COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-1
ARRÊT AU FOND
DU 17 MARS 2023
N° 2023/99
Rôle N° RG 19/16328 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BFBWM
[W] [L]
C/
SAS CLINEA
Copie exécutoire délivrée le :
17 MARS 2023
à :
Me Christel ANDRAUD, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Yves TALLENDIER, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARSEILLE en date du 07 Octobre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 18/00474.
APPELANT
Monsieur [W] [L], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Christel ANDRAUD, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
SAS CLINEA prise en son établissement à l’enseigne CLINIQUE [5], sis [Adresse 3] à [Localité 4], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège., demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Yves TALLENDIER, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller
Madame Emmanuelle CASINI, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Mars 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Mars 2023
Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Monsieur [W] [L] a été engagé par la clinique [5] en qualité de concierge, suivant contrat de travail à durée déterminée, à compter du 10 juillet 2008 puis suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel (141 heures mensuelles) à compter du 1er juin 2020.
Suite à l’avis du 20 mars2017 du médecin du travail indiquant : « Poste à adapter pendant 2 mois, privilégier les demi-journées plutôt que les journées complètes. Eviter station debout prolongée », une répartition des heures de travail par roulement sur des demi-journées a été organisée selon avenants du 10 avril 2017 et du 10 juin 2017.
Le contrat de travail a été suspendu au titre d’un arrêt de travail pour cause de maladie à compter du 31 août 2017.
Le 9 mars 2018, Monsieur [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Marseille pour demander la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur, le paiement d’un rappel de salaire, d’une indemnité pour travail dissimulé, de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail et d’indemnités de rupture, notamment.
Monsieur [L] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 26 juin 2018.
Par jugement du 7 octobre 2019, le conseil de prud’hommes de Marseille a :
– dit et jugé les demandes de Monsieur [L] recevables et non prescrites.
– dit et jugé que Monsieur [L] ne rapporte pas la preuve incontestable de la réalité des heures complémentaires et/ou supplémentaires telles que sollicitées.
– en conséquence, débouté Monsieur [L] de sa demande de rappel d’heures complémentaires et/ou supplémentaires.
– dit et jugé que Monsieur [L] n’apporte pas la preuve d’un manquement de l’employeur à son égard à ses obligations en matière de durée du travail.
– dit et jugé qu’aucun travail dissimulé ne peut être retenu à l’encontre de la société CLINEA.
– en conséquence, débouté Monsieur [L] de sa demande de dommages-intérêts pour travail dissimulé.
– constaté que Monsieur [L] n’apporte aucune précision et ne verse aucun élément permettant de déterminer la période au cours de laquelle la société CLINEA a opéré des retenues disproportionnées sur les salaires, en remboursement d’un trop perçu.
– en conséquence, débouté Monsieur [L] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.
– vu l’article L.1222-1 du code du travail, en l’absence d’élément probant, débouté Monsieur [L] de sa demande de dommages-intérêts.
– vu l’article R.4624-31 du code du travail, débouté Monsieur [L] de ses demandes de rappel de salaires et celles en découlant pour la période du 20 avril au 28 juin 2018.
– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l’une ou l’autre des parties.
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
– laissé les dépens à la charge de Monsieur [L].
Monsieur [L] a interjeté appel de ce jugement.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 16 novembre 2022, il demande à la cour de:
– dire Monsieur [L] recevable en son appel.
– réformer le jugement du conseil de prud’hommes de Marseille du 7 octobre 2019 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a dit que les demandes de Monsieur [L] étaient recevables et non prescrites.
En conséquence, statuant à nouveau :
– dire que la société CLINEA s’est fautivement abstenue de régler l’intégralité des heures travaillées par Monsieur [L].
– dire que la société CLINEA n’a pas respecté les temps de pause de Monsieur [L], ni les repos quotidiens et hebdomadaires.
– dire que la société CLINEA a manqué à son obligation de sécurité.
