ARRET
N° 1084
[V]
C/
[5] DE [Localité 6]
CPAM [Localité 9]
COUR D’APPEL D’AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 13 DECEMBRE 2022
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N° RG 21/03846 – N° Portalis DBV4-V-B7F-IFTA – N° registre 1ère instance : 18/02166
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE (Pôle Social) EN DATE DU 07 juillet 2021
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
Madame [P] [Z] [V]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Assistée et plaidant par Me Julie PENET, avocat au barreau de LILLE, vestiaire : 0030
ET :
INTIMES
L’ [5] DE [Localité 6], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté et plaidant par Me Marylène ALOYAU de la SELARL CAPSTAN NORD EUROPE, avocat au barreau de LILLE
La CPAM [Localité 9], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée et plaidant par Mme [L] [R] dûment mandatée
DEBATS :
A l’audience publique du 15 Septembre 2022 devant Mme Jocelyne RUBANTEL, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 13 Décembre 2022.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Marie-Estelle CHAPON
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Jocelyne RUBANTEL en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Mme Jocelyne RUBANTEL, Président,
Mme Chantal MANTION, Président,
et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 13 Décembre 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.
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DECISION
me [V] a le 19 juillet 2017 régularisé une déclaration de maladie professionnelle, soit un «’syndrome anxio-dépressif sévère suite épuisement professionnel depuis le 5 octobre 2015’».
Après avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, la caisse primaire d’assurance maladie a pris en charge cette pathologie.
Saisi le 19 septembre 2018 par Mme [V] d’une reconnaissance de maladie professionnelle, le tribunal judiciaire de Lille, par jugement du 7 juillet 2021 a :
– débouté Mme [V] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné Mme [V] aux entiers dépens de l’instance,
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [V] a relevé appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 15 juillet 2021 par lettre recommandée du 21 juillet 2021.
Aux termes de ses conclusions réceptionnées par le greffe le 13 septembre 2021, Mme [V] demande à la cour de :
– infirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Lille du 7 juillet 2021 en ce qu’il l’a déboutée et condamnée aux dépens,
En conséquence,
– juger que la maladie professionnelle est imputable au risque professionnel,
– à titre principal, accorder à Mme [V] le bénéfice de la faute inexcusable de droit,
– à titre subsidiaire, dire et juger que l'[5] de [Localité 6] a commis une faute inexcusable,
– ordonner une expertise médicale avec pour mission :
d’entendre les parties,
de recueillir toutes informations orales ou écrites,
de se faire communiquer et examiner tout document utile,
de répondre aux observations des parties,
d’entendre tous sachants,
d’examiner Mme [V],
après s’être fait communiquer tout document relatif aux examens, soins et interventions pratiqués, indiquer l’évolution desdites lésions et préciser si celles-ci sont bien en relation directe et certaine avec ledit accident,
déterminer la durée de l’incapacité temporaire de travail en indiquant si elle a été totale ou si une reprise partielle est intervenue, et dans ce cas en préciser les conditions et la durée,
procéder à l’évaluation du préjudice subi par Mme [V] au visa des critères retenus par l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale,
déterminer la différence entre l’incapacité antérieure et l’incapacité actuelle,
dire si l’état de Mme [V] est susceptible de modification, d’aggravation ou d’amélioration,
– condamner l'[5] de [Localité 6] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner aux éventuels frais et dépens,
– débouter l'[5] de ses prétentions plus amples ou contraires,
– dire et juger qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées, le montant des sommes retenues par l’huissier en application de l’article 10 du décret du 8 mars 2021 portant modification du décret du 12 décembre 1996 fixant le tarif des huissiers sera supporté par le débiteur, en sus de l’application de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, Mme [V] expose en substance qu’elle travaille pour l'[5] depuis le 16 septembre 2014. Ancienne journaliste, elle a été embauchée en qualité de responsable administratif premier degré au sein de la cellule communication, et régulièrement promue, elle était ainsi devenue responsable du service information communication dirigeant 12 personnes, et elle obtenu le statut de cadre manager de 3éme degré.
En raison d’une crise financière liée à la baisse des subventions publiques, le conseil d’administration a démis son directeur général, le professeur [T] et a désigné en qualité de secrétaire général M. [U] lequel a exercé ses fonctions sous l’autorité du directeur général par intérim, M. [K].
