Épuisement professionnel : 15 juin 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/03236

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Épuisement professionnel : 15 juin 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/03236

7ème Ch Prud’homale

ARRÊT N°256/2023

N° RG 20/03236 – N° Portalis DBVL-V-B7E-QYNN

M. [T] [W]

C/

S.A. SFR -SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE-

Copie exécutoire délivrée

le : 15/06/2023

à : MAITRES

CHATELLIER

COLLEU

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 15 JUIN 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Hervé KORSEC, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

GREFFIER :

Mme Adeline TIREL, lors des débats et Madame Françoise DELAUNAY lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 21 Mars 2023 devant Monsieur Hervé BALLEREAU, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Monsieur [X] [Z], médiateur judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 15 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [T] [W]

né le 27 Avril 1970 à [Localité 10]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Comparant en personne assisté de Me Carine CHATELLIER de la SCP VIA AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

S.A. SFR -SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE-

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Marie-Noëlle COLLEU de la SELARL AVOLITIS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Jérôme BENETEAU de la SCP FROMONT BRIENS, Plaidant, avocat au barreau de LYON

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [T] [W] a été embauché en qualité d’ingénieur avant-vente par la société Telindus selon un contrat à durée indéterminée en date du 17 décembre 2001. Le salarié était soumis à une convention individuelle de forfait annuel en jours.

Le 1er avril 2008, M. [W] a été promu au poste de responsable Ouest avant-vente et conseil.

Le 1er avril 2009, suite à une réorganisation, le salarié s’est vu confier un élargissement de ses missions et a été promu au poste de directeur technique ouest.

En avril 2014, la société Telindus a été reprise par le groupe SFR et le contrat de travail de M. [W] a été transféré à la SA SFR Business Solutions.

Le 1er juillet 2016, le périmètre de M. [W] a évolué, entraînant un changement de dénomination de poste à savoir Responsable avant-vente.

Le 1er avril 2017, le contrat de travail du salarié a été transféré à la SA SFR dans le cadre d’une réorganisation du groupe.

Le 1er septembre 2017, une nouvelle adaptation des périmètres de fonctions avait lieu et M. [W] s’est vu confier la prise en charge du pilotage des opérations de la région Ouest.

À compter du 20 novembre 2017, le salarié était placé en arrêt de travail pour maladie.

Le 21 novembre suivant, M. [W] remplissait un dossier de substitution dans le cadre du plan de départs volontaires arrêté par accord collectif du 24 mai 2017.

Le 19 janvier 2018, M. [W], par l’intermédiaire de son avocat, dénonçait les divers manquements de l’employeur lors de l’exécution du contrat de travail. En réponse du 13 février 2018, la SA SFR contestait les griefs formulés.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 09 avril 2018 et sans reprise préalable du travail, M. [W] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur aux motifs suivants :

– Modifications unilatérales du contrat de travail,

– Non respect de l’obligation légale de suivi des temps de travail,

– Manquement dans la mise en oeuvre du plan de départ volontaire,

– Manquement à l’obligation de sécurité résultant d’une surcharge de travail.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 30 avril 2018, la société SFR contestait les griefs formulés par le salarié au soutien de sa prise d’acte de la rupture.

 ***

M. [W] a saisi le conseil de prud’homes de Rennes par requête en date du 17 septembre 2018 afin de voir :

– Dire et juger que la Société SFR Vern a manqué à ses obligations contractuelles au titre des dispositions légales et conventionnelles en matière de convention de forfait jours,

– Prononcer la nullité de la convention de forfait jours

– Dire et juger que la Société SFR Vern a manqué à son obligation de sécurité de résultat,

– Dire et juger que la Société SFR Vern a manqué à son obligation de loyauté en modifiant unilatéralement le contrat de travail,

Par voie de conséquence,

– Requalifier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail intervenue le 13 avril 2018 en un licenciement sans cause réelle et sérieuse

À ce titre

– Condamner la Société SFR Vern à payer les sommes suivantes :

– heures supplémentaires : 45 785,93 euros ,

– Congés payés y afférent : 4 578,59 euros,

– Indemnité art.L.8221-5 du code du travail (6 mois x 6 240,57 euros) : 37 443,42 euros,

– Indemnité de préavis (3 mois x 6 240,57 euros) : 18 721,71 euros,

– Indemnité de licenciement : 43 636,10 euros,

– Dommages et intérêts pour licenciement abusif et injustifié (14 mois x 6 240,57 euros) 87.367,98 euros,

– Dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de l’exécution déloyale de son contrat de travail : 25 000,00 euros,

– Dommages et intérêts pour perte de chance d’avoir pu accéder au plan de départ volontaire: 40.000,00 euros,

– Dommages et intérêts pour préjudice moral : 20 000,00 euros,

– Article 700 du code de procédure civile : 7 000,00 euros,

– Dépens,

– Ordonner l’exécution provisoire.

La SA SFR a demandé au conseil de prud’hommes de :

– Article 700 du code de procédure civile : 7 000 euros.

