ARRÊT DU
16 Décembre 2022
N° 2107/22
N° RG 22/01652 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UTNO
LB / SL
R.E.M
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LILLE
en date du
04 Septembre 2020
(RG 16/01536 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 16 Décembre 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [F] [L]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Mario CALIFANO, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
S.A. BIGBEN INTERACTIVE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI substitué par Me Cecile HULEUX, avocat au barreau de DOUAI
DÉBATS : à l’audience publique du 08 Décembre 2022
Tenue par Virginie CLAVERT
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Valérie DOIZE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
Laure BERNARD
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022,
(La Cour ayant décidé d’avancer cette date par rapport à la date initialement indiquée lors de l’audience des débats à savoir le 17/02/2022) les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Gaetan DELETTREZ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Par arrêt du 25 novembre 2022 la Cour d’appel de Douai, saisie sur appel de M. [F] [L] contre le jugement du conseil de prud’hommes de Lille du 4 septembre 2020 rendu contre la SA Bigben Interactive a :
– infirmé le jugement du conseil de prud’hommes de Lille du 4 septembre 2020 sauf en ce qu’il a dit que la convention collective Syntec est inapplicable et l’a débouté de sa demande de rappel de RTT,
Statuant à nouveau,
– dit que le licenciement de M. [F] [L] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamné la SASU Bigben Connected à payer à M. [F] [L] :
* 71 278, 69 euros à titre de rappel de salaires, outre 7 127,87 au titre des congés payés y afférent,
*11 344,12 euros à titre de rappel de prime de participation,
*30 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*14 910 euros à titre de complément d’indemnité de licenciement conventionnelle,
*5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité,
– condamné la SASU Bigben Connected à rembourser à Pôle Emploi les indemnités versées à M. [F] [L] pendant les six premiers mois suivant le licenciement,
– condamné la SASU Bigben Connected aux dépens,
– condamné la SASU Bigben Connected à payer à M. [F] [L] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Constatant qu’il existait une erreur matérielle affectant cet arrêt, la cour s’est saisie d’office en application de l’article 462 du code de procédure civile, et a invité les parties à faire leurs observations, l’affaire étant appelée l’audience du 8 décembre 2022.
Les parties, appelées, n’ont formulé aucune observation.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l’article 462 du code de procédure civile, les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l’a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande.
Le juge est saisi par simple requête de l’une des parties, ou par requête commune ; il peut aussi se saisir d’office.
Le juge statue après avoir entendu les parties ou celles-ci appelées. Toutefois, lorsqu’il est saisi par requête, il statue sans audience, à moins qu’il n’estime nécessaire d’entendre les parties.
La décision rectificative est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. Elle est notifiée comme le jugement.
Si la décision rectifiée est passée en force de chose jugée, la décision rectificative ne peut être attaquée que par la voie du recours en cassation.
En l’espèce l’arrêt rendu par la cour d’appel de Douai le 25 novembre 2022 entre M. [F] [L] et la SA Bigben Interactive est affecté d’une erreur matérielle car le corps de cette décision concerne une autre société, la SASU Bigben Connected , dont M. [F] [L] était également salarié et pour laquelle une décision a été rendue le même jour.
Dans ces conditions, il y a lieu de substituer à l’intégralité du corps de cet arrêt de la partie ‘EXPOSE DU LITIGE’ à la phrase ‘CONDAMNE la SASU Bigben Connected à payer à M. [F] [L] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’ la décision de la cour applicable à la SA Bigben Interactive, dans les termes précisés au présent dispositif.
Les dépens resteront à la charge du Trésor public.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
DIT y avoir lieu de rectifier l’arrêt du 25 novembre 2022 rendu entre M. [F] [L] et la SA Bigben Interactive et de remplacer l’intégralité de cette décision de la partie ‘EXPOSE DU LITIGE’ à la phrase ‘CONDAMNE la SASU Bigben Connected à payer à M. [F] [L] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’ par la décision suivante :
‘EXPOSE DU LITIGE
M. [F] [L] a été engagé par la SA Bigben Interactive à compter de 2002 en qualité de chef de produit, puis, à compter de 2006, en qualité de responsable propriété intellectuelle et conformité.
En 2012, suite au rachat d’une partie de l’activité du groupe Modelabs par la société Bigben Interactive, M. [F] [L] a été engagée par la SASU Bigben Connected, tout en restant également salarié de la société Bigben Interactive.
