Épuisement professionnel : 17 novembre 2022 Cour d’appel de Nancy RG n° 21/02322

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Épuisement professionnel : 17 novembre 2022 Cour d’appel de Nancy RG n° 21/02322

ARRÊT N° /2022

PH

DU 17 NOVEMBRE 2022

N° RG 21/02322 – N° Portalis DBVR-V-B7F-E3A7

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANCY

19/00538

01 septembre 2021

COUR D’APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE – SECTION 2

APPELANTE :

S.A.S. DEKRA INDUSTRIAL Prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Anny MORLOT de la SELAFA ACD, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉ :

Monsieur [G] [T]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Adrien PERROT de la SCP PERROT AVOCAT, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président : WEISSMANN Raphaël,

Président : HAQUET Jean-Baptiste,

Conseiller : STANEK Stéphane,

Greffier lors des débats : RIVORY Laurène

DÉBATS :

En audience publique du 15 Septembre 2022 ;

L’affaire a été mise en délibéré pour l’arrêt être rendu le 17 Novembre 2022 ; par mise à disposition au greffe conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

Le 17 Novembre 2022, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

M. [G] [T] a été engagé en contrat de travail à durée indéterminée par la société Dekra Industrial à compter du 1er avril 2014, en qualité de technicien expert en prévention, niveau V échelon 3, coefficient 365.

M. [T] était rattaché au site de [Localité 7] (57).

A compter du 1er octobre 2014, M. [T] s’est vu attribué la fonction de formateur affecté au site de [Localité 5] (57).

La convention collective nationale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la Meurthe-et-Moselle s’applique au contrat de travail.

M. [T] a liquidé ses droits à la retraite au mois de juin 2019 et est sorti des effectifs de la société Dekra Industrial le 30 juin 2019.

Par requête du 12 décembre 2019, M. [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Nancy, aux fins de voir :

– dire et juger que ses temps de trajet excédaient le temps normal de trajet,

– dire et juger que les temps de trajet auraient dû faire l’objet d’une contrepartie en repos ou financière,

– constater qu’il a effectué des heures supplémentaires qui ne lui étaient pas rémunérées,

– constater que la société Dekra Industrial a manqué à son obligation de sécurité,

– condamner la société Dekra Industrial à lui payer les sommes suivantes :

* 12 139,20 euros d’indemnité pour temps de voyage,

* 812,70 euros d’indemnité pour temps de trajet,

* 3 053,56 euros de rappel de salaire sur heures supplémentaires,

* 305,35 euros de congés payés sur rappel de salaires,

* 19 426,56 euros de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

* 6 475,52 euros de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

* 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– prononcer l’exécution provisoire sur l’intégralité du jugement à intervenir au visa de l’article 515 du code de procédure civile,

– condamner la société Dekra Industrial aux entiers frais et dépens de l’instance.

La société Dekra Industrial a formulé les demandes suivantes :

– juger irrecevables comme prescrites celles des demandes salariales de M. [T] comprises entre juillet 2016 et décembre 2016,

– juger irrecevables comme prescrites celles des demandes indemnitaires de M. [T] comprises entre juillet 2016 et le 13 mars 2018.

Vu le jugement du conseil de prud’hommes de Nancy rendu le 1er septembre 2021, lequel a :

– dit que pour la prescription, le conseil retiendra la période du 30 juin 2016 au 30 juin 2019,

– condamné la société Dekra Industrial à verser à M. [T] les sommes suivantes :

* 10 492,80 euros d’indemnité de temps de voyage,

* 812,70 euros d’indemnité de temps de trajet,

* 3 053,56 euros d’heures supplémentaires,

* 305,35 euros de congés payés sur heures supplémentaires,

* 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

* 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que le présent jugement est exécutoire de droit par provision dans la limite de l’article R 1454-28 du code du travail,

– débouté les parties de leurs plus amples demandes,

– condamné la société Dekra Industrial aux entiers et frais et dépens de la présente instance.

