AFFAIRE : N° RG N° RG 21/01478 – N° Portalis DBWB-V-B7F-FTJN
Code Aff. :
ARRÊT N° LC
ORIGINE :JUGEMENT du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de saint denis en date du 13 Juillet 2021, rg n° 20/00409
COUR D’APPEL DE SAINT-DENIS
DE LA RÉUNION
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 17 NOVEMBRE 2022
APPELANTE :
Madame [T] [L]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Isabelle MURAT, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
INTIMÉE :
Société CENTRE DE REEDUCATION DE [5] prise en la personne de son représentant légal en exercice
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Ariane BOUVET, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
Clôture : 2 mai 2022
DÉBATS : En application des dispositions de l’article 804 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 septembre 2022 devant la cour composée de :
Président : M. Alain LACOUR
Conseiller : M. Laurent CALBO
Conseiller : Mme Aurélie POLICE
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l’issue des débats, le président a indiqué que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 17 novembre 2022.
ARRÊT : mis à disposition des parties le 17 NOVEMBRE 2022
greffier lors des débats : Mme Delphine GRONDIN
greffier du prononcé par mise à disposition au greffe : Mme Nadia HANAFI
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LA COUR :
Exposé du litige’:
Mme [T] [L] a été embauchée le 14 mai 2001 par la société Centre de rééducation de [5] (la société) en qualité de psychologue clinicienne à mi-temps, selon contrat à durée indéterminée, puis à temps plein à compter du 1er janvier 2002.
Elle a été licenciée pour inaptitude sans possibilité de reclassement le 16 juillet 2019.
Saisi par Mme [L], qui contestait son licenciement, le conseil de prud’hommes de Saint-Denis de la Réunion, par jugement rendu le 13 juillet 2021, a jugé prescrite l’action diligentée par la salariée suivant requête du 10 novembre 2020, jugé irrecevables ses demandes, l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes et l’a condamnée aux dépens.
Appel de cette décision a été interjeté par Mme [L] le 12 août 2021.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 2 mai 2022.
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Vu les dernières conclusions notifiées par Mme [L] le 21 avril 2022′;
Vu les dernières conclusions notifiées par la société le 22 avril 2022′;
Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu’aux développements infra.
Sur ce’:
Sur la recevabilité des demandes ‘:
Aux termes de l’article L.1471-1 alinéas 1 et 2, «’Toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.’
Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.’».
Aux termes de l’article 2234 du code civil, «’La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure’».
Aux termes de l’article 2 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette période, «’Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit’».
Selon l’article 1er I de la dite ordonnance, modifiée par l’ordonnance n°2020-666 du 3 juin 2020, les dispositions dudit article 2 sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus.
La société soulève la prescription des demandes de Mme [L] et l’irrecevabilité comme nouvelles en cause d’appel des demandes indemnitaires fondées sur l’exécution déloyale du contrat de travail.
Mme [L] soutient que la prescription applicable est biennale, que le cours de la prescription a été suspendu par effet de l’urgence sanitaire et qu’elle était dans l’impossibilité d’agir.
En l’espèce, Mme [L] a saisi la juridiction prud’homale par requête du 10 novembre 2020 d’une contestation de son licenciement pour inaptitude et sollicitait à ce titre une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages et intérêt en réparation d’un préjudice moral distinct et d’un préjudice résultant du manque à gagner à la retraite.
En premier lieu, dans ses dernières écritures reprises oralement devant les premiers juges, Mme [L] a sollicité des dommages et intérêts en réparation’:
– du préjudice résultant des manquements à l’obligation de sécurité dans le cadre de l’exécution du contrat de travail,
– du préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse pour manquement à l’obligation de reclassement,
– du préjudice moral distinct’;
– du préjudice résultant du manque à gagner à la retraite.
En cause d’appel, Mme [L] forme les mêmes demandes.
Dès lors, sa demande indemnitaire fondée sur l’exécution déloyale du contrat de travail n’est pas nouvelle en cause d’appel pour avoir été formée devant les premiers juges, qui d’ailleurs l’ont surabondamment déboutée à ce titre.
En deuxième lieu, la société a licencié Mme [L] pour inaptitude médicale.
La salariée a signé le 17 juillet 2019 l’avis de réception de la lettre recommandée lui notifiant le licenciement. Elle pouvait donc agir jusqu’au 17 juillet 2020 en contestation de la rupture de la relation de travail.
A cette date, la période juridiquement protégée résultant des dispositions de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, était expirée depuis le 24 juin 2020. Le cours de la prescription applicable à la contestation de Mme [L] de la rupture de la relation de travail n’a donc pas été affecté par ces dispositions spéciales, étant précisé qu’aucune autre période d’urgence sanitaire n’a été accompagnée de dispositions sur les délais d’action en justice.
