14 JUIN 2022
Arrêt n°
CHR/SB/NS
Dossier N° RG 21/02615 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FXHW
[T]
[O]
/
Société
POLYCLINIQUE [4]
Arrêt rendu ce QUATORZE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Claude VICARD, Conseiller
Mme Karine VALLEE, Conseiller
En présence de Mme Séverine BOUDRY greffier lors des débats et du prononcé
ENTRE :
Mme [T] [O]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Thierry THAVE de la SELASU THAVE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND – et par Me Sandra ELMALEH, avocat au barreau de GRASSE
APPELANTE
ET :
Société POLYCLINIQUE [4] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Antoine PORTAL de la SARL TRUNO & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMEE
Monsieur RUIN, Président et Mme VICARD, Conseiller, après avoir entendu Mr RUIN, Président en son rapport, à l’audience publique du 11 Avril 2022, tenue par ces deux magistrats, sans qu’ils ne s’y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré aprés avoir informé les parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de
l’article 450 du code de procédure civile
FAITS ET PROCÉDURE
La SA POLYCLINIQUE [4], dont le siège social est situé à [Localité 5] (03), employait à l’époque considérée environ 150 salariés. Elle applique la convention collective nationale de l’hospitalisation privée à but lucratif.
Selon contrat de travail à durée indéterminée, Madame [T] [O], née le 10 mai 1963, a été embauchée à compter du 15 novembre 2012 par la société POLYCLINIQUE [4], en qualité de pharmacien gérant (statut cadre), à temps complet (forfait de 212 jours par an). Le contrat de gérance a été signé par les parties en date du 9 octobre 2012.
Par courrier recommandé daté du 24 août 2015, l’employeur a convoqué Madame [T] [O] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 3 septembre 2015.
Par courrier recommandé daté du 9 septembre 2015, Madame [T] [O] s’est vue notifier son licenciement.
Le courrier de notification du licenciement est ainsi libellé :
‘ Madame,
Vous avez été convoquée à un entretien préalable à licenciement le 3 septembre 2015, auquel vous ne vous êtes pas présentée.
Nous sommes au regret de vous notifier votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Vous avez été embauchée par la Clinique le 15 novembre 2012, à temps plein, en tant que pharmacien gérant.
Le 18 février 2015, vous nous informiez d’un premier arrêt de travail pour raisons médicales. Votre arrêt s’est prolongé de mois en mois depuis cette date et à ce jour, vous n’avez pas repris votre poste.
L’arrêt en cours porte votre absence jusqu’au 30 septembre 2015.
Aussi, votre absence prolongée et le manque de certitude quant à la date à laquelle vous pourrez reprendre votre activité entraînent une grave perturbation dans le fonctionnement de la clinique et empêche de trouver des solutions palliatives pérennes en votre absence.
En tant que pharmacien gérant, vous occupez un poste clé au sein de la clinique. En effet, ce poste unique est indispensable à l’activité de
tout établissement de santé. Outre le fait que le pharmacien gérant assure la bonne gestion, l’approvisionnement et la préparation des médicaments, il concourt également à la qualité et à la sécurité des traitements et des soins dans tous les domaines relevant de la compétence pharmaceutique.
La stérilisation des dispositifs médicaux, la pharmacovigilance et la prévention des infections nosocomiales, dont sont responsables le pharmacien gérant, sont autant de missions qui, compte tenu de leur technicité et de leur diversité, imposent la présence d’un salarié spécialisé entièrement dédié à la pharmacie à usage intérieur (PUI).
En votre absence, la surveillance et la responsabilité de la stérilisation ont dû être assurées par madame [W] [J], pharmacienne d’un établissement de santé voisin. Cependant, la charge de travail supplémentaire lui incombant ne nous permet pas d’inscrire cette solution dans la durée.
D’autres de vos tâches ont été redistribuées à madame [C] [P], Pharmacien d’officine. Mais, faute de diplôme et d’expérience en pharmacie hospitalière, cette dernière ne pouvait assumer vos missions à plus long terme.
