COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-4
ARRÊT AU FOND
DU 17 NOVEMBRE 2022
N° 2022/
FB/FP-D
Rôle N° RG 19/09920 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BEOU3
[N] [U] épouse [T]
C/
SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE
Copie exécutoire délivrée
le :
17 NOVEMBRE 2022
à :
Me Sébastien COURTAUD, avocat au barreau de GRASSE
Me Jacques BISTAGNE, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRASSE en date du 20 Mai 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00030.
APPELANTE
Madame [N] [U] épouse [T], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Sébastien COURTAUD, avocat au barreau de GRASSE
INTIMEE
SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Jacques BISTAGNE, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre
Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller
Madame Catherine MAILHES, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 Octobre 2022 prorogé au 17 novembre 2022.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2022
Signé par Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre et Madame Françoise PARADIS-DEISS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
Les époux [T] ont conclu le 13 mars 2013 un contrat de cogérance mandataire non salariée avec la SAS Distribution Casino France (la société) pour la gestion du magasin de vente au détail ‘Petit Casino’ à [Adresse 2], avec le statut de gérant non salarié des succursales de commerce de détail alimentaire relevant des articles L.7322-1 et suivants du code du travail et de l’accord collectif national du 18 juillet 1963 modifié.
Le contrat prévoyait une rémunération par commissions correspondant à des remises proportionnelles aux ventes réalisées, réparties entre les co-gérants à hauteur de 70% pour Mme [T] (l’appelante), 30% pour son époux.
A compter du 4 septembre 2017 l’appelante a été placée en arrêt maladie.
Par courrier du 29 novembre 2017 la société a informé les co-gérants mandataires que :
«Compte tenu de votre impossibilité, depuis le 4 septembre 2017, d’assumer l’ouverture du magasin N° C84.54 sis à [Adresse 2], qui vous a été confié, conformément à l’article 1 du contrat de cogérance mandataire non salariée que vous avez signé le 13 mars 2013, nous souhaitons rouvrir notre magasin afin de ne pas mettre en péril son exploitation et pénaliser davantage la clientèle. Par conséquent, nous vous informons par la présente que nous vous relevons provisoirement à compter du 1er décembre 2017 de vos fonctions de cogérants mandataires non salariés. »
Le 1er décembre 2017 la société a procédé à un inventaire de cession au terme duquel elle a réclamé une créance de 7 295,09 euros correspondant à un écart de marchandises et/ou espèces provenant des ventes et à un écart sur les emballages, que le couple a contestée.
La gérante a saisi le 25 janvier 2018 le conseil de Prud’hommes de Grasse d’une demande de requalification du contrat de co-gérance mandataire non salarié en contrat de travail, de rappel de salaire et d’heures supplémentaires, de congés payés afférents, d’une demande de dommages et intérêts, d’une demande de qualification de la ‘cession intervenue le 1er décembre 2017″ en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de demandes subséquentes.
Par jugement du 20 mai 2019 le conseil de prud’hommes de Grasse a :
– débouté Madame [N] [T] de l’intégralité de ses demandes;
– dit et jugé que la société Distribution Casino France a respecté les dispositions légales et conventionnelles relatives au statut de gérant mandataire non salarié;
– dit et jugé que la société Distribution Casino France a exécuté le contrat de cogérance mandataire non salariée liant les parties de bonne foi;
– dit n’y avoir lieu à faire application de l’article 700 du Code de Procédure Civile pour aucune des parties;
– dit que les dépens sont à la charge de chaque partie .
La gérante a interjeté appel du jugement par acte du 20 juin 2019 énonçant :
‘Objet/Portée de l’appel : Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués Appel total du jugement en ce qu’il a débouté des demandes suivantes :
Constater qu’il existait un véritable lien de subordination entre Madame [T] et la société Distribution Casino France
Dire et juger que le contrat conclu le 13 mars 2013 entre Madame [T] et la société Distribution Casino France est un contrat de travail,
Condamner la société Distribution Casino France au paiement des sommes suivantes:
– 74.147,76 euros bruts à titre de rappels de salaires depuis le 24 janvier 2015, outre la somme de 7.414,71 euros bruts au titre des congés payés afférents, sommes assorties des intérêts légaux et de la capitalisation de ces derniers ;
– 46.883,06 euros bruts à titre de rappels d’heures supplémentaires effectuées depuis le 24 janvier 2015, outre la somme de 4.688,30 euros bruts au titre des congés payés afférents, sommes également assorties des intérêts légaux et de la capitalisation de ces deniers
Dire et Juger que la société Distribution Casino France a commis de nombreux manquements contractuels et la condamner à verser à Madame [T] la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi;
Dire et Juger que la cession intervenue le 1er décembre 2017 s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
Condamner la société Distribution Casino France: au paiement de la somme de 2.488,71 euros à titre d’indemnité de licenciement; au paiement de la somme de 4.119,26 euros bruts à titre d’indemnité de préavis, outre la somme de 411,92 € bruts au titre des congés payés afférents; au paiement de la somme de 10.298,15 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse; à la délivrance des documents suivants, sous astreinte de 50 € par jour de retard et par document, à compter du 10ème jour suivant le prononcé de la décision: – bulletins de salaire sur les trois dernières années; – certificat de travail; – attestation Pôle Emploi.
Condamner la société Distribution Casino France au paiement de la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens’.
Lors de la visite réalisée à la demande de la gérante le 10 avril 2019 le médecin du travail l’a déclarée définitivement inapte avec la mention ‘L’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi’.
Par lettre du 21 octobre 2019 la société a notifié aux co-gérants mandataires la résiliation du contrat de cogérance mandataire en ces termes :
‘Vous ne vous êtes pas présentés le mardi 15 octobre 2019 à 13h00, à l’entretien préalable auquel vous étiez convoqués par courrier recommandé en date du 7 octobre 2019.
Au cours de cet entretien, nous devions vous exposer les faits qui nous ont contraints à envisager la résiliation de votre contrat de cogérance mandataire non-salariée, selon les modalités visées à l’article 14 de l’accord collectif national des maisons d’alimentation à
succursales, supermarchés, hypermarchés « gérants mandataires non-salariés » du 18 juillet 1963, à savoir:
Par deux avis médicaux en date du 10 avril 2019, le médecin de santé au travail a reconnu;
– Madame [T] [N] « inapte définitivement à son emploi de gérante mandataire non salariée» et
– Monsieur [T] [O] « inapte définitivement à son emploi de gérant mandataire non
salarié ».
Le médecin a indiqué dans les deux avis d’inaptitude que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi».
Comme nous vous l’aurions indiqué lors de votre entretien, tant la nature juridique de votre contrat que les dispositions particulières applicables à votre statut ne nous permettaient
d’envisager un éventuel reclassement que dans un emploi de gérant mandataire non-salarié; or, sauf à contrevenir aux conclusions écrites du médecin du travail, c’est précisément un emploi que vous ne pouvez plus occuper ; nous sommes donc malheureusement confrontés à
l’impossibilité de pouvoir vous confier la gestion de l’un de nos magasins intégrés, quelle que soit la catégorie.