A compter de cette date, ses conditions de travail se sont totalement détériorées car M. [U] a sans aucune concertation avec elle rattaché le département formation à la direction générale, et dans le même temps, l’effectif de son service a été réduit de trois personnes.
Un directeur marketing, proche de M. [U], M. [O] a été embauché lui a demandé de partir.
Le climat de travail est devenu délétère alors que M. [O] a multiplié les comportements vexatoires à son endroit soit retrait de responsabilités, multiplications de tâches subalternes , injonctions contradictoires, chantage, isolement et interdiction de proximité avec ses collaborateurs, reproches quant au temps de travail déployé.
Elle précise avoir ensuite été rétrogradée le 15 juillet 2014 à la fonction de responsable des événements.
Cette situation a entraîné une profonde détérioration de son état de santé, ce qu’ont reconnu les CRRMP.
Elle soutient que l’employeur était, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, parfaitement informé, le CHSCT ayant évoqué sa situation à plusieurs reprises, les difficultés étaient relayées par les syndicats, les salariés eux-mêmes et la situation a eu un écho médiatique.
Elle ajoute que la décision de la rétrograder a été prise par le directeur général qui s’est attribué une partie de ses fonctions.
Elle soutient encore qu’à compter de 2011, le management était fondé sur le mépris,l’isolement et l’agressivité, soulignant qu’un salarié s’est suicidé en novembre 2018.
Aux termes de ses conclusions réceptionnées par le greffe le 14 septembre 2022, oralement soutenues à l’audience, l'[5] de [Localité 6] demande à la cour de :
– dire que la maladie professionnelle déclarée par Mme [V] n’a pas de caractère professionnel en l’absence de lien direct et essentiel entre la maladie qu’elle a déclarée et son travail habituel,
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [V] de l’intégralité de ses demandes,
En conséquence,
– débouter Mme [V] de sa demande formulée à titre principal de bénéfice de droit de la faute inexcusable de son employeur,
– débouter Mme [V] de sa demande formulée à titre subsidiaire de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur,
– débouter Mme [V] de sa demande de désignation d’un expert,
– débouter Mme [V] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que sa demande au titre des frais et dépens,
-condamner à titre reconventionnel Mme [V] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,condamner Mme [V] aux entiers dépens,débouter la caisse primaire d’assurance maladie de sa demande de bénéfice de l’action récursoire à l’encontre de l'[5] de [Localité 6],
– à titre subsidiaire, si le caractère professionnel de la maladie déclarée devait déclaré, surseoir à statuer dans l’attente de la décision qui sera rendue dans le dossier opposant l'[5] de [Localité 6] à la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 9] pendant devant la cour d’appel sous le n° 21/04096 et que cet arrêt soit devenu définitif.
Aux termes de ses conclusions réceptionnées par le greffe le 22 août 2022, oralement développées à l’audience, la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 9] demande à la cour de :
– dire que l'[5] de [Localité 6] devra communiquer les coordonnées de son assurance responsabilité civile pour le risque faute inexcusable,
– reconnaître l’action récursoire de la caisse,
– condamner l’employeur à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie les conséquences financières de la majoration de rente, ainsi que le versement des sommes avancées par la caisse au titre de l’indemnisation des préjudices subis.
La caisse primaire fonde son action récursoire sur les dispositions de l’article R 452-3-1 du code de la sécurité sociale et fait valoir qu’en raison de l’indépendance des procédures contentieuses en matière de faute inexcusable et de reconnaissance des AT/MP, elle est en droit de réclamer le remboursement des sommes qu’elle réglera si la faute inexcusable est reconnue, et souligne que la jurisprudence admet de manière constante le maintien de l’action récursoire des caisses même lorsqu’une inopposabilité est reconnue.
Par ailleurs, en raison du principe de l’indépendance des rapports caisse-employeur, caisse-salarié et employeur-salarié, les décisions définitives rendues à l’égard de la victime ou de l’employeur ne lient que ceux qui y ont été parties.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs demandes et des moyens qui les fondent.
Motifs :
Par deux jugement rendus le même jour, le tribunal judiciaire de Lille a statué d’une part, sur la contestation du caractère professionnel de la maladie déclarée par Mme [V] formée par l'[5] et d’autre part, sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable formée par Mme [V].
Les deux affaires n’ont pas été jointes.
Le tribunal a dit que la pathologie de Mme [V] a un caractère professionnel et qu’elle est opposable à l’employeur. Cette affaire a fait l’objet d’un appel de l’employeur qui sera évoqué à une prochaine audience.
