser les sommes de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail et 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
. débouter la société Spad de ses demandes reconventionnelles,
– réformer le jugement pour le surplus,
Au titre de l’exécution du contrat de travail :
A titre principal :
– dire et juger qu’elle a été victime de harcèlement moral, au cours de la relation contractuelle imputable à la société Spad,
Subsidiairement, dire et juger que la société Spad a exécuté de manière déloyale et fautive le contrat de travail,
En tout état de cause,
– condamner la société Spad à lui verser la somme de 2 204,63 euros au titre de rappel sur indemnités de congés payés,
– condamner la société Spad à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale et fautive du contrat de travail,
Au titre de la rupture du contrat de travail :
– A titre principal, dire et juger que son licenciement est nul,
– subsidiairement, dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société Spad à lui payer les sommes de :
. 4 185,78 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 418,58 euros au titre des congés payés afférents,
.9 476,15 euros à titre de rappel de l’indemnité spéciale de licenciement,
.35 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nulet/ou pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
.2 092,89 euros nets au titre de l’indemnité pour irrégularité de la procédure,
. 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouter la société Spad de l’ensemble de ses demandes, fins ou conclusions contraires,
– condamner la société Spad aux entiers dépens de l’instance et de ses suites, distraits au profit de Maître Franck Grimaud, avocat, sur affirmation de son droit.
Elle expose que ses demandes ne sont pas prescrites dans la mesure où l’ordonnance du 25 mars 2020 modifiée par l’ordonnance du 3 juin 2020 prévoit la prorogation de tous les délais ayant expiré entre le 12 mars et 23 juin 2020, dans la limite de deux mois soit en l’espèce jusqu’au 23 août 2020. Son action introduite le 18 juin 2020 pour un licenciement intervenu le 16 mai 2019, n’est pas prescrite.
Elle a fait l’objet d’un harcèlement moral à compter d’août 2016 avec l’arrivée d’une nouvelle directrice, Mme [E] [H]. Ses conditions de travail se sont fortement dégradées du fait du comportement humiliant de Mme [H] à son encontre, qui multipliait les brimades. De nombreux salariés attestent de ce comportement humiliant. Elle a été confrontée à une surcharge de travail importante ce dont attestent Mme [P], Mme [J] déléguée du personnel, Mme [L]. A l’issue de son premier arrêt maladie, Mme [H] lui a imposé de prendre des congés payés et de façon arbitraire à l’issue de l’entretien du 22 novembre 2017, lui a supprimé ses fonctions d’assistante technique handicap. Cela a entraîné un épuisement professionnel ainsi que pour nombre de salariées. C’est bien le harcèlement moral et le manquement de son employeur à son obligation de sécurité qui a entraîné ses arrêts maladie comme en atteste son dossier du médecin du travail. La société Spad n’a rien fait pour éviter ce mal être généralisé malgré les nombreuses alertes des salariés.
Elle a été licenciée verbalement avant même la tenue de l’entretien préalable puisque Mme [S] [U], la semaine du 30 avril 2019, lui a indiqué par téléphone qu’elle devait venir chercher ses documents de fin de contrat. Le médecin du travail n’a aucunement exclu la possibilité d’un reclassement au sein d’une autre société puisqu’il a indiqué ‘salariée apte à réaliser une formation, en vue d’un reclassement externe ultérieur’. Or aucune recherche de reclassement loyale et sérieuse n’a été effectuée et le comité social et économique n’a pas été consulté si bien que la procédure est irrégulière et la lettre de licenciement évoque uniquement l’inaptitude médicale, il n’est fait aucune mention d’une quelconque impossibilité de reclassement. Après 16 ans de bons et loyaux services, elle a été profondément affectée par la violence et la brutalité des méthodes employées par la société Spad pour parvenir à son éviction. Agée de 57 ans, elle rencontre de graves difficultés à retrouver un emploi. Elle a retrouvé un emploi à la mairie d'[Localité 2], à temps partiel et pour une rémunération mensuelle de 829,43 euros soit à peine 40 % de ce qu’elle percevait au sein de la société Spad.