Nous nous voyons donc contraints de mettre fin au contrat de cogérance mandataire non salariée qui nous lie’.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 7 juin 2022, Mme [T], appelante, demande de :
A titre principal
INFIRMER le jugement attaqué en tous points
CONSTATER qu’il existe un véritable lien de subordination entre Madame [T] et la société Distribution Casino France
DIRE ET JUGER que le contrat conclu le 13 mars 2013 entre Madame [T] et la société Distribution Casino France est un contrat de travail
DIRE ET JUGER que la société Distribution Casino France a manqué à son obligation de sécurité
DIRE ET JUGER que le licenciement notifié le 21 octobre 2019 est sans cause réelle et sérieuse
En tirer les conséquences et CONDAMNER la société Distribution Casino France au paiement des sommes suivantes pour la période de janvier 2015 à octobre 2019 :
‘ 78.947,42 euros bruts à titre de rappels de salaires pour la période de janvier 2015 à octobre 2019, outre la somme de 7.894,74 euros bruts au titre des congés payés afférents, sommes assorties des intérêts légaux et de la capitalisation de ces derniers;
‘ 69.530,30 euros bruts à titre de rappels d’heures supplémentaires pour la période de janvier 2015 à décembre 2017, outre la somme de 6.953,03 euros bruts au titre des congés payés afférents, sommes également assorties des intérêts légaux et de la capitalisation de ces derniers.
‘ 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité
‘ 3333,64 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, ainsi que 333.36 euros à d’indemnité de congés payés afférente
‘ 2.743,31 euros à titre d’indemnité de licenciement
‘ 11.667,74 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A titre subsidiaire si la cour confirme le jugement attaqué en ce qu’il a rejeté la requalification en contrat de travail
DIRE ET JUGER que le contrat conclu le 13 mars 2013 entre Madame [T] et la société Distribution Casino France n’a pas été suspendu
En tirer les conséquence et CONDAMNER la société Distribution Casino France au paiement des sommes suivantes pour la période de janvier 2015 à septembre 2019 :
‘ un rappel de commissions minimum fixé à 137.382 euros (commissions réelles versées à déduire), somme assortie des intérêts légaux et de la capitalisation de ces derniers.
Et en tout état de cause :
CONDAMNER la société Distribution Casino France:
‘ à la délivrance des documents suivants, sous astreinte de 100 € par jour de retard et par document, à compter du 10ème jour suivant le prononcé de la décision à intervenir:
bulletins de salaire mensuels de régularisation des condamnations prononcées;
attestation Pôle Emploi.
‘ 7.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile en cause de première instance et d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 14 juin 2022, la SAS Distribution Casino France, intimée, demande de :
RABATTRE l’ordonnance de clôture.
CONFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a dit et jugé que Distribution Casino France a respecté les dispositions légales et conventionnelles relatives au statut de gérant mandataire non salarié.
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a dit et jugé que Distribution Casino France a exécuté le contrat de cogérance mandataire non salariée liant les parties de bonne foi.
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a dit et jugé que Monsieur [O] [T] et Madame [N] [T] n’apportent pas la preuve d’un lien de subordination vis-à-vis de Distribution Casino France et, notamment qu’ils ont été de manière effective soumis aux ordres, aux directives et au contrôle de Distribution Casino France dans l’organisation de l exercice de leur propre travail.
A titre principal
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Madame [N] [T] de la demande tendant à voir prononcer la requalification du contrat de cogérance mandataire non salariée liant les parties en contrat de travail à durée indéterminée.
CONSTATER qu’il n’y a pas eu rupture du contrat de cogérance mandataire non salariée du fait de Distribution Casino France le 1er décembre 2017 mais que les cogérants ont simplement suspendus de la gestion du magasin à compter de cette date.
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Madame [N] [T] de l’ensemble de ses demandes liées à « la rupture du contrat de travail».
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Madame [N] [T] de la demande formulée au titre de «rappel de salaires », pour la période de janvier 2015 à septembre 2019, pour un montant de 117.398,91 outre la somme de 11.739,89 au titre des congés payés afférents, comme sans aucun fondement juridique ni commencement de preuve.
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Madame [N] [T] de la demande formulée au titre de « rappel d’heures supplémentaires », pour la période de janvier 2015 à décembre 2017, pour un montant de 46.883,06 outre la somme de 4.688,31 € au titre des congés payés afférents, comme sans aucun fondement juridique ni commencement de preuve.
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Madame [N] [T] de la demande de condamnation de Distribution Casino France d’avoir à lui payer la somme de 5.000,00 € à titre de dommages et intérêts formulées au titre de préjudice moral faute de préjudice.
DEBOUTER Madame [N] [T] de la demande de condamnation de Distribution Casino France d’avoir à lui payer la somme de 15.000,00 € à titre de dommages et intérêts formulées au titre de manquement à l’obligation de sécurité.
A titre subsidiaire
Si la cour infirme le jugement entrepris et prononce la rupture « du contrat de travail» en date du 1er décembre 2017,
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Madame [N] [T] de la demande tendant à voir prononcer la requalification du contrat de cogérance mandataire non salariée liant les parties en contrat de travail à durée indéterminée.
CONSTATER qu’il n’y a pas eu rupture du contrat de cogérance mandataire non salariée du fait de Distribution Casino France le 1er décembre 2017 mais que les cogérants ont simplement été suspendus de la gestion du magasin à compter de cette date.
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Madame [N] [T] de l’ensemble des demandes liées à «La rupture du contrat de travail s’analysant comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse».
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Madame [N] [T] de la demande formulée au titre de « rappel de salaires », pour la période de janvier 2015 à décembre 2017, pour un montant de 74.147,76 € outre la somme de 7.414,77 € au titre des congés payés afférents, comme sans aucun fondement juridique ni commencement de preuve.
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Madame [N] [T] de la demande formulée au titre de « rappel d’heures supplémentaires », pour la période de janvier 2015 à décembre 2017, pour un montant de 46.883,06 € bruts outre la somme de 4.688,31 € au titre des congés payés afférents, comme sans aucun fondement juridique ni commencement de preuve.
DEBOUTER Madame [N] [T] de la nouvelle demande formulée au titre de «rappel d’heures supplémentaires », pour la période de janvier 2015 à décembre 2017, pour un montant de 69.530,30 bruts outre la omme de 6.953,03€ au titre des congés payés afférents, comme sans aucun fondement juridique ni commencement de preuve.
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Madame [N] [T] de la demande formulée au titre «d’indemnité de licenciement », pour un montant de 2.488,71 €
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Madame [N] [T] de la demande formulée au titre «d’indemnité de préavis», pour un montant de 4.119,26 € outre la somme de 411,92 € au titre des congés payés afférents.
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Madame [N] [T] de la demande formulée au titre «de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse», pour un montant de 10.298,15 €.
DEBOUTER Madame [N] [T] de la nouvelle demande formulée au titre «de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse» pour un montant de 11.667,74 €.
A titre infiniment subsidiaire
Si la Cour confirme le jugement entrepris en toutes se dispositions.
CONSTATER que la rupture du contrat de cogérance mandataire non salariée, conclu entre les parties, est intervenue le 21 octobre 2019 du fait de l’inaptitude de Madame [N] [T] de remplir ses fonctions de gérante mandataire non salariée.
DEBOUTER Madame [N] [T] de la demande de condamnation de Distribution Casino France d’avoir à lui payer la somme de 137.382,00 € au titre de rappel de commissions pour la période de janvier 2015 à septembre 2019.
DEBOUTER Madame [N] [T] de la demande de condamnation de Distribution Casino France d’avoir à lui payer la somme de 15.000,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral par elle subi.
DEBOUTER Madame [N] [T] de la demande de condamnation de Distribution Casino France d’avoir à lui délivrer les documents sociaux visés dans ses conclusions.
DEBOUTER Madame [N] [T] de la demande de condamnation de Distribution Casino France à lui payer la somme de 7.500,00 € au litre de l’article 700 du C.P.C.
CONDAMNER Madame [N] [T] à payer à Distribution Casino France, au titre de l’article 700 du C.P.C, la somme de 2.500 €.
CONDAMNER Madame [N] [T] aux entiers dépens d’instance et d’appel, par application de l’article 696 du C.P.C, distraits au profit de Maître Jacques Bistagne, Avocat qui y a pourvu sous son affirmation de droit.