Par jugement en date du 15 juillet 2020, le conseil de prud’hommes de Rennes a :

– Dit et jugé la convention de forfait privée d’effet,

– Dit et jugé que la prise d’acte de la rupture du 08 août 2016 à l’initiative de M. [W] de son contrat de travail le liant à la société SFR doit être requalifiée en démission ;

– Débouté M. [W] de l’ensemble de ses demandes ;

– Dit et jugé que la demande de paiement d’heures supplémentaires de M. [W] n’est pas fondée, le déboute de cette demande et de la totalité de ses demandes afférentes ;

– Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

– Condamné M. [W] au paiement des dépens de l’instance.

***

M. [W] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 17 juillet 2020.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 04 novembre 2020, M. [W] demande à la cour d’appel de:

– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Rennes du 15 juin 2020 en ce qu’il a dit et jugé la convention de forfait privée d’effet;

– Réformer pour le surplus le jugement du conseil de prud’hommes de Rennes du 15 juin 2020 ;

Statuant à nouveau:

– Requalifier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail intervenue le 13 avril 2018 en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– Condamner la Société SFR à lui payer les sommes suivantes :

– heures supplémentaires : 44 235,53 euros

– Congés payés y afférent : 4 423,55 euros

– Indemnité article L.8221-5 du code du travail (6 mois x 6 240,57 euros) : 37 443,42 euros

– Indemnité de préavis (3 mois x 6 240,57 euros) : 18 721,71 euros

– Indemnité de licenciement : 43 636,10 euros

– Dommages et intérêts pour licenciement abusif et injustifié (14 mois x 6 240,57 euros) : 87 367,98 euros

– Dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de l’exécution déloyale de son contrat de travail : 25 000,00 euros

– Dommages et intérêts pour perte de chance d’avoir pu accéder au plan de départ volontaire : 40 000,00 euros

– Dommages et intérêts pour préjudice moral : 20 000,00 euros

– Article 700 du code de procédure civile : 7 000,00 euros

– Dépens.

M. [W] développe en substance l’argumentation suivante:

– La société SFR a modifié unilatéralement son contrat de travail en lui confiant au mois de juillet 2017 la fonction supplémentaire de pilote opérationnel qui imposait le suivi de l’ensemble des déploiements clients SFR sur le grand ouest ; aucune fiche de poste n’a été établie et aucun avenant n’a été signé ; des témoins et notamment son ancien supérieur hiérarchique, attestent de l’importante charge de travail supplémentaire induite par ce changement contractuel ; cette modification du contrat a mis en danger sa santé en lui imposant un rythme de travail intenable ; il ne s’agit pas d’une simple évolution de fonction ; il n’a été informé du changement intervenu qu’à son retour de congés d’été 2017, l’information ayant été précédemment diffusée en interne ;

– La société SFR n’a jamais procédé à une évaluation de la charge de travail et elle ne lui a jamais demandé de réduire ses tâches ; l’employeur n’a pris aucune mesure alors qu’il était informé du surmenage du salarié; il n’avait aucun moyen de déléguer alors que les équipes opérationnelles étaient elles-mêmes en sous-effectif et sous tension ; il avait alerté sur ce sous-effectif en octobre 2017 ; son ancien poste est aujourd’hui occupé par trois personnes différentes: un responsable avant-vente cybersécurité, un responsable de site et un directeur des opérations grand ouest ;

– Aucun entretien sur la charge de travail n’a été réalisé en 2017 ; cet entretien était d’autant plus nécessaire eu égard au cumul de fonctions imposé par l’employeur ; ce manquement prive de validité la convention de forfait en jours ; des heures supplémentaires sont dues ; aucun document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées n’a été établi ;

– Il lui a été refusé, sans aucune justification, le bénéfice du plan de départ volontaire qui était en vigueur au sein de l’entreprise ; son homologue pour la région Est, M. [H], a pour sa part bénéficié de ce plan ; il répondait aux conditions requises puisqu’il avait finalisé un dossier de substitution mais n’a reçu aucune réponse de la direction ;

– Son médecin traitant certifie qu’il n’avait pas de problèmes médicaux particuliers avant la survenance de difficultés liées au travail en 2017 ; la charge de travail a directement compromis son état de santé ; il a été victime d’un burn out professionnel ; la société SFR n’a pris aucune mesure corrective;

– Le refus injustifié du bénéfice du plan de départ volontaire lui a fait perdre une indemnité d’un montant de 304.000,10 euros ;

– Ses agendas et le décompte qu’il a établi font apparaître de nombreuses heures supplémentaires impayées; l’employeur ne peut pas se retrancher derrière la convention de forfait en jours pour imposer des déplacements lointains conduisant à des amplitudes horaires quotidiennes particulièrement importantes.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 15 janvier 2021, la SA SFR demande à la cour d’appel de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de débouter Monsieur [W] de l’ensemble de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 7 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

La société SFR développe en substance l’argumentation suivante:

– L’évolution du périmètre des fonctions de M. [W] n’a pas impacté ses attributions telles que définies dans l’avenant à son contrat de travail l’ayant nommé Responsable Ouest avant-vente et conseil ;

