Épuisement professionnel : 16 décembre 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 21/00049

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Épuisement professionnel : 16 décembre 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 21/00049

ARRÊT DU

16 Décembre 2022

N° 2067/22

N° RG 21/00049 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TL7A

FB/NB

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LANNOY

en date du

22 Décembre 2020

(RG F19/00039)

GROSSE :

aux avocats

le 16 Décembre 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANT :

M. [Y] [P]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Stephan FARINA, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

Société SARL GRAPHIC SERVICE NG

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Bénédicte DUVAL, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l’audience publique du 15 Novembre 2022

Tenue par Frédéric BURNIER

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Séverine STIEVENARD

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Olivier BECUWE

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Frédéric BURNIER

: CONSEILLER

Isabelle FACON

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Gaetan DELETTREZ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 25 octobre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [Y] [P] a été engagé par la société Graphic Service NG, pour une durée indéterminée à compter du 8 mars 1990, en qualité de monteur incorporateur.

A compter du 15 septembre 2015, Monsieur [P] a été placé en arrêt maladie.

Une maladie professionnelle a été reconnue le 13 avril 2016. Il a obtenu le statut de travailleur handicapé le 18 mai 2016.

Monsieur [P] perçoit une pension d’invalidité catégorie 2 depuis le 9 août 2018.

Il a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail suivant avis du 5 octobre 2018.

Monsieur [P] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement en date du 5 novembre 2018.

Le 13 mars 2019, Monsieur [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Lannoy et formé des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’à l’exécution de son contrat de travail.

Par jugement du 22 décembre 2020, le conseil de prud’hommes de Lannoy a débouté Monsieur [P] de l’intégralité de ses demandes et l’a condamné aux dépens.

Monsieur [P] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 8 janvier 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 15 juin 2022, Monsieur [P] demande l’infirmation du jugement et la condamnation de la société Graphic Service NG à lui payer les sommes suivantes :

– 51 909 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

– 20 000 euros pour violation de l’obligation de sécurité;

– 5 324 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis;

– 532 euros au titre des congés payés y afférents;

– 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, Monsieur [P] expose que :

-son inaptitude est en lien direct avec son activité professionnelle et ses conditions de travail;

l’avis d’inaptitude indique qu’il ne peut plus maintenir des objets de la main droite; or, il a subi une intervention chirurgicale à la main droite en 2017 pour un syndrome du canal carpien qui a été reconnu comme maladie professionnelle ; il a également souffert d’une hernie;

– il incombe à l’employeur d’apporter la preuve qu’il a respecté son obligation de sécurité;

– il a également subi une forte charge de travail et des pressions dans le cadre de son activité professionnelle qui ont altéré sa santé mentale ; il a développé un trouble dépressif ; ces conditions de travail généraient des contraintes physiques et posturales qui ont concouru à l’apparition des pathologies professionnelles.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 14 juin 2021, la société Graphic Service NG demande la confirmation du jugement et la condamnation de Monsieur [P] à lui verser une indemnité pour frais de procédure de 1500 euros.

La société Graphic Service NG fait valoir que :

-le salarié est en arrêt maladie depuis septembre 2015 suite à l’opération d’une hernie discale; il n’est pas établi de lien entre cette pathologie et l’activité professionnelle;

– l’état dépressif est consécutif à une procédure de divorce ; il est diagnostiqué en mars 2017 alors que le salarié est absent de l’entreprise depuis septembre 2015;

– le syndrome du canal carpien s’est aggravé pendant la période d’absence pour maladie ; son caractère invalidant ne peut être imputé aux conditions de travail;

– le poste de travail a été aménagé conformément aux préconisations du médecin du travail;

– le salarié n’a jamais alerté son employeur quant à des souffrances physiques ou psychiques.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 25 octobre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le manquement allégué à l’obligation de sécurité

Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur a l’obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés.

L’article L 4121-2 précise qu’il met en oeuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Il est constant que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés.