Vu l’article 455 du code de procédure civile,
L’ordonnance de clôture rendue le 7 juin 2022 a été révoquée à l’audience du 22 juin 2022 et nouvelle clôture a été rendue à cette date afin d’admettre les conclusions notifiées par le salarié le 7 juin 2022 et celles de la société le 14 juin 2022.
SUR CE
La cour rappelle à titre liminaire que les demandes des parties tendant à ‘constater’ ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile et ne donneront pas lieu à mention dans le dispositif.
Sur la demande de requalification du contrat de cogérance mandataire non salarié en contrat de travail
Il résulte des dispositions de l’article 1779 du code civil que le contrat de travail est une convention par laquelle une personne s’engage à travailler pour le compte d’une autre et sous sa subordination moyennant une rémunération.
Le contrat de travail suppose donc la réunion de ces trois conditions cumulatives.
En application de l’article L. 1221-1 du code du travail, le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pourvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner le manquement de son subordonné.
Dès lors, l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donné à leurs conventions, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.
En l’absence de contrat de travail apparent, il appartient à la partie qui entend se prévaloir de l’existence d’un contrat de travail de rapporter la preuve de l’existence d’un lien de subordination.
L’article L.7322-2 du Code du travail dispose:
«Est gérant non salarié toute personne qui exploite, moyennant des remises proportionnelles au montant des ventes, les succursales des commerces de détail alimentaire ou des coopératives de consommation lorsque le contrat intervenu ne fixe pas les conditions de son travail et lui laisse toute latitude d’embaucher des salariés ou de se faire remplacer à ses frais et sous son entière responsabilité.
La clause de fourniture exclusive avec vente à prix imposé est une modalité commerciale qui ne modifie pas la nature du contrat. »
En raison du caractère cumulatif des conditions nécessaires à l’application du statut de gérant de succursale, il suffit que l’une d’elle fasse défaut pour que le statut ne puisse être attribué.
Si le gérant non salarié d’une succursale estime que ces conditions font défaut, il peut
revendiquer le bénéfice de l’existence d’un contrat de travail.
Les contraintes inhérentes à la politique commerciale de la société qui s’imposent aux gérants de succursales au titre de leur mandat ne sont pas susceptibles d’entraîner la requalification de leur contrat en contrat de travail, au contraire des contraintes touchant à l’exercice de leur activité professionnelle, tenant aux horaires de travail à l’intérieur des ouvertures-fermetures, aux relations avec leur personnel et la clientèle, lesquelles peuvent justifier une requalification en contrat de travail.
Ainsi en cas d’instructions fréquentes, précises sur l’ensemble de l’activité et de contrôle sur place fréquent, est caractérisé un lien de subordination juridique.
Ce ne sont pas les stipulations contractuelles qui importent mais les conditions d’exercice du contrat, à savoir la possibilité effective pour les gérants d’embaucher leur propre personnel et de disposer d’une liberté dans l’organisation de leur emploi du temps.
En l’espèce, à l’appui de sa demande en requalification du contrat de gérant mandataire non salarié en contrat de travail, l’appelante fait valoir qu’en réalité elle n’était pas libre de déterminer ses conditions de travail et se trouvait au contraire placée dans une totale dépendance économique et soumise à un lien de subordination avec la société dès lors qu’elle:
– n’était pas libre de fixer les horaires d’ouverture;
– devait solliciter l’accord de la société pour la prise de ses congés payés;
– était de fait dans l’impossibilité de recruter du personnel de remplacement compte tenu de la modicité des revenus dégagés par l’activité;
– était soumise à des commandes imposées de marchandises sans choix des produits ni des quantités, génératrices de stock de périmés sans fourniture de moyens logistiques et financiers pour en assurer la gestion;
– faisait l’objet de fréquents contrôles par un représentant de la société qui lui donnait des instructions;
– se voyait imposer des opérations promotionnelles dont la période, les conditions commerciales et le marketing étaient exclusivement définis par la société.
La société soutient que l’appelante, qui avait une entière connaissance de la nature de leur convention pour avoir tenu sous ce statut un précédent magasin, ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d’un lien de subordination et réfute l’absence alléguée d’indépendance dans la gestion.
La cour dit d’abord que les contraintes invoquées inhérentes à la politique commerciale de la société qui s’imposent aux gérants au titre de leur mandat, à savoir les commandes imposées de marchandises, les opérations promotionnelles définies par la société, ne sont pas de nature à justifier une requalification en contrat de travail.
A l’analyse des pièces du dossier la cour dit ensuite que l’appelante ne produit aucun élément de nature à démontrer l’existence d’instructions et de contrôles fréquents par un représentant de la société visant à lui imposer les modalités de son activité professionnelle.
S’agissant de l’organisation de son exercice professionnel, la cour relève que sur les horaires de travail l’appelante se limite à produire son propre mail du 18 juillet 2017 à la société indiquant ‘Lors de votre première visite de magasin en guise de présentation vous avez commencé à nous parler des horaires qui ne vous conviennent pas (pas assez d’amplitude horaire) vu le Super U implanté il y a 3 ans en face, or vous n’êtes pas sans savoir qu’au U, en nombre de personnes y travaillant, ils sont 4 hors saison (32h/semaine!) et 8 en plaine saison (pour toujours 32h/semaine), si vous prenez en charge le personnel nous pourrons alors nous aligner sur leurs horaires’.
Or ses propres affirmations ne sont de pas de nature à démontrer à elles seules qu’elle était dépossédée de la fixation des horaires du magasin, encore moins de ses horaires de travail.
Il en ressort au demeurant que la gérante a maintenu son choix des horaires d’ouverture sans se conformer aux remarques prêtées au représentant de la société, étant par ailleurs observé qu’il ressort de la lettre d’acceptation de la proposition de reprise du magasin de Juan les Pins du 22 février 2013 signée des co-gérants et produite par la société, que ce sont bien ceux-ci qui ont déterminé les horaires d’ouverture du magasin, à savoir d’octobre à mars 8h-13h et 15h30-20h avec fermeture le mercredi, d’avril au 15 juin 8h-13h et 15h30-20h ainsi que le mercredi matin, du 15 juin au 15 septembre 7h-20h 7 jours sur 7.
Sur la prise de congés, la cour relève qu’il résulte du courrier circulaire du directeur commercial Petit Casino [Localité 3] du 26 août 2016 (intitulé ‘Souhaits pour congés annuels 2016″ invitant les gérants ‘Afin de planifier au mieux les congés annuels 2017″ à lui retourner au plus tard pour le 15 septembre 2016 leur ‘souhait de trois périodes de congés distinctes liées aux critères familiaux (enfants scolarisés) et aux critères économiques de votre magasin’ précisant ‘ces dates, bien sûr, sont données à titre indicatif’) que la société demandait une planification des congés et à être informée, sans toutefois que cet élément ne rapporte que les congés étaient soumis à autorisation.
L’appelante produit ensuite son mail du 18 juillet 2017 à la société par lequel il indique ‘Vous avez ensuite voulu nous supprimer 15 jours de congés par rapport à ce que nous avions demandé en nous le précisant oralement bien sûr 1 mois avant, nous n’avons pas reçu cette année la confirmation des congés par courrier comme chaque année, vous nous dites que maintenant on appelle les magasins pour leur donner l’accord pour les congés, (pourquoi plus d’écrit sur ce point ‘). N’étant pas en accord sur le sujet des congés, et que nous n’avons pas cédé, vous nous avez demandé un courrier (étonnant ! nous il faut qu’on en fasse un) précisant que nous gardions les dates de congés initiales’.
Étant relevé que cet élément n’a valeur que d’affirmation, la cour relève encore une fois qu’il s’en évince qu’elle conservait sa liberté de décider de ses prises de congés.