De surcroît, deux événements récents induisent également la nécessité de votre remplacement durable.
Afin de compléter l’offre de notre établissement en matière de prise en charge des cancers, la Polyclinique a sollicité PARS et a obtenu, en février 2015, une réponse favorable à sa demande d’autorisation d »activité de traitement du cancer par la thérapeutique de la chimiothérapie.
Ainsi, cette activité, dont l’autorisation date de février 2015 au sein de l’établissement, nécessite immanquablement la présence permanente d’un pharmacien gérant travaillant en étroite collaboration avec les équipes médicales et soignantes pour préparer les traitements de chimiothérapies anticancéreuses et assurer la gestion pharmaceutique de ces traitements dans des conditions optimales de qualité et de sécurité.
Cette autorisation vient offrir à nos patients vichyssois et alentours une offre complète sur la prise en charge des cancers au sein de notre établissement.
Et, nous avons reçu de plus un rapport d’inspection de l’Agence Régionale de Santé d’Auvergne décrivant plusieurs dysfonctionnements dans la PUI et préconisant une particulière vigilance dans la gestion des propositions de modifications de traitements.
Il est donc impératif pour la clinique de rétablir au plus vite le bon fonctionnement de la PUI de l’établissement, d’autant à1’orée des échéances de certification prochaine.
Pour cela, nous n’avons donc d’autre choix que de vous remplacer de manière effective et définitive, la spécificité de votre poste empêchant le recours au travail temporaire. D’ailleurs, votre remplaçant n’a accepté de prendre ce poste de pharmacien gérant qu’à la condition d’être embauché à durée indéterminée.
La première présentation de cette lettre recommandée à votre domicile fixe le point de départ de votre préavis d’une durée de trois mois.
Par ailleurs, nous vous rappelons que le droit individuel à la formation a été remplacé depuis le 1er janvier 2015 par le compte personnel de formation… ‘.
L’employeur a établi les documents de fin de contrat de travail en date du 10 décembre 2015. Ceux-ci mentionnent notamment que Madame [O] a été employée, en qualité de pharmacien chef de service, par la société POLYCLINIQUE [4] du 15 novembre 2012 au 10 décembre 2015.
Le 22 février 2016, Madame [O] a saisi le conseil de prud’hommes de VICHY aux fins notamment de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse outre obtenir diverses sommes à titre indemnitaire.
L’audience devant le bureau de conciliation et d’orientation s’est tenue en date du 4 avril 2016 (convocation du défendeur distribuée le 25 février 2016) et, comme suite au constat de l’absence de conciliation, l’affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.
Par décision du 15 mai 2017, le conseil de prud’hommes a radié l’affaire faute de diligence des parties. L’affaire a ensuite été réenrôlée sur demande de Madame [O].
Par jugement contradictoire en date du 11 décembre 2017 (audience du 9 octobre 2017), le conseil de prud’hommes de VICHY a :
– dit et jugé que le harcèlement n’est pas prouvé ;
– dit et jugé que le licenciement est motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse ;
– débouté Madame [T] [O] de sa demande de dommage et intérêts ;
– débouté Madame [T] [O] de sa demande de rappel sur préavis de licenciement d’un cadre supérieur ;
– débouté Madame [T] [O] du surplus de ses demandes ;
– condamné Madame [T] [O] à payer à la société LA POLYCLINIQUE [4] une somme de 200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné Madame [T] [O] aux entiers dépens de l’instance ;
Le 15 décembre 2017, Madame [O] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié à sa personne le 14 décembre 2017.
L’affaire (RG 17/02753) a été fixée à l’audience du 10 février 2020 de la chambre sociale de la cour d’appel de Riom. Les parties ayant sollicité un renvoi pour cause de grève des avocats, l’affaire a été radiée par arrêt du 18 février 2020. Cette affaire a ensuite été réinscrite (RG 21/02615) le 16 décembre 2021 sur conclusions de Madame [O].