Par ailleurs, Mme [L] invoque l’impossibilité d’agir suite à un «’burn out’» et à une intervention chirurgicale en date du 4 mai 2020. Cependant, c’est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont écarté la suspension du cours de la prescription. En effet, ces situations ne suffisent pas à établir l’impossibilité insurmontable d’agir de la salariée pendant la totalité du délai de prescription, et ne caractérisent pas davantage une force majeure pendant cette période.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a déclaré prescrites les demandes de Mme [L] fondées sur la contestation du licenciement pour inaptitude, ce qui emporte l’irrecevabilité des demandes indemnitaires en réparation de la rupture abusive de la relation de travail soit celles formées au titre du préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse pour manquement à l’obligation de reclassement, du préjudice moral distinct’et du préjudice résultant du manque à gagner à la retraite.
En troisième lieu, la demande indemnitaire de Mme [L] en réparation de son préjudice résultant des manquements à l’obligation de sécurité dans le cadre de l’exécution du contrat de travail, relève de la prescription biennale.
Elle a été formée par conclusions déposées au greffe du conseil, le 22 avril 2021.
Le point de départ du délai de prescription doit être fixé à la date de l’avis d’inaptitude à laquelle la salariée avait connaissance des faits lui permettant d’exercer son droit, soit le 17 juin 2019.
La demande indemnitaire fondée sur l’exécution déloyale du contrat de travail est donc recevable comme non prescrite, le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur les manquements de l’employeur :
Vu l’article 954 du code de procédure civile’;
Vu l’article L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail’;
Mme [L] soutient que l’employeur à la suite d’un précédent arrêt de travail n’a pas suivi les réserves émises par le médecin du travail lors de la visite de reprise, que «’trois arrêts maladie ont constaté [une] maladie professionnelle’», que l’employeur lui a imposé «’l’importance et l’augmentation constante du nombre de patients en flux tendus atteints de pathologies de plus en plus lourdes à traiter’» alors qu’elle avait déjà développé une dépression en 2006 en suite d’un épuisement professionnel.
La société rétorque que la salariée n’établit pas que sa dépression de 2006 est la conséquence d’un épuisement professionnel, qu’il n’est pas justifié l’augmentation constante du nombre de patients, qu’elle a été arrêtée pour maladie pendant trois années sans que l’employeur ne soit en cause, qu’aucune charge anormale de travail n’est démontrée, qu’elle n’a pas déclaré d’accident du travail, que l’employeur a suivi les préconisations de la médecine du travail mais que la salariée a refusé l’adaptation du poste et a prolongé son arrêt maladie.
En l’espèce, les demandes fondées sur la contestation de la rupture de la relation de travail ayant été déclarées irrecevables, le licenciement prononcé sur la base de l’avis d’inaptitude médicale est définitif.
Mme [L] peut uniquement invoquer l’existence de manquements de l’employeur ayant conduit à l’avis d’inaptitude du 17 juin 2019, et donc pour des faits antérieurs à celui-ci, ce qui exclut l’exécution déloyale de l’obligation de reclassement de l’employeur.
Il est observé que Mme [L] ne cite aucune pièce dans ses écritures au soutien de sa démonstration des manquements de l’employeur, en contrariété des dispositions de l’article 954 précité.
En premier lieu, Mme [L] ne justifie pas de la reconnaissance du caractère professionnel d’une ou plusieurs affections.
En effet, la copie de la demande de reconnaissance d’une maladie professionnelle médicalement constatée le 13 juin 2016 (pièce 39-2 / salariée), ne suffit pas à établir son caractère professionnel en l’absence de décision favorable de l’organisme de sécurité sociale en ce sens produite au débat.
Par ailleurs, l’avis d’inaptitude ne porte pas mention d’une origine professionnelle.
En conséquence, les arrêts de travail dont se plaint Mme [L] et l’inaptitude du 17 juin 2019 n’ont pas été reconnus comme ayant une origine professionnelle.
En deuxième lieu, le docteur [N], psychiatre, certifie en date du 17 février 2020 (pièce 6 / salariée) avoir donné des soins à Mme [L] de novembre 1997 à avril 2011 et prescrit un arrêt de travail de juillet à août 2006.
Il n’est cependant rapporté aucun élément sur les lésions constatées et leur relation au travail.
Par ailleurs, il résulte du courrier du 30 juin 2006 adressé à l’employeur (pièce 24-1) que Mme [L] approuve la décision de recruter une psychologue suite à sa demande en ce sens en raison d’une charge de travail trop importante depuis «’1 à 2 ans’».
Il en résulte que le suivi médical assuré par le docteur [N] est antérieur de plusieurs années à ses difficultés au travail, et même à son entrée au service de la société en date du 14 mai 2001.