Mais sur la faculté d’engager des salariés ou se faire remplacer à ses frais, l’impossibilité invoquée d’y recourir effectivement, celle-ci repose sur un empêchement économique résultant de la faiblesse des commissions perçues en ce qu’elle ne percevait même pas l’équivalent du RSA, ce que la société dément en se contentant d’invoquer la clause du contrat permettant théoriquement au gérant de se faire remplacer à ses frais.
Il n’est d’abord pas discuté que les co-gérants n’ont pas procédé au recrutement de salariés notamment pour pourvoir à leur remplacement durant leurs congés, ce qu’indiquait d’ailleurs incidemment M. [X], de la direction commerciale de [Localité 3] dans son mail du 13 juillet 2017 concernant les modalités de remboursement du solde débiteur du compte général de dépôt (pièce 10) ‘je vous confirme ma réponse faite par téléphone le 12/06/2017 (date de retour de vos congés non remplacés) où cette demande était acceptée’ .
L’analyse combinée des bulletins mensuels de commissions produits par la gérante (décembre 2015, janvier à juin 2016 et décembre 2017 manquants) et de l’attestation des rémunérations brutes perçues délivrée par la société pour le paiement des indemnités journalières pour la période du 5 avril 2016 au 31 mars 2017 versé en pièce 19, fait ressortir en moyenne sur l’année un niveau de commissions, hors périodes de suspension du contrat de travail, s’établissant à:
– pour les mois de janvier à novembre 2015 à la somme de 1888,62 euros bruts, soit 1499,89 euros nets imposables
– pour les mois d’avril à novembre 2016 (en arrêt maladie à compter du 28 novembre) à la somme de 1729,55 euros bruts, soit 1356,05 euros nets imposables
– pour les mois de février à août 2017 (en arrêt maladie du 1er janvier au 12 février puis à compter du 4 septembre) à la somme de 1853,75 euros bruts, soit 1469,72 euros nets imposables
La cour relève d’une part qu’en tenant compte des périodes d’arrêts maladie le niveau de rémunération annuel chute à 1591,55 euros bruts d’avril à décembre 2016 et à 1177,74 euros bruts de janvier à novembre 2017, d’autre part que ces montants sont à corréler à la répartition choisie entre les co-gérants prévue de sorte que les commissions ainsi perçues représentaient 70 % du total des commissions leur revenant et doivent donc être appréciés au regard de la globalité des revenus dégagés par les co-gérants.
La cour constate que les bulletins de commission de son époux co-gérant ne sont pas produits mais que l’attestation de rémunérations ci-dessus mentionnée fait ressortir pour celui-ci que sur la totalité de la période d’avril 2016 à mars 2017 le montant brut de ses rémunérations s’établit à 651,09 euros bruts et que sur la période hors arrêt maladie (14 novembre 2016 au 17 février 2017) celui-ci s’établit à 812,15 euros bruts de sorte que son niveau de commissions net imposable peut être évalué respectivement à 501 euros et 624 euros.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que si le montant brut des commissions perçues par l’appelante, si l’on exclut les périodes d’arrêts maladie, est conforme au dispositif de minimum garanti stipulé au contrat de travail en application de l’article 7 de l’accord collectif du 18 juillet 1963 (retenant la part mensuelle moyenne revenant au co-gérant percevant le plus) et les avenants en fixant le montant (selon l’avenant n°60 du 26 janvier 2015 la rémunération de la gérance 1er catégorie est de 1635 euros bruts par mois et l’avenant n° 64 du 23 janvier 2017 porte ce minima à 1650 euros bruts par mois), le cumul des commissions brutes du couple n’atteignaient pas l’équivalent de deux SMIC dans son montant alors en vigueur sauf en mars 2017 (2651,65 euros en juin 2016, 2649,87 euros en juillet 2016, 2868,55 en août 2016, 2510,95 en septembre 2016, 2518,27 en octobre 2016 et 2968,48 euros en mars 2017);
Ainsi quand bien même ces rémunérations s’insèrent dans un dispositif contractuel prévoyant une prise en charge des frais occasionnés par le fonctionnement du magasin ainsi que la mise à disposition d’un logement, les éléments du dossier font ressortir que cette rémunération, compte tenu de son très faible niveau, ne laissait pas la possibilité effective à l’appelante de recruter du personnel et de se faire remplacer à ses frais durant ses congés, faute de pouvoir le rémunérer.
Cette situation, qui caractérise un lien de subordination de l’appelant avec la société, permet d’établir que cette dernière ne lui a pas laissé toute latitude d’embaucher des salariés, ce dont il résulte que l’une des conditions d’application de l’article L.7322-2 pour la reconnaissance du statut de gérant de succursale non salarié fait défaut.
En conséquence et en infirmant le jugement déféré, la cour dit que l’appelante est fondée en sa demande de requalification de son contrat de co-gérant mandataire non salarié de succursale de commerce de détail alimentaire en contrat de travail.
La cour précise qu’il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur sa demande subsidiaire de rappel de commissions fondée sur l’application de l’accord collectif national du 18 juillet 1963.
Sur le rappel de salaire de janvier 2015 à octobre 2017
Il appartient au salarié qui se prévaut d’une classification conventionnelle de démontrer qu’il assure effectivement de façon habituelle, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu’il revendique.
Les fonctions habituellement exercées, qui sont prises en compte pour déterminer la qualification d’un salarié, sont celles qui correspondent à son activité principale, et non celles qui sont exercées à titre accessoire et occasionnel.
L’annexe classification de la convention collective du commerce de détail de fruits et légumes, épicerie et produits laitiers du 15 avril 1988 prévoit pour les services commerciaux prévoit les six niveaux suivants :
‘NIVEAU : I
Désignation: Employé(e) de vente.
Description des emplois:
Employé sans aucune qualification ou moins de 6 mois d’ancienneté dans la profession. Affecté à des tâches simples connexes à la vente. Participe également au nettoyage des rayons, du magasin et des réserves. Participe à la mise en rayon. Dans l’activité sur marché, doit assurer le montage et le démontage des éventaires et la manutention du matériel et des marchandises.
NIVEAU : II
Désignation: Vendeur(se).
Description des emplois:
Employé affecté à la vente ayant le C.A.P. ou une expérience professionnelle équivalente. Capable d’encaisser le montant des ventes.
Responsable de sa caisse. Participe au nettoyage des rayons, du magasin et des réserves ainsi qu’à la mise en place des marchandises. Participe à la mise en rayon. Dans l’activité sur marché, doit assurer le montage et démontage des éventaires et la manutention du matériel et des marchandises.
NIVEAU : III
Désignation: Vendeur(se) qualifié (e).
Description des emplois:
Employé affecté à la vente. Capable d’assumer l’implantation d’un rayon sur l’indication de son supérieur hiérarchique. Capable d’encaisser le montant des ventes à l’aide d’une caisse enregistreuse. Responsable de sa caisse. Participe au nettoyage des rayons du magasin et des réserves. Participe à la mise en rayon. Dans l’activité sur marché, doit assurer le montage et démontage des éventaires et la manutention du matériel et des marchandises.
NIVEAU : IV
Désignation: Vendeur(se) hautement qualifié(e).
Description des emplois:
Employé chargé d’un rayon alimentaire traditionnel. Organise la vente, indique les quantités à commander, assure le bon écoulement des marchandises en réserve, peut répartir le travail des vendeurs moins qualifiés. Responsable de sa caisse. Peut également participer au nettoyage des rayons, du magasin et des réserves Participe à la mise en rayon. Dans l’activité sur marché, doit assurer le montage et démontage des éventaires et la manutention du matériel et des marchandises.
NIVEAU: V
Désignation: Chef de magasin 1er degré.
Description des emplois:
Assure seul ou en second la direction d’un point de vente de 0 à 10 employés. Chargé de l’approvisionnement et de la distribution. Responsable des résultats financiers du point de vente, de l’embauche et du licenciement des salariés.
