Épuisement professionnel : 16 novembre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02231

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Épuisement professionnel : 16 novembre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02231

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 NOVEMBRE 2022

N° RG 20/02231

N° Portalis DBV3-V-B7E-UC5J

AFFAIRE :

[T] [D]

C/

SA TRANSDEV

ILE DE FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 3 septembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de BOULOGNE-

BILLANCOURT

Section : E

N° RG : F 18/01390

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Boris CARDINEAUD

Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT

Copie numérique adressée à :

Pôle Emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [T] [D]

née le 28 janvier 1973 à [Localité 8]

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Boris CARDINEAUD, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1325

APPELANTE

****************

SA TRANSDEV ILE DE FRANCE

N° SIRET : 383 607 090

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL LM AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629 et Me Annie GULMEZ de la SELARL AAZ, Plaidant, avocat au barreau de MEAUX, vestiaire : 31, substitué à l’audience par Me Guillaume DEHAINE, avocat au barreau de Paris

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 6 octobre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Mme [D] a été engagée par la société Transdev en qualité de responsable d’exploitation au dépôt de [Localité 6] en Seine-et-Marne, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 31 août 2015. Le dépôt était rattaché à l’établissement de [Localité 12] (77).

Cette société est spécialisée dans transport routier régulier de voyageurs. Elle emploie plus de 10 salariés et applique la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950.

La salariée a été convoquée par lettre du 14 février 2018 à un entretien préalable en vue d’un éventuelle sanction pouvant aller jusqu’au licenciement, fixé le 5 mars 2018.

L’arrêt de travail de la salariée a été prolongé le 6 février 2018 jusqu’au 2 avril 2018 et elle ne s’est pas présentée à l’entretien préalable.

Par lettres des 5 et 12 mars 2018, la salariée a dénoncé une situation de harcèlement moral depuis septembre 2017 de la part de sa responsable Mme [O].

La salariée a été en arrêt de travail à compter du 23 avril 2018 .

Le 15 novembre 2018, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt afin de dénoncer une situation de harcèlement moral.

L’arrêt de travail de la salariée s’est achevé le 20 novembre 2018 et le médecin du travail a conclu à l’inaptitude de Mme [D]

Le 29 avril 2019, la société Transdev a adressé à Mme [D] des propositions de reclassement pour 6 postes disponibles au sein de la société et des filiales du groupe, refusées le 4 mai 2019 par la salariée.

Par lettre du 14 mai 2019, la salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 24 mai 2019 auquel elle ne s’est pas présentée.

La salariée a été licenciée par lettre du 4 juin 2019 pour inaptitude dans les termes suivants:

« Nous avons le regret de vous notifier par la présente votre licenciement en raison de votre inaptitude à votre poste de Responsable d’Exploitation constatée par le médecin du travail et à la suite de laquelle votre reclassement s’est révélé impossible.

En effet, vous avez été auscultée le 20 février 2019 par le médecin du travail qui a émis un avis d’inaptitude sur lequel il a porté les précisions suivantes : « Ne peut pas avoir d’activité professionnelle sur tout le département de la Seine et Marne, peut occuper un poste de responsable d’exploitation ou tout autre activité administrative sur tout site en dehors du 77. »

Conformément à nos obligations, nous avons procédé à une recherche de postes au sein du groupe TRANSDEV auquel notre société appartient, dans le périmètre de reclassement, compatibles avec les conclusions et indications relatives au reclassement que le médecin du travail a formulé et pouvant correspondre à vos capacités et souhaits.

En date du 25 avril 2019, nous avons informé et consulté les Délégués du Personnel sur les possibilités de reclassement et notamment sur les postes ouverts et pouvant correspondre à vos restrictions médicales.

Par courrier daté du 29 avril 2019, nous vous avions proposé les postes de

Responsable d’exploitation à [Localité 15] (68)

Adjoint au directeur d’exploitation à [Localité 5] (95)

Responsable QSE et Méthode à [Localité 16] (91)

Responsable Bureau études et méthodes à [Localité 14] (78)

Chargé d’études et méthodes à [Localité 11] (91)

Responsable d’exploitation à [Localité 7](86)

Par courrier en date du 04 mai 2019 vous nous avez fait part de votre refus des six postes proposés en reclassement.

Ne disposant pas d’autre poste disponible correspondant aux préconisations du médecin du travail et à vos compétences et souhaits, nous nous trouvons dans impossibilité totale de vous reclasser ce dont nous vous avons informée.

Nous n’avons, par ailleurs, aucune possibilité d’envisager de mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants (dont [Localité 10]) ou aménagement de votre temps de travail, compte tenu de l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail t des restrictions qu’il a émises.

