PS/DD
Numéro 22/4499
COUR D’APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 15/12/2022
Dossier : N° RG 22/01250 – N��Portalis DBVV-V-B7G-IGIE
Nature affaire :
Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail
Affaire :
S.E.L.A.R.L. EKIP’
C/
[U] [I],
UNEDIC – AGS CGEA [Localité 3]
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 15 Décembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 28 Septembre 2022, devant :
Madame CAUTRES, Présidente
Madame SORONDO, Conseiller
Madame PACTEAU, Conseiller
assistées de Madame LAUBIE, Greffière.
En présence de Madame DUPONT, Greffière stagiaire.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTE :
S.E.L.A.R.L. EKIP’
Prise en la personne de Maître [D] [M], ès qualité de Mandataire liquidateur de la SARL CUISINES PYRENEES
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Maître MEHATS, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMÉES :
Madame [U] [I]
née le 04 Juin 1985 à [Localité 9]
de nationalité Comorienne
[Adresse 1]
[Localité 5]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/3055 du 29/07/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PAU)
Représentée par Maître PETRIAT, avocat au barreau de PAU
UNEDIC – AGS CGEA [Localité 3]
Prise en la personne de son Directeur
Bureaux du Parc
[Adresse 6]
[Localité 4]
Non Représentée
sur appel de la décision
en date du 06 AVRIL 2022
rendue par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE PAU
RG numéro : 20/00213
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [U] [I] a été embauchée le 11 juillet 2017 par la société Cuisines Pyrénées en qualité de vendeur, catégorie employée, suivant contrat à durée indéterminée régi par la convention collective nationale au négoce de l’ameublement.
Le 4 juin 2019, elle a été placée en arrêt de travail pour maladie, ensuite prolongé jusqu’au 31 octobre 2019.
Le 22 juillet 2019, elle a dénoncé ses conditions de travail et a indiqué qu’elles sont à l’origine de sa maladie.
Elle a demandé à plusieurs reprises à ce que la société Cuisines Pyrénées maintienne son salaire pendant son arrêt maladie.
Le 4 novembre 2019, le médecin du travail l’a déclarée inapte en ces termes : « Inapte au poste et à tout poste dans l’entreprise. Aucun aménagement ni aucun reclassement n’est envisageable dans l’entreprise ».
Le 2 décembre 2019, la société Cuisines Pyrénées l’a informée de l’impossibilité de la reclasser.
Le 3 décembre 2019, elle a été convoquée à un entretien préalable fixé le 16 décembre suivant.
Le 19 décembre 2019, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 17 septembre 2020, elle a saisi la juridiction prud’homale.
Par jugement du 23 février 2021, le tribunal de commerce de Pau a prononcé la liquidation judiciaire de la société Cuisines Pyrénées et a désigné la Selarl Ekip’ en qualité de liquidateur.
Par jugement du 6 avril 2022, le conseil de prud’hommes de Pau a :
– dit que Mme [I] a été victime d’un harcèlement moral sur son lieu de travail ;
– dit que le licenciement pour inaptitude de Mme [I] est nul en raison du harcèlement moral dont elle a été victime ;
– dit que l’inaptitude de Mme [I] a une origine professionnelle ;
– en conséquence, condamné la société Cuisines Pyrénées à verser à Mme [I] la somme de 12.341,22 € net au titre de l’indemnité pour licenciement nul ;
– condamné la société Cuisines Pyrénées à verser 2.500 € à titre de dommages et intérêts en compensation du préjudice moral résultant du harcèlement ;
– condamné la société Cuisines Pyrénées à verser à Mme [I] :
. 3.526,06 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
. 352,61 € à titre de congés payés y afférents,
. l.138,62 € à titre d’indemnité spéciale de licenciement,
– dit que les sommes allouées à Mme [I] porteront intérêt au taux légal à compter de la citation en justice pour les créances de nature salariale et à compter de la réception de la notification de la décision a intervenir pour les créances en dommages et intérêts ;
– débouté Mme [I] de sa demande d’heures supplémentaires ainsi que sa demande de travail dissimulé ;
– ordonné l’exécution provisoire de la décision a intervenir ;
– condamné la société Cuisines Pyrénées à verser à Mme [I] la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Cuisines Pyrénées aux entiers dépens.
Le 4 mai 2022, la selarl Ekip, es qualité de mandataire liquidateur de la société, a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.