NIVEAU: VI
Désignation: Chef de magasin 2e degré.
Description des emplois:
Mêmes attributions que le chef de magasin 1er degré dans un point de vente de plus de 10 employés.’
En l’espèce, l’appelante revendique la classification de chef de magasin de vente niveau V de la convention collective du commerce de détail de fruits et légumes, épicerie et produits laitiers du 15 avril 1988 et sollicite le paiement, sur la base du minimum conventionnel de cette classification, déduction faite des rémunérations déjà perçues au titre des commissions, la somme de 78 947,42 euros outre 7894,74 euros de congés payés afférents
La société conclut au rejet de la demande en faisant valoir d’une part qu’elle n’a pas la qualité de salarié, d’autre part qu’elle n’apporte aucun élément de preuve à l’appui de sa demande dont le montant a varié dans ses dernières conclusions.
Comme il a été dit précédemment les parties sont liées par un contrat de travail.
Ensuite, la cour dit que la convention collective dont le salarié demande l’application n’est pas contestée, même à titre subsidiaire.
L’appelante indique aux termes de ses écritures que ‘tandis que son époux s’occupait de la partie vente (remplissage des rayons, caisse etc ) outre du ménage et de l’entretien du magasin (160 m2), elle-même gérait la partie administrative (caisse, comptabilité, stocks, inventaires, etc )’
A l’appui elle produit des mails depuis son adresse de messagerie personnelle par lesquels elle s’adresse à la société pour organiser le retour de produits livrés et non commandés (pièce 7), pour communiquer le décompte des produits périmés, protester à l’encontre de la politique de validation de ces produits et du manque de moyens mis à leur disposition pour les gérer (pièce 9), pour demander un paiement fractionné du déficit de marchandises (pièce 10), pour demander les coordonnées d’un interlocuteur dans le but de passer commandes de produits frais et casher (pièce 11) et pour signaler une erreur de facturation de la société (pièce 20) , ainsi que d’autres mails de réclamation ou prestations portant sur l’approvisionnement, la gestion des stocks mais dont la signature commune du couple ne permet de différencier la répartition des tâches.
A l’analyse des pièces du dossier, la cour dit que la salariée produit des éléments objectifs venant corroborer la correspondance invoquée avec l’emploi de chef de magasin niveau V, applicable à celui qui assure la direction d’un point de vente, sans condition d’effectif et a la responsabilité des résultats financiers, ce qui résultait des conditions d’exercice du contrat et qui est chargé de l’approvisionnement de la distribution, missions dont elle justifie par les mails produits.
Par ailleurs s’il n’est produit aucun élément sur la responsabilité de l’embauche ou du licenciement de salariés, la cour relève que dans une situation financière qui comme il a été dit ne permettait pas le recrutement effectif de personnel, cette carence n’est pas de nature à écarter la qualification.
Il résulte de ces éléments que l’appelante rapporte qu’elle assurait effectivement de façon habituelle, dans le cadre de ses fonctions, les tâches et responsabilités relevant de la classification de chef de magasin niveau V qu’elle revendique.
Dans ces conditions elle est fondée à obtenir un rappel de salaire de janvier 2015 à octobre 2019 excepté sur les périodes durant lesquelles elle était en arrêt maladie, puisque le contrat étant suspendu, se substitue au salaire le versement d’indemnité journalières, l’intéressée ne formant aucune demande relative à des dispositions conventionnelles de maintien de salaire.
Il convient dès lors de déduire, au vu des éléments communiqués aux débats, les périodes du 28 novembre 2016 au 12 février 2017 puis à compter du 4 septembre 2017.
Ainsi en tenant compte des minima conventionnels applicables à la classification, résultant des avenants annuels relatifs aux minima bruts conventionnels 2015 (1750,16 euros), 2016 (1760,67 euros) et 2017 (2059,63 euros) qu’elle produit (pièces 13, 31, 32), des sommes effectivement perçues au titre des commissions telles que résultant des bulletins de paie et de l’attestation employeur (que ne vérifient pas les chiffres énoncés dans les écritures sauf pour 2015), la cour dit que la société est redevable d’un rappel de salaire s’établissant à la somme de 7 231,02 euros et celle de 723,10 euros de congés payés afférents.
En conséquence et en infirmant le jugement déféré, la cour condamne la société à verser à l’appelante la somme de 7 231,02 euros à titre de rappel de salaire du fait de la requalification, outre celle de 723,10 euros pour les congés payés afférents.
Sur le rappel d’heures supplémentaires
La durée légale du travail effectif des salariés est fixée à 35 heures par semaine.
Les heures effectuées au-delà sont des heures supplémentaires qui donnent lieu à une majoration de salaire de 25% pour chacune des 8 premières heures (de la 36ème à la 43ème incluse) et de 50% à partir de la 44ème heure.
En application des articles L. 3171-2 alinéa 1er et L.3171-4 du code du travail en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard de ces exigences légales et réglementaires. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Par ailleurs les disposition de la convention collectives du commerce de détail de fruits et légumes, épicerie et produits laitiers du 15 avril 1988 et son avenant n°38 du 16 juin 2000 prévoit que le rapport d’équivalence entre temps de présence et travail effectif est fixé à 38 heures de présence par semaine pour 35 heures de travail effectif de sorte que toutes les heures de présence jusqu’à la 38ème heure incluse par semaine sont rémunérées au taux normal sans majoration.
En l’espèce l’appelante réclame la somme de 69 530,30 euros de rappel d’heures supplémentaires et celle de 6 953,03 euros pour les congés payés afférents pour la période de janvier 2015 à décembre 2017.
Selon la société, en application des dispositions combinées des articles L.7321-1, L.7321-3 et L. 7322-1 du code du travail, l’entreprise propriétaire n’est responsable de l’application au profit des gérants non salariés des dispositions relatives à la durée du travail, au repos et aux congés, que si elle a préalablement fixé les conditions de travail ou que celles-ci ont été soumises à son accord, ce qui n’est pas le cas, de sorte que l’appelant n’est pas fondé en sa demande à des heures supplémentaires.
Si effectivement sous le statut de gérant non-salarié, la reconnaissance d’heures supplémentaires est subordonnée à la condition que des horaires de travail lui sont individuellement imposés par l’entreprise dès lors qu’en cette qualité il est censé organiser librement son travail, en l’occurrence du fait de la requalification du contrat de gérant mandataire non en contrat de travail, l’appelante est fondée à demander le décompte de ses heures selon le régime du droit commun.
Ainsi au soutien de sa prétention, l’appelante affirme dans ses écritures qu’étant seule avec son époux pour faire fonctionner le magasin de son ouverture à sa fermeture, elle effectuait du lundi au samedi les horaires suivants :
– de septembre à juin de 8h à 12h30 et de 15h30 à 21h (1h30 de nettoyage après la fermeture du magasin à 19h30), soit 60 heures par semaine correspondant à 25 heures supplémentaires hebdomadaires;
– en juillet-août de 6h à 13h et de 15h à 21h30 (dont 2h le matin pour la cuisson du pain et des viennoiseries avant l’ouverture à 8h et 1h30 de nettoyage après la fermeture à 20h), soit 81 heures par semaine correspondant à 46 heures supplémentaires par semaine.
A l’appui, elle produit en pièce n°35, un extrait du site capsud Utile faisant figurer les horaires du magasin Utile [Adresse 2], soit des horaires du lundi au samedi de 8h30 à 19h30.
La cour constate que ces éléments ne recoupent pas les horaires qu’elle énonce dans ses écritures mais qu’ils se rapportent en fait aux horaires du magasin super U concurrent ‘implanté en face’ évoqué par l’appelante dans son mail 18 juillet 2017 ci-dessus retranscrit et l’adresse ne correspond au demeurant pas à celle du magasin dont elle avait la charge tel que figurant sur le contrat, à savoir [Adresse 2].