Vu les conclusions notifiées à la cour le 5 juin 2018 par la société POLYCLINIQUE [4],
Vu les conclusions notifiées à la cour le 16 décembre 2021 par Madame [T] [O],
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 14 mars 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures, Madame [T] [O] conclut à l’infirmation du jugement et demande à la cour de :
– dire son appel recevable et bien fondé ;
– constater qu’elle a été victime de harcèlement moral dans le cadre de son travail ;
– constater qu’elle a été victime de burn-out ;
– constater que la société POLYCLINIQUE [4] n`a pas exécuté son obligation de sécurité de résultat ;
– constater l`acharnement de la société POLYCLINIQUE [4] à son égard ;
– constater qu’elle a subi un préjudice moral et financier ;
– dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– dire et juger son licenciement particulièrement abusif ;
– condamner la société POLYCLINIQUE [4] à lui verser les sommes suivantes :
* 90000 euros, à titre de dommages et intérêts, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 35000 euros, à titre de dommages et intérêts, pour réinsertion professionnelle difficile,
* 20000 euros, à titre de dommages et intérêts, pour préjudice moral,
* 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouter la société POLYCLINIQUE [4] de toutes ses demandes, fins et conclusions.
Madame [O] expose qu’elle a été victime d’un burn-out dans le cadre d’une dégradation de ses conditions de travail qui a conduit à la dégradation de son état de santé. Elle soutient que cette situation résulte des manquements de l’employeur à ses obligations.
Elle indique avoir été victime d’une situation de harcèlement moral au travail en relevant une surcharge de travail avec des objectifs irréalisables, une mésentente avec la salariée préparatrice [B] [M], un comportement malveillant ainsi qu’un manque de considération de sa hiérarchie qui lui a fait des reproches injustifiés et lui a notifié des sanctions disciplinaires humiliantes, un désintérêt de son employeur vis-à-vis de ses conditions de travail et de la dégradation de son état de santé. Elle réclame des dommages-intérêts pour le préjudice moral subi en raison de cette situation de harcèlement moral.
Madame [O] relève que son licenciement est fondé sur son absence prolongée au travail du fait d’une dégradation de son état de santé imputable à l’employeur qui a manqué à son obligation de sécurité. Elle en conclut que le licenciement ne peut être jugé que sans cause réelle et sérieuse.
Elle fait valoir que son licenciement est abusif et qu’il lui a causé de nombreux préjudices aussi bien moral que matériel et financier, du fait du harcèlement moral, de la perte de son emploi et d’une réinsertion professionnelle difficile.
Dans ses dernières écritures, la société POLYCLINIQUE [4] conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et demande à la cour, y ajoutant, de :
– débouter Madame [O] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner Madame [O] aux dépens ainsi qu’à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
La société POLYCLINIQUE [4] soutient que le licenciement pour cause réelle et sérieuse de Madame [O] est bien fondé. Elle fait valoir que les arrêts successifs de travail de la salariée ont engendré des dysfonctionnements important dans la gestion de la pharmacie de la clinique nécessitant impérativement le remplacement définitif de Madame [O] à son poste. Elle affirme que Madame [O] à été remplacée à son poste par Monsieur [E] de façon définitive et effective.
La société POLYCLINIQUE [4] conteste l’allégation de harcèlement moral et relève que Madame [O] ne rapporte pas la preuve d’agissements répétés, imputables à l’employeur, qui auraient eu pour objet ou pour effet de dégrader ses conditions de travail et d’altérer sa santé physique. L’intimée indique que Madame [O] n’est pas en mesure de prouver sa surcharge de travail et que les sanctions qui lui ont été notifiées étaient parfaitement justifiées.
Sur l’obligation de sécurité, l’employeur soutient que Madame [O] ne produit nulle preuve d’un quelconque manquement de sa part qui serait à l’origine de son arrêt de travail.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.