Vu l’appel formé par la société Dekra Industrial le 28 juin 2021,

Vu l’appel incident formé par M. [T] le 15 mars 2022,

Vu l’article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de la société Dekra Industrial déposées sur le RPVA le 7 juin 2022, et celles de M. [T] déposées sur le RPVA le 5 mars 2022,

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 29 juin 2022,

La société Dekra Industrial demande à la cour d’appel :

– de dire l’appel de la société Dekra Industrial recevable et bien-fondé,

– de constater que les demandes de rappel de salaire pour heures supplémentaires et congés payés y afférents antérieures au 12 décembre 2016 sont irrecevables car prescrites,

– de constater que les demandes d’indemnité pour temps de voyage et pour temps de trajet antérieures au 13 mars 2018 sont irrecevables car prescrites,

– de constater que les faits antérieurs au 13 mars 2018 relatifs à la demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité sont prescrits,

– d’infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nancy du 1er septembre 2021 en ce qu’il a :

* dit que pour la prescription, le conseil retiendra la période du 30 juin 2016 au 30 juin 2019,

* condamné la société Dekra Industrial à verser à M. [T] les sommes suivantes :

* 10 492,80 euros d’indemnité de temps de voyage,

* 812,70 euros d’indemnité de temps de trajet,

* 3 053,56 euros d’heures supplémentaires,

* 305,35 euros de congés payés sur heures supplémentaires,

* 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

* 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

* condamné la société Dekra Industrial aux entiers et frais et dépens de la présente instance.

– de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nancy du 1er septembre 2021 en ce qu’il a débouté M. [T] de sa demande en paiement de la somme de 19 426,56 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

– de débouter M. [T] de l’intégralité de ses demandes et de toute demande formée sur appel incident à hauteur de cour,

– de condamner M. [T] à verser à la société Dekra Industrial la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance et d’appel,

– de condamner M. [T] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

M. [T] demande à la cour :

– de dire et juger que les demandes de M. [T] sont recevables et bien fondée,

– d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

* condamné la société Dekra Industrial au paiement de la somme de :

° 10 492 ,80 euros d’indemnité de temps de voyage,

° 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

* débouté M. [T] de sa demande au titre du travail dissimulé et des dommages et intérêts afférents,

– de confirmer le jugement entrepris pour le surplus,

– de débouter la société Dekra Industrial de l’intégralité de ses demandes,

Statuant à nouveau :

– de condamner la société Dekra Industrial au paiement des sommes suivantes :

* 12 139,20 euros à titre d’indemnité de temps de voyage,

* 6 475,52 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

– de dire et juger que la société Dekra Industrial s’est rendue coupable du délit de travail dissimulé,

– en conséquence, de condamner la société Dekra Industrial au versement de la somme de 19 426,56 euros de dommages et intérêts à ce titre,

Y ajoutant :

– de condamner la société Dekra Industrial au versement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure à hauteur d’appel,

– de condamner la société Dekra Industrial aux entiers frais et dépens de la présente instance y compris ceux afférents à une éventuelle exécution.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières écritures de la société Dekra Industrial déposées sur le RPVA le 7 juin 2022, et celles de M. [T] déposées sur le RPVA le 5 mars 2022.

 

Sur la rémunération des temps de trajet et de déplacement :

Selon la société Dekra Industrial, au regard de la convention collective applicable, le salarié a droit à une contrepartie financière ou sous forme de repos du temps inhabituel de travail lorsque trois conditions sont remplies simultanément : le lieu de travail est un lieu inhabituel de travail, le temps de déplacement du salarié entre son domicile et ce lieu dépasse le temps normal de trajet entre son domicile et son lieu de travail habituel, à savoir le secteur géographique auquel il était rattaché, soit les départements de Meurthe-et-Moselle, Meuse, Moselle et Vosges, et ce temps de déplacement ne coïncide pas avec son horaire normal de travail. Le temps normal de trajet relèverait de l’appréciation souveraine des juges du fond. Le demandeur devrait aussi, pour bénéficier de ces contreparties, supporter, à cette occasion, une gêne particulière et des frais inhabituels.

Or, M. [T] serait défaillant dans la charge de la preuve de ces éléments, qui lui incomberait, et ne procéderait à aucune distinction entre le temps de trajet qui coïnciderait avec son horaire normal de travail celui qui ne coïnciderait pas avec celui-ci. La pièce n°8 sur laquelle il fonde ses demandes serait incomplète et imprécise, tout comme ses explications. En outre, le fait qu’un manager de l’entreprise ait validé ses activités ne vaudrait pas reconnaissance d’un droit au bénéfice de M. [T], ce manager n’ayant pas pour rôle de vérifier la véracité des éléments qui y sont contenus et M. [T] restant débiteur de la charge de la preuve des faits nécessaires au succès de ses prétentions.