Par acte d’huissier du 5 septembre 2022, Mme [I] a fait signifier ses écritures au CGEA de [Localité 3]. Par courrier en date du 12 mai 2022, le CGEA a fait savoir qu’il ne serait pas représenté.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 18 juillet 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, la selarl Ekip’ demande à la cour de :
– infirmant le jugement entrepris dans les limites des chefs du jugement critiqués dans la déclaration d’appel,
– en conséquence,
– juger que Mme [I] n’établit pas la preuve des heures supplémentaires alléguées,
– juger que la situation de travail dissimulé n’est pas caractérisée et débouter Mme [I] de sa demande indemnitaire à ce titre,
– juger que Mme [I] n’établit pas la preuve de faits laissant présumer l’existence d’un harcèlement moral,
– juger que Mme [I] n’établit pas la preuve d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,
– juger le licenciement pour inaptitude physique bien fondé,
– juger que l’inaptitude de Mme [I] n’a pas de caractère professionnel,
– en conséquence,
– débouter Mme [I] de l’intégralité de ses prétentions,
– ordonner la restitution de l’intégralité des sommes acquittées dans le cadre de l’exécution du jugement du conseil de prud’hommes de Pau du 6 avril 2022,
– condamner Mme [I] à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– mettre à la charge de Mme [I] les entiers dépens de l’instance.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 23 juin 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, Mme [U] [I] demande à la cour de :
– déclarer mal fondé l’appel interjeté par la selarl Ekip’,
– confirmer le jugement dont appel sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de paiement d’heures supplémentaires et congés payés y afférents, de sa demande d’indemnisation forfaitaire pour travail dissimulé, de sa demande d’indemnisation pour manquement à l’obligation de prévention et de sécurité ainsi que sur le montant des dommages intérêts accordés en compensation du harcèlement moral subi,
– à titre principal :
– dire et juger qu’elle a été victime d’un harcèlement moral sur son lieu de travail,
– dire et juger que son licenciement pour inaptitude est nul en raison du harcèlement moral dont elle a été victime,
– en conséquence,
– fixer sa créance à la liquidation judiciaire de la société Cuisines Pyrénées à la somme de 12.341,22 € net au titre de l’indemnité pour licenciement nul,
– à titre subsidiaire :
– dire et juger que la société Cuisines Pyrénées a manqué à son obligation de sécurité à son égard,
– dire et juger que son licenciement pour inaptitude est dénué de cause réelle et sérieuse en raison de la violation de l’obligation de sécurité de la société Cuisines Pyrénées,
– en conséquence,
– fixer sa créance à la liquidation judiciaire de la société Cuisines Pyrénées à la somme de 7.052,12 € net à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– en tout état de cause :
– dire et juger que son inaptitude a une origine professionnelle,
– fixer sa créance à la liquidation judiciaire de la société Cuisines Pyrénées aux sommes suivantes :
. 1.138,62 € net à titre d’indemnité spéciale de licenciement,
. 3.526,06 € brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
. 352,61 € brut au titre des congés payés y afférents,
– statuant à nouveau :
– dire et juger qu’elle a réalisé 134 heures supplémentaires non rémunérées entre juillet 2017 et juin 2019,
– dire et juger que la société Cuisines Pyrénées représentée par le mandataire liquidateur est responsable d’un travail dissimulé par emploi salarié,
– en conséquence,
– fixer sa créance à la liquidation judiciaire de la société Cuisines Pyrénées aux sommes suivantes :
. 2.125,13 € brut à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires,
. 212,51 € brut au titre des congés payés y afférents,
. 10.578,18 € net au titre de l’indemnité pour travail dissimulé (L. 8223-1 du code du travail),
. 5.000 € net à titre de dommages et intérêts en compensation du préjudice moral résultant du harcèlement moral,
. 5.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant du manquement à obligation de sécurité et de prévention des risques,
. 2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dire que les sommes qui lui seront allouées porteront intérêt au taux légal à compter de la citation en justice (date de réception par la société défenderesse de sa convocation devant le bureau de conciliation) pour les créances de nature salariale et à compter de la réception de la notification de la décision à intervenir pour les créances en dommages et intérêts,
– enjoindre à la Selarl Ekip’ de lui remettre ses bulletins de salaire des 12 derniers mois rectifiés selon la décision à intervenir ainsi que son attestation Pôle emploi rectifiée conformément à la décision à intervenir sous astreinte de 10 € par jour de retard,
– déclarer l’arrêt à intervenir opposable au CGEA de [Localité 3] en toutes ses dispositions.
Le CGEA de [Localité 3] n’a pas constitué avocat, comme indiqué plus haut.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 28 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les heures supplémentaires
Le salarié a droit au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l’accord de l’employeur, soit s’il est établi que leur réalisation a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.
En application des articles :
– L.3171-2 al 1 du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.
– L.3171-3 du code du travail : L’employeur tient à la disposition de l’inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
– L.3171-4 du code du travail : En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance et fixe les créances salariales y relatives.
Mme [I] soutient qu’en dehors de ses horaires de travail, elle devait assister à une réunion de 30 minutes animée par son supérieur du mardi au vendredi.