MOTIFS
La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions régulièrement notifiées et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion. La cour ne statue pas sur des demandes indéterminées, trop générales ou non personnalisées, notamment celles qui relèvent de la reprise dans le dispositif des conclusions d’une partie de l’argumentaire contenu dans les motifs. Ainsi, la cour ne statue pas sur les demandes de constat, de donner acte ou de rappel de textes qui ne correspondent pas à des demandes précises.
La cour constate à titre liminaire que Madame [T] [O] ne présente pas en cause d’appel de prétentions concernant le préavis, ou plutôt le montant de l’indemnité compensatrice de préavis due par l’employeur, et qu’elle ne forme donc pas de recours contre la disposition du jugement l’ayant déboutée à ce titre.
Le conseil de Madame [T] [O] a produit ses pièces sous forme de cotes de plaidoirie et non dans l’ordre de leur numérotation comme il est requis, ce qui ne permet notamment pas à la cour, qui n’est pas tenue de reclasser le dossier d’un avocat, de vérifier que toutes les pièces mentionnées dans le bordereau de communication ont été produites.
– Sur le harcèlement moral –
Aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Le harcèlement moral suppose l’existence d’agissements répétés, peu importe que les agissements soient ou non de même nature, qu’ils se répètent sur une brève période ou soient espacés dans le temps. Le harcèlement moral se caractérise donc par la conjonction et la répétition de certains faits laissés à l’appréciation souveraine des juges du fond. Un acte isolé ne répond pas à la définition du harcèlement moral.
L’auteur du harcèlement peut être l’employeur, un supérieur hiérarchique, un collègue, un subordonné ou un tiers à l’entreprise. Le harcèlement peut être constitué même si son auteur n’avait pas d’intention de nuire.
La loi n’exige pas la caractérisation ou démonstration d’un préjudice du salarié se disant victime pour retenir le harcèlement puisqu’il suffit que les agissements soient susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Par contre, il faut que le salarié qui se plaint de harcèlement moral ait personnellement été victime des agissements dénoncés. Le salarié qui n’a pas été personnellement victime d’une dégradation de ses conditions de travail à la suite des agissements de l’employeur ou d’un supérieur hiérarchique vis-à-vis de certains salariés n’est pas fondé à se prévaloir d’un manquement de l’employeur à ses obligations à son égard.
L’employeur est responsable des faits de harcèlement commis sur ses salariés par un autre salarié ou par un tiers exerçant une autorité de fait ou de droit sur ceux-ci.
Les règles de preuve visées en matière de discrimination s’appliquent pour les faits de harcèlement commis depuis le 10 août 2016. Pour les faits survenus avant le 10 août 2016, le salarié concerné doit établir (et non simplement présenter) des faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement. Il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, y compris les documents médicaux éventuellement produits, puis d’apprécier si les faits matériellement établis dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Sous ses conditions, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits permettant de présumer l’existence de harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, à la lecture des pièces médicales versées aux débats, il apparaît que Madame [T] [O] a présenté des symptômes d’épuisement professionnel, avec un syndrome anxio-dépressif réactionnel, à compter de février 2015. Madame [T] [O] a été en situation d’arrêt de travail d’abord du 18 au 22 février 2015, puis de façon continue à compter du 26 février 2015 (jusqu’en mars 2017 selon son médecin traitant). Madame [T] [O] a fait l’objet d’un traitement médicamenteux et d’un suivi psychothérapeutique à compter du début de l’année 2015.
Les certificats médicaux d’arrêt de travail ne mentionnent pas une origine professionnelle (accident du travail ou maladie professionnelle) pour les pathologies indiquées d’épuisement professionnel et/ou de syndrome anxio-dépressif. Les médecins ayant examiné Madame [T] [O] ne font état ou rapport que des dires de celle-ci s’agissant des causes des pathologies précitées.
Madame [T] [O] a fait l’objet d’un suivi de la part de la médecine du travail, avec notamment des dernières visites les 10 février 2015 et 12 mars 2015. Il n’est pas fait état dans ce cadre d’une inaptitude, ni même d’une quelconque réserve ou préconisation quant à son aptitude au poste de pharmacien gérant.