En l’espèce, Monsieur [P] attribue à son activité professionnelle l’apparition de deux pathologies : un syndrome du canal carpien et un état dépressif. Il apparaît en outre qu’il a souffert d’une hernie discale.

Les éléments versés au dossier par les parties ne sont pas suffisamment étayés pour permettre de caractériser un lien entre un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et l’apparition d’une hernie discale et d’un état dépressif.

En effet, aucun document ne permet de conclure à une origine professionnelle de la lésion dorsale diagnostiquée en 2014. Pour sa part, l’employeur justifie avoir mis à la disposition du salarié un siège adapté, en mars 2014, répondant ainsi immédiatement à la préconisation émise par le médecin du travail le 24 février 2014.

En outre, la cause professionnelle de l’état dépressif n’est pas suffisamment établie par la seule mention, dans un certificat médical daté du 23 novembre 2016 (alors que le salarié était en arrêt de travail depuis le 15 septembre 2015) du Docteur [H], psychiatre, qui indique que : ‘le patient a vécu également un épuisement professionnel’ alors qu’il apparaît, par ailleurs, que ce trouble peut aussi s’expliquer par un alitement imposé par une infection, un congé pour longue maladie après l’opération d’une hernie discale et une séparation conjugale. De plus, la réalité d’un harcèlement moral ou d’une surcharge de travail patente n’est nullement étayée par la seule attestation, non circonstanciée, de Monsieur [B], ancien salarié, qui a quitté l’entreprise en 2007.

Concernant ces deux pathologies, il peut être, tout au plus, fait grief à l’employeur, qui ne produit aucun élément en la matière (document unique d’évaluation des risques professionnels, comptes-rendus d’entretiens individuels, étude de poste, etc…), d’avoir manqué à son obligation d’évaluation des risques professionnels alors qu’il ressort d’une attestation (produite par l’employeur) de Monsieur [X], supérieur hiérarchique, que le salarié effectuait régulièrement des ‘heures supplémentaires dues à la charge de travail’, et du dossier tenu par le médecin du travail que celui-ci était susceptible d’être soumis, depuis son embauche en 1990, à des contraintes physiques et posturales et à des gestes répétés.

L’absence de signalement émanant du salarié et le prétendu volontariat de celui-ci pour effectuer des heures supplémentaires n’étaient pas de nature à exonérer l’employeur de son obligation d’évaluer les risques liés à l’activité professionnelle.

En revanche, il n’est pas contesté que le syndrome du canal carpien affectant la main droite de Monsieur [P] a été reconnu comme maladie professionnelle par la CPAM.

Dans son rapport du 28 septembre 2016, le médecin du travail a indiqué à la CPAM : ‘en tant qu’opérateur PAO – travaille sur écran avec beaucoup de mouvements précis avec la souris et répétitifs – les contraintes posturales sont importantes avec appui prolongé du poignet et un facteur temps (travail sous de courts délais)’.

Ces éléments permettent de retenir que ce syndrome du canal carpien trouve sa cause dans les conditions de travail de l’intéressé.

L’employeur ne démontre ni avoir procédé à une quelconque évaluation des risques ni avoir pris la moindre mesure pour aménager le poste de travail du salarié afin de prévenir ou limiter ce risque. Il ne prouve pas avoir pris l’ensemble des mesures nécessaires pour protéger la santé de l’intéressé et éviter l’apparition de cette affection.

Il n’est pas démontré que la mise à disposition en 2014 d’un siège adapté serait une mesure de prévention d’une lésion de la main alors qu’il apparaît que cet aménagement faisait suite à l’apparition d’une hernie. Ainsi, Monsieur [X], supérieur hiérarchique, confirme que ‘lorsque que Monsieur [Y] [P] a commencé à souffrir du dos une commande de siège ergonomique personnalisé a été faite’.

Il résulte de l’ensemble de ces considérations que la société Graphic Service NG a manqué à son obligation d’évaluation et de prévention des risques professionnels.