En conséquence :
– condamner la société CLINEA au paiement des sommes suivantes :
* rappel d’heures supplémentaires de mars 2015 à mars 2018 : 3.479,13 €
* incidence congés payés sur rappel précité : 347,91 €
* rappel de salaire du 20 avril 2018 au 28 juin 2018 : 3.074,07 €
* incidence congés payés sur rappel précité : 307,40 €
* indemnité compensatrice de prévis : 2.752,26 €
* incidence congés payés sur rappel précité : 275,22 €
* indemnité de licenciement : 2.197,30 €
– ordonner à la société CLINEA, sous astreinte de 150 € par jour de retard, 15 jours à compter de la notification de jugement à intervenir, d’avoir à délivrer à Monsieur [L] les documents suivants :
* bulletins de salaire rectifiés du chef de la rémunération due.
* attestation pôle emploi rectifiée du même chef et mentionnant au titre de la rupture un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
* tout document probant attestant de la régularisation des cotisations auprès des organismes de retraire.
– dire que la cour de céans se réservera le droit de liquider l’astreinte sur simple requête de Monsieur [L].
– dire que les créances salariales précitées porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes.
– condamner en outre la société CLINEA au paiement des sommes suivantes :
* dommages-intérêts pour travail dissimulé : 8.256,78 €
* dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail : 15.000 €
* dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 30.000 €
* article 700 du code de procédure civile : 2.000 €
– dire que les créances indemnitaires précitées porteront intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir.
– ordonner la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1154 du code civil.
– condamner la société CLINEA aux entiers dépens, y compris les honoraires d’huissier qui pourraient être dus au titre de l’exécution du jugement à intervenir, ce en application des dispositions de l’article 10 du décret du 12 décembre 1996.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 22 novembre 2022, la SAS CLINEA demande à la cour de :
A titre principal :
– réformer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu que les demandes de Monsieur [L] relativement demande résiliation judiciaire du contrat de travail étaient recevables et non-prescrites.
– le confirmer pour le surplus.
A titre subsidiaire :
– confirmer le jugement entrepris.
En conséquence :
– dire et juger que la demande de résiliation judiciaire est principalement irrecevable car prescrite et subsidiairement injustifiée.
– dire et juger que les autres demandes ne sont pas fondées.
– débouter Monsieur [L] de l’intégralité de ses demandes.
– condamner Monsieur [L] au paiement d’une somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande en paiement d’heures supplémentaires
En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments, après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties. Dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, Monsieur [L] fait valoir qu’il a travaillé de 7 heures à 20 heures, sans pause déjeuner, soit 13 heures par jour, jusqu’en septembre 2016, et sollicite la somme de 3.094,59 € à titre de rappel de salaire, outre les congés payés afférents. Le fait qu’il ait pu commettre des erreurs purement matérielles dans son décompte en intégrant des jours d’absence n’est pas de nature à remettre en cause l’existence et la réalité des heures accomplies, compte tenu des nombreuses attestations corroborant sa version.
Monsieur [L] produit :
– un décompte des sommes réclamées inséré dans ses conclusions et une liste des jours concernés par le rappel de salaire (pièce 3).
– une attestation de Monsieur [P] [H] qui indique : « Je suis médecin de garde à la Clinique [5] depuis décembre 2015. Monsieur [L] [W] était déjà présent à mon arrivée. Les jours de garde où j’étais présent à la clinique durant 24h, j’ai toujours vu Monsieur [L] présent à son poste et disponible par téléphone lorsque j’avais besoin de lui. De plus, Monsieur [L] était présent de 7h15 à 20h15 et ne disposait pas de pause repas jusqu’en septembre 2016 ».
– l’attestation de Monsieur [M] [U] qui indique : « En poste depuis janvier 2014 à la clinique [5], je certifie que Monsieur [L] [W] travaillait de 7h15 jusqu’à 20h15 sans interruption, ne quittant jamais son poste de travail. Il a pu bénéficier depuis peu (septembre 2016) d’une heure de pause de 13h15 à 14h15 ».
– l’attestation de Madame [V] [B] qui atteste : « Je certifie sur l’honneur que pendant la période avril 2002 à juillet 2014, durant mes heures de travail, j’ai constaté que Monsieur [L] [W] était présent sur son poste de travail de 7h15 à 20h15 sans interruption (sans pause) et ce pour la période de juillet 2008 à juillet 2014. Je précise qu’étant agent de service hospitalier, j’apportais moi-même le plateau déjeuner à Monsieur [L] [W] sur son lieu de travail, autrement dit la loge ».