Elle produit :
– son contrat de travail ; suivant l’article 4, sa durée de travail était de 151,67 h par mois, répartie selon l’horaire collectif applicable dans l’entreprise ;
– ses bulletins de salaire depuis son embauche ; il n’y figure aucune heure supplémentaire et aucun repos compensateur ;
– une photographie de l’affichage de l’horaire collectif de travail (pièce 21), d’où il résulte qu’il était le suivant : le lundi de 14 h à 19 h, et du mardi au samedi de 10 h à 12 h et de 14 h à 19 h ;
– une attestation de M. [H] [X], responsable commercial de Mme [I] de juillet 2017 à janvier 2019, qui indique : « nous étions en réunion commerciale tous les matins de 9 h 30 à 10 h sans aucune contrepartie financière ou de repos, du mardi au vendredi, soit 2 h par semaine » (pièce 19) ;
– une attestation de M. [B] [Y], technicien conseil, qui après une relation de faits de janvier 2019 au 4 juin 2019, poursuit : « Il faut savoir qu’à cette époque les réunions commerciales étaient obligatoires chaque matin de 9 h 30 à 10 h du mardi au vendredi dans la continuité des mêmes horaires et jours pratiqués de septembre 2017 à janvier 2019 où j’étais déjà affecté dans l’équipe » (pièce 20) ;
– une impression de la date du 21 décembre 2018 d’un agenda tenu au moyen de l’application google agenda, suivant laquelle une réunion est fixée de 9 h 30 à 10 h (annexe pièce 23) ;
– un mail adressé le 16 septembre 2017 par [J] [P], salariée de l’entreprise, à M. [L] [X] : « Lors de la réunion matinale, est-il possible de faire un rappel pour les dates de pose ‘ » (pièce 32) ;
– un décompte des heures supplémentaires invoquées, par semaine, du 21 août 2017 au 26 janvier 2019 (pièce 18), et un second décompte, pareillement réalisé par semaine, du 21 août 2017 au 24 février 2019 (pièce 23) ;
La Selarl Ekip’ ès qualités de liquidateur de la société Cuisines Pyrénées soutient que des réunions commerciales de 9 h 30 à 10 h n’ont été organisées de façon quotidienne du mardi au vendredi qu’à compter du 12 février 2019 et que lorsqu’il en a été organisé ponctuellement précédemment, elles ont donné lieu à une contrepartie en repos. Elle produit :
– un mail adressé le 9 février 2019 par Mme [W] [K], « assistante de direction animatrice RH » aux salariés de la société Cuisines Pyrénées mais également à des salariés de la société June Habitat, intitulé « nouvelle organisation », indiquant « Dans le cadre de la nouvelle organisation mise en place, vous trouverez ci-après le planning faisant apparaître d’une part vos temps d’accueil respectifs, et d’autre part, le jour de repos fixe qui vous est attribué. A compter du 12 février 2019, les réunions commerciales se dérouleront du mardi au samedi de 9 h 30 à 10 h. [V] vous présentera donc dès mardi ce planning en détails » ; il y est donc question de la mise en place de réunions, non du mardi au vendredi comme allégué par la Selarl Ekip’ ès qualités, mais quotidiennement, soit du mardi au samedi ; par ailleurs, non seulement il n’est pas permis de conclure qu’il n’en existait pas antérieurement du mardi au vendredi, mais l’emploi de l’article défini « les », et non de l’article indéfini « des », tend à signifier le contraire ;
– un extrait de conclusions dans un litige prud’homal concernant M. [B] [Y] (pièce 54), et les pièces y mentionnées à savoir :
. un entretien professionnel du 15 janvier 2019 concernant M. [B] [Y], lors duquel il a relevé des défaillances dans le management, et où il est indiqué en conclusion par le « manager » : « un accompagnement régulier sera réalisé chaque jour et chaque semaine notamment à travers les réunions commerciales quotidiennes » ; l’emploi de l’article défini « les » et non de l’article indéfini « des » conduit à considérer qu’il existait antérieurement des réunions commerciales ;
. une copie d’une attestation de M. [C] [Z], salarié du 1er mars 2018 au 19 juillet 2018, qui dit avoir demandé une rupture conventionnelle en raison du comportement de M. [E] et conclut : « J’atteste également qu’il n’y avait pas de réunion quotidienne le matin. Certaines étaient parfois organisées mais ça n’avait pas un caractère habituel » ; le caractère sincère de cette attestation est mis en cause par Mme [I] ; elle n’est pas écrite de la main de son auteur, conformément aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile, mais dactylographiée, hormis s’agissant de la profession et de l’adresse de M. [Z], ce qui laisse à craindre qu’elle ait été établie par un tiers et renseignée par M. [Z] uniquement concernant les informations dont ce tiers ne disposait pas, à savoir sa situation professionnelle actuelle et son adresse actuelle ; il ne peut dès lors pas y être accordé de crédit ;