Par courrier du 26 février 2016, M. [F] [L] a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable qui s’est déroulé le 8 mars 2016.
Par courrier du 11 mars 2016,la société Bigben Interactive a notifié à M. [F] [L] son licenciement pour cause réelle et sérieuse et l’a dispensé d’effectuer le préavis d’une durée de trois mois.
Le 29 novembre 2016, M. [F] [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Lille aux fins notamment de contester le bien fondé de son licenciement, et d’obtenir les indemnités afférentes ainsi que diverses sommes en exécution de son contrat de travail.
Par jugement rendu le 4 septembre 2020 et notifié le 8 septembre 2020, la juridiction prud’homale, section encadrement, a :
– dit le licenciement justifié par une cause réelle et sérieuse,
– débouté M. [F] [L] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné M. [F] [L] aux dépens de l’instance,
– condamné M. [F] [L] à payer àla société Bigben Interactive 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [F] [L] a régulièrement interjeté appel contre ce jugement par déclaration en date du 1er octobre 2020.
Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 22 novembre 2021, M. [F] [L] demande à la cour de :
– infirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit que son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et l’a débouté de l’ensemble de ses demandes,
– dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– dire que la convention collective Syntec est applicable,
– condamnerla société Bigben Interactive à lui payer les sommes suivantes,
* 120 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 80 463,60 euros à titre de rappels de salaire sur minima conventionnels, outre la somme de 8 046,36 euros au titre des congés payés s’y rapportant,
* 9 362,90 euros à titre de complément d’indemnité conventionnelle de licenciement,
* 2 257,92 euros au titre des jours de RTT restant dus,
* 20 000 euros à titre d’indemnité pour non-respect des dispositions des articles L.4121-1 et suivants du code du travail,
* 3 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamnerla société Bigben Interactive aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 9 mars 2021,la société Bigben Interactive demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris ;
– débouter M. [F] [L] de l’intégralité de ses demandes,
– condamner M. [F] [L] à lui payer 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [F] [L] aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel.
Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA en application de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la convention collective applicable
M. [F] [L] invoque l’application de la convention Syntec et non celle de la convention de commerce de gros, faisant état de ce que la société Bigben Connected exerce une activité de conception de jeux vidéo. Il souligne que la société Bigben Interactive a bénéficié du crédit impôt recherche en 2015 et en 2016 en raison de cette activité de conception.
La société Bigben Interactive conteste l’application de la convention Syntec faisant valoir que son activité principale est la conception et la commercialisation d’accessoires de jeux vidéo ; que si le groupe a bien développé une activité d’édition de jeux vidéo, il s’agissait d’une activité accessoire dont le développement a justifié la création ultérieure d’une nouvelle filiale, Nacon, en 2019.
Le champ d’application de la convention Syntec concerne notamment l’édition de jeux électroniques.
Le code NAF 514S qui figure sur les fiches de paie de M. [F] [L] est erroné mais le contrat d etravail vise la convention de commerce de gros. Le code NAF de la société Bigben Interactive en 2014 et 2016, à la lecture de son Kbis était le 4651Z qui correspond à l’activité commerce de gros d’ordinateurs, d’équipements informatique périphériques et de logiciels.
Or, La société Bigben Interactive démontre que son chiffre d’affaires en 2014, 2015 et 2016 a été généré essentiellement par son activité de conception d’accessoires de jeux vidéo et audio, l’édition des jeux vidéo ne représentant que 13,7%, puis 15,2% puis 28,6% de celui-ci ; que le crédit impôt recherche dont elle a bénéficié en 2015 et 2016 concernait uniquement des projets de conception d’accessoires de jeux vidéo innovants et non d’édition de jeux vidéo.
Le développement de l’activité d’édition de jeux vidéo a conduit à la création d’une nouvelle filiale (Nacon), en 2019, soit postérieurement au licenciement de M. [F] [L].
Dans ces conditions, c’est à juste titre qu’il a été fait application de la convention de commerce de gros dans les relations entre les parties. Le jugement de première instance doit dès lors être confirmé sur ce point.
Sur les sommes sollicitées en exécution du contrat de travail
Conformément à l’article 1134 ancien du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
M. [F] [L] soutient qu’il travaillait pour la société Bigben Interactive à temps complet et qu’il est bien fondé à se prévaloir de la classification 3.3 de la convention Syntec, qui prévoit une rémunération mensuelle minimale de 5 435,10 euros.