Le présent litige a pour objet l’appel relevé par Mme [V] du jugement ayant rejeté sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
En défense, l’employeur contestait en premier lieu le caractère professionnel de la maladie, et le tribunal n’a pas statué sur ce point dans la décision déférée.
Sur le caractère professionnel de la maladie
Est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu’elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est directement causée par le travail habituel de la victime.
Peut être également reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’un taux évalué dans les conditions mentionnées à l’article L 434-2-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.
Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L’avis du comité s’impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l’article L 315-1.
Mme [V] soutient que la dégradation de son état de santé a pour origine directe et exclusive la dégradation de ses conditions de travail ayant conduit à son arrêt de travail du 5 octobre 2015, et à la déclaration de maladie professionnelle faite le 19 juillet 2017.
Au terme de son instruction, la caisse primaire a pris en charge la maladie hors tableau, déclarée par Mme [V], soit un syndrome anxio-dépressif sévère suite épuisement professionnel.
Le CRRMP de [Localité 8] a le 11 avril 2018 rendu l’avis suivant : «’après avoir étudié les pièces du dossier communiqué, le CRRMP constate des réorganisations successives ayant conduit à une réduction de son périmètre de responsabilité vécues comme une mise à l’écart des grands projets de l’institution, des conflits répétés avec sa hiérarchie avec des conséquences sur son équilibre psychologique. Par ailleurs, il n’est pas retrouvé dans le dossier d’élément montrant que l’entreprise a mis en place l’accompagnement et le soutien nécessaires dans le cadre d’une restructuration importante. La chronologie et l’absence de facteur extra professionnel permettent de retenir un lien direct et essentiel entre l’affection présentée et l’exposition au risque’».
Le CRRMP [Localité 7] dans un avis du 16 septembre 2019 a indiqué «’…l’intéressée fut embauchée en 2004, occupant successivement plusieurs postes notamment celui de responsable événementiel.
A l’aune d’une réorganisation de l’entreprise, elle fait l’objet d’une mise à l’écart et d’injonctions contradictoires émanant de différents témoignages, permettant d’expliquer la survenue de la maladie déclarée.
En conséquence, les membres du CRRMP estiment qu’un lien direct et essentiel peut-être établi entre la pathologie présentée et l’activité exercée’».
Il ressort des pièces produites par les parties que Mme [V] occupait un poste d’encadrement à la satisfaction de son employeur et de ses collègues, qu’elle s’épanouissait dans ses fonctions, et qu’elle a exprimé une souffrance au travail à compter de la réorganisation de l'[5] menée à compter de 2011. Si l’employeur explique avoir agi dans le but de préserver l’équilibre financier de la structure, dans le respect de sa salariée, il n’en demeure pas moins que seul le contexte professionnel est à l’origine directe et exclusive de la pathologie développée par Mme [V], étant observé qu’aucun élément n’a été mis en évidence faisant état de difficultés antérieures, dans le cadre professionnel et personnel.
Ces éléments confirment que la maladie déclarée par Mme [V] est bien d’origine professionnelle.
Sur la faute inexcusable
Aux termes de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur, ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants-droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les
mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident. Il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru à la survenance du dommage.
La charge de la preuve de la faute inexcusable incombe au salarié.
Sur l’exposition au danger
La réorganisation de l'[5] à compter de 2011 n’est pas contestée par l’employeur.
Il résulte des pièces produites que Mme [V] qui avait été nommée responsable du service information et communication à compter du 1er janvier 2010, a bien connu, contrairement à ce que soutient l’employeur, une diminution de ses responsabilités.
Il résulte des pièces produites que les qualités professionnelles de Mme [V] avaient toujours été reconnues, et qu’elle avait connu une progression de carrière pour devenir responsable du service communication. A compter de 2011, une profonde modification de ses conditions de travail est intervenue.
Alors qu’elle était cheffe de service du pôle communication institutionnelle et formation et communication, elle a été avisée par courrier du 30 décembre 2011 émanant du secrétaire général que le pôle formation était placé sous l’autorité de la direction générale et qu’elle était ainsi placée sous la responsabilité du secrétaire général. Le même courrier l’avisait que son bureau et celui de sa collaboratrice allaient être déménagés début janvier, pour être positionnés au rez-de-chaussée.
Il résulte également d’un courrier électronique de M. [O] en date du 3 juillet 2012 que ce dernier reprenait le pôle marketing directe et les legs, précédemment attribué à Mme [V].