Par conséquent nous ne pouvons maintenir votre contrat de travail.

Nous vous informons que votre état de santé ne vous permet pas de travailler pendant une durée couvrant celle du préavis, qui, en conséquence, ne donnera pas lieu à une indemnité compensatrice de préavis. Votre licenciement prend donc effet à la date d’envoi de la présente. »

Le 2 juillet 2019, Mme [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt afin de contester son licenciement pour inaptitude et obtenir le paiement de sommes de nature indemnitaire.

Par jugement du 3 septembre 2020, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a :

– ordonné la jonction des affaires enregistrées sous les numéros de registre 19-850 et 19-1390,

– dit que Mme [D] n’a pas été victime de harcèlement moral,

– dit le licenciement de Mme [D] pour invalidité fondé sur une cause réelle et sérieuse,

– débouté Mme [D] de l’intégralité de ses demandes indemnitaires,

– reçu la société Transdev Ile-de-France dans sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’en a débouté,

– condamné Mme [D] puisque demanderesse intégralement déboutée, aux entiers dépens.

Par déclaration adressée au greffe le 9 octobre 2020, Mme [D] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 28 juin 2022.

PRETENSIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 mars 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [D] demande à la cour de :

– infirmer le jugement en ce qu’il a :

. dit qu’elle n’a pas été victime de harcèlement moral,

. dit le licenciement pour invalidité fondé sur une cause réelle et sérieuse,

. l’a déboutée de l’intégralité de ses demandes indemnitaires,

. l’a condamnée puisque demanderesse intégralement déboutée aux entiers dépens,

et, statuant à nouveau,

à titre principal,

– condamner la société Transdev Ile-de-France à lui verser les sommes suivantes :

. 30.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

. 34.052,88 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement nul,

à titre subsidiaire,

– condamner la société Transdev Ile-de-France à lui verser la somme de 21 283,05 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en tout état de cause,

– condamner la société Transdev Ile-de-France à lui verser les sommes suivantes :

. 12 769,83 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

. 1 276,98 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

. 4 121,99 euros nets à titre de rappel d’indemnité conventionnelle de licenciement,

. 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Transdev Ile-de-France aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 28 décembre 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Transdev demande à la cour de :

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt du 4 septembre 2020 dans toutes ses dispositions et notamment en ce qu’il a :

. dit que Mme [D] n’a pas été victime de harcèlement moral,

. dit que le licenciement de Mme [D] était fondé sur une cause réelle et sérieuse,

. débouté Mme [D] de l’intégralité de ses demandes indemnitaires,

en conséquence,

– dire Mme [D] mal fondée en ses demandes,

– débouter Mme [D] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– condamner Mme [D] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [D] aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur la rupture

La salariée invoque l’existence d’une situation de harcèlement moral et de stress occasionnés par différents incidents qui ont eu des répercussions directes sur son état de santé.

L’employeur réplique que la salariée tente d’échapper à l’examen des motifs du licenciement parce qu’elle se sentait menacée dans son poste en raison de ses manquements professionnels. Il soutient qu’aucun fait ne saurait être assimilé à des agissements répétés de harcèlement moral.

Sur le harcèlement moral

L’article L. 1152-1 du code du travail dispose qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l’article L. 1154-1, lorsque survient un litige relatif à l’application de l’article L. 1152-1 le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au cas présent, la salariée indique avoir été victime des faits suivants de la part de son employeur:

– un dénigrement systématique

La salariée énonce ce fait sans le caractériser et sans offre de preuve de sorte que le fait n’est pas établi.

– des sanctions disciplinaires non fondées et des reproches injustifiés

La salariée a reçu le 22 décembre 2017 une lettre de Mme [O] dont l’objet est ‘ manquements professionnels’ dont il est admis par les parties qu’elle constitue un avertissement,

La salariée conteste les manquements invoqués sans expliquer en quoi ils sont injustifiés et sans solliciter l’annulation de la sanction devant l’employeur puis en justice.

L’employeur a également adressé des reproches à la salariée lors de l’entretien annuel d’évaluation de l’année 2017 tenu le 16 janvier 2018.

S’agissant de cette lettre et de l’évaluation, la salariée se borne à soutenir que les reproches de l’employeur sont injustifiés sans les définir et ne produit aucune pièce au soutien de ses déclarations.

En revanche, la salariée a fait l’objet le 14 février 2018 d’une nouvelle convocation à un l’entretien préalable pouvant aller jusqu’au licenciement.

