Épuisement professionnel : 14 septembre 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/00535

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Épuisement professionnel : 14 septembre 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/00535

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

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ARRÊT DU : 14 SEPTEMBRE 2022

PRUD’HOMMES

N° RG 19/00535 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-K24N

Madame [H] [B]

c/

Association A.D.G.E.S.S.A

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 janvier 2019 (R.G. n°F 17/00185) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BORDEAUX, Section Activités Diverses, suivant déclaration d’appel du 29 janvier 2019,

APPELANTE :

Madame [H] [B]

née le 06 Octobre 1963 à [Localité 3] (MAROC) de nationalité Marocaine, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Mathieu GIBAUD de la SCP DELTA AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

Association A.D.G.E.S.S.A. (Association pour le Développement et la Gestion des Equipements Sociaux, Médico-Sociaux et Sanitaires), en son établissement EHPAD [5], prise en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 378 925 150

représentée par Me Charlotte VUEZ de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 mai 2022 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente chargée d’instruire l’affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sophie Masson, conseillère

Monsieur Rémi Figerou, conseiller

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

– prorogé au 14 septembre 2022 en raison de la charge de travail de la cour.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [H] [B], née en 1963, a été engagée par l’Association ADGESSA, par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 4 septembre 2006 en qualité d’aide soignante.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de l’hospitalisation privée à but non lucratif.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de Mme [B] s’élevait à la somme de 1.737,33 euros.

Le 15 mai 2007, Mme [B] a été victime d’un accident du travail et a été placée en arrêt de travail.

Le 2 avril 2008, elle a été déclaré apte à reprendre son poste par le médecin du travail.

Le 24 août 2008, la salariée a été victime d’un accident du travail et a été placée en arrêt de travail.

Le 17 novembre 2009, le médecin du travail a déclaré Mme [B] apte à reprendre son travail sous réserve d’un aménagement de poste.

Il était conclu à une aptitude à exercer auprès de personnes non dépendantes mais Mme [B] ne pouvait participer qu’aux tâches de surveillance, de distribution et d’aide aux repas ainsi que de réfection de lits médicalisés qui ne nécessitent pas une mobilisation des résidents (toilettes, lever, coucher, mises au fauteuil) des personnes dépendantes.

L’ADGESSA a contesté l’avis médical d’aptitude.

Le 24 février 2010, l’inspection du travail a confirmé 1’aptitude au poste de Mme [B]

avec les mêmes réserves que celles du médecin du travail.

L’employeur a alors contesté cette décision auprès du ministère du travail qui, par décision du 19 mai 2010, a confirmé l’aptitude avec réserves.

L’ADGESSA a déposé, le 16 juillet 2010, une requête auprès du tribunal administratif. Par jugement du 9 janvier 2014, décision devenue définitive, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la requête tendant à voir annuler les précédentes décisions administratives.

Mme [B] a ensuite été placée en arrêt de travail du 5 juillet 2012 au 27 octobre 2014

de façon ininterrompue.

Suites aux visites médicales du 28 octobre 2014 et du 13 novembre 2014, l’appelante a été déclarée inapte à son poste de travail et « son état de santé actuel ne permet pas de faire des propositions de postes. Inapte à tous postes dans l’entreprise ».

Par lettre du 2 février 2015, Mme [B] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 12 février 2015.

Mme [B] a ensuite été licenciée pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement par lettre datée du 18 février 2015.

A la date du licenciement, Mme [B] avait une ancienneté de 8 ans et 5 mois et l’association occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, Mme [B] a saisi le 8 février 2017 le conseil de prud’hommes de Bordeaux.

Le conseil de prud’hommes, par jugement du 15 janvier 2019, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :

– dit le licenciement pour inaptitude de Mme [B] pourvu de cause réelle et sérieuse,

– débouté Mme [B] de l’ensemble de ses demandes,

– débouté l’ADGESSA de ses demandes reconventionnelles,

– laissé les dépens à la charge de Mme [B].