– Son contrat de travail prévoyait que ses fonctions étaient susceptibles d’évoluer ; l’ajout en août 2017 de la mission de pilotage des opérations de la région Ouest n’a aucunement porté atteinte à ses responsabilités nécessairement évolutives et à sa rémunération ; il n’est pas justifié d’un lien entre le burn out allégué fin 2017 et l’évolution des missions du salarié ;

– L’accord majoritaire du 24 mai 2017 a déterminé précisément les conditions de validation d’un départ volontaire avec notamment l’exigence d’un projet professionnel finalisé ou à finaliser ; M. [W] ne remplissait pas cette condition faute de justifier d’un tel projet ; sa candidature était tardive et un projet ne pouvait être mis en oeuvre avant l’échéance du 30 novembre 2017 fixée par le plan ; le dossier de M. [U] avait quant à lui été validé le 31 août 2017, soit bien avant l’échéance ;

– M. [W] n’a jamais informé la société avant son entretien du 8 novembre 2017 d’un quelconque risque relatif à son état de santé en lien avec ses conditions de travail ; dès cet entretien, l’employeur a évalué la charge réelle de travail du salarié en vue de lui apporter des solutions concrètes et lui permettre de mieux contrôler sa charge de travail ; les attestations qu’il produit ne sont pas conformes à l’article 202 du code de procédure civile ;

– Il n’est justifié d’aucun préjudice moral et d’aucune déloyauté dans l’exécution du contrat de travail ;

– Il ne peut être demandé simultanément des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages-intérêts pour refus injustifié du plan de départ volontaire qui tendent aux mêmes fins, à savoir réparer le préjudice causé par la perte de l’emploi ;

– Les décomptes d’heures supplémentaires comportent des incohérences qui discréditent la réclamation de M. [W] ; l’argument tiré des déplacements professionnels n’est pas probant alors que la mention de rendez-vous dans l’agenda ne permet pas de confirmer le décompte des heures réellement travaillées ; M. [W] disposait d’une certaine latitude dans la gestion de son temps de travail du fait des caractéristiques de son emploi et il pouvait vaquer à des occupations personnelles pendant ses journées de travail ; il n’est établi aucune intention de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à la réalité.

***

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 28 février 2023 avec fixation de la présente affaire à l’audience du 21 mars 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues oralement à l’audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur la convention de forfait et la demande relative aux heures supplémentaires:

Il résulte des articles 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, L. 3121-45 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière de I’article 17 paragraphes 1 et 4 de la Directive 1993-104 CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17 paragraphe l, et 19 de la Directive 2003-88 CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne que le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles et que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.

Ainsi, toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

L’article 19 III de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 n’a pour objet que de sécuriser les accords collectifs conclus sous l’empire des dispositions régissant antérieurement le recours aux conventions de forfait et les dispositions de l’article L. 3121-46 du code du travail, issues de la même loi, sont applicables aux conventions individuelles de forfait en jours en cours d’exécution lors de son entrée en vigueur.

En vertu de ce dernier texte, dans sa rédaction issue de la loi précitée du 20 août 2008, un entretien annuel individuel est organisé par l’employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié.

Il appartient à l’employeur de rapporter la preuve d’un contrôle effectif de la charge de travail du salarié et de l’amplitude du temps de travail.

La convention de forfait prévue au contrat de travail doit préciser les modalités de surveillance de la charge de travail du salarié.

Lorsque le forfait en jours est mis en place en dehors des conditions posées par la loi ou à défaut de garanties suffisantes, il est déclaré nul par le juge, ce qui le rend définitivement inopposable au salarié pour le passé, le présent et l’avenir.

En cas de nullité de la convention de forfait, le salarié peut alors revendiquer l’application des règles de droit commun afférentes au décompte et à la rémunération du temps de travail.

En l’espèce, l’article V du contrat de travail du 9 novembre 2001 stipule: ‘La durée de travail effectif annuel de Monsieur [T] [W] est de 217 jours ou 434 demi-journées. Ces derniers sont précisés d’accord entre l’employeur et le salarié, dans un planning prévisionnel annuel’.

Il n’est fait aucune référence dans le contrat de travail aux modalités de contrôle de la charge de travail de M. [W], pas plus que dans l’avenant du 24 avril 2008.

Les trois comptes-rendus d’entretien (16 février 2016, 27 mai 2016 et 28 février 2017) versés aux débats par la société SFR ne font aucune référence à une évaluation de la charge de travail du salarié, de l’organisation du travail dans l’entreprise, de l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi qu’à la rémunération.

Il ne résulte plus généralement d’aucune autre pièce des dossiers remis à la cour que ces paramètres aient été évalués annuellement.

Dans ces conditions, le jugement entrepris qui a déclaré la convention de forfait en jours ‘privée d’effet’ sera confirmé de ce chef.

Il résulte des dispositions de l’article L3171-4 du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, M. [W] produit une copie de ses agendas pour la période allant du 28 décembre 2015 au 31 octobre 2017, lesquels mentionnent le détail des tâches devant être réalisées ainsi que les plages horaires correspondantes.