Cette procédure, initiée pendant son congé maladie, n’a pas abouti et il ressort de l’ensemble des échanges entre les parties entre février et avril 2018 que la salariée a sollicité des explications de l’employeur à propos de ces manquements et proposé une mobilité afin de ne plus travailler avec Mme [O], ce qui a été accepté par l’employeur.

Les manquements ayant justifié une nouvelle procédure disciplinaire en février 2018, n’ont pas été suffisamment importants voire établis par l’employeur pour maintenir cette procédure en cours.

Dès lors, l’employeur a au moins initié une procédure disciplinaire et formulé des reproches, lesquels reproches sont mentionnés pour la première fois dans les dernières conclusions de l’employeur sans que ces reproches ne reposent sur des faits matériellement vérifiables et donc justifiés.

Dès lors, les faits de sanctions disciplinaires et de reproches injustifiés sont partiellement établis.

– les contacts professionnels pendant ses arrêts maladie et la convocation à un l’entretien préalable pendant son arrêt maladie ainsi que les menaces adressées par sa hiérarchie son avenir professionnel dans la société

La salariée a été en arrêt de travail le 24 janvier 2018 jusqu’au 9 février 2018 pour ‘ épuisement professionnel’, cet arrêt a été prorogé par le médecin traitant de la salariée le 6 février jusqu’au 9 mars 2018, renouvelé le 2 mars jusqu’au 6 avril 2018.

Par SMS du 2 février 2018 M. [R], ami de la salariée, a indiqué à Mme [O] :’ je constate des appels de votre part mais [T] ne peut vous répondre. Puis je transmettre un message », Mme [O] répondant à M. [R] qu’elle souhaitait ‘pouvoir parler à Mme [D]’ et de lui demander quand la salariée était disponible.

L’employeur produit la liste des appels de Mme [O] de la journée du 2 février 2018, ce qui n’exclut pas des appels antérieurs de sa part.

Mme [O] a ensuite convoqué la salariée le 14 février 2018 à un entretien préalable en vue d’un éventuelle sanction pouvant aller jusqu’au licenciement, fixé le 5 mars 2018.

Quand bien même la procédure de licenciement peut être engagée pendant la période de suspension du contrat, le fait que la salariée a reçu cette convocation pendant son arrêt maladie est établi.

Le même jour, le 5 mars 2018, la salariée a dénoncé à l’employeur la situation de harcèlement moral subie de la part de Mme [O] et il ressort des échanges entre les parties qu’un entretien entre la salariée et Mme [O] a été organisé le 9 mars 2018 dans un lieu ‘ neutre’, un café, en présence de deux représentants du personnel, pendant l’arrêt maladie de la salariée.

La salariée affirme que Mme [O] lui a proposé lors de cette rencontre une ‘ transaction financière afin de conclure une rupture conventionnelle … à signer pour le 16 mars 2018 au risque qu’elle continue la procédure’. La salariée ajoute que Mme [O] lui a également dit qu’elle ‘ pouvait entamer une procédure auprès des tribunaux compétents, mais que le temps qu’elle aboutisse, elle aurait ( cf Mme [O]) quitté le groupe et que cela ne lui importait peu.’.

Ces faits ne sont pas contestés par l’employeur qui ne communique aucune attestation de Mme [O].

A la suite de cette rencontre, la salariée a de nouveau dénoncé le harcèlement moral par lettre du 12 mars 2018 en sollicitant du directeur du pôle Ile de France Est une explication objective sur la réalité de ses manquements, la salariée précisant que si ces manquements étaient avérés, elle s’engageait ‘ à travailler’ et indiquant qu’elle refusait tout ‘chantage’ en relatant les circonstances ayant amené Mme [O] à lui proposer une rupture conventionnelle.

En conclusion de sa lettre, la salariée proposait une mobilité pour apporter une solution à cette situation.

Les responsables du Pôle Ile de France Est ont reçu la salariée, avec son accord, le 19 mars 2018, cette dernière les remerciant de la célérité de l’organisation de l’entretien.

L’arrêt maladie s’étant achevé le 2 avril 2018, la salariée a été en position de RTT puis en congés payés du 9 au 20 avril 2018, dans l’attente de son affectation à un nouveau poste, la directrice des ressources humaines lui indiquant qu’elle devait lui transmettre la convocation à la visite de reprise à compter du 23 avril 2018.

Par ailleurs, la salariée a fait part le 13 avril 2018 à la directrice des ressources humaines de son accord pour occuper un poste temporaire dans l’établissement de [Localité 13], un entretien avec le directeur étant à fixer.