Il n’est pas justifié ni même allégué que Madame [T] [O] aurait alerté la médecine du travail, pas plus que la représentation du personnel dans l’entreprise ou syndicale, sur son état de santé ou ses conditions de travail, en tout cas avant fin février 2015.
Madame [T] [O] a envoyé de nombreux mails et courriers à sa hiérarchie à compter du 27 janvier 2015. Dès le 27 janvier 2015, elle se plaint de souffrir d’une surcharge de travail engendrant un épuisement professionnel. Le 4 février 2015, elle alerte à nouveau l’employeur sur sa charge de travail. Le 22 février 2015, elle fait état d’une situation de souffrance psychique et de harcèlement moral au travail. Le 24 février 2015, elle réitère sa plainte d’être surchargée de travail et de subir en conséquence une souffrance psychique. Après le 26 février 2015, elle se plaindra à plusieurs reprises (16 mars, 11 mai, 10 juillet…) dans les mêmes termes ou tentera de justifier les griefs formulés par l’employeur à son encontre dans le cadre de procédures disciplinaires.
Le 27 février 2015, l’employeur a notifié à Madame [T] [O] une mise à pied de deux jours pour des faits d’insubordination. Le 13 mars 2015, l’employeur a notifié à Madame [T] [O] une mise à pied conservatoire. Le 28 avril 2015, l’employeur a notifié à Madame [T] [O] une mise à pied de trois jours pour des écarts de stock, des changements de prescription, des problèmes de management, la divulgation d’informations confidentielles.
Il échet de relever que les sanctions disciplinaires ont été notifiées après le 26 février 2015, soit pendant la période de suspension continue du contrat de travail qui a précédé le licenciement.
La lecture des nombreux mails et courriers adressés à sa hiérarchie par Madame [T] [O] indique que la salariée ne contestait alors pas sérieusement la matérialité des griefs relevés par l’employeur dans le cadre des procédures disciplinaires, mais elle déniait sa responsabilité en invoquant une surcharge de travail et le fait qu’elle n’était pas assez secondée, et même mal secondée par Madame [B] [M].
S’il apparaît très clairement que Madame [T] [O] s’est plainte en ce sens à partir du 27 janvier 2015, l’allégation d’une surcharge de travail ne repose sur que ses dires et non sur des éléments objectifs, notamment des témoignages ou des documents concernant ses fonctions ou ses horaires de travail.
Le seul témoignage allant dans le sens de la version de l’appelante sur ce point est celui du Docteur [I] [O] qui ne sera pas retenu par la cour car il n’est pas présenté dans les formes prescrites par l’article 202 du code de procédure civile et il n’est pas fait mention d’un éventuel lien de parenté ou d’alliance avec Madame [T] [O].
Madame [T] [O] verse aux débats les témoignages de deux de ses prédécesseurs (Monsieur [F] et Madame [Z]) au poste de pharmacien cadre de la société POLYCLINIQUE [4]. Ces témoins ne font pas état d’une surcharge de travail concernant ce poste.
Pour assurer l’exécution de son contrat de travail, Madame [T] [O] était assistée de deux subordonnées (apparemment Madame [L] et Madame [M]) correspondant à 1,7 ETP. Il n’est nullement démontré que cette équipe était manifestement insuffisante pour permettre à l’appelante de remplir ses fonctions au sein d’un établissement de la taille de la POLYCLINIQUE [4].
Madame [T] [O] se plaint du comportement de Madame [M], sa subordonnée à l’époque considérée, qui l’aurait mal secondée dans ses fonctions.
Dans une attestation versée aux débats par l’employeur, Madame [M] dénonce le comportement de Madame [T] [O] qu’elle décrit comme une supérieure hiérarchique méprisante, agressive, privilégiant ses activités personnelles par rapport à ses obligations professionnelles, qui travaillait peu et faisait souvent faire son travail par ses deux subordonnées.