. un mail de Mme [W] [K] adressé à M. [B] [Y] le 9 février 2019, intitulé « Jours de repos », ainsi rédigé « Suite à mon mail concernant la nouvelle organisation, tu as donc compris que tes jours de repos seront : le lundi toute la journée et le mercredi matin. Egalement que les réunions commerciales étaient désormais quotidiennes (du mardi au samedi) de 9 h 30 à 10 h ; là encore, il n’est pas question, comme allégué par la Selarl Ekip’ ès qualités, de réunions commerciales du mardi au jeudi, mais de réunions commerciales quotidiennes, soit du mardi au samedi, et l’emploi de l’article défini « les » et de l’adverbe « désormais » permet de conclure à l’existence antérieure de réunions commerciales organisées à un autre rythme que quotidien ;
. des impressions des dates du 4 avril 2018, 25 décembre 2018 et du 1er janvier 2019 d’un agenda tenu au moyen de l’application google agenda, mentionnant chacune une réunion de 9 h 30 à 10 h et « toutes les semaines le mardi, mercredi, jeudi, vendredi jusqu’au 20 décembre 2018 » pour la première et « toutes les semaines le mardi, mercredi, jeudi, vendredi jusqu’au 30 janvier 2019 » pour les deux autres : cela tend à démontrer la programmation de réunions tous les mardis, mercredis, jeudis et vendredis et le fait que celui qui renseignait ledit agenda n’a pas pris la peine d’en exclure les jours fériés ;
– un extrait de conclusions dans un litige prud’homal concernant M. [H] [X] (pièce 47), et les pièces y mentionnées à savoir l’entretien professionnel de M. [Y] du 15 janvier 2019 et l’attestation de M. [Z], déjà analysées ci-dessus ; il est par ailleurs indiqué que M. [X] a eu des rendez-vous en même temps que la réunion « quotidienne », mais il n’est cependant produit aucun élément relativement à ces rendez-vous, et les décomptes versés aux débats par Mme [I] mentionnent, outre certaines semaines sans heure supplémentaire, 10 semaines avec 1,5 heures supplémentaires seulement et 3 semaines avec 1 heure supplémentaire seulement ;
– une impression de la date du 30 août 2017 d’un agenda tenu au moyen de l’application google agenda, qui mentionne une réunion de 9 h 30 à 10 h et « toutes les semaines le mardi, mercredi, jeudi, vendredi jusqu’au 20 décembre 2018 » ; à la date du 1er août 2018 du même agenda, est mentionné « vacances [U] » et « réunion 9 h 30 » ; sur la semaine du 6 au 12 août 2018, il est indiqué vacances [U], et, les lundi, mardi, mercredi et vendredi, « réunion 9 h 30 » ; au vu du décompte produit par Mme [I], elle n’a comptabilisé aucune heure supplémentaire durant sa période de congé ;
– en pièce 50, des éléments du même agenda tenu au moyen de l’application google agenda, suivant lesquels Mme [I] était positionnée en rendez-vous de « PDC » ou pose le 30 août 2017 de 9 h 30 à 10 h, le 18 octobre 2017 de 9 h 30 à 10 h 30, et le 24 janvier 2018, alors que la réunion est mentionnée chacun de ces jours à 9 h 30 ; ces pièces établissent l’accomplissement d’une demi-heure supplémentaire chacun de ces jours, de 9 h 30 à 10 h, par Mme [I] et, non qu’une réunion n’a pas été organisée chacun de ces jours, mais que Mme [I] n’y a pas participé ces jours là ; s’agissant de rendez-vous notés sur l’agenda mis en place par l’employeur et auquel il avait accès, il en a nécessairement été informé ;
Ainsi, il existe des éléments suffisamment précis relativement aux heures supplémentaires réalisées par la salariée, pour l’essentiel en lien avec l’obligation d’assister quasiment tous les mardis, mercredis, jeudis et vendredis à une réunion commerciale de 9 h 30 à 10 h, laquelle est ensuite devenue quotidienne lorsqu’elle a été étendue au samedi à compter du 12 février 2019, et parfois, s’agissant des 30 août 2017, 18 octobre 2017 et 24 janvier 2018, en lien avec des rendez-vous chez des clients ; il est en outre établi que Mme [I] n’a été rémunérée d’aucune heure supplémentaire et il n’est fourni strictement aucun élément relativement à la compensation alléguée en repos des heures supplémentaires réalisées.
En conséquence de ces éléments, la cour a la conviction que Mme [I] a accompli les heures supplémentaires dont elle demande le paiement. Sa créance sera fixée de ce chef à 2.125,13 €, outre 212,51 € au titre des congés payés y afférents. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Il sera ordonné à la Selarl Ekip’ ès qualités de remettre à Mme [I] des bulletins de paie rectifiés conformément au présent arrêt. Il n’est pas justifié d’ordonner une astreinte.