– l’attestation de Madame [C] [T] qui indique : « Je certifie sur l’honneur que pendant mes journées de travail, Monsieur [L] [W] était présent à son poste de travail de 7h15 à 20h15, sans interruption et depuis septembre 2016, la direction lui a accordé une pause d’une heure pour déjeuner ».
– l’attestation de Madame [E] [Y] qui atteste : « Je soussignée Melle [E] [Y] être rentrée au sein de la Clinique [5] en mai 2009 jusqu’en juin 2016. J’atteste également avoir côtoyé Monsieur [L] [W] en tant que concierge dans cette même clinique. Il n’avait jamais de pause (‘). En février 2016, j’ai pris un poste à l’accueil de secrétaire et j’appelais souvent Monsieur [L] pour avoir des renseignements, si les livreurs étaient arrivés ou pas, si entre midi et deux les médecins étaient sortis de la clinique. Il était toute la journée sur son poste sans avoir de pause, même le midi, soit les aides-soignantes, soit les agents de service lui apportaient son plateau repas et il mangeait au sein de la conciergerie ».
– son courrier du 20 janvier 2017 dans lequel il indique ‘je faisais des journées de 13 heures sans pause pour le déjeuner alors que la loi l’autorise ‘.
Monsieur [L] produit des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
La SAS CLINEA réplique que :
– Monsieur [L], ayant toujours été employé à temps partiel, une éventuelle demande de rappel de salaire liée à un dépassement allégué de la durée contractuelle de travail doit nécessairement être qualifiée d’heures complémentaires pour la partie comprise entre 32,04 heures ou 30,93 heures et 35 heures par semaine, puis éventuellement d’heures supplémentaires au-delà de 35 heures par semaine et Monsieur [L] ne peut pas prétendre avoir réalisé des heures supplémentaires sans avoir préalablement réalisé des heures complémentaires. Sa demande est uniquement exprimée sous la forme d’une demande de paiement d’heures supplémentaires, ce qui est nécessairement dénué de fondement sur le plan du droit. La cour n’étant saisie que du dispositif des conclusions de l’appelant, la prétention sera inévitablement rejetée.
– la pièce 3 n’est pas un décompte mais une simple liste de dates au cours desquelles l’appelant prétend avoir travaillé 13 heures par jour, laquelle liste est dépourvue de toute valeur probatoire en matière de durée du travail.
– à certaines dates indiquées, Monsieur [L] était absent, ce qui démontre le caractère mensonger de cette pièce, d’autant que le salarié va abandonner ses prétentions sur les dates ainsi relevées.
– les attestations produites sont dénuées de toute valeur probante et leurs indications ne correspondent pas à la réalité de la situation ni aux demandes du salarié.
– l’horaire était organisé selon un cycle de cinq semaines, comportant trois semaines de trente-deux heures et deux semaines de trente-trois heures et cette répartition convenue intégrait une durée quotidienne de travail de treize heures au titre de certaines journées (le samedi et le dimanche de la semaine 3 et le mercredi et le dimanche de la semaine 5). Ainsi, le décompte et la rémunération, au titre de certaines journées d’une durée de travail de 13 heures, s’inscrivent en pleine conformité avec ce planning.
Pour sa part, la SAS CLINEA ne produit aucune pièce.
*
Si Monsieur [L] a travaillé dans le cadre d’un temps partiel, celui-ci prétend avoir travaillé au-delà de la durée légale d’un travail à temps complet de sorte que sa demande de rappel de salaire porte sur des heures supplémentaires, fondement juridique dont la cour est saisie.
La pièce n°3, produite par Monsieur [L] et critiquée par la SAS CLINEA, est une liste des jours pour lesquels Monsieur [L] indique avoir travaillé 13 heures. Il s’agit d’un décompte en jours qui, mis en corrélation avec le décompte des heures supplémentaires et leur chiffrage, constitue un élément permettant d’apprécier la demande du salarié.