Dans ses conclusions notifiées le 29 avril 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions, la société Spad demande à la cour d’appel de:
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamné à payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail et 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
.débouté Mme [A] [F] (Mme [R]) de sa demande au titre de la nullité de son licenciement ou de l’absence de cause réelle et sérieuse,
.débouté Mme [A] [F] du surplus de ses demandes,
.jugé que le licenciement de Mme [A] [F] repose sur une inaptitude d’origine non professionnelle,
Statuant à nouveau,
– juger prescrite la demande de Mme [A] [F] tendant à faire reconnaître la rupture de son contrat de travail sans cause réelle et sérieuse,
– juger prescrite la demande de Mme [A] [F] au titre d’une irrégularité de procédure,
– juger qu’elle n’a commis aucune situation de harcèlement moral,
– juger qu’elle n’a commis aucune exécution déloyale du contrat,
– juger que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement est parfaitement justifié,
Par conséquent,
– débouter Mme [A] [F] (Mme [G])de l’ensemble de ses demandes,
En tout état de cause
– condamner Mme [A] [F] (Mme [G]) à lui payer la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance et en appel,
– condamner Mme [A] [F] (Mme [G]) à la somme de 1 453,41 euros correspondant au trop perçu de l’indemnité légale de licenciement,
– condamner Mme [A] [F] aux dépens de première et deuxième instance.
Elle indique que l’action de Mme [A] [F] est prescrite en application de l’article L.1471-1 du code du travail.
Elle conteste tout harcèlement moral et exécution fautive et déloyale du contrat de travail. Sur la surcharge de travail à compter de l’arrivée de Mme [H] en décembre 2014, Mme [A] [F], au cours de ses entretiens professionnels ne s’en est jamais plainte. Elle appréciait les missions qui étaient les siennes et n’a jamais fait la moindre réclamation aux représentants du personnel, ni alerté d’autres collègues formés au titre de la prévention des risques psychosociaux.
A la suite de son arrêt de travail pour maladie non professionnelle du 28 janvier 2017 au 17 octobre 2017, elle a été déclarée apte sans réserve, ni préconisation par le médecin du travail. Un entretien s’est déroulé le 22 novembre 2017 et Mme [A] [F] dans la trame de l’entretien a noté qu’elle souhaitait que sa reprise se passe dans de bonnes conditions. Le retrait ponctuel des taches sur la partie Handeo a été fait pour permettre à Mme [A] [F], après onze mois d’absence d’alléger sa charge de travail et alors même qu’elle se plaignait d’une surcharge de travail. Sa rémunération n’a nullement été atteinte par cette évolution des tâches.
L’entretien du 5 avril 2018 alors que Mme [A] [F] disposait d’un arrêt de travail du 23 janvier au 2 mars 2018, n’était pas informel mais une rencontre avant la reprise du travail et Mme [J], déléguée du personnel, n’était pas présente car elle était indisponible, Mme [V], également déléguée du personnel, était présente et a indiqué que Mme [A] [F] avait reconnu avoir des lacunes pour reprendre son travail sans angoisse.
Mme [A] [F] n’a jamais fait une reconnaissance de maladie professionnelle, elle avait des problèmes familiaux et de santé comme le notait le CHSCT le 19 mars 2018 et le médecin du travail qui notait ‘sa mère à garder/Alzheimer, dont elle s’occupe, son mari aussi handicapé depuis 1an’. Sur le lien entre ses conditions de travail et son état de santé, les documents produits seront écartés des débats, le psychiatre et médecin n’ayant aucune compétence en la matière.
Les attestations produites ne font que relater le récit de Mme [A] [F].
Sur le reclassement, et s’agissant d’une maladie non professionnelle le médecin du travail l’a dispensé d’une telle recherche en cochant la case ‘l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi de cet entreprise’ et elle n’avait pas à consulter le comité social et économique dans cette hypothèse.
Mme [A] [F] n’a pas été licenciée verbalement par Mme [S] [U] qui n’avait pas le pouvoir de prononcer la rupture du contrat de travail, le courrier qu’elle a écrit le 14 mai 2019 lui indiquant qu’elle recevrait ses documents de fin de contrat est un courrier de réponse au courriel du 9 mai 2019 par lequel Mme [A] [F] avait indiqué qu’elle ne se rendrait pas à l’entretien préalable.
Mme [A] [F] qui était effectivement en congés payés du 18 octobre au 21 novembre 2017 ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés alors qu’elle a elle même déjà été payée.
Mme [A] [F] ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis, ni à l’indemnité spéciale de licenciement, son licenciement pour inaptitude étant d’origine non professionnelle.
Mme [A] [F] a été placé en arrêt maladie non professionnel pendant plus de deux ans et ces périodes doivent être retirées de son ancienneté.
L’instruction de l’affaire a été clôturée le 07 octobre 2022. La date des plaidoiries a été fixée à l’audience du 08 décembre 2022.
MOTIFS
Sur la prescription :
Mme [A] [F] a été licenciée le 16 mai 2019 et a saisi le conseil de prud’hommes le 18 juin 2020.
En application de l’article 1471-1 alinéa 2 du code du travail, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois.