Par déclaration du 29 janvier 2019, Mme [B] a relevé appel de cette décision, notifiée le 17 janvier 2019.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 25 avril 2019, Mme [B] demande à la cour de :

– dire Mme [B] bien fondée en son appel,

– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau :

– dire que son licenciement pour inaptitude ne repose sur l’existence d’aucune cause réelle et sérieuse,

– dire que la consultation des délégués du personnel est irrégulière,

– en conséquence et en toute hypothèse, condamner l’association Ephad [5] à payer à Mme [B] les sommes suivantes :

* 43.200 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, nette de CSG et CRDS,

* 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

* 21.600 euros en raison du non-respect de la consultation préalable des délégués du personnel,

* 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 22 juillet 2019, l’association demande à la cour de’:

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [B] de l’intégralité de ses demandes,

– dire prescrite la demande de dommages et intérêts en raison d’une exécution déloyale du contrat de travail par l’ADGESSA,

– dire irrecevable et en toute hypothèse infondée la demande de dommages et intérêts pour non-respect de la consultation préalable des délégués du personnel,

– dire bien-fondé le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de Mme [B],

– en conséquence, débouter Mme [B] de l’ensemble de ses demandes,

– condamner Mme [B] à verser à l’ADGESSA la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 avril 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 10 mai 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

– Sur l’origine de l’inaptitude

Les règles spécifiques applicables aux salariés inaptes, victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle, s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quelque soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a au moins partiellement pour origne cet accident ou cette maladie et que l’employeur a connaissance de cette origine professionnelle à la date du licenciement.

C’est à la date de la rupture du contrat de travail qu’il faut se placer pour savoir si l’employeur pouvait avoir connaissance de l’origine professionnelle de l’inaptitude au travail.

En outre, l’application du régime de l’inaptitude professionnelle n’est pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d’assurance maladie du lien de causalité entre l’accident du travail et l’inaptitude.

Il revient au salarié de rapporter la preuve d’un lien de causalité entre l’accident et l’inaptitude à son poste.

Enfin, le licenciement pour inaptitude est sans cause réelle et sérieuse lorsque l’inaptitude trouve sa cause dans le comportement fautif de l’employeur.

Par ailleurs, aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa

dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l’article L.1154-1 du même code dans sa rédaction ici applicable, lorsque survient un litige relatif au harcèlement moral, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et, au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [B] considère que le licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse. Elle fait valoir que son inaptitude physique a été engendrée par l’attitude fautive et déloyale de son employeur ; elle soutient que suite à son accident du travail du 15 mai 2007, l’employeur n’a pas respecté son obligation d’aménagement du poste de travail, conformément aux préconisations du médecin du travail et qu’il n’a eu de cesse que de harceler Mme [B] et d’adopter une attitude de brimade systématique à son encontre.

Au soutien de ses prétentions, elle produit :

– les avis du médecin du travail ayant conduit à son inaptitude dont le second du 13 novembre 2014 qui précise : « inapte à son poste de travail, son état de santé actuel ne permet pas de faire des propositions de postes. Inapte à tous postes dans l’entreprise » ;

– le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de la Gironde du 16 janvier 2017 qui infirme la décision de la commission de recours amiable de la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde du 19 novembre 2013, qui dit qu’il existe un lien direct et essentiel entre la pathologie de Mme [B] (syndrome dépressif) et ses conditions de travail et que cette pathologie doit être prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels ;

– le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 9 janvier 2014 rejetant la requête de l’association visant à annuler la décision de l’inspecteur du travail du 24 février 2010 et celle du ministre du travail du 19 mai 2010 ;

– des arrêts de travail mentionnant un état dépressif et un épuisement professionnel,

– des ordonnances de traitement médicamenteux ;

– un courrier du médecin du travail du 1er février 2012 qui décrit la situation de Mme [B] : « victime d’un accident du travail en 2007 (chute sur le dos), elle présente des douleurs lombaires et au genou, avec mobilisation difficile et douloureuse, elle a repris son activité professionnelle à son poste d’aide-soignante en EHPAD avec aptitude à prendre en charge les personnes non dépendantes. Elle a obtenu un dossier MDPH et continue de travailler avec beaucoup de difficultés sur un poste adapté suite à un nouvel accident du travail en 2008.