Plusieurs de ses collègues décrivent une dégradation de son moral et de son état de santé face à ces éléments, étant par ailleurs observé que l’ambiance générale au sein de l'[5] était décrit comme particulièrement délétère, marqué par une tension entre la direction et le personnel, et qu’une augmentation du nombre d’arrêts de travail était relevée.
Si l’employeur soutient avoir agi par nécessité, il n’en demeure pas moins que le fait de retirer soudainement des responsabilités à un encadrant, de manière unilatérale, et sans échange préalable, est de nature à exposer à un risque de souffrance.
L’explication donnée pour ces décisions étaient liées à l’importance des services retirés à Mme [V], soit le service des dons et legs, la formation, étaient de nature à laisser entendre qu’elle était défaillante dans ces tâches, alors même qu’aucun grief ne lui avait été préalablement exprimé.
De même, dans un compte rendu de réunion du 19 novembre 2012, il était indiqué que [A] [O] prenait en charge le management de l’équipe, et que Mme [V] accompagnait les nouveaux projets, de telle sorte que l'[5] ne peut sérieusement soutenir que sa salariée n’a pas connu de remise en cause de ses fonctions et responsabilités.
L’organigramme de 2015 traduit bien cette situation puisque le professeur [Y] est désigné comme dirigeant le service communication et M. [O] le service dons et legs.
Également, le fait d’annoncer tout aussi soudainement, par courrier, un changement de bureau, qui de plus avait pour effet d’isoler Mme [V] de sa précédente équipe, est de nature à créer un choc, traduisant une volonté de mettre à l’écart le salarié concerné, ce d’autant que le courrier était daté du 30 décembre 2011, et précisait que ce déménagement aurait lieu début janvier.
Des témoins décrivent l’isolement qui en est résulté, le fait que ce bureau était beaucoup plus petit que celui qu’elle occupait précédemment, ne lui permettant pas de ranger tous ses documents de travail.
Ces retraits de responsabilités, le déménagement imposé se sont accompagnés d’un isolement, qui ressort clairement des témoignages de collègues de l’appelante.
Ainsi, Mme [C] affirme que la direction lui avait interdit d’échanger avec Mme [V].
Les témoins décrivent un management emprunt d’hostilité à l’encontre de Mme [V].
Mme [C] décrit une réunion au cours de laquelle Mme [V] a été interpellée par le directeur général qui lui demandait de lui réexpliquer les opérations de communication en cours, ce qu’elle avait fait 48 heures auparavant, et qui s’est énervé en tapant du poing sur la table, provoquant l’effondrement de Mme [V] à la fin de la réunion.
Des témoins rapportent également que Mme [V] était souvent en larmes, se plaignant de recevoir des instructions contradictoires, des critiques incessantes.
Le témoignage de Mme [W], responsable du service dons et libéralités, produit par l’employeur, selon lequel les difficultés seraient liées à l’incapacité dans laquelle était Mme [V] de s’adapter aux changements intervenus ne saurait emporter la conviction, alors qu’il s’agit d’un témoignage isolé, en complète contradiction avec ceux produits par l’appelante, et émanant de plus d’une salariée qui a de fait bénéficié de l’éviction de Mme [V].
Il résulte donc clairement de cet ensemble d’éléments que Mme [V] a été exposée à un danger compte tenu de ses conditions de travail.
Sur la conscience du danger et l’absence de mesures prises en vue de préserver la salariée
L'[5] soutient que quels que soient les arguments avancés par Mme [V], il n’avait pas conscience du danger allégué.
La dégradation des conditions de travail de Mme [V] est née en 2011, à l’occasion d’un remaniement complet de l’équipe dirigeante de l'[5].
Le professeur [F] qui était directeur général a été remplacé en 2011 par [E] [U], et un nouveau directeur général a été nommé en 2014 en la personne du professeur [Y].
Il ressort des pièces produites qu’en 2018, la presse se faisait l’écho des difficultés sociales qui s’étaient manifestées au sein de l’Institut, faisant état de tensions entre la direction et le personnel, de burn-out de salariés, de grandes difficultés dans le dialogue social. Il était ainsi fait état de comités d’entreprises expédiés, d’une technique consistant à déposséder les cadres considérés comme indésirables de leurs responsabilités pour les placer sous l’autorité hiérarchique de nouveaux arrivants.