Il produit en outre des décomptes de ses heures de travail pour les années 2016 et 2017 qui font apparaître en 2016, 393,3 heures supplémentaires et en 2017, 506,4 heures supplémentaires, le décompte des dites heures ayant été effectué par semaine civile et faisant ressortir distinctement le total hebdomadaire, les heures supplémentaires et le taux horaire applicable, pour parvenir à un rappel de salaire total qu’il estime lui être dû d’un montant de 44.235,53 euros.

Ils produit encore les attestations de Mme [B], collaboratrice de 2000 à 2017, qui fait état d’une charge de travail très importante assumée par M. [W], de même que celle de M. [R], supérieur hiérarchique de mai 2016 à décembre 2017, qui évoque également une charge de travail importante relative à des escalades clients pour des crises opérationnelles sur un périmètre non maîtrisé en termes d’organisation, de processus et d’outils.

Ces éléments permettent à l’employeur de répondre en justifiant des heures de travail effectives du salarié.

En référence à une pièce 14 qui est un compte rendu d’entretien annuel pour la période 2015/2016 sans lien avec l’évaluation du temps de travail du salarié, la société SFR pointe des incohérences qui affecteraient les ‘tableaux initiaux’ de M. [W].

Outre le fait qu’elle ne produit aucun élément vérifiable de nature à contredire objectivement les relevés et le décompte du salarié, les incohérences qu’elle pointe ne figurent pas dans le tableau récapitulatif versé en pièce n°31 par M. [W] qui a porté en déduction les jours fériés, demi-journées de repos et journées de congés payés.

S’agissant des temps de déplacement professionnel pris en compte par le salarié et contestés par l’employeur comme ne constituant pas un temps de travail effectif, il doit être rappelé que l’article L3121-4 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige dispose que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif.

Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière. Cette contrepartie est déterminée par convention ou accord collectif de travail ou, à défaut, par décision unilatérale de l’employeur prise après consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, s’il en existe. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l’horaire de travail n’entraîne aucune perte de salaire.

En l’espèce, il n’est pas contesté que M. [W] a dû se rendre en déplacement professionnel le 9 janvier 2017 à [Localité 9], son agenda mentionnant un départ en gare de [Localité 7] à 6h10 pour [8] où il devait prendre l’avion jusqu’à [Localité 9].

Il est justifié par la production de son agenda qu’il a effectué un autre déplacement professionnel à [Localité 9] le 23 mai 2017.

Plus généralement, la lecture des agendas révèle que M. [W] devait effectuer des déplacements professionnels sur l’ensemble du territoire français de façon très régulière.

Il n’est cependant pas établi que durant ses temps de déplacement à [Localité 9] ou ailleurs sur le territoire métropolitain, M. [W] ait été dans l’incapacité de vaquer à des occupations personnelles et qu’il ait dû se tenir en permanence durant les dits trajets à la disposition de son employeur, de telle sorte qu’il ne peut quantifier les dits temps de déplacement comme constituant un temps de travail effectif.

Cet élément doit être pris en compte pour déterminer le quantum des heures supplémentaires dues.

Dans ces conditions, la cour est en mesure de fixer le montant du rappel de salaire dû à M. [W] à titre de rappel d’heures supplémentaires pour les années 2016 et 2017, à la somme de 29.490 euros que la société SFR sera condamnée à lui payer, outre celle de 2.949 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

2- Sur la demande d’indemnité pour travail dissimulé:

En vertu des dispositions de l’article L 8221-5 du Code du travail, le fait de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la déclaration préalable à l’embauche ou de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, est réputé travail dissimulé.

En application de l’article L 8223-1 du même code, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits visés à l’article L 8221-5, a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l’espèce, s’il est constant que c’est par suite de l’invalidité de la convention de forfait en jours stipulée au contrat de travail que M. [W] est créancier d’heures supplémentaires évaluées en fonction de son temps effectif de travail, il n’est toutefois nullement démontré que la société SFR ait eu l’intention de dissimuler une partie des heures de travail réalisées par le salarié en ne les mentionnant pas sur les bulletins de paie qui ne font que rappeler le caractère forfaitaire, certes erroné, des appointements mensuels.

En l’absence de preuve d’une telle intention de l’employeur, la demande de M. [W] est vouée à l’échec et le jugement entrepris qui l’en a débouté sera confirmé de ce chef.

3- Sur la demande de requalification de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail :

Aux termes de l’article L 1222-1 du Code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Il est loisible au salarié confronté au non respect par l’employeur des obligations inhérentes au contrat de travail, de prendre acte de la rupture du dit contrat.

Cette prise d’acte de la rupture par le salarié ne constitue ni un licenciement, ni une démission, mais une rupture produisant les effets de l’un ou de l’autre selon que les faits invoqués la justifient ou non.

Si elle est fondée sur des faits avérés constitutifs d’une violation des obligations contractuelles de l’employeur, la rupture est requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il appartient dans cette hypothèse au salarié de rapporter la preuve de ce que les manquements reprochés sont d’une gravité suffisante pour justifier l’impossibilité de poursuivre la relation de travail.

L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à l’employeur ne fixe pas les limites du litige.

Il appartient donc au Conseil de prud’hommes d’examiner l’ensemble des griefs invoqués par le salarié à l’encontre de l’employeur, quelle que soit leur ancienneté, même s’ils n’ont pas été mentionnés dans la lettre de prise d’acte.