La cour constate également que les horaires qu’elle énonce dans ses écritures ne correspondent pas non plus aux jours et horaires figurant dans la lettre des co-gérants du 22 février 2013 par laquelle ceux-ci informent le propriétaire de la succursale des horaires d’ouverture et de fermeture du magasin (d’octobre à mars 8h-13h et 15h30-20h avec fermeture le mercredi, d’avril au 15 juin 8h-13h et 15h30-20h ainsi que le mercredi matin, du 15 juin au 15 septembre 7/7 7h-20h) .
La cour constate encore que l’appelante ne produit aucun décompte des heures supplémentaires qu’elle allègue et que le seul décompte qu’elle opère dans ses écritures pour le calcul du rappel de salaire ne tient pas compte des absences objectivées par ses propres pièces, à savoir les congés payés (1er au 25 mai 2016 – 11 novembre au 27 novembre 2016- 05 mai au 12 juin 2017 ) et les arrêts maladie (28 novembre 2016 au 12 février 2017- à compter du 4 septembre 2017).
Dans ces conditions, la cour dit que l’appelante ne présente pas d’éléments suffisamment précis pour permettre à la société d’y répondre en produisant ses propres éléments.
En conséquence, la demande n’est pas fondée de sorte que le jugement déféré est confirmé en ce qu’il l’a rejetée.
Sur les dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité
Aux termes de l’article L.4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu, pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, de prendre les mesures nécessaires qui comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés; que l’employeur doit veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
L’article L.4121-2 du même code précise que l’employeur met en ‘uvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu’il est défini à l’article L. 1152-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
L’article L.3121-34 du code du travail dans sa rédaction applicable jusqu’au 10 août 2016 limite à 10 heures par jour la durée quotidienne de travail effectif sauf dérogations accordées dans des conditions déterminées par décret.
L’article L.3121-34 dans sa version issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, dispose qu’il ne peut être dérogé à cette durée quotidienne maximale de 10 heures qu’en cas de dérogation accordée par l’inspecteur du travail dans des conditions déterminées par décret, d’urgence, dans des conditions déterminées par décret ou dans les cas prévus à l’article L.3121-19. L’article L.3121-19 prévoit qu’une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement ou à défaut une convention ou un accord de branche peut prévoir le dépassement de la durée maximale de travail effectif en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise, à condition que ce dépassement n’ait pas pour effet de porter cette durée à plus de douze heures.
L’article L.3131-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable jusqu’au 10 août 2016, dispose que tout salarié bénéfice d’un repos quotidien d’une durée minimale de onze heures consécutives.
L’article L.3131-1 dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 l’article L.3131-1 dispose que tout salarié bénéficie d’un repos quotidien de onze heures consécutives sauf dans les cas prévus aux articles L.3131-2 et L.3131-3 ou en cas d’urgence, dans des conditions déterminées par décret.
Aux termes de l’article L.3131-2 une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement, ou à défaut, une convention ou un accord de branche peut déroger à la durée minimale de repos quotidien dans des conditions déterminées par décret, notamment pour les activités caractérisées par la nécessité d’assurer une continuité du service ou par des périodes d’intervention fractionnées.
Aux termes de l’article L.3131-3 à défaut d’accord, en cas de surcroît exceptionnel d’activité, il peut être dérogé à la durée minimale de repos quotidien dans des conditions définies par décret
Aux termes de l’article L.3121-35 du code du travail dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 applicable jusqu’au 10 août 2016 et de l’article L3121-20 dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, la durée de travail au cours d’une même semaine ne peut dépasser 48 heures.
L’article L.3132-2 du code du travail stipule que le repos hebdomadaire a une durée minimale de vingt-quatre heures consécutives auxquelles s’ajoutent les heures consécutives de repos quotidien prévues au chapitre 1er .
Par ailleurs l’article 4.2 de la convention collective applicable à la cause, prévoit que tous les salariés bénéficient d’un repos hebdomadaire d’une durée minimale de 1 jours et demie par semaine, ce repos devant être donné le dimanche et un autre jour de la semaine. Toutefois lorsque l’organisation du travail exige la présence des salariés le dimanche matin, ce repos est obligatoirement de 1 jour et demi consécutif, le dimanche après-midi et le lundi. Dans tous les cas, il doit correspondre à 35 heures de repos consécutives.
L’article 4.4 de la convention collective applicable à la cause, déterminant les fêtes légales, prévoit que les entreprises devront, en début d’année, informer les salariés des 5 jours, choisis dans cette liste, qui seront chômés et payés. Ces jours sont chômés et payés à l’ensemble du personnel de l’entreprise sous réserve pour chaque intéressé qu’il ait été présent le dernier jour de travail précédent le jour férié ou le premier jour de travail qui lui fait suite, sauf autorisation d’absence préalablement accordée. Si l’organisation du travail oblige un salarié à travailler un jour férié non chômé ou une partie de la journée, celui-ci doit bénéficier d’un repos compensateur d’une durée équivalente, si possible accolé à un 1 jour de repos hebdomadaire.
C’est à l’employeur qu’il appartient de prouver le respect des temps de repos et des durées maximales journalières ou hebdomadaires de travail.
Le seul constat du dépassement des durées maximales de travail ouvre droit pour le salarié à la réparation en ce qu’il porte atteinte à la sécurité et la santé des salariés.
L’article R.4624-10 du code du travail dans sa rédaction applicable, prévoit que le salarié doit bénéficier d’un examen médical par le médecin du travail avant l’embauche ou au plus tard avant l’expiration de la période d’essai, sauf si les conditions prévues à l’article R.4624-12 sont réunies.
L’article R.4624-16 dans sa version en vigueur jusqu’au 1er janvier 2017 dispose que le salarié bénéficie d’examens médicaux périodiques, au moins tous les vingt-quatre mois, par le médecin du travail. Ces examens médicaux ont pour finalité de s’assurer du maintien de l’aptitude médicale du salarié au poste de travail occupé et de l’informer sur les conséquences médicales des expositions au poste de travail et du suivi médical nécessaire.
Dans sa version issue du décret n°2016-1908 du 27 décembre 2016, l’article R.4624-16 prévoit le renouvellement de la visite d’information et de prévention selon une périodicité fixée par le médecin du travail en fonction des conditions de travail, de l’âge et de l’état de santé du salarié et qui ne peut excéder cinq ans.
C’est à l’employeur de justifier qu’il s’est conformé à ses obligations en matière de surveillance médicale.
Dès lors qu’un salarié recherche la responsabilité de son employeur pour manquement à l’obligation de sécurité il lui incombe d’apporter la preuve de la faute qu’il lui impute ainsi que la preuve du préjudice qui en est résulté.
En l’espèce, l’appelante invoque à l’appui de sa demande indemnitaire du chef du non respect de l’obligation de sécurité les éléments suivants:
– l’absence de surveillance médicale en ce que la société n’a organisé ni la visite médicale d’embauche et les visites périodiques alors qu’en application de l’article L.7322-1 du code du travail les gérants non salariés bénéficient de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale;
– le non respect des obligations prévues par la convention collective du commerce de détail des fruits et légumes, épiceries, produits laitiers en terme de repos hebdomadaire et de jours fériés
– l’absence de transmission des bulletins originaux de commissions depuis mars 2017 et de paiement des salaires;
– les multiples erreurs dans les relevés de commissions et plus généralement dans les sommes imputés au compte de l’appelante;
– ‘l’état déplorable du magasin confié’;
– la violation des dispositions légales et réglementaires d’ordre public afférentes aux temps de repos quotidiens et hebdomadaires, aux amplitudes horaires et durées maximales de travail au sens des articles L.3121-16 et suivants du code du travail.