La société Bigben Interactive expose que M. [F] [L] travaillait pour elle à hauteur de 121, 34 heures, celui-ci étant employé par la société Bigben Connected à hauteur de 30, 33 heures par mois et que sa charge de travail ne correspondait nullement à deux temps complets, soit 70 heures par semaine.
En l’espèce, il existe un contrat de travail à durée indéterminée et à temps complet signé entre les parties en 2002.
Le fait que l’employeur ait modifié de manière unilatérale le temps de travail de M. [F] [L] sur ses fiches de paie à compter de septembre 2013 pour le faire passer à 121,34 heures par semaine ne vaut pas acceptation par le salarié d’une modification de son temps de travail.
La circonstance que M. [F] [L] soit employé par une autre société est sans incidence sur la qualification du contrat de travail liant les parties.
Les parties n’ayant signé aucun avenant par lequel elles auraient convenues d’un passage à temps partiel, il y a lieu de faire application des dispositions du contrat de travail écrit qui prévoient que M. [F] [L] est engagé par la société Bigben Interactive à temps complet.
Dans ces conditions, dans la mesure où la convention Syntec n’est pas applicable, M. [F] [L] est bien fondé, sur la base d’un temps complet, à obtenir un rappel de salaire de 14 255 euros outre les congés payés y afférent à hauteur de 1 425 euros.
Concernant le rappel de RTT, la société Bigben Interactive démontre avoir réglé deux jours de RTT au mois de mars 2016, conformément à l’avenant applicable, qui prévoit qu’un cadre intégré bénéficie de deux jours de RTT par trimestre. Dans la mesure où M. [F] [L] a été dispensé d’exécuter sa période de préavis de trois mois, il est en droit de bénéficier de RTT complémentaires à hauteur de deux jours supplémentaires, soit 440,38 euros brut.
Le jugement du conseil de prud’hommes sera en conséquences réformé en ce qu’il a débouté M. [F] [L] de ses demandes de rappel de salaire et de rappel de RTT.
Sur le caractère abusif du licenciement
Aux termes de l’article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre.
Il est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur. Il forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, si besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ; afin de déterminer si les faits imputés au salarié sont ou non établis, les juges du fond apprécient souverainement la régularité et la valeur probante des éléments de preuve qui leur sont soumis. La lettre de licenciement fixe les limites du litige.
M. [F] [L] conteste le bien fondé de son licenciement, l’employeur soutenant quant à lui que celui-ci est justifié.
M. [F] [L], engagé en qualité de responsable propriété intellectuelle et conformité, s’est vu notifier le 11 mars 2016, après une mise à pied à titre conservatoire, son licenciement pour cause réelle et sérieuse et a été dispensé par son employeur d’effectuer le préavis d’une durée de trois mois.
Le service juridique comptait, au moment du licencement, trois salariés : M. [F] [L] chef de service, M. [J] [V] juriste en propriété intellectuelle engagé en septembre 2015, et Mme [A] [E], assistante.
Les motifs visés par l’employeur dans la lettre de licenciement sont les suivants :
– usurpation de fonction pour le compte de la société Bigben Interactive,
– utilisation de la signature scannée du Directeur Général au titre de la société Bigben Interactive,
– dysfonctionnement dans le traitement des dossiers, par exemple le dossier Novagraaf, Nintendo, et Fishing Cactus,
– mise à l’écart de M. [J] [V] et recours excessif aux conseils extérieurs : comportement démontrant un refus d’appliquer les directives de la hiérarchie et en totale contradiction avec ce qu’on peut attendre d’un manager de son niveau,
– organisation du fonctionnement de l’équipe : mise à l’écart de M. [V], absence de notes au dossier ou de compte-rendu par email, entraînant l’impossibilité pour les collègues d’assurer une continuité, dénigrement systématique de M. [V] auprès de Mme [E] générant une souffrance au travail.
Concernant l’usurpation de fonction imputée à M. [F] [L], celui-ci démontre par la production de nombreux mails qu’il était présenté au sein des équipes internes et vis à vis des clients comme ‘responsable juridique’ ; qu’il bénéficiait d’ailleurs d’une délégation de signature de M. [Z] [X], directeur général, depuis le 24 janvier 2013 en qualité de ‘responsable juridique’ de sorte que le fait pour M. [F] [L] de se présenter avec cette qualité ne peut être considéré comme une usurpation de fonctions.