Par ailleurs, M. [T] aurait bénéficié d’une contrepartie sous forme de repos, qu’il aurait lui-même chiffré à 124,80 heures.

Très subsidiairement, la société Dekra Industrial soutient que la contrepartie qui serait due serait très résiduelle puisqu’il faudrait déduire 310 heures correspondant aux temps de trajet habituel intégré à tort par M. [T] dans ses calculs, ce qui réduirait à peu, voire à rien, l’éventuelle contrepartie résiduelle. Les estimations forfaitaires de l’intéressé seraient nécessairement erronés puisque tant les temps de trajet que les temps de travail auraient varié selon les missions. La société Dekra Industrial fournit plusieurs exemples à ce titre.

M. [T] réplique qu’eu égard à son vaste domaine d’intervention géographique, il cumulait un volume de temps de grands et petits déplacements conséquent. Ce phénomène apparaîtrait à la lecture des états d’activité qu’il verse aux débats, validés par sa hiérarchie. Il n’aurait pourtant été gratifié d’aucune contrepartie en repos ou pécuniaire. Or, selon la Cour de cassation, le temps de trajet normal d’un salarié itinérant devrait être apprécié en prenant comme valeur de référence celui d’un salarié sédentaire. La société Dekra opérerait une confusion entre le lieu de rattachement et la zone d’intervention géographique.

M. [T] explique ensuite que le temps de présence chez les clients ne comprenait pas seulement la formation dispensée et que les formations se tenaient souvent sur des chantiers en cours, ce qui expliquerait les variations de kilométrage pour certaines interventions. Dispensant des formations à des salariés sur leurs horaires de travail, il aurait effectué ses temps de voyage en dehors de son temps de travail.

Sur ce :

Aux termes de l’article 3121-4 du code du travail, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l’horaire de travail n’entraîne aucune perte de salaire.

En application des articles L. 3121-4 et L. 3171-4 du code du travail, la charge de la preuve du temps de trajet inhabituel n’incombe spécialement au salarié que pour la demande de contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière.

En l’espèce, M. [T] a produit des états d’activité (pièce n° 7) faisant notamment apparaître jour par jour, parmi d’autres données étrangères au présent litige, le temps de travail facturé aux clients, l’identité de ceux-ci et le kilométrage parcouru. Il a reporté ces deux dernières informations dans un tableau récapitulatif, en ajoutant la durée aller-retour du trajet, en les retenant le cas échéant en qualité de grand ou de petit déplacement.

Or, en premier lieu, l’intimé n’a pas soustrait de ce temps de déplacement le temps normal de trajet entre son domicile et son lieu de travail, qu’il n’a pas défini préalablement alors que, par application de son contrat, celui-ci s’étendait à l’ensemble des départements lorrains, soit la Meuse, les Vosges, la Meurthe-et-Moselle et la Moselle. Seule cette part excédentaire de déplacements peut pourtant faire l’objet d’une contrepartie, et les calculs effectués par M. [T] gonflent donc de manière considérable la contrepartie qu’il considère lui être due.

En deuxième lieu, à plusieurs reprises, M. [T] n’a pas noté où se trouvaient les clients concernés (PRISME EVENTS, LOXAM, DACSA, COLAS NORD-EST notamment), ce qui rend impossible la vérification des temps de trajet annoncés d’autant qu’il soutient que les formations se tenaient fréquemment sur des chantiers dont la localisation n’est pas non plus connue. Il ne s’est pas expliqué sur les surévaluations de trajet qui lui sont opposées par la société Dekra Industrial au sujet d’exemples pour lesquels la commune de destination est indiquée.

Enfin, M. [T] invoque la nécessité de se rendre à l’agence pour prendre des dossiers avant de partir sur son lieu de formation, ou pour aider son assistante dans des tâches administratives, ce qui aurait accru son temps de travail et rendu impossible la coïncidence entre celui-ci et son temps de déplacement, mais ne se propose pas de le démontrer par un quelconque élément de preuve. Il indique d’ailleurs lui-même que cette coïncidence serait très peu probable, ce qui démontre qu’elle n’était pas impossible.