Monsieur [F] et Madame [Z] témoignent que si Madame [M] avait une apparence de salariée motivée, efficace et sympathique, ils ont découverts en réalité que celle-ci était une menteuse, une intrigante, qui critiquait sa hiérarchie et n’en faisait qu’à sa tête, sans respecter les directives lorsqu’elle n’avait pas envie de travailler.
Reste que l’insuffisance professionnelle de Madame [M], sa subordonnée, n’a été concrètement signalée par Madame [T] [O] à sa hiérarchie qu’au moment où l’appelante était en situation d’arrêt de travail et se défendait des procédures disciplinaires diligentées par l’employeur.
Force est de constater que si Madame [T] [O] justifie s’être plainte de ses conditions de travail à compter de fin janvier 2015 et justifie d’une souffrance psychique à compter de février 2015, elle n’établit, ni même ne présente, des faits objectifs permettant de présumer l’existence d’un harcèlement résultant d’agissements répétés pouvant être imputés à son employeur.
Si, en application de l’article L. 1152-4 du code du travail, l’employeur doit prendre toute disposition nécessaire en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral, il n’est pas justifié ni même allégué que la société POLYCLINIQUE [4] n’aurait pas rempli ses obligations en matière de prévention des situations de harcèlement moral.
Madame [T] [O] a effectivement avisé son employeur de la détérioration de son état de santé en raison d’une dégradation alléguée de ses conditions de travail mais seulement à compter de fin janvier début février 2015, et surtout de façon véritablement motivée à partir de la deuxième quinzaine de février 2015, ce qui n’a pas laissé concrètement le temps à la société POLYCLINIQUE [4] de réagir de façon adaptée, notamment par la réalisation d’une enquête et la prise en compte de l’état de santé de la salariée, alors que Madame [T] [O] a été en situation d’arrêt de travail d’abord du 18 au 22 février 2015, puis de façon continue à compter du 26 février 2015
La cour ne relève aucun indice objectif de malveillance ou de manque de considération, ou même de désintérêt manifeste, de la part de l’employeur à l’encontre de Madame [T] [O].
Le jugement sera confirmé en ce que le conseil de prud’hommes a jugé qu’il n’y avait pas de situation de harcèlement moral, subie par Madame [T] [O] et imputable à la société POLYCLINIQUE [4], et en ce que Madame [T] [O] a été déboutée de toutes ses demandes à ce titre.
– Sur l’obligation de sécurité –
Tenu d’une obligation de sécurité, il appartient à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en justifiant, d’une part, avoir pris toutes les mesures de prévention prévues notamment par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et, d’autre part, dès qu’il est informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un atteinte à la sécurité ou la santé, physique et mentale d’un salarié, avoir pris les mesures immédiates propres à les faire cesser.
Madame [T] [O] soutient que la dégradation de son état de santé qui a conduit à une situation prolongée d’arrêt de travail, et donc à son licenciement, résulte d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
Vu les observations susvisées, force est de constater que Madame [T] [O] ne procède sur ce point que par voie d’affirmation.
L’appelante sera donc déboutée de sa demande aux fins de voir juger que son licenciement a pour cause ou origine un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
– Sur le licenciement –
Hormis la protection accordée aux salariés contre toute discrimination fondée sur leur état de santé ou leur handicap, les salariés en arrêt de travail pour maladie d’origine non professionnelle ne bénéficient pas d’une protection légale de leur emploi comme c’est le cas en matière d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Mais la jurisprudence et les conventions collectives limitent les possibilités de rupture du contrat de travail.
L’absence du salarié pour maladie, même d’origine non professionnelle, ne peut en aucun cas justifier un licenciement. En revanche, les perturbations causées dans le fonctionnement de l’entreprise par l’absence prolongée ou les absences répétées du salarié en raison de sa maladie peuvent constituer une cause de licenciement si elle rendent nécessaire le remplacement définitif du salarié. Il s’agit d’un cas de rupture du contrat de travail sans texte mais admis par la jurisprudence.