S’agissant de l’utilisation du scan de la signature d'[Z] [X], Directeur Général, si la société Bigben Interactive produit plusieurs attestations de salariés faisant état de leur ignorance d’une procédure d’utilisation de la signature scannée d'[Z] [X], la cour relève que M. [F] [L] a été destinataire le 4 février 2013 d’un scann de la signature de M. [Z] [X] de la part de Mme [P] [K], responsable design graphique ; que M. [F] [L] l’a transmis à son assistante immédiatement ; que M. [X] indique dans un courriel daté du 6 février 2013 ‘il faudra rajouter mes paraphes’ ; qu’il ne peut donc être écarté l’existence d’un usage toléré de paraphes scannés de M. [X].
Concernant les dysfonctionnements constatés par l’employeur dans certains dossiers, ceux-ci résultent des affirmations du nouveau collaborateur de M. [F] [L] auprès de la direction, M. [V], avec lequel il existait une mésentente constatée par de nombreux collègues (M. [D], Mme [E], M. [N]). Or, il n’est pas démontré que les relations avec le cabinet de conseil Novagraaf ont été mises en péril par le comportement de M. [F] [L]. Celui-ci produit de nombreux échanges de mails avec les membres de ce cabinet qui laissent apparaître des relations de travail constructives, courtoises et professionnelles. De même, les reproches concernant le dossier Nintendo et Fishing Cactus résultent d’échanges de mails tels qu’interprétés par M. [V] et ne sont objectivés par aucun élément.
S’agissant de la tenue des dossiers et de l’impossibilité pour les collaborateurs d’assurer un suivi en cas d’absence de M. [F] [L], il doit être relevé qu’avant l’arrivée de M. [V] au sein du service juridique, M. [F] [L] travaillait en binôme avec son assistante, Mme [E], sans que celle-ci ne fasse état de son impossibilité d’assurer un tel suivi ; que si l’arrivée d’un juriste au sein du service pouvait nécessiter de repenser l’organisation interne et le partage des informations par une mise à jour des dossiers, il ne peut en être déduit une négligence de M. [F] [L] dans la gestion et la tenue de ses dossiers.
Concernant la mise à l’écart de M. [J] [V] et le recours excessif aux conseils extérieurs, il doit être relevé qu’il n’est produit par la société aucun écrit permettant d’établir que M. [F] [L] avait reçu pour instruction de limiter le recours aux prestataires extérieurs en raison du recrutement de M. [J] [V], juriste.
De fait, les pièces produites établissent qu’après le départ de M. [F] [L], en dépit de la réorganisation du service juridique, aucune baisse des honoraires d’avocats n’est intervenue.
Si M. [V] a adressé à certains collaborateurs extérieurs (avocats) de la société en octobre 2015 (alors qu’il avait été engagé un mois auparavant) un mail sollicitant d’être mis en copie de tous les échanges avec le service juridique et si Mme [E] atteste que celui-ci n’était pas toujours en copie des mails envoyés par M. [F] [L] à ces collaborateurs, il ne peut en être déduit une mise à l’écart systématique de M. [V] par M. [F] [L]. M. [F] [L] verse en effet aux débats de nombreux mails dans lesquels il sollicite de mettre en copie M. [V] ou le met en copie, dès le mois de septembre 2015, ou lui transfère des échanges de mails pour information.
L’attestation rédigée par M. [V] dans laquelle celui-ci évoque sa mise à l’écart des dossiers, la rétention d’information par M. [F] [L] et le recours excessif aux prestataires extérieurs doit être reçue avec prudence. En effet, celui-ci évoque son ancien responsable dans des termes qui reflètent son absence de considération, le décrivant comme ayant ‘un simple rôle de boîte aux lettres’ et indiquant ‘j’ai dû subir en open space d’interminables entretiens téléphoniques avec nos prestataires où ceux-ci lui expliquaient les dossiers que M. [L] ne maîtrisait nullement et se contentait de prendre des notes et de les retranscrire sur les documents corespondants’.
Ce salarié, auteur de 10 mails à charge envoyés à la direction et à la responsable des ressources humaines le 8 février 2016 et le 23 février 2016 a été nommé responsable juridique, et chef du service juridique en lieu et place de M. [F] [L].