Ce salarié invoque la validation de ses états d’activité par son employeur. Outre que certains d’entre eux, certes très minoritaires, apparaissent explicitement comme non validés, il ne peut être soutenu que la personne qui y a procédé a attesté que ces trajets avaient effectivement été réalisés, puisqu’il n’accompagnait pas M. [T] et, en tout état de cause, une telle opération laisse intacte les motifs développés ci-avant, aux termes desquels la preuve des dépassements par M. [T] du temps normal de trajet entre son domicile et son lieu habituel de travail, dans les proportions correspondant au calcul auquel il a procédé pour aboutir aux sommes qu’il sollicite à ce titre, n’est pas rapportée.

Sans qu’il soit utile d’étudier les arguments échangés entre les parties s’agissant de la prescription, M. [T] sera débouté de sa demande.Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.

Sur les demandes au titre des heures supplémentaires :

– Sur la prescription :

La société Dekra Industrial fait valoir que les demandes portant sur les sommes de nature salariale antérieures au 12 décembre 2016 sont prescrites en ce que M. [T] a connu ou aurait dû connaître chaque mois les faits permettant d’exercer son action en paiement d’heures supplémentaires. Le délai de prescription de trois ans se calculerait donc rétroactivement à partir de la saisine de la juridiction. La rupture du contrat de travail ne reporterait pas le point de départ de la prescription. La position de M. [T], sur la base d’arrêts de la cour d’appel de Metz antérieurs à un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 27 mai 2021 ayant rappelé le principe applicable, aurait pour effet d’allonger à six ans le délai de prescription.

M. [T] considère que l’article L. 3254-1 du code du travail offre aux salariés une alternative, reconnue par la cour d’appel de Metz, dont l’une des branches permet un décompte du délai de prescription à compter de la date de rupture du contrat de travail. Ses demandes porteraient donc légitimement sur les sommes dues à compter du mois de juin 2016.

Motivation :

Aux termes de l’article L. 3245-1 du code du travail, l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Il est constant en l’espèce que M. [T] a connu chaque mois l’existence des heures supplémentaires qu’il indique avoir effectuées. Dès lors, il ne peut solliciter, par application de la première phrase de l’article visé ci-avant, que les heures supplémentaires dues pour la période triennale antérieure à sa saisine du conseil de prud’hommes, c’est à dire entre le 12 décembre 2016 et le 30 juin 2019. L’alternative dont il prétend pouvoir bénéficier en application de la seconde phrase de ce texte n’intervient que quand le jour de la connaissance du droit est postérieur au jour de la rupture du contrat de travail, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

– Sur le fond :

La société Dekra International soutient que le salarié doit, à l’appui de sa demande au titre des heures supplémentaires, produire préalablement des éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés, aux heures d’embauche et de débauche et au temps de travail quotidien. En l’espèce, M. [T] ne fournirait aucun calcul ni explication. Une partie des heures qu’il déclare entrerait en contradiction avec les états d’activité qu’il a lui-même établis, ces états faisant par ailleurs apparaître un temps uniforme de huit heures de formation en clientèle inexact puisque, sur certaines journées, son temps de travail était moindre et qu’il ne donnerait aucune information quant aux horaires effectivement réalisés.

M. [T] lui oppose ses états d’activité et le tableau récapitulatif qu’il a établi, soulignant que les temps de présence sur les lieux de formation ne comprenaient pas uniquement la formation dispensée. Selon lui, les temps de formation duraient systématiquement huit heures conformément à la facturation adressée au client . Un accord collectif portant sur le rachat exceptionnel de jours de récupération de temps de travail pour l’année 2018 aurait d’ailleurs été signé par la société Dekra International. M. [T] se serait tenu à la disposition de son employeur de manière continue, et celui-ci ne pourrait donc pas lui opposer de semaines prétendument incomplètes.