En l’espèce, dans sa lettre de prise d’acte en date du 9 avril 2018, M. [W] développe sur quatre pages les griefs qu’il entend reprocher à son employeur et qu’il considère comme étant de nature à rendre impossible la poursuite de la relation contractuelle de travail.

M. [W] soutient s’être vu imposer une modification unilatérale de son contrat de travail:

– A compter de mi-juillet 2016, par l’adjonction de fonctions de responsable avant-vente cybersécurité en sus des fonctions de Responsable du site de Vern ainsi que, sur une période de trois mois, un cumul avec les fonctions de directeur technique ;

– A son retour de congés en juillet 2017, avec la découverte d’une nouvelle fonction supplémentaire initialement désignée comme ‘Pilote des opérations’ puis ‘Directeur des opérations’, visant à assurer le suivi de l’ensemble des déploiements clients de SFR Business sur le Grand Ouest ([Localité 4], [Localité 5], [Localité 6], [Localité 3]). M. [W] déplore l’absence de remise d’un descriptif de ses nouvelles fonctions et d’une fiche de poste, ce qui ne lui a pas permis d’appréhender le périmètre et la charge de travail en découlant, tandis que dans le même temps, ses coordonnées avaient été transmises aux commerciaux SFR Grand Ouest aux équipes de production internes, aux partenaires revendeurs, aux sous-traitants et aux clients, pour qu’ils puissent le solliciter ou solliciter son binôme en cas de difficulté.

M. [W] expose que l’ensemble des adjonctions de fonctions depuis la reprise de la société Telindus par la société SFR ont entraîné une surcharge très importante de travail accentuée par un sous effectif des équipes (manque de sept personnes sur la direction des opérations, de deux sur l’équipe avant vente) et le plan de départ volontaires.

Il ajoute que les problématiques afférentes à la nouvelle fonction supplémentaire se sont avérées très vastes et éloignées de son domaine initial de compétence, couvrant à titre d’exemple:

– la couverture 4G

– la pose des fibres optiques, le génie civil (ouverture de chaussées, travaux de raccordement)

– les droits et usages de poteaux électriques

– le traitement des numéros d’urgence

– les process industriels de déploiement.

Il précise que le niveau de pression qu’il a subi a été accentué par le niveau d’insatisfaction non seulement des clients de la région Ouest du fait de dysfonctionnements récurrents, que des sous-traitants et commerciaux SFR.

Il évoque des demandes réitérées de sa part visant à trouver une solution pour que soit gérée une situation de crise résultant d’une désorganisation interne structurelle, ainsi que la question de sa surcharge de travail, sans avoir reçu la moindre réponse de la direction, ajoutant que son binôme, lui-même directeur de région, a été victime d’un burn out et qu’il a intégré le plan de départ volontaire.

Il dénonce le fait que son dossier de demande d’intégration au plan de départ volontaire n’ait pas été validé par la direction, sans explication légitime.

Il dénonce en outre l’impact qu’a eu, sur son état de santé, la surcharge de travail qui lui a été imposée et qui l’a conduit à la prescription par son médecin d’un arrêt de travail pour épuisement professionnel à compter du 21 novembre 2017.

Il dénonce le non-respect des dispositions applicables en matière de convention de forfait en jours puisque sur un forfait de 216 jours, il cumulait 225 jours travaillés à la date de son arrêt de travail le 21 novembre 2017 et qu’il n’a bénéficié au début de l’année 2017 d’aucun entretien spécifique sur sa charge de travail, son planning et la conciliation travail-vie privée.

Il reproche à son employeur de traiter par le mépris la lettre de réclamation adressée par son avocat le 19 janvier 2018, sans réponse ni explication et sans envisager de solution lui permettant la poursuite du contrat de travail sans mettre en péril sa santé.

Il considère que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité, l’ensemble des points évoqués constituant selon lui des manquements graves et persistants justifiant la prise d’acte du contrat de travail.

Le contrat de travail signé le 9 novembre 2001 entre la société Telindus et M. [W] mentionne en son article II un poste d’Ingénieur Avant-Ventes et expose les principales missions confiées au salarié, ajoutant: ‘Cette énumération ne saurait être exhaustive et les attributions de Monsieur [T] [W] seront susceptibles d’évoluer au vu des impératifs générés par l’activité de la société dans le respect du caractère substantiel de la fonction et de la qualification de ce dernier’.

L’avenant signé le 24 avril 2008 confiait au salarié la fonction de Responsable Ouest avant vente et conseil.

Pour autant, les bulletins de salaires versés aux débats font apparaître, de janvier 2015 à juin 2016, sous les directions successives des sociétés Telindus France [Localité 7], puis à compter d’octobre 2015, SFR Business Solutions [Localité 7], la fonction de Directeur Technique Ouest, cadre position II – coefficient 125.

De fait, l’employeur expose dans ses écritures qu’à compter du 1er avril 2009, du fait de la mise en place d’une nouvelle organisation, il était procédé à un ‘élargissement des fonctions’ du salarié dont le poste était renommé ‘Directeur Technique Ouest’ avec la responsabilité des lignes de service ‘Sécurité, Prévention, Administration’ et ‘Infrastructure Mobility Unified Communications’.