Il doit être relevé que l’enquête interne mentionnée par l’employeur dans la lettre de licenciement correspond en réalité à la réception en février 2016 par la responsable des ressources humaines de courriels émanant de :
– M. [J] [V] le 8 février 2016 et le 23 février 2016 qui évoque des dysfonctionnements du service juridique imputables à M. [F] [L] et qui indique ‘je ne peux donc que m’en remettre à vous afin que soit arrêtée une décision susceptible de satisfaire mes préoccupations et mettre un terme à la situation à laquelle je suis confronté’,
– Mme [A] [E] le 18 février 2916, qui fait part de l’ambiance de travail pesante au sein du service juridique, qui loue les qualités de M. [J] [V], et souligne que le problème vient du fait que M. [F] [L] ne partage pas cet avis,
– M. [S] [D] qui indique le 23 février 2016 : ‘depuis l’arrivée de [J] [V], je constate une amélioration très sensible du delivery sur les dossiers (…). BBC est plus à même d’avancer sur les sujets d’IPR, comme Force Glass, avec le concours de [J] notamment.’
– M. [I] [N], le 24 février 2016 qui critique le fonctionnement du service juridique pendant les six premiers mois de l’année 2015 lorsqu’il était géré par M. [F] [L] seul (étant observé que celui-ci a été en arrêt de travail, puis en mi-temps thérapeutique de fin février 2015 à juin 2015) et fait état d’une amélioration de celui-ci depuis l’arrivée de M. [V], s’inquiétant toutefois des conséquences des tensions entre ce dernier et M. [F] [L].
A aucun moment les difficultés managériales imputées à M. [F] [L], et notamment la nécessité de mieux intégrer M. [V], nouvellement arrivé au sein de la société, dans le fonctionnement du service juridique n’ont été évoquées par l’employeur auprès de lui. Il en est de même pour les tensions internes au sein de l’équipe liées à cette arrivée, et susceptibles de générer un mal être au travail, en particulier pour Mme [E].
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les motifs invoqués par l’employeur dans la lettre de licenciement ne pouvaient justifier le licenciement de M. [F] [L], salarié depuis plus de 13 ans dans la société, et qui n’avait fait jamais fait l’objet d’évaluation négative, ni d’aucune mesure disciplinaire.
Le licenciement de M. [F] [L] est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse et le jugement entrepris sera en conséquence infirmé sur ce point.
Sur les conséquences du licenciement
– L’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse
En application de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au présent litige, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, en l’absence de réintégration, le juge octroie une indemnité au salarié à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
M. [F] [L], exerçait les fonctions de responsable propriété intellectuelle et conformité et son salaire mensuel brut pour un temps complet s’élevait à 4 000 euros par mois. Licencié à l’âge de 41 ans, il bénéficiait d’une ancienneté de 13 ans.
M. [F] [L] justifie de démarche actives pour retrouver un emploi après son licenciement. Il a été engagé à compter du 3 avril 2017 par le bureauVeritas en qualité de Key Account Manager moyennant un salaire mensuel brut de 3 333 euros . Il n’apporte pas de précision sur ses charges, notamment de famille.
Au vu de ces éléments, il y a lieu de fixer le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 24 000 euros, le jugement de première instance étant réformé en ce sens.
– Le complément d’indemnité conventionnelle de licenciement
M. [F] [L] sollicite un complément de l’indemnité conventionnelle de licenciement versée par son employeur invoquant l’applicabilité de la convention collective Syntec et un salaire de référence à temps plein.
Faute d’applicabilité de la convention Syntec, mais compte tenu du temps complet, il y a lieu d’accorder à M. [F] [L] un rappel de 3 849,25 euros à titre de complément d’indemnité concentionnelle de licenciement.
– Le remboursement des indemnités versées par Pôle Emploi
Aux termes de l’article L. 1235-4 dans sa rédaction applicable au présent litige, dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.
Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
La société Bigben Intercative sera condamnée à rembourser à Pôle Emploi les indemnités qu’il versées à M. [F] [L] pendant les six premiers mois suivant le licenciement.
Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité
En application de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés et doit veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances.
M. [F] [L] reproche à son employeur d’avoir manqué à son obligation de sécurité en lui imposant une surcharge de travail, sachant qu’il travaillait également à temps complet pour la société Bigben Interactive, en le mettant à l’écart progressivement (rétention d’information concernant la gestion de ses dossiers, absence d’invitation aux séminaires d’hiver), en le privant d’entretien individuel annuel, en refusant de déclarer un accident du travail suite à un malaise au travail, en suite duquel il a été placé en arrêt de travail pour syndrome anxio-dépressif et épuisement professionnel, avant une reprise du travail dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique, puis à temps plein à compter du 22 mai 2015.