En effet, si la maladie n’est pas en soi une cause légitime de rupture du contrat de travail, ses conséquences peuvent dans certains cas justifier la rupture. C’est ainsi que l’absence prolongée du salarié ou ses absences répétées peuvent constituer un motif réel et sérieux de rupture en raison de la situation objective de l’entreprise dont le fonctionnement serait perturbé, obligeant l’employeur à pourvoir au remplacement définitif du salarié.
En pareille hypothèse il appartient à l’employeur d’établir à la fois la perturbation engendrée par le prolongement de l’absence du salarié ou ses absences répétées et la nécessité du remplacement définitif.
La lettre de licenciement doit impérativement mentionner, d’une part, la perturbation de l’entreprise ou d’un service essentiel à son fonctionnement, et, d’autre part, la nécessité du remplacement définitif du salarié.
En cas de litige, la durée ou la fréquence des absences est appréciée par les juges en fonction des circonstances propres à chaque espèce. En tout état de cause, l’employeur ne doit pas agir avec une hâte excessive, en particulier lorsque le retour du salarié est envisageable ou prévu. A fortiori, est abusif le licenciement à l’issue d’un arrêt de travail, alors que les absences du salarié ont cessé.
Pour apprécier la désorganisation de l’entreprise, le juge tient notamment compte du nombre et de la durée des absences, de la taille de l’entreprise et de la nature des fonctions exercées par le salarié.
La condition de remplacement définitif du salarié malade suppose l’embauche par l’entreprise (et non par une autre société du groupe) d’un nouveau salarié, sous contrat à durée indéterminée, selon un horaire équivalent. Pour être valable, le remplacement définitif doit en outre intervenir soit avant le licenciement, à une date proche de celui-ci, soit après, dans un délai raisonnable apprécié par rapport à la date du licenciement et non à celle de la fin du préavis.
En l’espèce, la lettre de licenciement du 9 septembre 2015 mentionne de façon circonstanciée la perturbation de l’entreprise (ou d’un service essentiel à son fonctionnement) du fait de l’absence prolongée de la salariée et la nécessité du remplacement définitif de Madame [T] [O].
Le poste de pharmacien gérant au sein d’un établissement hospitalier est, de par la nature des fonctions exercées par ce salarié (gère les achats, l’approvisionnement, la détention et la gestion des produits de santé ; dispense ces produits de santé aux patients hospitalisés ou ambulatoires (analyse des prescriptions avec intervention pharmaceutique si besoin, préparation éventuelle des doses à administrer, délivrance, conseils de bon usage) ; mène des actions de pharmacie clinique telles que les bilans de médication, la conciliation médicamenteuse à l’entrée et à la sortie des patients ; réalise des préparations magistrales, hospitalières et officinales (médicaments à usage pédiatrique, anticancéreux, radio-pharmaceutiques, nutrition parentérale, médicaments de thérapie innovante’) ou pour la recherche biomédicale ; assure la traçabilité de certains médicaments et dispositifs médicaux implantables ; participe aux actions de pharmacovigilance, de matériovigilance et autres vigilances sanitaires ; assure la sécurisation du circuit du médicament à travers des actions qualité et sécurité des soins et gestion des risques ; contrôle les matières premières, les préparations, l’eau pour hémodialyse’ ; gère la stérilisation des dispositifs médicaux ; participe à la commission du médicament, aux recherches biomédicales, aux actions de formation et d’enseignements des personnels pharmaceutiques et autres paramédicaux et, selon les établissements, à l’éducation thérapeutique, à la pharmacocinétique, à l’hygiène…), un poste clé de l’entreprise qui ne peut rester longtemps vacant sans perturber gravement le fonctionnement de l’établissement hospitalier.
Le poste de pharmacien gérant exige un niveau élevé de compétences, diplômes et expériences professionnelles.
Aux termes de l’article R. 5126-34 du code de la santé publique, la gérance d’une pharmacie à usage intérieur relevant d’une personne privée est assurée par un pharmacien salarié qui est lié à l’établissement par un contrat de gérance conforme à un contrat type fixé, après avis du Conseil national de l’ordre des pharmaciens, par arrêté du ministre chargé de la santé. Ce contrat type peut comporter des clauses spécifiques pour la gérance des pharmacies des établissements d’hospitalisation à domicile et des unités de dialyse à domicile.
