COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 88G
5e Chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 MARS 2023
N° RG 21/00305
N° Portalis DBV3-V-B7F-UI6Q
AFFAIRE :
CPAM DES HAUTS DE SEINE
C/
[F] [C]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Décembre 2020 par le Pôle social du TJ de NANTERRE
N° RG : 18/02197
Copies exécutoires délivrées à :
la SELEURL ANATOLE AVOCAT
CPAM DES HAUTS DE SEINE
Copies certifiées conformes délivrées à :
CPAM DES HAUTS DE SEINE
[F] [C]
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
CPAM DES HAUTS DE SEINE
[Localité 3]
représentée par Mme [P] [Y] en vertu d’un pouvoir général
APPELANTE
****************
Madame [F] [C]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Céline GORTYCH de la SELEURL ANATOLE AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1160, substituée à l’audience par Me Elise COMBES, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Janvier 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente,
Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller,
Madame Rose-May SPAZZOLA, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Dévi POUNIANDY,
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [F] [C], salariée de la société [5] (la société) en qualité d’architecte DPLG, a souscrit le 18 septembre 2017, auprès de la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine (la caisse) une déclaration de maladie professionnelle au titre d’un ‘épuisement professionnel – surmenage sans reconnaissance – dépression type burn-out’ confirmé par un certificat médical initial établi le 16 mars 2017.
Le 3 avril 2018, la caisse, après un délai complémentaire d’instruction, a refusé le bénéfice de la législation relative aux risques professionnels, l’avis motivé du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles saisi n’étant pas encore communiqué.
Le 26 mars 2019, la caisse a rejeté la demande de prise en charge de la maladie déclarée par Mme [C], après avis défavorable du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Paris Ile-de-France.
Après saisine de la commission de recours amiable, Mme [C] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts-de-Seine, devenu pôle social du tribunal de grande instance de Nanterre qui, par jugement contradictoire en date du 21 août 2019 (RG n° 18/02197), a :
– débouté Mme [C] de sa demande d’annulation de l’avis rendu le 26 février 2019 par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Paris Ile-de-France ;
– désigné le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Normandie pour se prononcer sur l’affection déclarée par Mme [C].
Le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 6] Normandie a, le 21 janvier 2020, rendu un avis défavorable.
Par jugement du 22 décembre 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre (n° RG 18/02197) a, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, dit que les conséquences de la maladie professionnelle déclarée par Mme [C] doivent être prises en charge au titre de la législation sur les risques professionnels par la caisse et a condamné cette dernière aux dépens.
Par déclaration du 20 janvier 2021, la caisse a interjeté appel du jugement et les parties ont été convoquées, après renvois, à l’audience du 17 janvier 2023.
Par conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l’audience, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé complet des moyens, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la caisse demande à la cour :
-d’infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
– de débouter Mme [C] de son recours ;
– de débouter Mme [C] de sa demande de désignation d’un troisième comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ;
– de condamner Mme [C] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
La caisse expose qu’en l’absence de présomption d’imputabilité, Mme [C] doit supporter la charge de la preuve d’un lien direct et essentiel entre la pathologie et le travail habituel de la victime ; que la présence de facteurs de risques extra-professionnels permet d’exclure ce lien, la pathologie de Mme [C] trouvant son origine dans son éloignement, cinq jours par semaine, de sa famille et particulièrement de sa fille qu’elle élevait seule.
La caisse affirme qu’elle a interrogé le médecin du travail, les réponses au questionnaire complété par ce médecin ayant été masquées car couvertes par le secret médical.