La société conclut au rejet de la demande en faisant valoir que:
– elle a respecté ses obligations contractuelles et en matière sociale dans les limites fixées par l’article L.7322-1 du code du travail qui subordonne l’application aux gérants non salariés des dispositions du livre Ier de la troisième partie relative à la durée du travail, aux repos et aux congés ainsi celles de la quatrième partie relative à la santé et à la sécurité, à la fixation par elle-même ou la soumission à son accord des conditions de travail, de santé et de sécurité dans l’établissement, ce qui n’était pas le cas en l’espèce;
– l’appelant a porté le quantum de sa demande à 15 000 euros sans apporter d’élément justificatif nouveau.
La cour dit d’abord que l’examen des manquements à l’obligation de sécurité allégués s’apprécient, du fait de la requalification du contrat de gérant mandataire non salarié en contrat de travail, dans les conditions d’une relation salariée.
A l’analyse des pièces du dossier, la cour dit d’abord que l’appelante n’établit par aucun élément les manquements reposant sur l’absence de transmission en original des bulletins de commissions, sur les erreurs dans les relevés de commissions comme dans les sommes imputées au compte de l’appelante et sur l’état du magasin.
S’agissant des bulletins de commission, l’appelante se limite à produire son propre mail de réclamation du 10 juin 2017 qui ne vaut pas preuve des éléments qu’il contient et en tout état de cause elle n’explique pas en quoi l’absence de transmission des originaux des bulletins de commissions serait de nature à constituer une manquement à l’obligation de sécurité.
Sur les erreurs alléguées, l’appelante se borne à produire un mail du 31 juillet 2017 relatif à une erreur de facturation des emballages ainsi que le courrier adressé par le couple à la société le 1er décembre 2017 pour contester les comptes d’inventaire en listant des sommes figurant à tort au débit, ce qui n’établit pas la réalité de celles-ci en l’absence de tout autre élément corroborant ces affirmations et au demeurant l’appelante n’explicite pas en quoi de telles erreurs seraient de nature à constituer un manquement à l’obligation de sécurité.
Sur l’état du magasin, l’appelante produit un procès-verbal de constat d’huissier du 5 juillet 2017, documenté par des clichés photographiques, dont il ressort que :
– la porte d’accès à la réserve présente un jour de plusieurs centimètres en partie haute, sa poignée est bloquée et dépourvue de serrure en état de fonctionnement;
– le tableau électrique principal situé dans la réserve est vétuste, sans calfeutrage de nombreux fils et câbles électriques, des fils électriques pendent au dessus du lavabo à proximité du cumulus, dans les toilettes une boîte de dérivation est dépourvue de cache et les fils électriques et dominos sont à nu, des boites de dérivation sont à nu avec dominos et fils électrique à nu de part et d’autre de la porte menant au magasin;
– le four n’est pas équipé de bouton d’arrêt d’urgence;
– il règne une forte chaleur à l’intérieur de la réserve où sont installés les groupes de réfrigération (30°);
– le lavabo de la réserve est ‘extrêmement’ vétuste, les carrelages sont en mauvais état;
– d’importantes traces d’infiltrations marquent le plafond de la réserve;
– à l’intérieur des toilettes un piège à cafards rempli est posée au sol;
– dans la chambre positive, des produits périmés de plus de quatre jours sont stockés dans des paniers en plastique et jouxtent d’autres produits non périmés;
– à l’intérieur du magasin, il y a la présence de nombreux fils électriques, multipliées, câbles électriques et rallonges ‘s’entremêlent’ dans le plus grand désordre;
– l’unique sortie de secours du commerce située derrière les caisses est bloquée par l’installation d’un présentoir;
– les locaux sont dépourvus de vestiaires ou de casiers pour se changer.
Indépendamment du qualificatif prêté par l’appelante à l’état des locaux, ces constats établissent la vétusté de l’installation électrique ainsi qu’un couvert n’assurant plus une totale étanchéité au niveau de la réserve et un état général médiocre.
Ils ne font cependant pas ressortir de non-conformités avérées susceptibles de contrevenir aux obligations de l’accord national du 18 juillet 1963 modifié (qui met à la charge des sociétés la mise à disposition des gérants non salariés des locaux commerciaux, de matériel et d’équipements conformes à la réglementation en vigueur ainsi que la prise en charge de leur maintenance et leur rénovation sans précision d’obligation de faire) ni de manquement précis à l’obligation de sécurité au sens des L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail.
En revanche à l’analyse des pièces du dossier la cour dit que sont établis les manquements reposant sur :
– le non respect des règles relatives à la surveillance médicale en ce que la société ne discute pas la matérialité de l’absence de visite médicale d’embauche comme de visites périodiques et ne produit aucun élément justifiant du respect des obligations pesant sur elle, étant au surplus observé que l’article 9 de l’accord collectif du 18 juillet 1963 modifié, prévoyait l’obligation de faire bénéficier le gérant non salarié d’une visite médicale d’embauche au plus tard, dans le mois suivant son entrée dans les effectifs;
– le non respect des dispositions conventionnelles sur le repos hebdomadaire et les jours fériés dès lors que la cour relève que face aux jours de fermeture du magasin énoncés dans leur lettre d’acceptation de la co-gérance du 22 février 2013, soit la seule journée du mercredi d’octobre à mars et le mercredi matin d’avril au 15 juin, la société ne produit aucun élément de nature à justifier qu’elle s’est conformée aux droits que tire l’appelante de ces dispositions conventionnelles;
– le non respect des règles d’ordre public sur le repos quotidien et hebdomadaire, l’amplitude horaire et les durées maximales de travail dès lors que la cour relève que face aux heures d’ouverture du magasin issus de leur lettre d’acceptation de la co-gérance du 22 février 2013, quand bien même le système permet aux co-gérants de se répartir les plages horaires et de se substituer dans la responsabilité de la tenue de l’établissement, la société ne produit aucun élément de nature à démontrer qu’elle s’y est conformée.
Sur le préjudice occasionné par ces manquements à l’obligation de sécurité, l’appelant soutient que le lien ‘entre cette situation et (son) état de santé est incontestable’, en particulier le caractère préjudiciable du défaut de suivi médical alors qu’elle a été placée en arrêt de travail pour épuisement professionnel à compter du 4 septembre 2017.
A l’appui, elle produit :
– deux certificats médicaux du docteur [B], médecin généraliste, du 27 juin 2016 et du 14 mars 2017 mais qui concernent son époux;
– ses arrêts de travail pour maladie du 4 septembre 2017 au 11 décembre 2017 ainsi que l’attestation employeur destinée à la sécurité sociale faisant apparaître une suspension du contrat pour arrêt maladie du 28 novembre 2016 au 12 février 2017.
– le courrier adressé par le médecin psychiatre au médecin du travail le 21 mars 2019 préalablement à la visite médicale sollicitée par l’appelante ayant conduit à sa déclaration d’inaptitude, faisait état d’un ‘état anxieux lié à une surcharge de travail, aux sollicitations de sa hiérarchie et à l’effondrement psychique de son mari avec qui elle travaillait’.
La cour dit d’abord que le seul constat du dépassement des durées maximales de travail ou du non respect des temps de repos, ouvre droit pour l’appelant à réparation.
La cour dit ensuite au regard de l’ensemble des éléments produits que le manquement à l’obligation de sécurité a occasionné à l’appelante un préjudice qui mérite d’être réparé en lui allouant la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts.
En conséquence et en infirmant le jugement déféré, la cour condamne la société à verser à l’appelante la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à l’obligation de sécurité
Sur la rupture du 21 octobre 2019
L’inaptitude et l’impossibilité de reclassement constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Toutefois le licenciement pour inaptitude physique est sans cause réelle et sérieuse si l’inaptitude est la conséquence des agissements fautifs de l’employeur ou si celui-ci a manqué à son obligation de reclassement.