Monsieur [L] a actualisé en cause d’appel sa demande en corrigeant des erreurs portant sur certains jours qui étaient non travaillés. Ces erreurs ne sont pas de nature à remettre en cause la sincérité probatoire des éléments produits par le salarié, la cour constatant que, pour sa part, la SAS CLINEA ne produit aucune pièce relative au temps de travail du salarié pour les jours travaillés concernés.
Les attestations produites corroborent les prétentions du salarié, les témoins attestant notamment d’une amplitude de travail journalière et d’une absence de pause.
Ainsi, au vu des éléments produits soumis à son appréciation, la cour a la conviction que Monsieur [L] a bien accompli des heures supplémentaires et il convient de lui allouer, pour la période de mai 2015 à juin 2016 visée dans le décompte, la somme de 3.094,59 €, outre la somme de 309,45 € au titre des congés payés afférents.
Sur la demande d’indemnité pour travail dissimulé
Monsieur [L] conclut que la SAS CLINEA a eu recours à ses services en contravention avec les règles sur le travail dissimulé et sollicite une indemnité à hauteur de six mois de salaire.
La SAS CLINEA fait valoir que, si elle n’a pas réglé les heures supplémentaires, c’est qu’elle en conteste le bien-fondé et admettre un travail dissimulé reviendrait à considérer que tout litige portant sur la réalité des heures supplémentaires implique nécessairement une situation de travail dissimulé.
*
L’application des article L.8221-5 et L.8223-1 du code du travail, relatifs au travail dissimulé, implique pour le salarié d’apporter la preuve d’une omission intentionnelle de l’employeur.
Or, en l’espèce, Monsieur [L] ne démontre pas l’omission intentionnelle de la SAS CLINEA, soutenant à tort qu’il existerait une présomption en ce sens et qu’il aurait droit à indemnisation peu importe qu’il y ait, ou non, intention frauduleuse.
Dans ces conditions, la demande sera rejetée.
Sur la demande de rappel de salaire du 20 avril 2018 au 28 juin 2018
Monsieur [L] conclut que la SAS CLINEA reconnaît que l’avis du 20 mars 2018 résulte d’une visite de reprise, selon courrier du 16 mai 2018 et, dans la mesure où il n’a pas été licencié dans le délai d’un mois suivant l’avis du 20 mars 2018, il est fondé à solliciter le rappel de salaire correspondant entre le 20 avril 2018 et le 28 juin 2018, date de notification de son licenciement.
La SAS CLINEA fait valoir le contexte dans lequel a été rendu l’avis médical du 20 mars 2018 qui n’est pas intervenu à l’initiative de l’employeur mais sur la démarche de Monsieur [L]. Elle rappelle que l’avis d’inaptitude doit être précédé, en application de la loi, d’une étude de poste, d’une étude des conditions de travail dans l’établissement et d’un échange, par tout moyen, avec l’employeur. La visite médicale du 20 mars 2018, intervenue au cours d’une période d’arrêt de travail, ne remplit aucune de ces exigences obligatoires préalables à la déclaration d’inaptitude et ne peut donc valablement aboutir à l’émission d’un quelconque avis d’inaptitude. C’est ainsi que suivant courrier du 16 mai 2018, le salarié se voyait expliquer ces difficultés et a été convoqué à une visite de reprise pour le 22 mai suivant. Ainsi, elle n’avait aucune obligation de reprendre le versement des salaires à compter du 20 avril 2018.
*
Le 20 mars 2018, à l’issue de la visite médicale, qualifiée de reprise par le médecin du travail, ce dernier a rendu un avis en ces termes : « Inapte à son poste, l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».
Alors que la SAS CLINEA invoque une visite médicale de reprise du 22 mai 2018, elle ne produit pas l’avis du médecin du travail qui en serait résulté, cette pièce ne figurant pas sur son bordereau de communication de pièces. Par contre, la SAS CLINEA a reconnu, dans son courrier du 23 mars 2018, que l’avis du 20 mars 2018 était un avis d’inaptitude la dispensant de recherche de reclassement.