La salariée a rencontré le 17 avril 2018 le directeur du dépôt de [Localité 13] et a renoncé le 19 avril 2018 à la proposition de mobilité en raison de l’éloignement de son nouveau domicile et ayant le ‘ sentiment’ que son futur poste n’était pas défini, aucun poste de responsable d’exploitation n’étant disponible.

La salariée a été en arrêt de travail le 23 avril 2018, ensuite prorogé à plusieurs reprises.

N’ayant pas accepté la proposition de mobilité temporaire, la salariée devait retrouver son poste initial à l’issue de son arrêt maladie.

Toutefois, Mme [O] a informé les membres du comité d’établissement le 26 avril 2018 que ‘Mme [D] ne regagnera pas son poste en tant que chef d’exploitation, un autre poste lui ayant été proposé’.

Enfin, l’employeur a pris acte le 7 mai 2018 du refus de la salariée de la mission temporaire proposée sur le dépôt de [Localité 9] Pont aux dames et a demandé à la salariée de reprendre ses fonctions à la suite de la suspension de son contrat de travail, tout en indiquant ne pas partager son analyse ni sa présentation de la situation.

Dans ce contexte, quand bien même ils auraient été sollicités par la salariée et auraient eu pour objet selon l’employeur de prendre de ses nouvelles, les contacts entre Mme [O] et la salariée sont établis pendant ses arrêts maladie.

La chronologie des faits établit que le comportement Mme [O] avait pour finalité le licenciement de la salariée, laquelle a tout mis en oeuvre, pendant son arrêt de travail, pour démontrer sa motivation et tenter de trouver une issue à cette situation, afin ne pas perdre son emploi comme cela résulte de l’ensemble des échanges versés au dossier.

Les menaces invoquées par la salariée quant à son avenir professionnel dans la société sont établies et plus particulièrement pendant son arrêt maladie.

En définitive, plusieurs faits invoqués par la salariée sont établis.

L’état de santé de la salariée s’est dégradée puisqu’elle a été en arrêt de travail pendant plusieurs mois.

Sollicité par le médecin du travail, le docteur [U], spécialiste des maladies professionnelles, explique que la salariée a développé un trouble anxieux nécessitant un suivi psychiatrique et un traitement anxiolytique et conduisant à une mise à l’écart de l’environnement professionnel à partir de janvier 2018 dans le cadre d’un arrêt de travail pour ‘épuisement professionnel’. Il ajoute que ‘dans ce contexte, du fait d’un lien vraisemblable entre l’état de santé de Mme [D] et ses conditions de travail, une reprise du poste semble compromise et une inaptitude paraît être un moyen médicalement indiqué pour extraire Mme [D] de son vécu délétère.’.

De ce qui précède, la salariée présente des faits qui permettent de supposer l’existence d’un harcèlement moral susceptible d’avoir eu pour effet une dégradation de son état de santé.

Il revient dès lors l’employeur de prouver que ses décisions sont étrangères à tout harcèlement moral.

L’employeur reconnaît lui-même dans ses conclusions que la salariée a compris qu’elle risquait de perdre son emploi et il ne conteste pas avoir reçu des lettres d’alerte de la salariée dénonçant un harcèlement moral.

Toutefois, il ne justifie pas que le comportement de Mme [O], la directrice de la salariée, était étranger à tout harcèlement ni qu’il a lui-même adopté une ‘démarche d’apaisement et d’écoute’ notamment en continuant à rechercher des mobilités disponibles au sein du groupe, un seul entretien ayant été organisé le 31 mai 2018 auquel la salariée n’a pas pu se rendre et aucune suite n’y a été donnée avant le 8 octobre 2018.

En tout état de cause, l’employeur a proposé en avril 2018 une unique mobilité à la salariée alors que son contrat était encore suspendu, et ce avant toute visite de reprise.

Quand bien même l’employeur a pu relever des insuffisances professionnelles de la salariée , ce dont elle a eu connaissance, il se borne à contester des faits qui ont cependant été admis par la cour comme étant établis sans apporter des éléments propres à justifier que ses agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral.

Dès lors, le harcèlement moral est établi ce qui conduit à réformer le jugement entrepris.

Le préjudice de la salariée qui sera intégralement réparé par une indemnité de 3 000 euros nets, somme au paiement de laquelle, infirmant le jugement, l’employeur sera condamné.

Sur la nullité du licenciement

La salariée fait valoir que l’inaptitude définitive à son poste de travail a pour seule origine son état dépressif réactionnel aux agissements de harcèlement moral dont elle a fait l’objet, ce que conteste l’employeur.