Motivation :

Aux termes de l’article L. 3171-4 alinéas 1 et 2 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, les états d’activité de M. [T] font apparaître, jour par jour, le nombre d’heures travaillées. Contrairement à ce que prétend la société Dekra International, le seul fait que le salarié n’indique pas précisément les heures d’embauche et de débauche ne suffit pas à établir qu’il ne fournit pas les éléments nécessaires à l’appui de sa demande par application de l’article susvisé.

Ensuite, c’est à tort que ladite société croit pouvoir relever des contradictions entre les états d’activité et le tableau récapitulatif de l’intimé (pièce n° 8). Les deux exemples qu’elle a choisi concernent les semaines 3 de l’année 2019 et 2 de l’année 2018. Pour le vendredi de la première, M. [T] a noté quatre heures passées auprès du personnel de la société Colas Nord-Est, mais aussi deux heures de révision du véhicule et la préparation de la semaine suivante dans son bureau d'[Localité 6], ce qui permet sans difficulté de chiffrer son temps de travail à huit heures pour cette journée, soit 40 heures pour la semaine comme reporté sur l’état d’activité correspondant. Pour la semaine 2 de l’année 2018, ce salarié a noté que son rendez-vous avec la société Colas avait duré quatre heures, et il apparaît clairement que ses activités « bureaux divers » le lundi et « bureaux divers prep semaines copies » l’ont occupé respectivement quatre et huit heures, expliquant le quantum de 40 heures reporté dans le tableau récapitulatif.

Par ailleurs, la société Dekra International prend pour exemple, pour étayer son affirmation selon laquelle son salarié ne travaillait pas huit heures tous les jours contrairement à ce qui figure dans les documents qu’il produit, la journée du 24 mai 2018, mais la capture d’écran qu’il verse aux débats à ce titre, révèle dans la catégorie « suivi » un « Total Temps Rea » de 8 heures.

Enfin, dans son courriel du 22 octobre 2017, M. [W] n’explique pas pourquoi il reproche à M. [T] de ne pas l’alerter des semaines incomplètes qu’il réaliserait, alors que ce dernier l’informe au contraire de ses dépassements d’horaires. Ce message ne saurait, dans ces conditions, être considéré comme probant à quelque titre que ce soit.

L’employeur, de son côté, ne fournit à la cour d’appel aucun élément de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Dès lors, il convient de faire droit à la demande formée par M. [T] au titre des heures supplémentaires, tout en les contenant dans la limite de la période non prescrite, soit à hauteur de 215,37 heures. Déduction faite des 99,84 heures qui correspondant aux 124,80 heures correspondant aux heures déjà récupérées sous forme de repos, comme l’admet M. [T], il reste 115,53 heures majorées à 25 %. M. [T] est donc créancier de la somme de 2.434,79 euros, outre 243,48 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Sur l’indemnité pour travail dissimulé :

M. [T] affirme qu’une partie infime des heures supplémentaires qu’il a effectuées a été rémunérée, alors qu’il en avait informé son employeur à plusieurs reprises et que celui-ci a validé ses états d’activité. La société Dekra Industrial aurait déjà fait l’objet d’une amende au mois de décembre 2019 à l’initiative de la DIRECCTE Auvergne Rhône-Alpes pour manquements aux règles sur la durée du travail.

La société Dekra International répond qu’elle n’a eu connaissance des tableaux récapitulatifs de M. [T] qu’au cours de la présente instance, qu’elle ne pouvait pas donner de crédit aux affirmations unilatérales et parfois fantaisistes de son salarié qui confondait même heures de travail et de trajet, et que la seule créance pouvant subsister est en tout état de cause postérieure à la fin du contrat de travail, ce qui exclurait l’intention dissimulatrice de l’employeur dans la période d’emploi. Les temps de déplacement non payés, à les considérer comme établis, ne seraient pas assimilables à des temps de travail effectif et ne pourraient donc pas servir de fondement à une condamnation pour travail dissimulé.

Motivation :

Il est constant que l’employeur a validé un très grand nombre d’états d’activité de M. [T] tout au long de l’exécution de son contrat de travail.

Toutefois, la présentation adoptée par ce dernier, qui ne faisait pas apparaître dans la case « Temps facturé total » l’ensemble de son temps de travail, celui-ci étant obtenu par l’ajout de temps notés de manière dispersée dans les différentes lignes de la colonne « Lieu d’intervention/commentaire » de ces tableaux, empêchait la société Dekra International d’en déduire, sauf à se livrer à un calcul fin pour déterminer le nombre d’heures travaillées.