Ainsi, en l’état des pièces produites soumises à l’appréciation de la cour, il convient de considérer que la SAS CLINEA avait bien l’obligation de reprendre le paiement du salaire à compter du 20 avril 2018, correspondant au délai d’un mois suivant la date de la visite médicale de reprise, et ce jusqu’à la date du licenciement, en application des dispositions de l’article L.1226-4 du code du travail.
Il convient donc de condamner la SAS CLINEA à payer à Monsieur [L] la somme de 3.074,07 €, outre la somme de 307,40 € au titre des congés payés afférents.
Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail
Sur le fondement de l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail et de l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur, Monsieur [L] fait valoir que :
– la société CLINEA n’a pas fait mention de l’intégralité des heures travaillées sur les bulletins de salaire, lui causant ainsi un préjudice dans le cadre du calcul de ses droits à pôle emploi et de ses droits à la retraite qui ne peut être réparé par le seul rappel de salaire alloué, dans la mesure où il a subi un préjudice distinct résultant de la perte de pouvoir d’achat quotidien et d’une imposition fiscale pour deux ans de rappel de salaire.
– il a été dans l’impossibilité de pouvoir prendre une pause déjeuner pendant de nombreuses années, le conduisant à un état d’épuisement professionnel et engendrant un arrêt de travail par son médecin traitant à compter du 31 août 2017 qui débouchera sur son licenciement pour inaptitude. La société CLINEA a manqué à son obligation de sécurité en contribuant par son inertie fautive à son état d’épuisement professionnel et de dépression. La société CLINEA n’a pas respecté son repos hebdomadaire, ce qu’il dénonçait dans deux courriers des 12 juin et 26 juillet 2017, demeurés sans réponse. La société CLINEA n’a pas respecté les dispositions légales sur le temps de travail quotidien et le temps pause en l’obligeant à travailler 13 heures par jour, sans pause.
– la société CLINEA a opéré des retenues disproportionnées sur ses salaires, en remboursement d’un trop perçu de complément employeur, de sorte qu’il s’est retrouvé sans salaire pendant trois mois.
La SAS CLINEA réplique que les préconisations du médecin du travail ont été scrupuleusement respectées notamment quant à l’organisation des journées de travail et le médecin du travail ne l’a jamais alertée sur une prétendue méconnaissance de ses préconisations ; qu’elle n’a jamais imposé au salarié de se maintenir en position débout toute la journée ; que jusqu’à ses courriers des 12 juin et 26 juillet 2017, Monsieur [L] n’a jamais formulé la moindre doléance ni évoqué la moindre difficulté à tenir son poste ni jamais saisi les représentants du personnel d’une quelconque difficulté ; que s’il avait estimé que l’employeur était à l’origine de la dégradation de son état de santé, il n’aurait pas hésité à formuler une demande de reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie alléguée, ce qu’il n’a pas fait.
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Il résulte des éléments produits que Monsieur [L] a travaillé 13 heures certains jours. La SAS CLINEA n’a pas assuré à son salarié le bénéfice du temps de pause journalier et a violé les règles relatives à la durée du travail et aux repos quotidien et hebdomadaire.
Alors que selon l’avis du médecin du travail du 20 mars 2017, il a été indiqué ‘éviter station debout prolongée’, il ressort du certificat médical du médecin du travail établi le 7 juin 2017 : ‘Monsieur [L] a été vu en visite de reprise le 20 mars 17 concluant à la nécessité d’adapter son poste. D’après lui les préconisations n’ont pas été suivies. Le salarié est revenu peu de temps après suite à des douleurs importantes. Je n’ai pas réussi à joindre l’employeur à ce moment là’.
La SAS CLINEA se contente de produire une photographie d’une pièce, qu’elle désigne comme étant la loge du concierge, mais ne justifie pas des mesures concrètes qu’elle a mises en place dans l’organisation du travail du salarié pour s’assurer du respect de la prescription du médecin du travail quant à l’évitement de la station debout.
Il ressort également du certificat médical du docteur [G] du 20 décembre 2017 que Monsieur [L] souffre de troubles ‘anxiodépressifs que le patient a rapporté à des difficultés dans ses conditions de travail’.
Le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité est caractérisé.