Sur le travail dissimulé
En application des articles :
– L. 8221-5 du code du travail : Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
– L. 8223-1 du même code : En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Il a été retenu que l’employeur a pendant 18 mois et presque chaque semaine fait réaliser des heures supplémentaires par la salariée, résultant notamment de l’obligation d’assister quasiment tous les mardis, mercredis, jeudis et vendredis à une réunion commerciale entre 9 h 30 et 10 h, et n’a mentionné aucune de ces heures supplémentaires sur les bulletins de paie. Cette organisation sur une période longue d’une réunion commerciale non comptabilisée comme temps de travail effectif conduit à considérer que l’employeur entendait éluder ce temps de travail et à retenir en conséquence le travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié. L’indemnité due à Mme [I] sera fixée à 10.578,18 €. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur le harcèlement moral
En application de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir d’agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa
dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Suivant l’article L.1154-1 du même code, en cas de litige relatif à l’application de ces dispositions, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Mme [I] produit :
– un courrier en date du 22 juillet 2019 adressé à M. [A] [E], gérant de la société Cuisines Pyrénées, dans lequel elle fait état de « conditions de travail difficiles voire insupportables depuis plusieurs mois ». Elle relève :
. une attitude très distante du gérant à son égard à compter de juillet 2018 et l’absence de réponses à ses mails relativement aux réclamations de clients faute de suivi rigoureux des commandes passées ;
. le fait d’avoir été tenue à l’écart de l’Euroforum organisé à Berlin en décembre 2018 et financé par Schmidt Groupe alors qu’elle était sur la liste officielle des invités ;
. le fait d’avoir été tenue à l’écart lors du repas de Noël 2018 réunissant le personnel de trois magasins locaux ;
. des pressions exercées sur elle à compter de janvier 2019, après le licenciement de M. [X], responsable, et son remplacement par M. [V] [G], se traduisant par des propos irrespectueux, des reproches injustifiés, des menaces, y compris lors des réunions professionnelles, devant ses collègues de travail ;
. à compter du 9 février 2019, la perte de son bureau au profit d’une nouvelle employée, et l’obligation soit de demeurer isolée dans une salle de réunion, soit de garder la station debout dans le magasin ; l’absence de réponse par Mme [E], épouse du gérant, à laquelle elle a dénoncé ce fait ;
. les conséquences de ses conditions de travail sur son état de santé, étant en arrêt maladie depuis le 4 juin 2019 pour « dépression et épuisement professionnel » ;
Hors ce courrier, Mme [I] ne fournit aucun élément relativement à l’Euroforum organisé en décembre 2018 et au repas de Noël 2018 ;
– un mail qu’elle a adressé le 9 février 2019 à Mme [F] [E], demandant une explication au motif que ce même jour, son bureau lui a été retiré au profit d’un nouveau vendeur et qu’il lui a été demandé de travailler en salle de réunion ;
– une attestation du 29 septembre 2020 de M. [H] [X], salarié de juillet 2017 à janvier 2019, suivant laquelle il a été « témoin depuis septembre 2018 de plusieurs événements à l’encontre de Mme [I] ». Il relate un changement négatif de comportement à son égard de M. et Mme [E] et M. [G], d’une « pression permanente » conduisant à une baisse de ses performances, et de l’absence d’aide pour la faire progresser via des formations ;
– une attestation du 7 décembre 2019 de M. [B] [Y], technicien conseil, qui fait état de comportements répétés de janvier 2019 au 4 juin 2019 à l’égard de Mme [I] par M. [V] [G] et M. [T] [S], représentant la direction, visant à dégrader ses conditions de travail au point qu’elle a été moralement déstabilisée ; il indique que le 4 juin 2019, jour de l’anniversaire de Mme [I], étant aux toilettes, il a entendu M. [S] et M. [G] conseiller à celle-ci « de quitter d’elle-même l’entreprise sinon on va devoir te faire mal et te pourrir la vie » ; à la suite de cet entretien, Mme [I] « était très touchée psychologiquement », « en larmes », « ne se sentait plus capable d’affronter le regard de ses collègues et de la direction » ; il indique également qu’il était fait interdiction à Mme [I] d’échanger avec ses collègues et d’utiliser son téléphone portable personnel alors que sa mère, domiciliée aux Comores, était gravement malade et hospitalisée ; il fait état de propos ironiques concernant Mme [I] lors des réunions commerciales, comme « il était inutile qu’elle reste si elle n’avait pas envie de vendre » ; elle était sommée de se taire lorsqu’elle voulait s’exprimer ; il indique que son bureau lui a été retiré ;
– des courriers du 31 juillet 2019, 06 septembre 2019 et 10 octobre 2019 dans lesquels elle se plaint du non paiement du non paiement du complément d’indemnités journalières ;
– des éléments caractérisant la dégradation de sa situation financière :
. deux courriers de rappel des 11 et 26 octobre 2019 d’un laboratoire d’analyses médical relatifs à une facture de 48 € du 25 septembre 2019 ;
. trois courriers de la BNP Paribas des 30 octobre, 6 et 8 novembre 2019 relatifs à un compte bancaire débiteur ;
. un courrier de la société Sofinco du 25 novembre 2019 relatif à un retard de paiement d’un crédit ;
. cinq courriers de la Société Générale du 16 au 31 décembre 2019 relatifs un retard de paiement d’un crédit et à un compte bancaire débiteur ;
. un justificatif d’une demande de revenu de solidarité active le 26 décembre 2019 ;
– plusieurs éléments médicaux :
. le docteur [O], médecin généraliste, a attesté le 30 septembre 2019, que Mme [I] l’a consulté pour la première fois le 4 juin 2019 et présentait les symptômes suivants : anxio dépression sévère nécessitant un traitement, un suivi médical adapté et un arrêt de travail ; elle a mis en rapport ses symptômes avec des difficultés rencontrées à son travail ;
. des prescriptions des 4 juin, 26 août et 30 septembre 2019 d’antidépresseurs et de somnifères ;
. un arrêt de travail initial du 4 juin 2019 établi par le docteur [O], prolongé ensuite jusqu’au 31 octobre 2019 ; sur le dernier certificat, il est mentionné « en rapport avec le syndrome dépressif du 4/06/2019 » ;
. des certificats d’une infirmière, d’un psychiatre, d’une psychologue et d’une psychomotricienne du Centre médico psychologique [8] au Centre hospitalier [7], attestant d’un suivi régulier dans cet établissement de novembre 2019 jusqu’à septembre 2020.