Il est établi que cette violation de l’obligation de sécurité a occasionné l’apparition d’un syndrome du canal carpien, qui selon les documents médicaux versés au dossier, est source de douleurs importantes, persistantes et invalidantes.

En conséquence, par infirmation du jugement entrepris, il convient d’évaluer le préjudice de l’appelant, résultant de ces manquements de l’employeur à son obligation de sécurité, à la somme de 8 000 euros.

Sur le licenciement pour inaptitude

Il est constant qu’est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu’il est démontré que cette inaptitude était consécutive à un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

En l’espèce, la société Graphic Service NG a notifié à Monsieur [P] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement, le 5 novembre 2018.

Cette décision se réfère aux avis rendus par le médecin du travail les 24 septembre et 5 octobre 2018. Au terme de la première visite, le médecin du travail a relevé : ‘inaptitude à prévoir, Monsieur ne peut plus rester debout de manière prolongée, ne peut plus tenir des objets de la main dte (stylo, souris)’, avant de confirmer à l’issue de la seconde visite : ‘Monsieur ne peut plus rester assis ou debout de manière prolongée, ne peut plus maintenir des objets de la main droite, ne peut plus se concentrer, ni avoir de contact’.

Il en résulte que l’inaptitude de Monsieur [P] s’explique, pour partie, par une infirmité rendant la main droite invalide.

Or, il est établi par la production de certificats médicaux que le salarié souffrait d’un syndrome du canal carpien affectant sa main droite, déclaré en 2016, que malgré une intervention chirurgicale, il a conservé des séquelles occasionnant des douleurs importantes et persistantes (encore médicalement constatées en octobre 2018 puis en août 2019).

Il s’en déduit que l’impossibilité de maintenir des objets de la main droite, justifiant pour partie l’inaptitude prononcée par le médecin du travail, est la conséquence directe et certaine de ce syndrome du canal carpien.

Il a été jugé que l’apparition de cette pathologie est consécutive à des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité.

La cour retient donc que l’inaptitude de Monsieur [P] trouve son origine, pour partie, dans un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Il s’ensuit que le licenciement se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Au moment de la rupture du contrat de travail, Monsieur [P] était âgé de 54 ans et comptait une ancienneté de 27 années.

Selon l’information portée sur l’attestation destinée à Pôle emploi, la société Graphic Service NG employait 11 salariés.

Selon l’article L.1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit, notamment, à un préavis de deux mois, s’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus d’au moins deux ans.

Il est constant que cette indemnité compensatrice de préavis est due au salarié dont le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Il convient donc d’allouer à Monsieur [P] la somme de 4 938,07 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 493,81 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférente.

En outre, en application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, eu égard à son ancienneté, à son âge, à ses perspectives pour retrouver un emploi (compte tenu de son handicap et de son état de santé), et à son niveau de rémunération, le préjudice de Monsieur [P] résultant d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse sera évalué à 35 000 euros.

Enfin, sur le fondement de l’article L.1235-4 du code du travail, il convient de condamner l’employeur à rembourser les indemnités de chômage dans la limite de six mois.

Sur les autres demandes

Sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, il convient de condamner la société Graphic Service NG à payer à Monsieur [P] une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu’il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et qu’il y a lieu de fixer à 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant :

Dit le licenciement de Monsieur [Y] [P] sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la SARL Graphic Service NG à payer à Monsieur [Y] [P] les sommes suivantes :

– 8 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

– 35 000,00 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 4 938,07 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 493,81 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférente,

Condamne la SARL Graphic Service NG à payer à Monsieur [Y] [P] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Ordonne le remboursement par la SARL Graphic Service NG des indemnités de chômage versées à Monsieur [Y] [P] dans la limite de six mois d’indemnités,

Rappelle qu’une copie du présent arrêt est adressée par le greffe à Pôle emploi,

Déboute la SARL Graphic Service NG de sa demande d’indemnité pour frais de procédure formée en cause d’appel,

Condamne la SARL Graphic Service NG aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER

Gaetan DELETTREZ

LE PRESIDENT

Olivier BECUWE

 


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