Par ailleurs, si Monsieur [L] a été rétabli dans ses droits au regard du paiement des heures de travail effectuées et si le préjudice résultant du retard du paiement des heures de travail sera indemnisé par les intérêts moratoires, il ressort des bulletins de salaire des mois de février 2017 et de septembre 2017 que la SAS CLINEA a opéré des retenues au titre d’un ‘trop perçu’, portant la rémunération nette versée à Monsieur [L] à zéro euro. La SAS CLINEA ne s’explique pas sur ces retenues qui ont privé le salarié de ses moyens de subsistance.
Ainsi, l’exécution fautive du contrat de travail par l’employeur est caractérisée et il convient d’accorder à Monsieur [L] la somme de 3.000 € à titre de dommages-intérêts.
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
– sur la prescription de l’action :
La SAS CLINEA fait valoir que la demande de résiliation judiciaire est une action en lien avec l’exécution du contrat de travail qui se prescrit par deux ans; qu’en l’espèce, l’action est motivée par référence à une durée de travail prétendument excessive, ainsi que par l’absence alléguée de pause, situation qui aurait débuté au mois de mars 2015; qu’ainsi, dès cette date, Monsieur [L] avait connaissance des faits lui permettant d’exercer son droit et il lui appartenait de saisir la juridiction prud’homale au mois de mars 2017 au plus tard ; qu’il serait contraire aux dispositions de l’article L.1471-1 du code du travail de retenir que l’action en résiliation judiciaire du contrat serait soumise à un délai de prescription de trois ans des salaires.
Monsieur [L] soutient la SAS CLINEA fait une lecture erronée des dispositions applicables et aucun texte ne prévoit un délai de prescription pour agir en résiliation judiciaire, le juge devant simplement en pareille hypothèse vérifier la gravité des manquements commis pour apprécier le bien fondé de la demande de résiliation judiciaire ; que la demande de résiliation judiciaire porte sur l’absence de paiement de l’intégralité des heures travaillées et qu’il est constant que l’action en paiement des salaires se prescrit par trois ans et n’est en l’espèce nullement couverte par la prescription.
*
En l’espèce, il ressort des conclusions de Monsieur [L] qu’il invoque, au soutien de sa demande en résiliation judiciaire du contrat de travail, les manquements de l’employeur suivants : le non- paiement de l’intégralité des heures travaillées, le non-respect des préconisations de la médecine du travail s’agissant de l’absence de station debout prolongée, le manquement à l’obligation de sécurité en ce qu’il a été victime d’un épuisement professionnel puis d’une grave dépression en lien avec son travail, du fait du non respect des temps de pause pendant plusieurs années et du repos hebdomadaire.
Ainsi, le non respect des préconisations de la médecine du travail et le manquement à l’obligation de sécurité ont perduré au moins jusqu’au 31 août 2017, date de l’arrêt de travail de Monsieur [L] qui a saisi le conseil de prud’hommes dans l’année, soit le 9 mars 2018.
Par ailleurs, le juge saisi d’une action en résiliation judiciaire du contrat de travail doit examiner l’ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté, de sorte que l’ensemble des manquements invoqués par Monsieur [L] doivent être pris en considération par la cour.
L’action n’est donc pas prescrite.
– Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :
En cas d’action en résiliation judiciaire suivie, avant qu’il ait été définitivement statué, d’un licenciement, il appartient au juge d’abord de rechercher si la demande de résiliation judiciaire était justifiée et seulement ensuite le cas échéant de se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.
Le salarié est admis à demander la résiliation judiciaire du contrat de travail en cas d’inexécution par l’employeur des obligations découlant du contrat.
Les manquements de l’employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être établis par le salarié et d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
Il a été jugé que la SAS CLINEA avait manqué aux règles relatives à la durée du travail, au repos quotidien et hebdomadaire du salarié, n’avait pas payé l’intégralité des salaires et avait manqué à son obligation de sécurité.
Ces manquements de l’employeur, du fait de leur nature, de leur répétition et de leur durée, sont d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail et justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail de celui-ci, à effet du 26 juin 2018, date du licenciement.