– l’avis d’inaptitude du 4 novembre 2019, suivant lequel, à l’issue de l’arrêt de travail du 4 juin au 31 octobre 2019, Mme [I] a été déclarée inapte au poste et à tout poste dans l’entreprise.
Ces éléments, pris dans leur ensemble, constituent des agissements répétés de l’employeur qui laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral à l’encontre de Mme [I].
La Selarl Ekip’ ès qualités produit :
– des factures d’Easyjet et de la société Schmidt Groupe qui démontrent que cette dernière a facturé à la société Cuisines Pyrénées des frais de 160 € chacun pour l’inscription de trois personnes à l’Euroforum à Berlin en décembre 2018, à savoir Mme [R] [N], M. [A] [E] et M. [V] [G], et que la société Cuisines Pyrénées a supporté des frais de transport en avion ; il est donc établi que, contrairement à ce qui est allégué par Mme [I], la participation d’un salarié à cet événement n’était pas à titre gratuit pour l’employeur, et il n’existe pas d’élément caractérisant que Mme [I] en a été spécifiquement écartée ;
– les pages des 22 décembre 2017 et 21 décembre 2018 de l’agenda de la société Cuisines Pyrénées et un ticket de caisse du 21 décembre 2018 de l’établissement « Au Roy Home », d’où il résulte que cinq personnes ont été conviées à un « resto de Noël » en 2017 et trois à un « repas de Noël » en 2018, dont, à chaque fois, Mme [I], et qu’un repas pour trois personnes a effectivement été payé le 21 décembre 2018 ; il est ainsi établi que Mme [I] n’a pas été mise à l’écart d’un repas de Noël 2018 ;
– l’entretien professionnel de Mme [I] du 15 janvier 2019 : Mme [I] n’y a pas fait état de difficultés tenant au comportement de son ou ses supérieurs hiérarchiques à son égard ; il est cependant à observer d’une part que cet entretien a été réalisé par trois personnes, circonstance qui a pu conduire la salariée à ne pas se considérer en situation de s’exprimer suffisamment librement, et d’autre part, que parmi les personnes présentes, figuraient M. [S] et M. [E], tous deux mis en cause par Mme [I] pour avoir, le premier, pris part aux faits de harcèlement, et le second, pour en avoir été l’instigateur ;
– concernant le grief de retrait du bureau :
. des photographies de la salle de réunion, dont elle estime qu’elle est d’excellent standing, lumineuse et avec les ouvertures nécessaires permettant d’avoir une vue sur le magasin et les clients ; il s’agit d’une salle équipée d’une table et de sept chaises ; un écran d’ordinateur est posé sur la table et un disque dur est posé sur une chaise ; il n’existe aucun matériel de rangement ; une porte fenêtre donne sur une cour vraisemblablement à l’arrière du commerce (présence des matériels extérieurs de climatisation) ; l’entrée est fermée par un store à lames ; la pièce attenante semble être à usage de bureau ;
. des photographies d’un salon meublé de trois fauteuils installés autour d’une très petite table basse, devant un meuble bas et long sur lequel est posé un téléviseur ;
. le mail de Mme [I] sur la boîte mail de Mme [F] [E] le 9 février 2019, accompagné de l’indication suivante : « Traitez ce message avec prudence. [U] [I] ne vous a jamais envoyé de messages à l’aide de cette adresse e-mail. Evitez de répondre à ce message, sauf si vous en avez vérifié la légitimité en contactant son expéditeur par un autre moyen », suivie des deux propositions « Signaler comme hameçonnage » et « le message semble sûr » ;
La Selarl Ekip’ soutient que, confrontée à un manque de bureau par rapport au nombre de vendeurs, la société Cuisines Pyrénées a décidé que les bureaux ne seraient plus attribués à un vendeur attitré, et demandé à ceux-ci de travailler à tour de rôle dans la salle de réunion ou dans le salon de réception des clients. Le mail de Mme [I] est arrivé dans la boîte « indésirables » des courriers électroniques de Mme [E] de sorte qu’elle ne l’a vu que tardivement. Le mail produit ne permet pas de vérifier cette assertion, et l’absence d’attribution de chaque bureau à un vendeur particulier à compter de février 2019 n’est étayée par aucun élément de fait. Par ailleurs, outre qu’il est difficile à un salarié de travailler sans disposer d’aucun espace personnel notamment de rangement, il n’est pas sérieux de prétendre qu’un vendeur pouvait travailler dans un salon, et il est à constater qu’il n’a été donné aucune explication à Mme [I] relativement à la perte de son bureau ni avant ni après le 9 février 2019.