Il n’est pas contesté que Madame [T] [O] occupait ainsi au sein de la société POLYCLINIQUE [4] un poste clé, unique et fondamental pour le bon fonctionnement de l’entreprise.
Madame [T] [O] a été en situation d’arrêt de travail de façon continue à compter du 26 février 2015. En septembre 2015, son retour au travail n’était toujours pas annoncé, à court ou moyen terme. Le médecin traitant de l’appelante a d’ailleurs indiqué dans une attestation versée aux débats que cet arrêt de travail s’était prolongé de façon continue jusqu’en mars 2017.
L’employeur a, dans un premier temps, embauché selon contrats de travail à durée déterminée, des pharmaciennes (Madame [G] du 2 au 13 mars 2015 / Madame [P] du 16 mars au 12 avril 2015, puis jusqu’au 10 mai 2015, puis jusqu’au 8 juin 2015, puis du 4 août au 31 août 2015, puis jusqu’au 30 septembre 2015, puis du 1er au 25 octobre 2015 à temps complet dans l’attente du recrutement d’un pharmacien gérant en la personne de Monsieur [E]) pour effectuer une partie, mais non la totalité, des tâches effectuées auparavant par Madame [T] [O], assistées de Madame [J], salariée d’un autre établissement, qui assurait le seul contrôle des cycles de stérilisation de février 2015 à mi-août 2015.
La nécessité de pourvoir durablement et définitivement au poste de pharmacien gérant au sein de la société POLYCLINIQUE [4] a encore été renforcée par l’autorisation d’activité de traitement du cancer par la thérapeutique de la chimiothérapie accordée à l’entreprise depuis le 26 février 2015 ainsi que par les anomalies et injonctions relevées par l’ARS dans son rapport d’inspection du 2 juin 2015.
La société POLYCLINIQUE [4] a ainsi procédé, à compter du 26 octobre 2015, au recrutement de Monsieur [E] au poste de pharmacien gérant, avec les mêmes fonctions que celles confiées précédemment à Madame [T] [O], selon contrat de travail à durée indéterminée, à temps complet. Le contrat de gérance a été signé par les parties en date du 26 octobre 2015.
Monsieur [E] atteste qu’il n’aurait pas accepté le poste de pharmacien gérant au sein de la société POLYCLINIQUE [4] si l’employeur ne lui avait pas proposé un contrat de travail à durée indéterminée.
La cour juge que le licenciement de Madame [T] [O] repose sur une cause réelle et sérieuse en ce que la société POLYCLINIQUE [4] démontre la perturbation importante du fonctionnement de l’entreprise engendrée par l’absence prolongée (8 mois) de Madame [T] [O] ainsi que la nécessité du remplacement définitif de cette salariée, et justifie avoir effectivement procédé au remplacement définitif de Madame [T] [O] dans un délai raisonnable par rapport à la date du licenciement de cette salariée.
Au regard des principes susvisés et des éléments d’appréciation dont la cour dispose, le premier juge a fait une exacte appréciation des circonstances de la cause ainsi que des droits et obligations des parties en considérant que le licenciement est motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse ainsi qu’en déboutant Madame [T] [O] de toutes ses demandes.
– Sur les dépens et frais irrépétibles –
Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions sur les dépens et frais irrépétibles de première instance.
Madame [T] [O], qui succombe totalement en son recours, sera condamnée aux entiers dépens d’appel ainsi qu’à verser à la société POLYCLINIQUE [4] une somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
– Confirme le jugement ;
– Y ajoutant, condamne Madame [T] [O] à payer à la société POLYCLINIQUE [4] une somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
– Condamne aux Madame [T] [O] dépens d’appel ;
– Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le Greffier, Le Président,
S. BOUDRY C. RUIN