Si ces articles sont postérieurs à la déclaration de maladie professionnelle de Mme [V], ils font état d’éléments recueillis auprès d’interlocuteurs divers. Or, si la presse est parvenu à recueillir des éléments sur le fonctionnement social de l’Institut, c’est bien parce que les difficultés étaient antérieures, ancrées, de telle sorte qu’une direction normalement attentive les connaissait.
Le syndicat [4] a le 26 novembre 2015 publié un écrit dans lequel il est fait état du service communication, indiquant que deux salariés sur quatre étaient en arrêt de travail, après avoir tenté d’expliquer que l’absence de gouvernance était nuisible au bon fonctionnement du service, séparé des dons et legs, mais sans autre responsable que le directeur général depuis novembre 2014, le syndicat écrivant «’une alerte au CHSCT ‘ La direction tombe sur les salariés. L’interpellation en toute discrétion du vice-président ‘ La direction tombe sur les salariés’».
De même, dans un autre écrit du 20 février 2014, l’intersyndicale de l'[5] faisait état d’une souffrance au travail niée, de conditions de travail dégradées, de la pression exercée par certains chefs de service et d’un refus de médiation de la part de la direction.
L’employeur était donc très clairement informé de la souffrance exprimée par les salariés et connaissait spécifiquement la situation de souffrance de Mme [V].
Ainsi, Mme [C] a adressé le 9 octobre 2017 un mail à M. [K] qui était vice-président du conseil d’administration, indiquant qu’elle l’avait alerté en 2015 sur des dysfonctionnements en particulier du service communication, qu’il ne l’avait pas écoutée, et que de plus, elle avait immédiatement reçu une lettre recommandée.
Le docteur [D] représentant du personnel cadre indique avoir été élue au CHSCT et avoir évoqué à plusieurs reprises le mal être des salariés du service communication, le cas de Mme [V] ayant été évoqué.
Les procès-verbaux de réunions du CHSCT font état de la situation de Mme [V], la direction étant interpellée sur le point de savoir si elle était toujours responsable de son service, ce à quoi il était dans un premier temps répondu affirmativement, puis par la négative.
L’employeur contraint de mettre en ‘uvre une réorganisation d’ampleur, dans un contexte de difficultés financières de nature à mettre en péril l’activité, sait que celle-ci va générer de l’inquiétude et une perturbation pour les salariés.
Il lui appartient d’être d’autant plus attentif à la souffrance du personnel. Or, en l’espèce, le nombre général des arrêts de travail avait fortement augmenté, un salarié s’est suicidé, sans que des mesures aient été prises en vue de comprendre l’origine des difficultés.
Il apparaît au contraire que la direction s’est montrée abrupte, et qu’elle a négligé toutes les alertes qui lui parvenaient, et qu’elle a parfois mené des procédures à l’encontre de ceux qui voulaient l’alerter comme en atteste le témoignage de Mme [C].
Alors que la direction a décidé de retirer à Mme [V] ses fonctions de cheffe de service, il lui appartenait d’être particulièrement attentive à son ressenti, ce d’autant que cette décision n’était aucunement justifiée par une insuffisance professionnelle, la salariée n’ayant jamais fait l’objet de reproches.
En outre, la direction a parfois contribué directement à la déstabilisation de Mme [V], comme en atteste les témoignages produits quant au déroulement de la réunion du 5 octobre 2015 au cours de laquelle le directeur général s’est emporté violemment contre elle, en tapant du poing sur la table, les personnes présentes restant taisantes car sidérées.
Mme [V] s’est effondrée après la réunion comme en témoigne ses collègues, son conjoint décrivant son épouse hébétée à son retour à leur domicile.
Ainsi, il est établi qu’aucune mesure n’a été prise pour préserver Mme [V] du danger auquel elle était exposée, et que les équipes dirigeantes ont directement contribué à créer le risque.
Il convient dès lors d’infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et de dire que la pathologie dont est atteinte Mme [V] est la conséquence de la faute inexcusable commise par son employeur.