La négligence de l’employeur à effectuer ce calcul ne saurait être assimilée à une volonté de dissimuler les heures supplémentaires accomplies par le salarié.

Quant aux alertes adressées par courriel par M. [T] (pièce n° 4), elles entretenaient, comme le soutient justement l’employeur, une confusion entre les temps de trajet et les heures supplémentaires, ce qui ne permettait par à celui-ci de prendre la mesure de la réalité de ces heures de travail et de lui reproché d’avoir dissimulé intentionnellement une partie du travail réalisé par M. [T]. Celui-ci a d’ailleurs, dans la saisine du conseil de prud’hommes, fait perduré la confusion en sollicitant au titre des heures supplémentaires un temps qu’il a ensuite rectifié comme ayant été consacré aux déplacements entre son domicile et son lieu de travail

Partant, le rejet par le conseil de prud’hommes de Nancy de l’indemnité sollicitée au titre du travail dissimulé sera confirmé.

Sur l’indemnité pour manquement à une obligation de sécurité :

M. [T] fait valoir qu’il avait une amplitude de travail très importante et accomplissait de longs trajets, ce qui avait généré pour lui un stress intense et un épuisement professionnel. Il aurait, de ce fait, subi un préjudice moral indéniable.

La société Dekra International soutient que M. [T] ne démontre pas le non-respect de l’amplitude horaire qu’il allègue, que les temps de trajet ne sont pas concernés par l’amplitude, laquelle relèverait des choix organisationnels de l’employeur, que l’absence alléguée de contreparties est sans rapport avec un quelconque manquement à l’obligation de sécurité, que M. [T] n’est pas concerné par l’accord collectif sur la base duquel il croit déduire que sa propre charge de travail a été importante, qu’aucun lien ne peut être fait entre les deux seuls certificats d’arrêts de travail qu’il produit et son prétendu épuisement professionnel, et que ce salarié ne démontre aucun préjudice.

Motivation :

M. [T] ne peut utilement solliciter de son employeur des dommages et intérêts pour manquement à une obligation de sécurité que s’il démontre avoir subi un préjudice en lien avec ce manquement.

Or, il produit pour étayer cette demande deux avis d’arrêt de travail (pièce n° 12) pour des durées de sept et de treize jours, espacés de trois ans et sans aucun lien établi avec son activité professionnelle. Il communique en outre des ordonnances et une liste des prescriptions pour divers médicaments sans, à nouveau, que soit établi qu’elles soient la conséquence, directe ou indirecte, de l’amplitude de travail que dénonce M. [T].

Il s’en déduit qu’en tout état de cause, c’est à tort que le conseil de prud’hommes de Nancy a fait droit à la demande de M. [T] sur ce point. Cette décision sera infirmée

Sur l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens :

 

Le jugement entrepris sera confirmé en ce que la société Dekra International a été condamnée à verser à M. [T] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance.

Les parties conserveront toutes deux la charge de leurs propres dépens à hauteur d’appel, et leur demande formée au titre des frais irrépétibles à ce stade sera rejetées.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Confirme le jugement rendu par le prud’hommes de Nancy le 1er septembre 2021, en ce qu’il a :

– rejeté la demande de dommages et intérêts formée par M. [G] [T] au titre de l’indemnité pour travail dissimulé,

– condamné la société Dekra International à payer à M. [G] [T] la somme de 2.000 euros (deux mille euros) au titre des frais irrépétibles,

– condamné la société Dekra International aux entiers dépens de première instance,

Infirme ledit jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Condamne la société Dekra International à payer à M. [G] [T] la somme de 2.434,79 euros (deux mille quatre cent trente quatre euros et soixante dix neuf centimes) au titre des heures supplémentaires non rémunérées, outre 243,48 euros (deux cent quarante trois euros et quarante huit centimes) au titre des congés payés afférents,

Rejette les demandes formées par M. [G] [T] aux titre des indemnités de temps de trajet et de voyage et des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

Y AJOUTANT,

Déboute les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles,

Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens d’appel.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE

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