La relation entre l’arrêt de travail pour maladie de juillet à août 2006 et un «’épuisement professionnel’» n’est pas établie.
En troisième lieu, en suite de son arrêt de travail de 2006, Mme [L] a été déclarée apte à la reprise du travail, sans réserve (pièce 19 / salariée).
Si plusieurs témoins justifient de son engagement dans son travail et de sa charge de travail croissante en raison de l’augmentation des patients pris en compte par l’employeur, il est toutefois constaté que Mme [L] ne justifie d’aucune prise en charge médicale au titre de lésions psychiques à compter d’avril 2011, et n’objective pas une surcharge de travail dont elle aurait alerté l’employeur avant son nouvel arrêt de travail du 9 juin 2016.
En effet, les difficultés rencontrées personnellement par la salariée dans l’exercice de ses fonctions, ne suffisent pas à rapporter la preuve d’un manquement de l’employeur, d’autant que la société justifie de l’intervention dans la structure d’autres psychologues et praticiens en sorte que le nombre de 55 patients présents par jour, invoqué par la salariée, ne constitue pas sa propre charge de travail mais celle de l’équipe pluridisciplinaire.
Dans son certificat médical du 26 décembre 2017, le docteur [D], psychiatre, indique au titre de la nature exacte de la pathologie une «’dépression chronique résistante’» constatée le 9 juin 2016 (pièce 37 / salariée). Si le praticien précise une «’décompensation dépressive après surmenage type’burn out en avril 2016’», il est toutefois relevé que les lésions psychiques sont antérieures, en raison de leur récurrence, et qu’il a été précédemment retenu l’existence d’une prise en charge médicale depuis 1997.
De même, si ce certificat médical, tout comme celui du docteur [R], médecin remplaçant du docteur [D], en date du 20 août 2018 (pièce 39-1 / salariée), associent la dépression chronique à une affection secondaire au travail, ces éléments justifient uniquement de la relation qui a pu être médicalement établie entre la résurgence de lésions anciennes et le travail, sans que cette situation n’emporte un comportement fautif de l’employeur.
Aucun manquement de l’employeur à l’origine de cet arrêt de travail n’est donc établi.
En troisième lieu, la médecine du travail a émis le 25 juillet 2018 l’avis suivant’dans le cadre d’une visite de pré-reprise après un arrêt de longue durée’: «’A l’issue de cette visite, il apparaît nécessaire que le poste de travail de Mme [L] soit aménagé de la manière suivante’:
– temps partiel thérapeutique 50’% au moins un mois afin de ne pas prendre en charge l’ensemble des patients d’emblée’;
– prioriser la prise en charge individuelle et réduire le nombre de prise en charge de groupe.’».
Cependant, alors même que Mme [L] n’avait pas repris le travail, le médecin du travail a informé l’employeur le 2 août 2018 (pièces 21 et 22 / employeur) qu’il modifiait sa proposition de mi-temps thérapeutique en faveur d’un retour à temps plein sur le poste précédemment occupé.
Il s’évince de cet élément que la médecine du travail a estimé qu’aucun risque ne pesait sur Mme [L] dans l’exercice de son précédent poste.
Surtout, la salariée ne saurait utilement se plaindre de l’absence de prise en compte par la médecine du travail des préconisations d’adaptation sur son poste de travail alors que le médecin du travail les a levées et que surtout Mme [L] n’a jamais repris son travail jusqu’à l’avis d’inaptitude du 17 juin 2019.
En conséquence, il n’est justifié d’aucun manquement de l’employeur à l’origine de l’avis d’inaptitude médicale du 17 juin 2019.
Mme [L] sera déboutée de sa demande indemnitaire fondée sur le manquement de l’employeur à l’occasion de l’exécution du contrat de travail.
Enfin, le jugement sera confirmé sur les dépens.
PAR CES MOTIFS’:
La cour,
Statuant publiquement, contradictoirement,
Confirme le jugement rendu le 13 juillet 2021 par le conseil de prud’hommes de Saint-Denis de la Réunion’sauf en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande indemnitaire de Mme [L] fondée sur l’exécution déloyale du contrat de travail’;
Statuant à nouveau sur ce chef de jugement infirmé,
Déclare recevable la demande indemnitaire de Mme [L] fondée sur l’exécution déloyale du contrat de travail’;
Déboute Mme [L] de sa demande indemnitaire fondée sur le manquement de l’employeur à l’occasion de l’exécution du contrat de travail’;
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [L] à payer à la société Centre de rééducation de [5] la somme de 3’000 euros à titre d’indemnité pour frais non répétibles d’instance;
Condamne Mme [L] aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par M. Alain Lacour, président, et par Mme Nadia Hanafi, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,