Épuisement professionnel : 16 décembre 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 20/00956

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Épuisement professionnel : 16 décembre 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 20/00956

ARRÊT DU

16 Décembre 2022

N° 2023/22

N° RG 20/00956 – N° Portalis DBVT-V-B7E-S455

OB/CH

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LILLE

en date du

14 Janvier 2020

(RG -section )

GROSSE :

aux avocats

le 16 Décembre 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANT :

M. [E] [T]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Caroline LEGROS, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

La Société ENGIE ENERGIE SERVICES venant aux droits de la S.A. ENGIE COFELY

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Agathe CHOPIN, avocat au barreau d’ARRAS

DÉBATS : à l’audience publique du 08 Novembre 2022

Tenue par Olivier BECUWE

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Valérie DOIZE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Olivier BECUWE

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Frédéric BURNIER

: CONSEILLER

Isabelle FACON

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Gaetan DELETTREZ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 18 octobre 2022

EXPOSE DU LITIGE :

M. [T] a été engagé le 11 mai 2005 à durée indéterminée et à temps complet par la société Cofatech services, aux droits de laquelle est venue la société Engie Cofely puis, en dernier lieu, la société Engie Energie Services (la société) en qualité d’agent technique itinérant.

Il était chargé de prestations techniques d’exploitation, de maintenance d’installation thermiques et d’interventions sur des piscines ainsi qu’auprès de foyers d’accueil et de collectivités locales.

La convention collective applicable était celle, nationale, de l’exploitation des équipements thermiques et de génie climatique du 7 février 1979.

Dans le dernier état de la relation contractuelle, il était classé au niveau 6 de la convention collective correspondant à la capacité de travailler en autonomie et il percevait un salaire mensuel brut de 2 847,97 euros.

En arrêts pour maladie dans le courant de l’année 2017 ainsi qu’à compter du 31 août 2017, il a été licencié, selon lettre du 8 novembre 2017, après avoir été convoqué à l’entretien préalable du 10 octobre 2017, pour cause réelle et sérieuse, l’employeur lui reprochant, en substance, un dénigrement et des manquements professionnels dans le cadre de ses interventions sur différents sites en 2016 et 2017.

Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Lille d’une demande au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse dont il a été débouté par jugement du 14 janvier 2020.

Par déclaration du 14 février 2020, M. [T] en a fait appel.

Par des conclusions notifiées le 25 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, l’appelant, qui expose avoir été victime d’épuisement professionnel et qui conteste la matérialité des faits invoqués à l’appui de la rupture, sollicite également la nullité de celle-ci sur le fondement de l’article L.1132-1 du code du travail ainsi que des dommages-intérêts pour préjudice moral lié à cette nullité et pour manquement à l’obligation de sécurité.

Excipant de l’irrecevabilité pour nouveauté de ces dernières demandes, l’intimée demande, par des conclusions notifiées le 4 août 2020 auxquelles il est référé pour l’exposé des moyens, la confirmation du jugement.

Par des conclusions récapitulatives notifiées le 14 octobre 2022, l’intimée a confirmé ses premières conclusions du 11 août 2022 corrigeant, par d’ultimes conclusions du 17 octobre, la dénomination de la société.

MOTIVATION :

1°/ Sur la recevabilité des demandes :

A – Sur la demande de nullité du licenciement :

C’est à juste titre que le salarié soutient qu’est recevable en appel, au sens de l’article 565 du code de procédure civile, la demande en nullité du licenciement qui tend aux mêmes fins que la demande initiale au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, dès lors que ces demandes tendent à obtenir l’indemnisation des conséquences du licenciement qu’un salarié estimé injustifié, comme l’a d’ailleurs déjà dit la Cour de cassation (Soc., 1er décembre 2021, n° 20-13.339).

B – Sur la demande en dommages-intérêts au titre du préjudice moral lié à la nullité :

Il se déduit de ce qui précède que cette demande est nécessairement recevable, comme étant la conséquence de la précédente au sens de l’article 566 du code précité.

C – Sur la demande en dommages-intérêts au titre du manquement à l’obligation de sécurité :

C’est, en revanche, à bon droit que l’employeur se prévaut de l’irrecevabilité pour nouveauté de cette demande qui a en effet trait, pour la première fois, à l’exécution du contrat de travail et non à sa rupture, fondement exclusif jusque-là du procès intenté par le salarié.

2°/ Sur le bien-fondé des demandes au titre de la nullité :

M. [T] se prévaut des dispositions de l’article L.1132-1 du code du travail.

Mais, en réalité, sous le couvert de ce texte, il entend dénoncer, au titre de la rupture, l’existence d’une situation de surcharge de travail l’ayant conduit à un épuisement professionnel de nature à entraîner une dégradation de son état de santé susceptible de caractériser un lien entre les atteintes psychiques dont il fait état et les manquements qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement.

Le débat ne porte donc pas sur un licenciement prononcé à raison de l’état de santé proprement dit mais sur les conséquences de ce dernier dans l’appréciation des griefs de sorte que la question est celle, et uniquement celle, de l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Ces demandes seront rejetées.

3°/ Sur le bien-fondé de la demande au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse :

A – Sur le moyen tiré de la prescription des faits :

C’est par des motifs circonstanciés et pertinents que le conseil de prud’hommes a notamment retenu que la poursuite disciplinaire engagée au titre du licenciement l’avait été dans le délai de l’article L.1332-4 du code du travail.