La résiliation judiciaire du contrat de travail doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence, il convient d’accorder à Monsieur [L] la somme de 2.197,30 € au titre de l’indemnité de licenciement, la somme de 2.752,26 € au titre de l’indemnité de préavis et la somme de 275,22 € au titre des congés payés afférents (sommes réclamées dans le dispositif). La SAS CLINEA, qui conclut que ces sommes ont été réglées au salarié, ne produit aucune pièce le justifiant (ni le reçu pour solde de tout compte, ni le bulletin de salaire correspondant, ni l’attestation pôle emploi).
Au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, Monsieur [L] soulève la non-conformité du barème issu de l’article L.1235-3 du code du travail aux conventions internationales, à savoir à l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT et à l’article 24 de la Charte sociale européenne du 3 mai 1996, textes ratifiés par la France.
Toutefois, le barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse n’est pas contraire à l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail, en ce qu’il tient compte de l’ancienneté du salarié, de son niveau de rémunération, et de la gravité de la faute commise par l’employeur, étant rappelé que le licenciement injustifié visé par l’article 10 couvre à la fois le licenciement sans cause réelle et sérieuse et le licenciement nul. En outre, si Monsieur [L] se prévaut également des dispositions de la Charte sociale européenne, il convient de rappeler que la loi française ne peut faire l’objet d’un contrôle de conformité à l’article 24 de cette Charte, qui n’est pas d’effet direct. L’article L.1235-3 du code du travail doit donc recevoir application.
Compte tenu de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (42 ans), de son ancienneté (9 ans révolus), de sa qualification, de sa rémunération (1.378,13 €), des circonstances de la rupture mais également de l’absence de toute justification de sa situation professionnelle postérieurement à la rupture du contrat de travail, il sera accordé à Monsieur [L] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 5.000 €.
La remise d’une attestation Pôle Emploi, d’un certificat de travail, d’un document attestant de la régularisation des cotisations auprès des organismes de retraite et d’un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt s’impose sans qu’il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance de la SAS CLINEA n’étant versé au débat.
Sur les intérêts
Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation, soit à compter du 12 mars 2018, et les sommes allouées de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Il convient d’ordonner la capitalisation des intérêts qui est de droit lorsqu’elle est demandée.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront infirmées.
Il est équitable de condamner la SAS CLINEA à payer à Monsieur [L] la somme de 2.000€ au titre des frais non compris dans les dépens qu’il a engagés en première instance et en cause d’appel.
Les dépens de première instance et d’appel seront à la charge de la SAS CLINEA, partie succombante par application de l’article 696 du code de procédure civile.
En cas d’exécution forcée, le droit proportionnel à la charge du créancier ne peut être perçu quand le recouvrement ou l’encaissement de sommes par un huissier mandaté est effectué sur le fondement d’un titre exécutoire constatant une créance née de l’exécution d’un contrat de travail, par application des dispositions des articles R444-53 et R444-55 du code de commerce.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et en matière prud’homale,
Infirme le jugement déféré sauf en ses dispositions ayant dit recevables et non-prescrites les demandes du salarié et en ses dispositions ayant rejeté la demande d’indemnité pour travail dissimulé, la demande d’astreinte et la demande au titre du droit proportionnel de l’huissier,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse à compter du 26 juin 2018,
Condamne la SAS CLINEA à payer à Monsieur [W] [L] les sommes de:
– 3.094,59 € de rappel de salaire au titre d’heures supplémentaires,
– 309,45 € au titre des congés payés afférents,
– 3.074,07 € à titre de rappel de salaire du 20 avril 2018 au 28 juin 2018,
– 307,40 € au titre des congés payés afférents,
– 2.752,26 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 275,22 € au titre des congés payés afférents,
– 2.197,30 € au titre de l’indemnité de licenciement,
– 3.000 € à titre de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,
– 5.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Ordonne la remise par la SAS CLINEA à Monsieur [W] [L] d’une attestation Pôle Emploi, d’un certificat de travail, d’un document attestant de la régularisation des cotisations auprès des organismes de retraite et d’un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt,
Dit que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 12 mars 2018 et les sommes allouées de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par la loi,
Condamne la SAS CLINEA aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Ghislaine POIRINE faisant fonction