A l’époque où Mme [A] [F] aurait du saisir le conseil de prud’hommes (avant le 16 mai 2020), l’état d’urgence sanitaire pour faire face à l’épidémie de Covid 19 était en vigueur.
L’article 4 de la loi du 23 mars 2020 (JORF n°0072 du 24 mars 2020) proclamait l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, prorogé jusqu’au 10 juillet 2020 inclus par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020.
L’article 2 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 modifié par l’article 1er 4ème à l’article 10 de l’ordonnance n°2020-560 du 13 mai 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période indique :
‘Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli jusqu’au 23 août 2020 sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois’.
Dès lors l’action de Mme [A] [F] introduite le 18 juin 2020 n’est pas prescrite.
Sur le harcèlement moral :
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail, applicable à la cause lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3, le salarié présente des éléments de faits laissant présumer l’existence d’un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Préalablement, le fait que Mme [A] [F] n’est pas fait de demande de reconnaissance de maladie professionnelle est sans incidence sur la reconnaissance du harcèlement moral et du fait que son inaptitude soit la conséquence de ce harcèlement moral.
Mme [A] [F] produit aux débats et évoque :
– l’attestation de Mme [L], ayant travaillé de septembre 2016 à décembre 2017 au secrétariat qui précise que Mme [E] [H] lui parlait mal de Mme [A] [F], critiquait sa façon de s’habiller, ses relations avec les clients, que Mme [A] [F] était surchargée de travail,
– l’attestation de Mme [P] dénonçant le comportement inadapté, irrespectueux, rabaissant, agressif de Mme [E] [H] dénonçant ses méthodes managériales, directives changeantes, contradictoires,
– l’attestation de Mme [O] [N] épouse [J], déléguée du personnel, indiquant que Mme [E] [H] avait refusé qu’elle accompagne Mme [A] [F] lors d’un entretien, imposant une autre déléguée du personnel, Mme [X] [V],
– l’entretien professionnel qui s’est déroulé le 22 novembre 2017 à la suite de son arrêt maladie du 28 janvier au 17 octobre 2017, puis en congés payés imposés du 18 octobre au 21 novembre 2017 et la fiche de poste signée à la suite de cet entretien où les fonctions d’assistante technique sur le handicap étaient retirées à Mme [A] [F],
– un message électronique de Mme [E] [H] du 21 novembre 2016 ainsi rédigé ‘[A], Faire le café fait parti de ton travail. [Y] te l’a dit. Donc café cet AM. Est ce clair »
– un courriel d’une salariée [BL] [Z] se plaignant du comportement de Mme [E] [H],
– une lettre de Mme [P] à l’inspecteur du travail du 1er février 2018, signée par quatre salariées dont Mme [A] [F] dénonçant ses conditions de travail dégradées,
– le courriel du 9 août 2018 adressée par Mme [A] [F] à Mme [E] [H] mentionnant sa surcharge de travail, avec interruption des taches qu’elle était entrain de faire pour en faire d’autres, directives changeantes et contradictoires, désinscription aux formations handicap alors qu’elle était présente à ce moment là et pas encore en arrêt de travail pour une intervention chirurgicale, nécessité de fournir un certificat médical ou un courrier du médecin justifiant de ses horaires de permanence ou de disponibilités lorsqu’elle a un rendez-vous médical, ton méprisant et remarques blessantes adressés par Mme [E] [H],
– une attestation de Mme [K], stagiaire secrétaire d’accueil, qui explique que Mme [A] [F] n’était pas disponible compte tenu de sa charge de travail, qu’elle était sans cesse harcelée par Mme [E] [H] qui lui parlait mal, lui demandait du travail urgent,
.les comptes rendus des délégués du personnel des 8 février 2018, 16 avril 2018, 20 septembre 2018 faisant le constat d’un nombre important d’arrêts de travail,
– une lettre de Mme [E] [H] du 7 mars 2018 à ses salariés indiquant soit ‘go on y va, et cela sous entend s’adapter aux nouvelles exigences de travail, soit on prend d’autres orientations,
– des courriels échangés avec des salariées, Mme [W] [T], responsable secteur, Mme [M] [PA] faisant part de leurs difficultés, de Mme [C] [I], remplaçante de Mme [A] [F] décrivant une situation invivable,
– le dossier médical du médecin du travail où Mme [A] [F] se plaint d’une charge de travail importante, de relations difficiles avec sa directrice, le certificat médical du psychiatre, le docteur [D] indiquant que Mme [A] [F] bénéficie de soins depuis le 30 mai 2018, le certificat médical du docteur [B], médecin traitant, qui indique que Mme [A] [F] fait état d’un stress professionnelle et qu’elle souffre de dépression.