A compter de juillet 2016, les bulletins de salaire mentionnent le poste, non plus de Responsable Technique Ouest, mais de Responsable Avant Vente, sans qu’aucun avenant ne vienne décrire les nouvelles fonctions confiées, tandis que l’employeur expose qu’à compter de cette date ‘le périmètre de fonctions de M. [W] a évolué ainsi que son libellé d’emploi (…) sans que cela ne constitue une modification de son contrat de travail’.

Cette appréciation est contredite par l’attestation de M. [R], supérieur hiérarchique du salarié entre mai 2016 et décembre 2017, qui affirme avoir personnellement constaté une ‘charge de travail importante relative à des escalades clients pour des crises opérationnelles sur un périmètre non maîtrisé en termes d’organisation, de processus et d’outils par M. [W]’.

Mme [D], collègue de travail du salarié entre 2000 et 2017, atteste de ce que la direction de la société SFR, dans le cadre d’un contexte économique particulièrement difficile à compter de l’année 2016, a imposé à M. [W] d’assumer trois fonctions distinctes : Responsable de site ; Responsable avant vente (Nord, Ouest, Sud-Ouest) et Pilote des opérations Ouest ([Localité 3], [Localité 5], [Localité 4], [Localité 6]).

S’agissant de cette dernière fonction, il résulte d’un courriel de la direction communication de la société SFR en date du 22 août 2017, qu’il s’est alors agi pour l’entreprise de mettre en oeuvre une ‘nouvelle organisation du B2B’ dans le cadre de laquelle a été créé un Comité de Direction Opérationnel des Opérations B2B comprenant, outre les membres du Comité de Direction Exécutif, un pilote des opérations pour chacune des régions couvertes par l’activité (Ouest, Nord-est, IDF, Méditerranée, Centre-est et Sud-ouest), M. [W] étant à ce titre nommé Pilote des Opérations de la région Ouest.

Le rôle des Pilotes des opérations est ainsi défini: ‘Ces Pilotes Opérations coordonneront les différentes Directions Déploiement (Télécoms et Services ICT) et Relation client (technique et administrative) au niveau local, afin de maîtriser le processus de bout en bout et de responsabiliser les régions et les secteurs sur la qualité d’exécution opérée vis-à-vis de leurs clients’.

Il est établi qu’à la date de diffusion de ce message, M. [W] était en congés et que c’est à son retour de vacances qu’il découvrait la nouvelle mission qui lui était attribuée, aucun avenant à son contrat de travail ne lui ayant été soumis, tandis que les bulletins de salaire ont continué à ne mentionner que le poste de Responsable avant vente avec les mêmes niveaux et coefficient hiérarchique.

M. [W] cumulait alors trois fonctions distinctes, ainsi que l’expose dans son témoignage Mme [D] et au-delà de l’affirmation de principe de ce qu’il ne se serait agi que d’une simple ‘adaptation du périmètre de fonctions’ du salarié, la société SFR ne s’explique pas sur les liens pouvant exister entre les postes de Directeur Technique Ouest, de Responsable Avant Vente et de Pilote des Opérations Ouest, cette dernière fonction particulièrement vaste, ainsi que cela résulte de la définition qui en est donnée dans le courriel susvisé de la direction de la société SFR en date du 22 août 2017, excédant manifestement le champ de compétences de M. [W] tel qu’il résultait de l’avenant contractuel du 24 avril 2008 qui le nommait Responsable avant vente et conseil, étant encore observé que le salarié oeuvrait historiquement depuis son embauche dans le domaine de la cybersécurité et qu’il se voyait désormais confier une mission de coordination des différentes Directions Déploiement (Télécoms et Services ICT) et Relation client (technique et administrative).

Il est en outre établi que l’accroissement des fonctions non contractualisé s’est accompagné d’un accroissement du nombre de déplacements professionnels, ce qui ressort clairement non seulement des copies d’agendas versées aux débats, mais également des attestations susvisées de Mmes [B], [D], et de celles de M. [U], homologue de M. [W] pour la région Est, ainsi enfin que l’attestation de M. [R].

Il ne résulte d’aucun élément objectif que l’employeur, contrairement à ce qu’affirme la société SFR, ait informé M. [W], préalablement au courriel du 22 août 2017, de la modification des fonctions qui lui étaient confiées, étant ici observé que le 26 octobre 2017, lors d’une réunion du Comité central d’entreprise, étaient dénoncées par voie de résolution, ‘des réorganisations initialisées et mises en oeuvre sur les deux périmètres sans la moindre information et consultation des instances compétentes et du CCE’, ceci constituant ‘une atteinte grave au dialogue social (…)’.

En tout état de cause et alors que les changements induits par la décision de l’employeur entraînaient non pas une simple évolution des conditions de travail, mais une véritable modification du contrat de travail par l’effet de l’adjonction de nouvelles tâches matérielles affectant la nature des fonctions confiées, un avenant devait être signé, ce qui n’a pas été le cas, au mépris des droits du salarié.