Par conclusions écrites, soutenues oralement à l’audience, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé complet des moyens, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, Mme [C] demande à la cour :
– à titre principal, de confirmer la décision rendue par le tribunal judiciaire de Nanterre ;
à titre subsidiaire,
– d’annuler l’avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles rendu le
21 janvier 2020 ;
En conséquence,
– de saisir un autre comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles régulièrement composé en lui confiant la même mission :
– de se prononcer sur l’existence d’un lien direct et essentiel entre la pathologie dont elle est atteinte et son activité professionnelle ;
– de solliciter au sein du Comité l’avis d’un psychiatre, compte tenu de la pathologie psychique dont elle est atteinte ;
en tout état de cause,
– de condamner la caisse aux éventuels dépens d’instance.
Mme [C] rétorque qu’elle a été affectée comme chef de projet de rénovation des hypermarchés au sein de la société Carrefour Property ; qu’elle résidait à [Localité 2] et exerçait à [Localité 4] ; qu’elle a assumé une charge de travail colossale sans compter ses heures ; que son rythme de travail était si intense qu’elle était contrainte de travailler 60 heures par semaine.
Elle ajoute que fin 2016, elle a appris qu’elle ne serait pas reconduite au sein de Carrefour Property à compter du mois de janvier 2017 ; que son employeur s’est désintéressé d’elle, se contentant de payer son salaire avant de lui proposer une rupture conventionnelle de son contrat de travail qu’elle a refusée ; qu’elle s’est vue prescrire un arrêt de travail en mars 2017, a été hospitalisée en psychiatrie pendant un mois et qu’elle n’a jamais pu reprendre son travail.
Elle précise qu’elle a été déclarée inapte à son poste et licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement ; que ses conditions de travail habituelles ont directement et essentiellement causé sa pathologie et qu’elle démontre une importante pression et une charge de travail excessive, un isolement et un manque de clarté des missions, une absence totale de communication avec l’employeur, un climat de travail difficile et des relations de travail marquées par des tensions importantes ; que les certificats médicaux sont concordants avec les autres pièces et les échanges entre collègues de travail.
Elle soutient que la caisse n’a pas sollicité l’avis du médecin du travail et que l’avis rendu par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles le 21 janvier 2020 n’est pas motivé et entaché de nullité.
Au titre de l’article 700 du code de procédure civile, Mme [C] sollicite la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La caisse ne forme aucune demande sur ce fondement.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l’avis du 2ème CRRMP
Aux termes de l’article D. 461-29 du code de la sécurité sociale, il appartient à la caisse de constituer le dossier soumis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles qui doit notamment comprendre l’avis motivé du médecin du travail de l’entreprise.
En l’espèce, l’avis du CRRMP de [Localité 6] Normandie du 21 janvier 2021 comporte une case cochée pour la présence de l’avis motivé du médecin du travail parmi les éléments dont le CRRMP a pris connaissance.
La caisse produit d’ailleurs le questionnaire complété (mais masqué) par le médecin du travail du 29 octobre 2018.
Le dossier remis au comité était donc complet et la procédure régulière.
De surcroît, la CRRMP a motivé son avis de la façon suivante : ‘Après avoir pris connaissance de l’ensemble des éléments du dossier, le CRRMP constate, à partir de 2015, un vécu de dégradation des relations du travail au sein de la structure employant Mme [C]. Cependant, il n’existe pas d’éléments suffisamment caractérisés pour retenir un lien direct entre la pathologie déclarée et l’activité professionnelle de Mme [C].’
Le formulaire d’avis précise que ‘la motivation de l’avis du comité doit comprendre tous les renseignements nécessaires à la bonne information des parties, sauf ceux qui ont un caractère confidentiel (pathologie non déclarée à titre professionnel, facteurs pathogènes extra-professionnels)’, ce qui rend délicate la motivation de l’avis.
Le CRRMP s’est fondé sur le dossier soumis, sur l’avis du médecin du travail et sur l’enquête pour écarter le lien direct et essentiel entre maladie et travail et a ainsi motivé son avis.
En conséquence, la demande de Mme [C] de nullité de l’avis du second CRRMP du fait de l’absence de motivation et de l’avis du médecin du travail et sa demande de désignation d’un troisième CRRMP seront rejetées.