Ces éléments pris dans leur ensemble laissent présumer une situation de harcèlement moral.
La société Spad invoque le fait que Mme [A] [F] ne s’est jamais plaint et que c’est en raison de cette surcharge de travail et des préconisations du médecin du travail que les fonctions d’assistante handicap lui ont été retirées.
Or lors de sa visite de reprise du 25 octobre 2017, le médecin du travail a déclaré Mme [A] [F] apte sans réserve. Les fonctions d’assistance handicap avaient été contractualisées par avenant au contrat de travail de Mme [A] [F] en date du 18 décembre 2015 et ces fonctions plaisaient à la salariée qui lors de l’entretien du 22 novembre 2017 avait fait part de sa motivation à reprendre le travail tout en espérant que les choses se passent au mieux.
Si la détermination des dates de prise effective du congés payés reporté relève du pouvoir de direction de l’employeur, celui-ci doit néanmoins respecté un délai de prévenance d’un mois prévu par les articles D. 3141-5 et R. 3141-6 du code du travail.
Or la société Spad a imposé à Mme [A] [F] de prendre ses congés payés à son retour d’arrêts maladie sans respecter un délai de prévenance. Le fait que pour des raisons d’organisation du service, les salariées ne puissent prendre qu’une semaine de vacances à noël, n’empêchait pas la société Spad de respecter le délai de prévenance et de reporter les congés payés de Mme [A] [F] après noël.
Lors de la rencontre professionnelle entre Mme [A] [F] et Mme [E] [H] le 5 avril 2018, quelques jours avant la fin de l’arrêt professionnel de Mme [A] [F], qui s’est finalement prolongé, Mme [A] [F] avait souhaité être assistée d’une déléguée du personnel, Mme [O] [N] [J] qui était disponible pour le faire comme elle en atteste dans l’échange de courriels entre Mme [A] [F] et Mme [O] [N], cette dernière terminant son travail à 16h15.
Les attestations de salariées sur la surcharge de travail sont circonstanciées et précises et elles étaient présentes pendant la relation contractuelle. Le fait que certaines soient en conflit avec la société Spad n’enlève rien à leur crédibilité.
Enfin si Mme [A] [F] avait des soucis personnels, notamment la nécessité de prendre en charge sa mère qui souffrait de la maladie d’Alzheimer et son mari handicapé, il résulte néanmoins du dossier du médecin du travail que la dégradation de son état de santé est pour une grande part la conséquence de ses conditions de travail et de sa relation avec Mme [E] [H], le médecin du travail faisant part dans son dossier médical des difficultés professionnelles rencontrées par Mme [A] [F].
Dès lors, la société Spad ne justifie pas d’éléments objectifs étranger à tout harcèlement moral.
Mme [A] [F] a été licenciée en raison en raison d’une inaptitude à son poste de travail et cette inaptitude est en lien avec les agissements de harcèlement moral au regard de ces agissements exposés ci-avant et des éléments médicaux.
Dès lors, il y a lieu de prononcer la nullité du licenciement.
Le licenciement étant nul, Mme [A] [F] peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents.
La société Spad sera condamnée à lui payer la somme de 4 185,78 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 418,58 euros au titre des congés payés afférents.
Mme [A] [F] sera déboutée de sa demande d’indemnité spéciale de licenciement, la société Spad ignorant l’origine professionnelle de l’inaptitude au moment du licenciement.
Mme [A] [F] était âgée de 57 ans au moment de son licenciement et avait 16 ans d’ancienneté. Elle a retrouvé un emploi d’aide administrative de la ville d'[Localité 2] à compter du 6 janvier 2020, selon contrats à durée déterminée, à temps partiel, pour une rémunération mensuelle brut de 840,73 euros. Par arrêté du maire de la ville d'[Localité 2], Mme [A] [F] a été nommée agent administratif à temps partiel moyennant une rémunération mensuelle brut de 829,43 euros. Elle a été indemnisée par Pôle emploi en 2021 (5 676 euros pour l’année).
La société Spad sera condamnée à payer à Mme [A] [F] la somme de 25 000 euros en application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail.
La société Spad sera condamnée à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Mme [A] [F] dans la limite de six mois.
Sur le manquement à l’obligation de sécurité :
Mme [A] [F] évoque les mêmes griefs qui ont été retenus au titre du harcèlement moral.
Sur la charge de travail, qui pourrait constituer un manquement à l’obligation de sécurité de résultat, tous les salariées témoignent que Mme [A] [F] était surchargée de travail. A son retour de travail, l’employeur lui a retiré une partie de ses taches, celle d’assistante technique sur le handicap pour disait-il, précisément alléger sa charge de travail, ce qui a été retenu comme un élément de harcèlement moral, les taches les plus intéressantes étant retirées de manière arbitraire à Mme [A] [F].