La société SFR admet que le salarié a exprimé des difficultés à supporter sa charge de travail lors d’un entretien avec son supérieur hiérarchique le 8 novembre 2017, tandis que le 15 novembre 2017, M. [W] adressait un courriel à M. [O], évoquant deux entretiens les 8 et 13 novembre et développant les difficultés auxquelles il était confronté depuis son retour de congés d’été 2017 (changement de fonctions entraînant une surcharge de travail, manque d’effectifs, relations clients très tendues) et concluant: ‘Mercredi dernier, je t’ai informé que j’avais atteint mes limites et que j’étais très fatigué, je te le réaffirme aujourd’hui. La situation n’est plus tenable et acceptable pour moi’, avant d’évoquer les pistes envisageables pour alléger sa charge de travail.

En vain recherchera t’on dans le dossier de la société SFR une quelconque réponse apportée à ce courriel, nonobstant le courrier de relance adressé par le salarié le 28 novembre 2017, tandis qu’il est constant que le 20 novembre 2017, M. [W] était placé par son médecin traitant en arrêt de travail pour maladie, arrêt qui sera prolongé jusqu’à la prise d’acte de la rupture du contrat de travail.

Il n’est justifié d’aucune mesure d’enquête, d’aucune saisine du CHSCT sur la question évoquée par le salarié des conséquences de sa charge de travail sur son état de santé, d’aucune prise de contact avec le médecin du travail ; or, dans un certificat daté du 4 septembre 2018, le médecin traitant de M. [W] indique bien connaître ce patient suivi depuis 2012 et, qui alors qu’il n’avait ‘pas de problèmes médicaux particuliers avant ce problème, en particulier pas de pathologie psychologique ni psychiatrique’, lui a fait part ‘depuis fin novembre 2017 de grosses difficultés dans son travail, augmentation des charges de travail, manque de moyens, pas d’écoute, pas de reconnaissance de la part de la hiérarchie’ (…) ‘Il ne souhaitait pas d’arrêt de travail initialement, mais son état psychologique a imposé un arrêt fin novembre, qui a été prolongé à plusieurs reprises. On a remarqué une amélioration psychologique significative lorsque la situation professionnelle s’est arrangée. Le problème présenté par Monsieur [W] s’inscrit donc totalement dans le cadre d’un ‘burn out’ professionnel’.

Il n’est justifié par la société SFR d’aucune mesure prise en conformité avec les dispositions de l’article L4121-1 du code du travail pour protéger la santé et assurer la sécurité du salarié, qui de surcroît accomplissait de façon régulière de nombreuses heures supplémentaires, sans aucun contrôle effectif par l’employeur de la charge de travail de l’intéressé, ainsi que cela résulte des développements qui précèdent sur la nullité de la convention de forfait en jours et les heures supplémentaires.

En considération de l’ensemble de ces éléments qui caractérisent des manquements graves de l’employeur et sans qu’il soit justifié d’entrer plus avant dans le détail de l’argumentation des parties, il convient par voie d’infirmation du jugement entrepris, de requalifier la prise d’acte en rupture aux torts exclusifs de l’employeur produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans ces conditions, il convient de faire droit aux demandes du salarié au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité de licenciement qui ne sont pas utilement discutées dans leur quantum et de condamner la société SFR à payer en conséquence à M. [W]:

– 18. 721,71 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis (3mois de salaire, soit 6.240,57 euros x 3)

– 43.636,10 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement.

En application des dispositions de l’article L1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable à la date de la prise d’acte, M. [W] peut prétendre à l’indemnisation de l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement par le versement d’une indemnité comprise entre 3 et 13,5 mois de salaire.

En considération des circonstances de la rupture, de l’ancienneté du salarié (16 ans révolus), de son âge (47 ans), étant toutefois observé qu’il n’est pas justifié de la situation de l’intéressé depuis la prise d’acte, notamment au regard de la durée du chômage, des recherches d’emploi et de leur résultat, il convient de condamner la société SFR à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En application de l’article L1235-4 du code du travail, la société SFR sera condamnée à rembourser à Pôle emploi les allocations de chômage versées à M. [W] par suite de la rupture, dans la proportion de trois mois.

4- Sur les demandes de dommages-intérêts pour préjudices distincts:

4-1: S’agissant de la perte de chance d’accéder au plan de départ volontaire:

Suivant accord majoritaire portant sur les mesures sociales d’accompagnement du projet de réorganisation des sociétés de l’UES SFR en application des articles L1233-24-1 et suivants du code du travail, en date du 24 mai 2017, les dites sociétés et les organisations syndicales représentatives rappellent les principes directeurs d’un plan de départ volontaire acté par un accord dit ‘Nex Deal’ en date du 3 août 2016.

Aux termes de l’article 6.2 de l’accord, ce plan de départ volontaire est ouvert selon un principe de volontariat des collaborateurs porteurs d’un projet ‘finalisé’ ou ‘à finaliser’.

Il est spécifié que le volontaire doit pouvoir attester d’un projet professionnel concret et viable, après avis de l’Espace conseil mobilité, le projet devant être réaliste, garantir l’employabilité et permettre au collaborateur de reprendre une activité dans les meilleurs délais.