Aux termes de l’article L.1152-3 du contrat de travail, toute rupture du contrat intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 à L. 1152-3, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Au cas présent, l’inaptitude de la salariée présente un lien avec le harcèlement moral qu’elle a subi sur son lieu de travail. En effet, ses avis d’arrêt de travail mentionnent son état dépressif et le médecin spécialiste des maladies professionnelles, a relevé, comme indiqué précédemment l’existence d’un lien vraisemblable entre l’état de santé de Mme [D] et ses conditions de travail.

L’employeur n’a pris aucune mesure propre à faire cesser le harcèlement moral dont la salariée était victime.

Le licenciement de la salariée est donc nul.

Le salarié victime d’un licenciement nul qui ne demande pas sa réintégration a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à six mois de salaire bruts, en application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail.

Sur l’indemnité pour licenciement nul

La salariée indique dans ses conclusions qu’elle percevait une rémunération mensuelle moyenne de 4 256,61 euros ‘bruts’ en page 4 puis ‘nets’ en page 15, l’employeur retenant un salaire mensuel brut de base de 3 540 euros.

Compte tenu de l’ancienneté de la salariée (3 ans) de son âge lors de la rupture (46 ans), de qu’elle a été admise au bénéfice de l’allocation d’aide au retour à l’emploi en juillet 2019 perçue au moins jusqu’en février 2020, de la rémunération mensuelle qu’elle percevait avant la suspension de son contrat de travail, le préjudice sera intégralement réparé par une indemnité de 26 000 euros bruts au titre de la nullité du licenciement, somme au paiement de laquelle, infirmant le jugement, l’employeur sera condamné.

En application de l’article L. 1235-4, il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur, à l’organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l’arrêt dans la limite de 6 mois d’indemnités.

Sur l’indemnité compensatrice de préavis

L’indemnité compensatrice de préavis est due lorsque le licenciement du salarié a pour origine un manquement de l’employeur en matière d’inaptitude d’origine non professionnelle.

L’indemnité compensatrice de préavis due au salarié est égale au salaire brut que le salarié aurait reçu s’il avait travaillé pendant la durée du délai-congé.

La salariée réclame un salaire mensuel moyen de 4 256,61 euros et indique prendre en compte l’avantage en nature ainsi que le prorata de son 13ème mois et de sa prime sur objectifs.La moyenne mensuelle des douze derniers mois de la salariée sur une année civile complète, celle de 2017, comprend l’octroi de la prime d’objectif, le versement du ‘ 13ème mois’,et l’avantage en nature résultant de l’allocation d’un véhicule, soit la somme de 3 778,27 euros.

Ce salaire moyen, qui prend donc en compte le salaire que Mme [D] aurait perçu si elle avait travaillé pendant le délai-congé, sera retenu.

Conformément aux dispositions de la convention collective applicable, la salariée peut bénéficier d’un préavis d’une durée fixée à trois mois.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a rejeté la demande de la salariée de paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et l’employeur sera condamné à lui verser une somme de

de 11 334,81 euros outre les congés payés afférents.

Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement

Les premiers juges ont à juste titre rappelé que les absences pour maladie non professionnelle ne sont pas prises en compte dans le calcul de l’ancienneté et ils ont rejeté la demande de rappel de salaire de la salariée sur la base d’une ancienneté sans déduction des périodes d’arrêt de travail, soit 1 an et 23 jours de suspension.

La salariée, qui se borne à soutenir que l’usage veut que ces périodes de suspension ne sont pas déduites, ne le justifie pas.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de rappel d’indemnité conventionnelle de licenciement.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

L’employeur qui succombe, doit supporter la charge des dépens et ne saurait bénéficier d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il est inéquitable de laisser à la charge du salarié les frais par lui exposés en première instance et en cause d’appel non compris dans les dépens, qu’il conviendra de fixer à la somme de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement sauf en ce qu’il a ordonné la jonction des affaires enregistrées sous les numéros de registre 19-850 et 19-1390, débouté Mme [D] de sa demande d’indemnité conventionnelle de licenciement et l’a condamnée aux dépens,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT le licenciement nul,

CONDAMNE la société Transdev Ile-de-France à verser à Mme [D] les sommes suivantes:

– 3 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

– 26 000 euros bruts à titre d’indemnité pour licenciement nul,

– 11 334,81 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 1 133, 48 euros à titre de congés payés,

ORDONNE d’office le remboursement par l’employeur, à l’organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies à la salariée du jour de son licenciement au jour du prononcé de l’arrêt dans la limite de 6 mois d’indemnités,

CONDAMNE la société Transdev Ile-de-France à verser à Mme [D] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,

CONDAMNE la société Transdev Ile-de-France aux dépens de première instance et d’appel.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président

 


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