Le jugement sera infirmé et Mme [A] [F] sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat .
Sur le paiement des congés payés :
L’employeur ne pouvait imposer à Mme [A] [F] de prendre ses congés payés dès son retour d’arrêts maladie. Il devait respecter un délai de prévenance d’un mois.
Cependant Mme [A] [F] ne peut obtenir paiement de cette période qui lui a été payée.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur l’irrégularité de la procédure :
La procédure de licenciement est parfaitement régulière.
L’avis d’inaptitude de Mme [A] [F] du 25 avril 2019 indiquait que l’état de santé de Mme [A] [F] faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Selon l’article L. 1226-2-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Il s’ensuit que, lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, l’employeur, qui n’est pas tenu de rechercher un reclassement, n’a pas l’obligation de consulter les délégués du personnel.
Mme [A] [F] a été régulièrement convoquée à un entretien préalable par courrier du 29 avril 2019 pour le 14 mai 2019. Elle a indiqué qu’elle ne se rendrait pas à l’entretien préalable et le fait que Mme [S] [U], simple employée, lui aurait indiqué, par téléphone le 30 avril 2019, qu’il lui appartenait de venir chercher ses documents de fin de contrat n’est nullement la preuve d’un licenciement verbal.
La lettre de licenciement mentionne bien l’inaptitude médicalement constatée et l’impossibilité de reclassement.
Mme [A] [F] sera déboutée de sa demande d’indemnité sur ce point.
Sur la demande reconventionnelle de la société Spad :
La société Spad réclame le remboursement d’un trop perçu au titre de l’indemnité légale de licenciement dans la mesure où doivent être déduites de la durée de l’ancienneté les périodes de suspension du contrat de travail de Mme [A] [F].
Il a été vu que les arrêts maladie de Mme [A] [F] doivent être considérés comme des arrêts maladie de droit commun.
Aux termes de l’article L. 1234-11 du code du travail, les circonstances entraînant la suspension du contrat de travail, en vertu soit de dispositions légales, soit d’une convention ou d’un accord collectif de travail, soit de stipulations contractuelles, soit d’usages, ne rompent pas l’ancienneté du salarié appréciée pour la détermination du droit à l’indemnité de licenciement.
Toutefois, la période de suspension n’entre pas en compte pour la détermination de la durée d’ancienneté exigée pour bénéficier de ces dispositions.
D’autre part c’est à la date d’envoi de la lettre recommandée notifiant le licenciement, et non à la date à laquelle le préavis prend fin, qu’il faut se placer pour déterminer l’ancienneté à retenir.
En l’absence de dispositions conventionnelles contraires, les périodes de suspension du contrat de travail pour maladie doivent être déduites de la durée de l’ancienneté et Mme [A] [F] sera condamnée à restituer à la société Spad la somme de 1 453,41 euros.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
Succombant la société Spad sera condamnée aux dépens et au paiement d’une somme de 2 000 euros titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en appel, la somme allouée en première instance étant confirmée.
Le ministère d’avocat n’étant pas obligatoire devant la présente juridiction statuant en matière prud’homale, il n’y a pas lieu de statuer sur les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
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PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
DIT non prescrite l’action de Mme [A] [F] ;
INFIRME le jugement déféré excepté en ce qu’il a débouté Mme [A] [F] de sa demande d’indemnité spéciale de licenciement, d’indemnité compensatrice de congés payés et d’indemnité pour irrégularité de la procédure et en ce qu’il a alloué à Mme [A] [F] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamné la société Spad aux dépens ;
Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées et y ajoutant :
DIT que Mme [A] [F] a subi du harcèlement moral ;
DIT le licenciement de Mme [A] [F] nul ;
CONDAMNE la société Spad à payer à Mme [A] [F] la somme de 4 185,78 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et celle de 418,58 euros à titre de congés payés afférents ;
CONDAMNE la société Spad à payer à Mme [A] [F] la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;
ORDONNE à la société Spad de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Mme [A] [F] dans la limite de six mois de salaire ;
DIT qu’une copie du présent arrêt sera transmis à Pôle emploi par les soins du greffe ;
DÉBOUTE Mme [A] [F] de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
CONDAMNE Mme [A] [F] à rembourser à la société Spad la somme de 1 453,41 euros au titre d’un trop perçu d’indemnité légale de licenciement ;
CONDAMNE la société Spad aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Spad à payer à Mme [A] [F] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ainsi prononcé publiquement le 19 Janvier 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président