Elle vient me voir début janvier 2012 en me disant qu’elle est très mal psychologiquement dans son activité professionnelle car on lui reproche de mettre l’équipe en difficultés en raison des réserves de la fiche de poste. Malgré une rencontre avec le CHSCT pour élaborer une fiche de poste claire des tâches de Mme [B], la situation demeure compliquée » ;

– le certificat médical du docteur [P], médecin généraliste, qui fait état le 10 octobre 2013 « des difficultés dont lui a fait part Mme [B] pour mettre en place une adaptation de son poste professionnel, générant une anxiété sévère avec troubles du sommeil et un réel état dépressif nécessitant une prise en charge. Il indique également que Mme [B] présente des angoisses en relation avec un contexte professionnel difficile et conflictuel, qu’elle ne tiendra pas longtemps » ;

– le certificat médical de M. [X], psychiatre, mentionnant le 18 juin 2013, le suivi de Mme [B] depuis le 12 janvier 2012 pour « un état dépressif, décompensé dans le contexte de difficultés survenues dans son environnement professionnel, après un accident du travail. Il ajoute qu’elle n’avait auparavant présenté aucun élément pathologique de cette nature et qu’après plusieurs tentatives de reprise du travail, le contexte éprouvant des conditions qui lui ont été faites l’ont amené à rechuter, elle n’est donc plus en mesure de poursuivre son activité professionnelle dans le même environnement de travail » ;

– le courrier du docteur [Z] du service de médecine du travail du centre hospitalier de [Localité 4] dans le cadre d’une consultation de pathologie professionnelle qui s’est déroulée le 10 février 2012 et qui conclut à « une aptitude à son poste de travail sous réserve d’absence de prise en charge de personnes dépendantes ». Ce même médecin écrit au médecin du travail : « une nouvelle directrice serait arrivée en février 2011 et aurait modifié les horaires de travail induisant un roulement de tout le personnel, y compris Mme [B]. Ses horaires de travail étaient de 7h30 à 15h, depuis ce changement d’horaires elle travaille soit le matin, soit le soir avec une amplitude horaire de 9h à 18h, ceci entraînant la nécessité pour elle de s’occuper des personnes dépendantes le soir. Elle aurait également eu des reproches de sa directrice sur le fait qu’elle n’aidait pas les personnes dépendantes et ainsi qu’elle retardait le travail de ses collègues ».

– le procès-verbal de la réunion du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail du 31 janvier 2012 dont l’ un des points à l’ordre du jour est consacré à l’étude de la fiche de poste de Mme [B]. Il y est mentionné « qu’un travail a été réalisé afin d’établir une fiche de poste adaptée et qu’un débat a eu lieu concernant la fiche de poste qui avait été établie pour Mme [B], au sein d’un service prenant en charge des personnes valides sur un horaire du matin (7h00-15h00). La directrice de l’établissement admet qu’aucune fiche de poste n’existe pour l’après-midi » ;

– l’attribution d’une invalidité de catégorie 1 le 2 avril 2014 en raison d’épisodes dépressifs suite à un conflit avec son employeur et la notification d’un taux d’incapacité permanente de 8% ;

– une lettre du personnel de l’établissement qui s’est mobilisé contre le licenciement de Mme [B], signée par plus d’une vingtaine de salariés en expliquant : « il y a 4 mois encore, une aide-soignante a pu être reclassée sur un poste aménagé l’après-midi, ce qui n’avait engendré aucune gêne au sein de l’établissement. Pourquoi ne pas le faire pour Mme [B], reconnue accidentée du travail au sein de ce même établissement et menacée par la directrice d’un licenciement ‘ Lui proposer un poste d’après-midi 13 heures – 21 heures sachant qu’il faut impérativement une aide-soignante auprès des résidents l’après-midi. » ;