La société Bigben Connected conteste tout manquement à son obligation de sécurité. Elle soutient que M. [F] [L] n’était soumis à aucune surcharge du travail. Elle estime en outre qu’elle n’a commis aucun manquement en refusant d’établir la déclaration d’accident du travail du 20 février 2015 ; que c’est à tort que M. [F] [L] invoque une mise à l’écart et un traitement différent des autres cadres de la société.
La mise en péril de la santé de M. [F] [L] par une mise à l’écart progressive n’est pas démontrée, étant observé que le séminaire auquel il n’a pas été invité ne concernait pas chaque année tous les cadres de l’entreprise.
Si l’employeur a entrepris une procédure de recrutement pour renforcer l’équipe du service juridique dès 2013, cette procèdure n’a pas abouti et M. [F] [L] a fait l’objet d’un arrêt de travail le 25 février 2015 pour épuisement professionnel.
Concernant l’absence de déclaration de l’accident de travail du 20 février 2015, il ressort des pièces versées aux débats que le 9 mars 2015, M. [F] [L] a sollicité de son employeur qu’il déclare un accident du travail en suite d’un malaise survenu le 20 février 2015 (poussée d’urticaire diffuse) et que celui-ci a refusé, au motif que cette demande était tardive et qu’il n’existait pas de témoin de cet accident.
Or, il appartenait à l’employeur, compte tenu de la demande de son salarié à qui il avait été délivré un certificat médical initial d’accident du travail, de procéder à la déclaration d’accident du travail, à charge pour la société Bigben Interactive, le cas échéant, de contester ultérieurement la prise en charge de cet accident au titre de la législation professionnelle ; le fait que M. [F] [L] ait la possibilité de faire reconnaître lui-même cet événement en accident du travail n’enlève nullement son caractère fautif au refus de l’employeur de déclarer cet accident à la caisse primaire d’assurance maladie.
Enfin, s’agissant des entretiens individuels annuels de M. [F] [L] avec sa hiérarchie, l’employeur ne démontre pas les avoir mis en place, alors que ce type d’entretien offre la possibilité pour le salarié de s’exprimer sur ses conditions de travail, et partant, est de nature à prévenir les risques psycho-sociaux.
Or, M. [F] [L] a fait l’objet d’un arrêt pour épuisement professionnel le 25 février 2015 (le certificat médical initial mentionnant une poussée d’urticaire diffuse, d’origine probablement sommatique vu le contexte d’épuisement professionnel qui s’est révélé) , prolongé le 17 avril 2015,pour ‘état anxio-dépressif/ épuisement professionnel’ ; que M. [F] [L] a ensuite repris le travail à mi-temps thérapeutique jusqu’au mois de juin 2015, puis à temps complet.
Il résulte de ces éléments que la société Bigben Interactive ne démontre pas avoir mis en place toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de M. [F] [L].
Ainsi, il est bien caractérisé un manquement de la société Bigben Interactive à son obligation de sécurité, et le préjudice qui en est résulté pour M. [F] [L] doit être réparé par l’allocation de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Le jugement de première instance sera réformé en ce sens.
Sur les dépens et l’indemnité de procédure
Le jugement de première instance sera réformé concernant le sort des dépens et l’indemnité de procédure.
La société Bigben Interactive, partie succombante au sens de l’article 696 du code de procédure civile sera condamnée aux dépens et à payer à M. [F] [L] la somme de 2 000 euros à titre d’indemnité de procédure, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement rendu le 4 septembre 2020 par le conseil de prud’hommes de Lille, sauf en ce qu’il a dit que la convention collective Syntec est inapplicable ;
Statuant à nouveau,
CONDAMNE la SA Bigben Interactive à payer à M. [F] [L] :
– 14 255 euros à titre de rappel de salaires outre 1 425 euros au titre des congés payés afférents,
– 440,38 euros à titre de rappel sur RTT,
– 24 000 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 3 849,25 euros à titre de complément d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité ;
CONDAMNE la SA Bigben Interactive à rembourser à Pôle Emploi les indemnités versées à M. [F] [L] pendant les six premiers mois suivant le licenciement ;
CONDAMNE la SA Bigben Interactive aux dépens ;
CONDAMNE la SA Bigben Interactive à payer à M. [F] [L] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.’
DIT que la présente décision rectificative sera mentionnée sur la minute sur les expéditions de la décision rectifiée ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor Public.
LE GREFFIER
Gaetan DELETTREZ
LE PRESIDENT
Pierre NOUBEL