La candidature doit être validée par une commission de validation des projets, dont les règles de composition et de fonctionnement sont définies au articles 7.2.2 et suivants de l’accord.

Il est en outre prévu la possibilité d’un ‘volontariat par substitution’ permettant au collaborateur, par sa mobilité externe, le reclassement effectif en interne d’un collaborateur en contrat de travail à durée indéterminée appartenant à une catégorie d’emploi éligible pour laquelle le nombre de suppressions de postes envisagées n’aurait pas encore été atteint (article 1.3 de l’accord).

S’il est établi que M. [W] a indiqué dans un mail du 21 novembre 2017 qu’il était en mesure de s’inscrire dans le volontariat par substitution, en la personne de son collègue [G] [M], pilote opérationnel NE, les pièces n°27 et 28 auxquelles il se réfère ne démontrent pas l’existence d’un projet professionnel finalisé ou ‘à finaliser’ répondant aux conditions fixées par l’accord et transmis à la commission de validation des projets dans le délai imparti par celui-ci, soit avant le 30 novembre 2017, date fixée par les partenaires sociaux comme marquant la fin de la période de volontariat et correspondant à la dernière réunion de la commission de validation des projets.

En tout état de cause, il ne résulte d’aucun élément objectif que l’employeur, qui n’était pas majoritaire au sein de la commission de validation des projets composée de quatre représentants de la direction, de deux représentants de chaque organisation syndicale signataire de l’accord et de deux représentants de l’espace mobilité, ait commis un manquement qui lui soit imputable dans l’instruction de la candidature de M. [W], de nature à priver ce dernier de la survenance d’un événement favorable constitué de l’octroi d’une indemnité de plus de 304.000 euros, alors que la décision de validation ou non d’un projet n’appartenait qu’à la commission après examen du dossier, dans des conditions précises définies aux articles 7.2.2 et suivants de l’accord.

Il n’est en outre pas justifié du respect des dispositions de l’article 7.1.2 alinéa 4 et 5 de l’accord qui dispose: ‘Le collaborateur éligible au volontariat adressera sa candidature écrite par lettre recommandée avec avis de réception à la Commission de Validation des Projets en précisant notamment l’option de volontariat choisie parmi les six figurant à l’article 6.2 du Titre 4. Seuls les dossiers envoyés à la Commission de Validation des Projets par lettre recommandée avec avis de réception seront examinés.

Par ailleurs, les dossiers de candidature des collaborateurs éligibles devront être réceptionnés par la Commission de Validation des Projets, au plus tard 48 heures ouvrées avant le début de la réunion de la Commission de Validation des Projets’.

Les échanges de mails produits par M. [W] en pièce 25 ne font d’ailleurs pas référence à l’envoi à la Commission d’un dossier en lettre recommandée avec demande d’avis de réception dans les délais prescrits par l’accord.

C’est donc à juste titre que les premiers juges ont débouté M. [W] de sa demande et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

4-2: S’agissant de la déloyauté dans l’exécution du contrat de travail:

En vertu de l’article L 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

A ce titre, l’employeur a un devoir de loyauté dans l’exécution du contrat de travail aussi bien en ce qui concerne la mise en oeuvre du contrat que l’application de la législation du travail.

M. [W] sollicite de ce chef le paiement d’une somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts sans s’expliquer précisément sur le fondement de cette prétention et sans justifier d’éléments concrets de nature à caractériser une exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur ayant été la source d’un préjudice distinct de celui causé par la rupture du contrat de travail qui est d’ores et déjà indemnisé par le présent arrêt.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [W] de ce chef de demande.

4-3: S’agissant du préjudice moral:

Pas plus qu’il ne s’explique sur les éléments concrets de nature à caractériser une déloyauté dans l’exécution du contrat de travail, M. [W] ne produit aucune pièce de nature à caractériser un préjudice moral spécifique qui lui ait été causé du fait de l’employeur, qu’il s’agisse des conditions d’exécution ou de rupture du contrat de travail.

Le jugement entrepris a omis de statuer sur cette prétention qui doit être rejetée faute de preuve.

5- Sur les dépens et frais irrépétibles:

En application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la société SFR, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

Elle sera donc déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité commande en revanche de condamner la société SFR, sur ce même fondement juridique, à payer à M. [W] la somme de 3.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme partiellement le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit que la prise d’acte en rupture notifiée par M. [W] à la société SFR par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 9 avril 2018 s’analyse en une rupture aux torts exclusifs de l’employeur produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société SFR à payer à M. [W] les sommes suivantes:

– 29.490 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires

– 2.949 euros à titre de congés payés sur rappel de salaire

– 18. 721,71 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

– 43.636,10 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement

– 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société SFR à rembourser à l’organisme gestionnaire de l’assurance chômage, Pôle emploi, les allocations de chômage versées à M. [W] par suite de la rupture, dans la proportion de trois mois ;

Confirme pour le surplus le jugement entrepris, excepté sur les dépens ;

Y ajoutant,

Déboute la société SFR de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société SFR à payer à M. [W] la somme de 3.500 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société SFR aux dépens de première instance et d’appel.

Le Greffier Le Président

 


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