– des procès-verbaux des auditions de salariés de l’association effectuées par Mme [J], inspectrice assermentée du pôle des risques professionnels de la CPAM de la Gironde :

« Mme [T], actuelle directrice, s’est servie de la situation individuelle de Mme [B] pour alimenter un contexte global de mal être et de tension. Mme [B] a été le bouc émissaire des tensions et conflits, elle en a beaucoup souffert. », « Mme [B] remplie parfaitement ses fonctions même si elle est exemptée de mobilisations des patients. Elle se bat pour continuer de travailler malgré l’adversité qu’elle subie depuis longtemps de la part de la direction et de certains collègues qui la blesse profondément » ;

– des attestations de collègues de Mme [B] qui soulignent que « l’organisation du travail dans l’établissement contribue à une tension quotidienne et met en péril la santé du personnel soignant quelque soit sa capacité », « le travail est lourd et stressant » ;

– la lettre de licenciement de Mme [B] qui mentionne l’impossibilité d’aménager son poste au regard de la charge de travail de l’établissement.

En l’état des pièces et explications fournies, Mme [B] établit ainsi l’existence de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.

L’ADGESSA sollicite la confirmation du jugement dont appel et que Mme [B] soit déboutée de l’intégralité de ses demandes. Elle fait valoir que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, qu’elle a respecté les préconisations du médecin du travail concernant l’aménagement de poste, ce qui n’a jamais été contesté pendant toute la relation contractuelle et que l’étude des tâches pouvant ou non être confiées à la salariée a été sérieusement menée dans une démarche l’incluant, et en concertation avec le médecin du travail.

Par ailleurs, l’association soutient que les accusations de Mme [B] concernant le harcèlement moral ne font état d’aucun fait précis et sont fondées sur des jugements obtenus devant d’autres juridictions qui ne lient pas les juges présentement saisis.

L’association verse :

– l’avis d’aptitude avec réserve du 17 novembre 2009 qui fait état d’une aptitude de Mme [B] à exercer auprès de personnes non dépendantes mais qui ne peut participer qu’aux tâches de surveillance, de distribution et d’aide aux repas, de réfection de lits médicalisés et qui ne nécessitent pas une mobilisation des résidents (toilettes, lever, coucher, mises au fauteuil) des personnes dépendantes ;

– un courrier du 25 mars 2010 du service d’appui pour le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés (SAMETH) qui conclut : « face à un faible effectif du personnel aide-soignant soumis à une charge importante d’activité nécessitant des efforts physiques, les marges de manoeuvres repérées sont trop étroites pour voir aboutir une solution de maintien dans l’emploi respectant les préconisations du médecin du travail en cohérence avec les moyens de cet établissement » ;

– la déclaration d’accident du travail du 15 mai 2007 et celle du 24 août 2008 pour lesquelles les circonstances sont ainsi détaillées : « la salariée s’est fait mal au dos en soulevant les jambes d’une résidente »,

– différentes fiches de poste aménagées de Mme [B] sur les horaires 8h15-15h15 pour les seuls mois de mai, juin et juillet 2010 ;

– une attestation des délégués du personnel du 5 octobre 2010 selon lesquels aucun membre du personnel ne s’est plaint de la réorganisation permettant le poste aménagé de Mme [B] mais indiquant que la nouvelle organisation entraîne une charge de travail supplémentaire dans la mesure où cette salariée ne travaille jamais le week-end. Il y est demandé que Mme [B] reprenne le travail le week-end ;

– un courrier d’une déléguée du personnel qui atteste en mars 2011 de l’aménagement de poste de Mme [B] pour des résidents ne nécessitant aucune manipulation lourde sans que cela ne gêne le service des aides-soignantes.

Il ressort des pièces produites, qu’aucun aménagement du poste conforme aux préconisations médicales n’a été mis en place de façon pérenne et que les difficultés de la salariée face à l’absence de prise en compte par son employeur de l’avis du médecin du travail ont engendré une détérioration de son état de santé attesté par quatre médecins.