– concernant l’indemnisation de l’arrêt maladie :
. un mail de Mme [I] du 15 juillet 2019 portant communication à l’employeur d’une attestation de paiement d’indemnités journalières du 4 juin au 12 juillet 2019 ;
. un courrier de Mme [I] du 31 juillet 2019 portant communication à l’employeur d’une attestation de paiement d’indemnités journalières du 4 juin au 31 juillet 2019 ;
. un courrier de Mme [I] du 6 septembre 2019 portant communication à l’employeur d’une attestation de paiement d’indemnités journalières du 4 juin au 6 septembre 2019 ;
. un justificatif d’un courrier suivi référencé « Prévoyance [U] » expédié le 13 octobre 2019 et distribué le 6 novembre 2019 ;
. l’accusé de réception par AG2R d’un mail du 8 novembre 2019 relatif à une demande de prestations de prévoyance concernant Mme [I], indiquée comme ayant été préalablement envoyée par courrier du 19 septembre 2019 ;
. un décompte de prestations d’AG2R concernant Mme [I], de 847,84 € pour la période du 6 août au 30 septembre 2019 et de 469,34 € pour la période du 1er au 31 octobre 2019 ;
. les bulletins de salaire de juin à décembre 2019.
Suivant l’article 36 de la convention collective du négoce de l’ameublement, le salarié qui a entre 1 an et 3 ans d’ancienneté a droit à une indemnisation complémentaire de l’arrêt maladie par l’employeur pendant 60 jours dont 30 jours à 90 % et 30 jours à 70 %, et il est prévu un régime de prévoyance dont les modalités sont définies par accord de branche.
D’après les bulletins de salaire produits, Mme [I] a été payée par la société Cuisines Pyrénées :
– le 31 juillet 2019 des indemnités complémentaires maladie à 90 % du 4 juin au 6 juillet 2019 et à 70 % du 7 juillet au 8 juillet 2019 pour une somme de 475,03 €, puis le 31 août 2019 des indemnités complémentaires maladie à 70 % du 9 juillet au 5 août pour une somme de 120,44 € ;
– le 31 décembre 2019 des indemnités journalières prévoyance à hauteur de 1.317,18, après déduction d’un acompte de 550 € réglé en octobre 2019.
Au vu de ces éléments, il est caractérisé que la société Cuisines Pyrénées a satisfait sans retard qui lui soit imputable aux obligations résultant des dispositions de l’article 36 ci-dessus de la convention collective.
Pour le reste, la Selarl Ekip’ ès qualités nie moqueries, reproches injustifiés et pressions invoqués par Mme [I] et soutient que confronté à son insuffisance professionnelle, l’employeur lui a proposé une rupture conventionnelle. Elle ne fournit cependant aucun élément de fait sur ce point et notamment aucune explication relativement à l’absence de toute réponse au courrier du 22 juillet 2019 de Mme [I].
Il résulte de ces éléments que l’employeur a, à compter de 2019, directement ou par l’entremise du ou des supérieurs hiérarchiques de Mme [I], privé sans élément objectif étranger à tout harcèlement cette dernière de son bureau au profit d’un salarié de moindre ancienneté puisque nouvellement embauché, adopté à son égard un comportement dénigrant et moqueur y compris en public de nature à altérer son estime de soi, et exercé sur elle, au moins le 4 juin 2019, des pressions de sorte d’obtenir son départ de l’entreprise. Il doit être en conséquence retenu que Mme [I] a été victime de harcèlement moral. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Compte tenu des conséquences des faits de harcèlement sur l’état de santé de Mme [I], qui a présenté un état anxio dépressif sévère qui a nécessité un arrêt maladie et un traitement médicamenteux de près de quatre mois (du 4/06/2019 au 31/10/2019) et a dû faire l’objet d’un suivi spécialisé jusqu’en septembre 2020, il est raisonnable d’évaluer son préjudice à la somme de 5.000 € ; le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur le manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité
En première instance, il a été omis de statuer sur cette demande.
En application de l’article L.4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
En ne donnant pas de suite aux alertes de la salariée par mail du 9 février 2019 et courrier du 22 juillet 2019 et en étant l’instigateur des faits de harcèlement subi par Mme [I], l’employeur a manqué à son obligation. En revanche, cette dernière ne caractérise pas de préjudice distinct de celui résultant du harcèlement moral et tenant à la dégradation de son état de santé. Sa demande d’indemnisation doit en conséquence être rejetée, le jugement déféré devant être confirmé sur ce point.