Sur la demande d’expertise
En vertu de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2020, en cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle peut demander à ce dernier la réparation de son préjudice d’agrément si elle justifie de la pratique d’une activité spécifique sportive ou de loisir antérieure à la maladie, de ses souffrances physiques et morales non déjà réparées au titre du déficit fonctionnel permanent, de son préjudice esthétique, ainsi que du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités professionnelles’; elle peut également être indemnisée d’autres chefs de préjudice à la condition qu’ils ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale tels que notamment le préjudice sexuel, le besoin d’assistance par une tierce personne avant consolidation, le déficit fonctionnel temporaire qui inclut, pour la période antérieure à la date de consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, et les préjudices permanents exceptionnels correspondant à des préjudices atypiques directement liés aux handicaps permanents de la victime tel que celui résultant de la nécessité pour la victime d’adapter son logement ou son véhicule à son handicap voire même de la nécessité pour elle de se procurer un nouveau logement ou un nouveau véhicule adaptés à ce handicap.
Mme [V] justifie d’un suivi psychiatrique et psychologique depuis 2015, qu’elle a fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude, et qu’en 2022, un traitement lui est toujours prescrit.
Il est nécessaire de recueillir un avis médical aux fins d’évaluer les préjudices subis par Mme [V], selon les modalités détaillées au dispositif du présent arrêt.
Sur l’action récursoire de la caisse primaire d’assurance maladie
L'[5] demande à la cour de sursoir à statuer sur cette demande dans l’attente de l’arrêt qui doit être rendu suite à l’appel qu’elle a interjeté à l’encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lille le 7 juillet 2021 ayant dit que la maladie de Mme [V] est d’origine professionnelle et débouté l'[5] de sa demande d’inopposabilité de la prise en charge, demande fondée sur l’absence de caractère professionnel de la maladie.
Dans la présente instance, la cour était amenée à statuer sur le caractère professionnel de la pathologie, l'[5] l’ayant saisie d’une demande tendant à ce qu’il soit dit que la maladie n’était pas d’origine professionnelle.
La demande d’inopposabilité, comme le montre le jugement rendu par le tribunal judiciaire, portait exclusivement sur l’absence de caractère professionnel de la maladie qu’invoquait l’employeur.
Il n’y a donc pas lieu de sursoir à statuer sur les demandes dont l'[5] l’a saisie dans le cadre de la présente instance
La pathologie étant d’origine professionnelle, elle est opposable à l'[5] qui ne développe aucun moyen autre.
En vertu des dispositions de l’article L 452-3-1 du code de la sécurité sociale, quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L 452-1 à L 452-3.
Il convient dès lors de dire que la caisse primaire pourra recouvrer auprès de l'[5] de [Localité 6] l’intégralité des charges exposées par suite de la reconnaissance de la faute inexcusable
Dépens
L'[5] qui succombe en toutes ses demandes doit être condamné aux entiers dépens de l’instance de première instance et d’appel.
Demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile
L'[5] qui succombe en toutes ses demandes doit être déboutée de la demande qu’il formule de ce chef.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [V] les frais non compris dans les dépens qu’elle a été contrainte d’exposer pour assurer la défense de ses intérêts.
En conséquence, l'[5] de [Localité 6] doit être condamné à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt rendu par mise à disposition au greffe, contradictoire, en dernier ressort,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lille le 7 juillet 2021,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que la maladie déclarée par Mme [V] est d’origine professionnelle,
Dit que la maladie déclarée par Mme [V] est la conséquence de la faute inexcusable commise par son employeur, l'[5] de [Localité 6],
Déboute l'[5] de [Localité 6] de sa demande de sursis à statuer,
Déclare opposable à l'[5] de [Localité 6] la décision de prise en charge de maladie et dit qu’il sera tenu de rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 9] les conséquences financières de la majoration de rente ainsi que l’indemnisation des préjudices personnels subis par Mme [V],
Avant dire droit, ordonne une expertise judiciaire,
Commet pour y procéder le docteur [B] [S], [Adresse 10], mèl [Courriel 11],
Avec pour mission, les parties convoquées de :
– prendre connaissance du dossier médical de Mme [V], après s’être fait communiquer par toute personne physique ou morale concernée l’ensemble des pièces et documents constitutifs de ce dossier,
– procéder à un examen de Mme [V], et recueillir ses doléances, -fournir le maximum de renseignements sur l’identité de la victime et sa situation familiale, son niveau d’études ou de formation, sa situation professionnelle antérieure et postérieure à l’accident (l’apparition de la maladie),