Les éléments produits par l’employeur n’établissent pas que les faits évoqués par Mme [B] étaient fondés sur des faits objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

En conséquence, le harcèlement moral est établi.

Sur la base des éléments médicaux sus-retranscrits (courrier du médecin du travail du 1er février 2012, certificat médical du docteur [P], médecin généraliste, du 10 octobre 2013, certificat médical de M. [X], psychiatre, du 18 juin 2013, courrier du docteur [Z] du service de médecine du travail du centre hospitalier de [Localité 4] dans le cadre d’une consultation de pathologie professionnelle du 10 février 2012), la salariée démontre un lien de causalité entre les agissements de l’association intimée et son inaptitude.

Ainsi, et sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner le moyen tiré de l’obligation de reclassement, le licenciement pour inaptitude de Mme [B] est sans cause réelle et sérieuse dès lors que son inaptitude trouve sa cause dans le comportement fautif de l’employeur qui n’a pas aménagé de façon permanente le poste de la salarié conformément aux préconisations du médecin du travail, précision faite que l’appelante ne demande pas de déclarer son licenciement nul.

Sur ce point, le jugement dont appel sera infirmé.

Sur les conséquences du licenciement

Mme [B] sollicite en conséquence de son licenciement sans cause réelle et sérieuse des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par son licenciement.

Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [B], de son âge, de son ancienneté, de sa reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer la somme de 18.000 euros, compte tenu de la demande de Mme [B] au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, il sera ordonné le remboursement par l’employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées à la salariée depuis son licenciement dans la limite de six mois d’indemnités.

Sur la demande au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail

Mme [B] sollicite paiement de la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail. Elle fait valoir que le comportement vexatoire adopté par l’employeur a eu pour origine la défense de la salariée dans le cadre de la contestation de l’aptitude. Cette demande n’est pas prescrite selon la salariée, l’exécution déloyale se traduisant au moment de la notification du licenciement, soit le 18 février 2015, par le refus d’aménagement du poste.

L’ADGESSA fait valoir que la demande est prescrite en se fondant sur l’article L.1471-1 du code du travail. La salariée ayant introduit son action le 8 février 2017, elle ne peut invoquer que des faits postérieurs au 8 février 2015. De plus, cette demande est infondée en droit et en fait, car Mme [B] ne fait état d’aucun préjudice distinct dont l’indemnisation ne serait pas déjà sollicitée au titre de sa demande précédente, et qu’elle ne rapporte aucunement la preuve d’une attitude vexatoire qu’elle aurait subie.

– Sur la prescription de la demande

L’article L.1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige dispose que toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

En l’espèce, Mme [B], licenciée le 18 février 2015, a saisi le conseil de prud’hommes de Bordeaux le 8 février 2017, sa demande n’est donc pas prescrite.

Par ailleurs, l’association fait valoir que les faits invoqués par Mme [B] au soutien de sa demande sont prescrits mais en tout état de cause, les arrêts de travail précédents le licenciement étaient rendus nécessaires par le comportement fautif de l’employeur de sorte que, il est indifférent que Mme [B] ait été en arrêt de travail avant le 8 février 2015.

– Sur la demande d’exécution déloyale

Aux termes de l’article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

L’employeur a exercé un droit légitime en contestant les décisions administratives et ses actions ne constituent pas une exécution déloyale du contrat de travail.

D’autre part, malgré les préconisations du médecin du travail qui a, à plusieurs reprises, déclaré Mme [B] apte sous réserves de ne pas avoir à mobiliser des personnes dépendantes, l’association intimée a refusé d’aménager de façon pérenne le poste d’aide-soignante occupé par Mme [B]. Cela a eu pour conséquence l’altération de la santé de la salariée et son licenciement pour inaptitude. L’employeur n’a donc pas respecté son obligation d’exécution loyale du contrat de travail.