Sur le licenciement
A) Sur l’inaptitude
Le licenciement pour inaptitude est sans cause réelle et sérieuse lorsque l’inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l’employeur. En application de l’article L.1152-3 du code du travail, il est nul lorsque l’inaptitude médicale résulte d’un harcèlement moral.
En l’espèce, les pièces médicales produites permettent de caractériser une dégradation de l’état de santé psychique de Mme [I]. La concomitance entre le diagnostic posé le 4 juin 2019 par le docteur [O] d’une anxio dépression sévère nécessitant un arrêt de travail et un traitement médicamenteux et les pressions subies précédemment ce même jour par Mme [I], ainsi que le lien fait par le docteur [O] entre la pathologie et le travail eu égard à l’interrogatoire de sa patiente conduisent à considérer l’existence d’un lien entre la pathologie présentée par Mme [I] et le harcèlement moral subi. A l’issue de l’arrêt du 4 juin au 31 octobre 2019, Mme [I] a été déclarée inapte au poste et à tout poste dans l’entreprise. Ainsi, il est à considérer que l’inaptitude résulte du harcèlement moral. Le licenciement est donc nul. Le jugement sera confirmé sur ce point.
B) Sur les conséquences du licenciement
En application de l’article L.1235-3-1 du code du travail, le salarié victime d’un licenciement nul et qui ne demande pas sa réintégration a droit d’une part aux indemnités de rupture et d’autre part à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Au vu des pièces produites par Mme [I], suite au licenciement, elle n’a pas retrouvé d’emploi stable au moins jusqu’en août 2021. Durant cette période, elle a été indemnisée par Pôle Emploi, hormis de juin à août 2020, période durant laquelle elle a occupé un emploi de téléconseillère. Au vu de ces éléments, des circonstances du licenciement et de la faible ancienneté de la salariée, et sur la base d’un salaire mensuel de référence non contesté de 1.763,03 €, le premier juge a raisonnablement fixé son préjudice à 7 mois de salaire, soit 12.341,22 €. Le jugement sera infirmé sur ce point, la somme n’ayant pas été fixée au passif de la procédure collective.
En application de l’article 41 de la convention collective nationale du négoce de l’ameublement, la durée du préavis applicable est de deux mois. Mme [I] a donc droit à une indemnité compensatrice de 3.526,06 €, outre 352,61 € au titre des congés payés afférents. Le jugement sera infirmé sur ce point, la somme n’ayant pas été fixée au passif de la procédure collective.
En application de l’article L.1226-14 du code du travail, Mme [I] est fondée à prétendre à une indemnité spéciale de licenciement égale au double de l’indemnité prévue à l’article L.1234-9 du même code. Il lui est dû à ce titre une somme de 1.138,62 €. Le jugement sera infirmé sur ce point, la somme n’ayant pas été fixée au passif de la procédure collective.
Sur la remise des documents rectifiés
Le mandataire liquidateur, es qualité, devra remettre à la salariée les bulletins de salaire et documents de fin de contrat rectifiés conformes à la présente décision.
Sur les autres demandes
Les créances de nature salariale porteront intérêt au taux légal à compter de la notification de la saisine du conseil de prud’hommes à l’employeur jusqu’au 23 février 2021
Les dépens d’appel seront mis à la charge de la Selarl Ekip’ ès qualités de liquidateur de la société Cuisines Pyrénées. Il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de Mme [I] les frais irrépétibles de la procédure. Sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile sera en conséquence rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Pau en date du 6 avril 2022 sauf sur les dommages et intérêts pour violation par l’employeur de son obligation de sécurité, sur le principe du licenciement nul et sur le caractère professionnel de l’inaptitude ;
Et statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,
Fixe la créance de Mme [U] [I] au passif de la liquidation judiciaire de la société Cuisines Pyrénées aux sommes suivantes :
-2 125, 13 euros au titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires , outre 212,51 euros au titre des congés payés afférents,
-10 578,18 euros au titre de l’indemnité pour travail dissimulé,
-5 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
-12 341,22 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul
-1 138,62 euros au titre de l’indemnité spéciale de licenciement
– 3526,06 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis , outre 352,61 euros au titre des congés payés afférents,
Dit que les créances salariales porteront intérêt au taux légal à compter de la notification de la saisine du conseil de prud’hommes à l’employeur jusqu’au 23 février 2021 ;
Dit que la Selarl Ekip’, es qualité de mandataire liquidateur de la société Cuisines Pyrénées devra remettre les bulletins de salaire et les documents de fin de contrat rectifiés conformes à la présente décision ;
Déclare le présent arrêt opposable au CGEA de [Localité 3] dans la limite légale de sa garantie ;
Condamne la Selarl Ekip’, es qualité de mandataire liquidateur de la société Cuisines Pyrénées au entiers dépens qui seront recouvrés comme en matière d’aide juridictionnelle et dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame CAUTRES, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,