– à partir des déclarations de la victime et des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités du traitement, en précisant autant que possible les durées exactes d’hospitalisation et, pour chaque période d’hospitalisation , la nature et le nom de l’établissement, le ou les services concernés et la nature des soins,
– décrire de façon précise et circonstanciée l’état de santé de avant et après l’accident (l’apparition de la maladie) en cause les lésions dont celui-ci s’est trouvé atteint consécutivement à cet accident et l’ensemble des soins qui ont dû lui être prodigués,
– décrire précisément les lésions dont il demeure atteint et le caractère évolutif, réversible ou irréversible de ces lésions,
– retranscrire dans son intégralité le certificat médical initial et, si nécessaire, reproduire totalement ou partiellement les différents documents médicaux permettant de connaître les lésions initiales et les principales étapes de l’évolution,
– prendre connaissance et interpréter les examens complémentaires produits,
– décrire un éventuel état antérieur en interrogeant la victime en citant les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles,
– procéder dans le respect du contradictoire à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime,
– décrire, en cas de difficultés particulières éprouvées par la victime, les conditions de reprise de l’autonomie et, lorsque la nécessité d’une aide temporaire est alléguée, la consigner et émettre un avis motivé sur sa nécessité et son imputabilité,
– indiquer si des dépenses liées à la réduction de l’autonomie sont justifiées et l’assistance constante ou occasionnelle d’une tierce personne (étrangère ou non à la famille) a été nécessaire avant la consolidation,
– déterminer la durée du déficit fonctionnel temporaire, période pendant laquelle, pour des raisons médicales en relation certaine et directe avec les lésions occasionnées par l’accident ou la maladie, la victime a dû interrompre totalement ses activités professionnelles ou habituelles, ; si l’incapacité
fonctionnelle n’a été que partielle, en préciser le taux,
– Lorsque la victime allègue une répercussion dans l’exercice de ses activités professionnelles, recueillir les doléances et et les analyser;
– Décrire les souffrances physiques ou morales avant consolidation résultant des lésions, de leur traitement, de leur évolution et des séquelles de l’accident (de la maladie), et les évaluer selon l’échelle de sept degrés,
– Donner un avis sur l’existence, la nature et l’importance du préjudice esthétique, en précisant s’il est temporaire ou définitif ; l’évaluer selon l’échelle de sept degrés ;
– Lorsque la victime allègue l’impossibilité de se livrer à des activités spécifiques sportives ou de loisir, donner un avis médical sur cette impossibilité et son caractère définitif , sans prendre position sur l’existence ou non d’un préjudice afférent à cette allégation,
– Dire s’il existe un préjudice sexuel ; le décrire en précisant s’il recouvre l’un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : la libido, l’acte sexuel proprement dit (impuissance ou frigidité) et la fertilité (fonction de reproduction),
– Établir un état récapitulatif de l’ensemble des postes énumérés dans la mission,
– Indiquer le degré d’autonomie intellectuelle, psychologique et physique conservé par l’intéressé en terme d’activité et de faculté participative ainsi que pour exécuter seul les actes élémentaires et élaborés de la vie quotidienne,
– indiquer en cas de maintien à domicile si l’état de santé de la victime implique l’utilisation ou la mise à disposition d’équipements spécialisés, d’un véhicule spécialement adapté, ou impose de procéder à des aménagements du logement;
FIXE à 600 euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l’expert qui sera avancée par la CPAM [Localité 9] entre les mains du régisseur d’avances et de recettes de la cour d’appel d’Amiens dans le mois de la notification du présent arrêt ;
DIT que l’expert ne débutera les opération d’expertise qu’à réception de l’avis de consignation ;
DIT que l’expert devra dresser un rapport qui sera déposé au greffe de la chambre de protection sociale de la cour dans les six mois de sa saisine et qu’il devra en adresser copie aux parties ;
DESIGNE le magistrat chargé du contrôle des expertises de la cour d’appel d’Amiens afin de surveiller les opérations d’expertise ;
Déboute l'[5] de l’ensemble de ses demandes,
Condamne l'[5] aux entiers dépens de première instance et d’appel,
Condamne l'[5] à payer à Mme [V] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Dit, que dans l’hypothèse où, à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans le jugement à intervenir, l’exécution forcée devra être réalisée par l’intermédiaire d’un huissier, le montant des sommes retenues par l’huissier par application de l’article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du Décret du 12 décembre 1996 n° 96/1080 (tarif des huissiers) devra être supporté par la partie défaillante en sus de l’application de l’article 700 du code de procédure civile.
RENVOIE la présente affaire à l’audience du 14 Septembre 2023 à 13h30 ;
DIT que la notification du présent arrêt vaut convocation à cette audience.
Le Greffier, Le Président,