Ainsi, l’association ADGESSA – EHPAD [5] n’a pas exécuté loyalement le contrat de travail de sorte qu’il sera alloué à Mme [B] la somme de 1.000 euros à ce titre.

Sur l’indemnité pour non consultation des délégués du personnel

Mme [B] sollicite une indemnité pour non consultation des délégués du personnel à hauteur de 21.600 euros. Elle fonde sa demande sur les dispositions de l’article L.1226-15 du code du travail. Elle soutient qu’il ne s’agit pas d’une demande nouvelle puisque cette demande additionnelle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant et qu’en ce sens elle avait déjà critiqué dès la saisine du conseil de prud’hommes le non-respect de l’obligation de reclassement. De plus, la salariée affirme n’avoir eu connaissance du non-respect de cette obligation que par la communication des pièces adverses lors de la première instance.

L’ADGESSA sollicite le rejet de la demande de la salariée. Elle fait valoir que ce n’est qu’à l’occasion de conclusions responsives de première instance que Mme [B] a formulé une demande totalement nouvelle qui est irrecevable et infondée. Cette demande est infondée car il n’est pas possible de cumuler l’indemnité prévue par l’article L.1226-15 du code du travail avec une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. En toute hypothèse, la consultation des délégués du personnel est régulière dès lors que la demande d’avis a bien été adressée à tous les délégués du personnel, et que l’avis émane bien des délégués du personnel.

Sur la recevabilité de la demande

L’article 564 du code de procédure civile qui dispose qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

Cet article est complété par les articles 565 et 566 du même code selon lesquels :

– les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent ;

– les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément.

Devant le conseil de prud’hommes, Mme [B] avait sollicité une demande au titre du non respect de la consultation préalable des délégués du personnel. Cette demande formulée devant les premiers juges n’est donc pas nouvelle.

Sur la régularité de la procédure de consultation

L’association verse en pièce 8 un courrier de Mme [T] du 16 janvier 2015 dans lequel elle demande aux délégués du personnel un avis sur la procédure en cours relative à l’inaptitude et au reclassement de Mme [B].

Elle mentionne d’ailleurs : « compte tenu des conclusions du médecin du travail, la directrice informe les délégués du personnel qu’elle a sollicité l’ensemble des établissements de l’ADGESSA » et conclut par la phrase suivante : « la directrice sollicite l’avis des délégués du personnel sur l’ensemble de ces postes ».

En outre, la cour relève que Mme [T] a bien adressé ce document sollicitant l’avis des délégués du personnel par courriel du 16 janvier 2015 adressé à l’ensemble des délégués du personnel titulaires et suppléants, élus le 17 octobre 2014 : Mme [K], Mme [Y], Mme [C] et Mme [O] (pièces 20 et 21 de l’employeur).

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’association intimée a bien consulté les délégués du personnel, peu important la mention du conseil d’établissement conventionnel figurant sur la réponse du 28 janvier 2015.

En conséquence, le jugement du conseil de prud’hommes de Bordeaux du 15 janvier 2019 sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [B] de sa demande indemnitaire sur le fondement de l’article L.1226-15 du code du travail.

Sur les autres demandes

L’association intimée, partie perdante à l’instance, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à verser à Mme [B] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Bordeaux du 15 janvier 2019 sauf en ce qu’il a débouté Madame [H] [B] de sa demande au titre de la consultation des délégués du personnel ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Dit recevable la demande de Madame [H] [B] formulée au titre de la consultation des délégués du personnel ;

Dit non prescrite la demande de Madame [H] [B] formulée au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail ;

Condamne l’association ADGESSA – EHPAD [5] à verser à Madame [H] [B] les sommes suivantes :

– 18.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

– 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne le remboursement par l’employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées à Madame [H] [B] depuis son licenciement dans la limite de six mois d’indemnités ;

Condamne l’association ADGESSA – EHPAD [5] aux dépens de première instance et de la procédure d’appel.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard

 


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