B – Sur la pertinence des griefs :

Le conseil de prud’hommes rappelle le contenu de la lettre de licenciement qui reproche deux séries de fait au salarié.

D’une part, ce dernier aurait, le 25 août 2017, à l’occasion d’un chantier pour lequel il avait demandé de l’aide à son supérieur, dénigré l’entreprise et ses collègues devant un client.

L’intervention sur ce chantier d’autres techniciens aurait mis en évidence un mauvais câblage de la chaudière imputable à M. [T].

D’autre part, l’appelant aurait, à l’occasion de différents chantiers en 2016 jusqu’à son arrêt de travail en août 2017, d’ailleurs définitif jusqu’au licenciement, commis de nombreuses erreurs et oublis dans les révisions, entretiens et réparations des chaudières de résidences dont il était chargé.

M. [T] produit un décompte de deux cents heures supplémentaires.

Il expose également, à l’aide de calendriers récapitulatifs, que les nombreuses semaines d’astreinte régulièrement effectuées l’étaient en violation de l’article 43 de la convention collective c’est-à-dire sans respecter notamment leur fréquence.

Il verse, par ailleurs, son calendrier d’activité mettant en évidence une importante activité professionnelle.

Par l’ensemble de ces éléments relatifs au temps de travail, le salarié met en mesure l’employeur d’y répondre au sens de l’article L.3171-4 du code du travail, ce que ce dernier ne fait toutefois pas.

L’appelant, qui souffrait de dyslexie, produit en outre des éléments médicaux faisant état d’un traitement contre la dépression nerveuse ainsi que d’un épuisement professionnel et diverses attestations et témoignages dont se déduit un investissement professionnel important.

La cour observe que, lors de la visite médicale en mai 2017 à la suite d’un arrêt pour maladie, il n’apparaît pas que le salarié ait été déclaré apte à reprendre son poste par le médecin du travail, l’employeur ne produisant en ce sens que l’attestation de suivi.

En d’autres termes, il se déduit de l’ensemble de ces éléments que M. [T] travaillait au-delà de la durée légale, ce qu’évidemment l’employeur ne pouvait ignorer au regard de l’ampleur des heures de travail revendiquées, et sous la contrainte d’astreintes organisées en violation de la convention collective.

Les griefs font état, pour l’essentiel, d’interventions bâclées et de négligences.

Or, la réalité des faits est loin d’être évidente.

Les parties mènent un débat assez technique sur l’entretien de chaudières.

Mais, par exemple, au sein de la résidence [Localité 6], il apparaît que M. [T] avait procédé au relevé de compteur et rien n’indique que la fissure reprochée ait été réellement décelable.

Au sein de la résidence de [Localité 5], l’absence de relevé de compteurs s’explique par le fait qu’ils ne fonctionnaient pas, une commande ayant d’ailleurs été passée, et le salarié posant une sonde provisoire comme il le devait.

Au sein de la résidence [Localité 7], s’il est exact que l’appelant a utilisé deux brûleurs de récupération, ce matériel atteste d’une insuffisance des stocks en magasin.

S’agissant des faits du 25 août 2017, rien ne démontre que M. [T] ait dénigré l’entreprise devant un client et, par ailleurs, les techniciens intervenus en renfort attestent avoir changé une carte défectueuse.

L’imputabilité à M. [T] du mauvais câblage n’est donc pas établie, étant souligné que l’aide sollicitée ce jour-là par celui-ci l’a été dans un moment de panique, le salarié s’effondrant ensuite en pleurs avant de faire l’objet d’un arrêt de travail.

En conséquence, une partie des faits n’est pas établie et l’autre partie des griefs trouve son explication dans la situation de stress intense vécue par le salarié à la suite d’un temps de travail trop important et inadapté à son état de santé.

Il importe peu que la société ait pu ne pas être complètement informée de l’état de santé réel de M. [T] dès lors qu’elle a contribué à le créer et que les griefs ne peuvent donc s’y adosser.

Les faits étant partiellement imputables à l’employeur ne sauraient donc constituer une cause sérieuse de licenciement.

Le jugement sera infirmé.

Compte tenu du salaire de M. [T], de sa qualification, de son ancienneté, de son âge, comme étant né en 1969, et de la situation personnelle dont il justifie, il lui sera accordé la somme de 20 000 euros comprise dans la fourchette prévue à l’article L.1235-3 du code du travail.

Il lui sera également accordé la somme de 2 500 euros à titre de frais irrépétibles de première instance et d’appel.

La sanction de l’article L.1235-4 du code du travail ne peut qu’être prononcée au regard de la taille de l’entreprise et de l’ancienneté du salarié.

PAR CES MOTIFS :

La cour d’appel statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi :

– infirme le jugement rendu le 14 janvier 2020, entre les parties, par le conseil de prud’hommes de Lille ;

– condamne la société Engie Energie Services à payer à M. [T] la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– précise que cette condamnation est prononcée sous déduction des cotisations applicables ;

– y ajoutant, déclare irrecevable la demande en dommages-intérêts au titre du manquement à l’obligation de sécurité ;

– déclare recevables les demandes au titre de la nullité du licenciement ainsi qu’en dommages-intérêts pour préjudice lié à la nullité ;

– les rejette ;

– condamne la société Engie Energie Services à payer à M. [T] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel ;

– la condamne également à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement jusqu’au jour du présent arrêt dans la limite de six mois ;

– rejette le surplus des prétentions ;

– condamne la société Engie Energie Services aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER

Gaetan DELETTREZ

LE PRESIDENT

Olivier BECUWE

 


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