Sur le lien essentiel et direct
Aux termes de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, peut être reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’un taux évalué dans les conditions mentionnées à l’article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé, après avis motivé d’un CRRMP.
C’est par des motifs pertinents que le tribunal a rappelé qu’il n’était pas lié par les avis des CRRMP et qu’il lui appartenait d’apprécier, au vu des éléments qui figurent au dossier, si l’affection déclarée par Mme [C] présente un caractère professionnel ou non.
Mme [C] justifie de la pression au travail et du grand nombre d’heures travaillées par les échanges de textos avec ses collègues et autres intervenants chez Carrefour Property, ainsi que par des attestations d’amis, proches ou collègues (M. [M], M. [D], M. [X], M. [O]).
Cette pression professionnelle est confirmée par son employeur qui a précisé à l’enquêteur de la caisse, à la question ‘comment assuriez-vous la supervision et le soutien de Mme [C] » : ‘ C’est un détachement chez Carrefour. Je sais qu’elle a des problèmes personnels. La grande distribution est très exigeante. Il faut un vrai investissement. La totalité des gens sont sous pression mais ils adorent. Ils disent on bosse comme des dingues mais on adore. J’ai 10 collaborateurs détachés chez Carrefour. La pression est effroyable pour tous.
Quand on devait se voir pour faire le point, elle ne pouvait jamais. Elle me répondait, je n’ai pas le temps.
Tous les mois, je fais une réunion générale, les gens ne viennent pas forcément.’
L’employeur n’a pas pu fournir de fiche de poste, de planning, de compte-rendu d’entretien annuel d’évaluation.
L’employeur reconnaît ainsi la nécessité d’une grande puissance de travail, d’un investissement de temps très important, d’une pression effroyable de l’entreprise utilisatrice mais fait également preuve d’un grand détachement de la part de l’employeur vis-à-vis de sa salariée, manifestant ainsi le lien direct et essentiel entre le travail de Mme [C] et sa pathologie de surmenage.
La caisse invoque comme élément extérieur l’absence de lien social et la séparation d’avec sa fille. Néanmoins, cette ‘nécessité de reconstruire une vie sociale’ que vise la caisse et l’éloignement d’avec sa fille n’existent que parce que Mme [C] avait des horaires de travail très importants débordant sur son temps personnel dévolu à sa famille et ses amis.
Si Mme [C] a pu écrire qu’elle était très éloignée de son domicile et de sa fille qu’elle élève seule, elle a précisé ensuite qu’elle avait au départ de nombreux sites à visiter dans l’Ouest et le Nord de la France, parfois même de nuit, qu’elle avait déménagé et mis sa fille en pension (Lettre du 14 novembre 2016) pour éviter les temps de trajet. Les certificats médicaux comme les courriers de la caisse la domicilient d’ailleurs à [Localité 4] (92), siège social de l’entreprise auprès de laquelle elle était détachée.
Le tribunal a écrit, à juste titre, que l’ensemble des éléments médicaux communiqués fait état d’une même pathologie, un syndrome anxio-dépressif et que les autres pièces, et notamment les messages échangés entre collègues de travail démontrent la nécessaire disponibilité de Mme [C] à tout moment.
Le tribunal relève également l’absence de précision sur les facteurs pathogènes évoqués par le deuxième CRRMP.
Le jugement, qui a retenu le caractère professionnel de l’affection déclarée par Mme [C] et la justification d’un lien essentiel et direct entre le travail de Mme [C] et sa maladie, sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et les demandes accessoires
La caisse, qui succombe à l’instance, est condamnée aux dépens d’appel et condamnée à payer à Mme [C] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,
Rejette les demandes formées par Mme [C] de nullité de l’avis du second CRRMP et de désignation d’un troisième CRRMP ;
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Condamne la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine aux dépens d’appel ;
Condamne la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine à payer à Mme [L] [C] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Sylvia LE FISCHER, Président, et par Madame Dévi Pouniandy, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,