En l’espèce l’appelante demande de juger que la rupture notifiée le 21 octobre 2019 constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que son inaptitude est consécutive au manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
La société conclut d’une part au rejet de la demande fondée sur une rupture du contrat de co-gérance mandataire non salariée intervenue le 1er décembre 2017, d’autre part sur celle fondée sur la rupture de ce contrat le 21 octobre 2019 du fait de l’inaptitude médicalement constatée avec mention d’une impossibilité de tout reclassement dans un emploi.
La cour dit d’abord que la prétention de l’appelante en cause d’appel repose sur la seule rupture du contrat de co-gérance intervenue le 21 octobre 2019, date du courrier par lequel la société a notifié à l’appelant la résiliation du contrat de co-gérance en application de l’article 14 de l’accord collectif du 18 juillet 1963 modifié, par suite de son avis d’inaptitude.
Il n’y a donc pas lieu d’examiner les moyens développés par la société au soutien d’une rupture le 1er décembre 2017.
La cour dit ensuite que du fait de la requalification du contrat de co-gérance mandataire non salariée en contrat de travail, la rupture intervenue le 21 octobre 2019 s’analyse selon les règles du code du travail applicables au licenciement pour inaptitude.
Dans ses écritures l’appelante fait valoir que l’inaptitude à l’origine de la rupture résulte du manquement de la société à son obligation de sécurité. Elle ne développe pas de moyen, ne vise aucune pièce et se réfère donc implicitement aux précédents éléments invoqués à l’appui de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité.
Comme il a été précédemment dit, est établi le manquement à l’obligation de sécurité en ce que la société n’a pas respecté les règles relatives à la surveillance médicale par défaut de visite médicale d’embauche comme de visites périodiques, les dispositions conventionnelles sur le repos hebdomadaire et les jours fériés, les règles d’ordre public sur le repos quotidien et hebdomadaire, l’amplitude horaire et les durées maximales de travail.
Il a été relevé que le docteur [L], psychiatre, décrivait un sujet ayant présenté ‘un état anxieux lié à une surcharge de travail, aux sollicitation de sa hiérarchie et à l’effondrement psychique de son mari avec qui elle travaillait’, étant observé que la référence à une surcharge de travail et aux sollicitations de sa hiérarchie ne peuvent résulter que des propres doléances de l’appelante.
Plus précisément ce médecin, évoquant le parcours professionnel de l’intéressée, indique que celle-ci a ‘connu un arrêt de travail pour maladie du 04.09.2017 au 20.06.2018, initié par son médecin traitant le Dr J-L. [B], et poursuivi par nos soins, prescrit dans un contexte situationnel professionnel conflictuel’.
Il décrit ainsi les manifestations de cet état par ‘une irritabilité, une dyssomnie marquée par des cauchemars à thèmes professionnels, des ruminations diurnes et nocturnes visant les conflits en lien avec son employeur, avec une évolution sensitive et une dévalorisation narcissique ainsi que par des manifestations fonctionnelles liées à l’anxiété, telles des douleurs intercostales. Ce tableau clinique plaide, au travers de la durée et de la permanence des symptômes, en faveur d’une rupture définitive du lien employée/employeur et d’une faillite totale de la fonction de reconnaissance, empêchant toute forme de retour sur son lieu de travail’.
A l’intention du médecin du travail, le docteur [L] a conclu en indiquant ‘Nous estimons que le maintien de cette patiente dans son lieu de travail est devenu préjudiciable à sa santé. Nous estimons que la seule réponse, médicalement efficace, réside dans la mise en ‘uvre d’une inaptitude totale d’ordre médical à son poste de travail, cela afin d’espérer un apaisement du cortège de ses troubles’.
Il s’ensuit que la suspension du contrat pour maladie est consécutive à une situation de conflit professionnel et que l’inaptitude a pour origine un état anxieux chronicisé autour de ce conflit ayant définitivement altéré le lien employeur/employé et de l’effondrement psychique de son époux, faisant obstacle à toute poursuite d’une relation de travail entre ces parties.
Est donc en cause dans son rôle causal le ‘conflit’ reposant sur des éléments multifactoriels liés à la nature du statut de gérant mandataire non salarié et aux conditions d’exercice de ce contrat, sur lequel l’appelante produit ses mails de réclamation/ protestation (pièces 4, 6 à 11, 22 portant sur la subordination économique, l’absence d’autonomie dans les commandes de produits et leurs quantités, la gestion des périmés, les conditions d’exercice professionnel avec ingérence de la société) ainsi que des tracts du syndicat CGT et un article des Liaisons Sociales de septembre 2010 et secondairement l’état de santé de son époux avec lequel elle assurait la co-gestion du magasin.
Dans ces conditions la cour dit que l’appelante ne démontre pas que le manquement à l’obligation de sécurité ci-dessus établi pour les faits retenus, est à l’origine directe de son inaptitude physique .
L’appelante n’est pas fondé en sa demande en licenciement sans cause réelle et sérieuse qui repose sur ce seul moyen.
Par voie de conséquence les demandes qui en découlent au titre d’une indemnité compensatrice de préavis, d’une indemnité de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sont rejetées.
En conséquence, la cour confirme le jugement déféré en ce qu’il a rejeté les demandes en licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les intérêts
En infirmant le jugement déféré la cour dit que les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à la société de la lettre la convoquant devant le bureau de conciliation et les créances indemnitaires à compter du présent arrêt.
Il convient d’ordonner la capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil dont les conditions sont remplies.
Sur la remise des documents de fin de contrat
En infirmant le jugement déféré, il convient d’ordonner à la société de remettre à l’appelante un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées ainsi qu’une attestation Pôle Emploi et ce dans un délai de deux mois.
En revanche la cour confirme le jugement déféré en ce qu’il a rejeté la demande d’astreinte dont aucun élément n’en justifie le prononcé.
Sur les dispositions accessoires
La cour infirme le jugement déféré en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et que les dépens sont à la charge de chaque partie.
La société sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
En application de l’article 700 du code de procédure civile il est équitable que la société contribue aux frais irrépétibles que l’appelante a exposés. Elle sera en conséquence condamnée à lui verser la somme de 3 000 euros pour les frais de première instance et d’appel et sera déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement déféré en ce qu’il a :
– rejeté la demande de requalification du contrat de co-gérant mandataire non salarié de succursale de commerce de détail alimentaire en contrat de travail de Mme [T],
– rejeté la demande de rappel de salaire de Mme [T],
– rejeté la demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de Mme [T],
– rejeté la demande de Mme [T] au titre des intérêts légaux,
– rejeté la demande de Mme [T] au titre de la remise des documents de fin de contrat,
– dit n’y avoir a lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et que les dépens sont à la charge de chaque partie,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Requalifie le contrat de co-gérant mandataire non salarié de succursale de commerce de détail alimentaire en contrat de travail,
Condamne la SAS Distribution Casino France à verser à Mme [T] les sommes de:
– 7 231,02 euros à titre de rappel de salaire de janvier 2015 au 21 octobre 2019 et celle de 723,10 euros pour les congés payés afférents,
– 5 000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à l’obligation de sécurité,
Dit que les sommes allouées sont exprimées en brut,
Dit que les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à la société de la lettre la convoquant devant le bureau de conciliation et les créances indemnitaires à compter du présent arrêt,
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,
Ordonne à la SAS Distribution Casino France de remettre à Mme [T] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées ainsi qu’une attestation Pôle Emploi et ce dans un délai de deux mois,
Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la SAS Distribution Casino France à verser à Mme [T] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et d’appel,
Condamne la SAS Distribution Casino France à supporter les dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT