Épuisement professionnel : 10 novembre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02303

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Épuisement professionnel : 10 novembre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02303

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 10 NOVEMOBRE 2022

N° RG 20/02303 – N° Portalis DBV3-V-B7E-UDJU

AFFAIRE :

[A] [H]

C/

S.A. CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE D’ILE-DE-FRANCE PARIS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 21 Septembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MANTES LA JOLIE

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 19/00084

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELARL BROUT-DELBART AVOCAT

la AARPI OMNES AVOCATS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX, après prorogation du VINGT SEPT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX, les parties en ayant été avisées.

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [A] [H]

né le 30 Mai 1966 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentant : Me Sandra BROUT- DELBART de la SELARL BROUT-DELBART AVOCAT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : T321 – N° du dossier abelard

APPELANT

****************

S.A. CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE D’ILE-DE-FRANCE PARIS

N° SIRET : 382 900 942

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Aurélien WULVERYCK de l’AARPI OMNES AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J091

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 Septembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Mohamed EL GOUZI,

FAITS ET PROCÉDURE

Engagé, suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 24 mars 1987, en qualité d’agent auxiliaire employé de bureau par la société Caisse d’épargne et de prévoyance d’Ile de France Paris (ci-après CEIDF), M. [H] a été promu au poste de Directeur d’agence le 7 novembre 2000.

L’entreprise qui emploie plus de dix salariés, applique des accords collectifs nationaux de la Caisse d’épargne.

Placé continûment en arrêt de travail à compter du 17 décembre 2018, à quelques jours de sa mutation à l’agence de [Localité 7] Val-Fourré, M. [H] a, par lettre rédigée par son conseil le 22 janvier 2019, dénoncé une situation de stress et de pressions exercées par sa hiérarchie.

Le 24 mai 2019, il a saisi le conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie aux fins d’entendre prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

La société s’est opposée aux demandes du requérant et a sollicité sa condamnation au paiement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 21 septembre 2020, le conseil a débouté le requérant de l’ensemble de ses demandes, la société de sa demande reconventionnelle et dit que M. [H] supportera les dépens.

Le 16 octobre 2020, M. [H] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

À l’issue de la visite de reprise en date du 7 janvier 2022, M. [H] a été déclaré inapte à son poste de Directeur d’agence avec possibilité de reclassement.

Convoqué le 7 mars 2022 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 17 mars suivant, M. [H] a été licencié par lettre datée du 21 mars 2022 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par ordonnance rendue le 6 juillet 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 13 septembre 2022.

‘ Selon ses dernières conclusions notifiées le 6 juillet 2022, M. [H] demande à la cour de :

In limine litis, débouter l’intimée de sa demande tendant à voir déclarer irrecevable la demande de licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse présentée par lui en cause d’appel comme étant une demande nouvelle,

Dire qu’il est bien fondé en ses demandes,

Infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de l’ensemble de ses demandes,

Statuant à nouveau,

Ordonner la résiliation judiciaire du contrat de travail du fait des manquements de l’employeur,

A titre principal, dire et juger que la résiliation judiciaire emportera les effets d’un licenciement nul et condamner la CEIDF au paiement de dommages et intérêts : 166 638,80 euros,

A titre subsidiaire, dire et juger que la résiliation judiciaire emportera les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la CEIDF au paiement de dommages et intérêts : 166 638,80 euros.

Pour le cas où la demande de résiliation judiciaire serait rejetée, constater que le licenciement est nul ou, à défaut, sans cause réelle et sérieuse, et en conséquence, condamner la CEIDF au paiement de dommages et intérêts à hauteur de 166 638,80 euros et condamner la CEIDF au paiement de la somme de 44 542,41 euros à titre de reliquat d’indemnité spéciale de licenciement,

En tout état de cause, condamner la CEIDF au paiement des sommes suivantes :

– des dommages et intérêts à hauteur de 6 mois de salaire bruts en raison d’une situation de harcèlement moral, soit la somme de 33 338,58 euros,

– des dommages et intérêts à hauteur de 10 000 euros pour manquement à l’obligation de sécurité,

– une indemnité compensatrice de préavis : 16 669,38 euros bruts, outre 1 666,94 euros au titre des congés payés afférents,

– un rappel d’heures supplémentaires : 14 441,19 euros bruts et 1 444,11 euros au titre des congés payés y afférents

– une indemnité forfaitaire équivalente à six mois de salaire brut, à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé, soit la somme de 30 939 euros.

Ordonner à la CEIDF d’établir les fiches de paie correspondant aux rappels d’heures supplémentaires sur 2016, 2017 et 2018, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du jugement,

Ordonner à la CEIDF d’établir les documents de fin de travail sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du jugement,

Condamner la CEIDF au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’appel et à 3 000 euros au titre de la procédure prud’homale,

Condamner la CEIDF aux entiers dépens, dont ceux relatifs aux éventuels frais d’exécution forcée.

‘ Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 5 juillet 2022, la société Caisse d’épargne et de prévoyance d’Ile de France Paris demande à la cour de :

In limine litis :

Constater que M. [H] conteste en cause d’appel son licenciement intervenu le 21 mars 2022,

En conséquence,

Juger irrecevable la demande de licenciement nul ou sans cause réelle ni sérieuse présentée en cause d’appel comme étant une demande nouvelle,

A titre principal :

Dire et juger que M. [H] n’a pas été victime de harcèlement moral,

Dire et juger que la CEIDF n’a commis aucune faute à l’égard de M. [H],

Dire et juger que M. [H] était soumis à un forfait en jours et que le paiement d’aucune heure supplémentaire ne saurait être réclamé,

En conséquence, confirmer le jugement entrepris dans toutes ces dispositions et débouter M. [H] de l’ensemble de ses demandes.

A titre subsidiaire :

Dire et juger que M. [H] ne justifie d’aucun préjudice ;

Juger que M. [H] doit rembourser à la CEIDF les sommes indûment versées au titre de ses JRTT ;

En conséquence,

Réduire les sommes sollicitées à de plus justes proportions,

En tout état de cause :

Condamner M. [H] à verser à la CEIDF la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner M. [H] aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

I – Sur la recevabilité des prétentions visant le licenciement prononcé :

M. [H] a saisi le conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie d’une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail, c’est à dire d’une demande tendant à imputer la rupture à l’employeur, en raison de manquements rendant impossible la poursuite de la relation de travail, dont la date de prise d’effet, dans l’hypothèse où elle est accueillie, est susceptible d’être fixée au jour du licenciement, si celui-ci est intervenu avant que le juge n’accueille cette réclamation.

Alors, d’une part, que le licenciement prononcé le 21 mars 2022 constitue un fait nouveau survenu en cause d’appel et, d’autre part, que la contestation du licenciement tend aux mêmes fins que la demande de résiliation judiciaire soumise au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, les demandes visant le licenciement ne sont pas nouvelles au sens des articles 564 et suivants du code de procédure civile.

La fin de non recevoir élevée à ce titre sera rejetée.

II – Sur l’étendue de la saisine de la cour :

Aux termes de l’article 954 du code de procédure civile, les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

Il en découle que nonobstant les moyens et, le cas échéant, les demandes formulées dans le corps des conclusions de chacune des parties, la cour n’est saisie que des demandes figurant dans le dispositif des conclusions et pas de celles qui n’auraient pas été reprises dans ce dispositif. Il en est ainsi des fins de non recevoir tirées de la prescription que l’employeur relève dans ses conclusions sans les reprendre au dispositif de ses dernières conclusions.

III – Sur les heures supplémentaires :

III – a) Sur l’opposabilité de la convention de forfait en jours :

Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles. Il résulte, par ailleurs, des articles 17, paragraphes 1, et 19 de la directive 2003-88 CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur. Enfin, toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

L’accord d’entreprise énonce le dispositif de contrôle des horaires suivant :

– Auto-déclaration mensuelle relative aux durées minimales de repos, aux durées quotidiennes et hebdomadaires maximales de travail, au nombre de journées ou demi-journées travaillées ou non, au positionnement et à la qualification de ces journées ou demi-journées,

– Vérification trimestrielle des déclarations individuelles des salariés par la DRH, – En présence de dépassements récurrents, alerte par la DRH du Manager aux fins d’organisation d’un entretien avec le salarié dans le but d’échanger sur le temps de travail et de déterminer les moyens de réguler son activité,

– Obligation pour le Manager d’assurer le suivi régulier de l’organisation du travail du salarié et de son activité ainsi que de l’adéquation entre les objectifs et les missions assignées au salarié avec les moyens dont il dispose,

– Droit individuel à la déconnexion.

M. [H] fait valoir que l’employeur n’a jamais mis en oeuvre le contrôle de ses horaires de travail ni ne l’a reçu en entretien afin d’aborder la question de son temps de travail, de sorte que la convention de forfait lui est inopposable.

La Caisse d’épargne IDF Paris ne formule aucune observation utile relativement au suivi des horaires de travail du salarié et se borne à relever que les pièces communiquées par l’appelant ne font état que de ‘3 incidents en 2016, 3 en 2017 et 6 en 2018″ ce qui l’amène à qualifier la présentation qu’en fait M. [H] de ‘caricaturale’ et à considérer que ‘la situation n’était pas en permanence problématique’.

Faute pour l’employeur de rapporter la preuve de la mise en oeuvre de l’accord d’entreprise destiné à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, la convention de forfait en jours conclue avec M. [H] lui est inopposable.

III – b) Sur les heures supplémentaires :

La convention individuelle de forfait en jours étant inopposable au salarié, ce dernier est soumis au droit commun de la durée du travail.

La conclusion d’une convention individuelle de forfait en jours illicite ne justifie pas par elle-même l’accomplissement d’heures supplémentaires dont l’existence doit être établie conformément à l’article L. 3171-4 du code du travail. Selon ce texte, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Il appartient, cependant, au salarié d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement exécutés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

Au soutien de sa demande en paiement de la somme brute de 14 441,19 euros au titre de la période non prescrite, l’appelant expose qu’il accomplissait régulièrement jusqu’à dix heures de travail quotidien. Il verse aux débats les éléments suivants :

– un tableau détaillé présentant les horaires hebdomadaires qu’il indique avoir accomplis,

– plusieurs fiches d’auto déclaration mensuelle faisant état du dépassement à plusieurs reprises dans le mois de la durée de 48 heures hebdomadaires, le salarié précisant la cause de cette surcharge (‘absence SARCP’, ‘sous effectif congés’ ‘COFI absent’, ‘surcharge activité et congé’ ‘forte activité fin d’année) et du dépassement de la durée de 10 heures quotidiennes (à 9 reprises en décembre 2016).

– quelques mails adressés tardivement (19, 20 heures),

Alors que ces éléments sont suffisamment précis pour lui permettre de répondre, l’employeur se borne à affirmer qu’il ne lui a jamais demandé d’accomplir des heures supplémentaires et qu’il était faux que l’agence était en sous-effectif.

L’argumentation opposée par la Caisse d’épargne IDF Paris est dépourvue de pertinence. Rendue destinataire de fiches d’auto déclarations, faisant état de dépassements réguliers de la durée de travail au-delà de 35 heures, et de motifs liés à la surcharge de travail en raison notamment de l’absences de collaborateurs, non seulement elle ne justifie pas en avoir fait l’analyse et s’être rapprochée du salarié pour s’entretenir de sa charge de travail, mais elle n’allègue pas ni ne justifie a fortiori avoir protesté une seule fois à l’annonce faite par son collaborateur qu’en raison de la situation de sous-effectif de son agence il était contraint d’accomplir de telles durées quotidiennes ou hebdomadaires de travail de sorte qu’elle a, à tout le moins implicitement, validé leur réalisation.

Par ailleurs, M. [H] justifie par la communication de plusieurs messages que le responsable régional dont il dépendait, M. [K] n’ignorait pas la situation de sous-effectif à laquelle les directeurs d’agence de son secteur devaient faire face.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la réclamation du salarié est partiellement justifiée à hauteur de 14 360 euros, outre les congés payés y afférents.

2016 : 4 500 euros,

2017 : 4 600 euros,

2018 : 5 260 euros,

Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

III – c) Sur l’indemnité pour travail dissimulé :

Se fondant sur l’article L. 8221-5 du code du travail, le salarié réclame le paiement d’une indemnité pour travail dissimulé. Il soutient à cet égard que l’employeur s’est sciemment soustrait à ses obligations en matière de forfait en jours.

L’employeur conteste l’existence d’une intention de dissimuler et conclut au rejet de cette demande.

Aux termes de l’article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

Même si l’employeur ne justifie pas des heures effectivement réalisées, la preuve de son intention de se soustraire à ses obligations, dans ce contexte de forfait en jours déclaré inopposable faute pour l’employeur d’avoir veillé au respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires, n’est pas suffisamment rapportée.

Le jugement sera confirmé sur ce dernier point.

Sur la demande reconventionnelle en remboursement des jours de RTT :

La convention de forfait étant inopposable à M. [H] et donc privée d’effet sur la période 2016 à 2018, le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la convention est indu, en sorte que la société intimée est bien fondée à en solliciter reconventionnellement le remboursement.

M. [H] sera condamné à rembourser les jours de RTT supplémentaires accordés en exécution de la convention de forfait jours sur la période visée par le rappel d’heures supplémentaires soit de 2016 à 2018.

IV – Sur le manquement à l’obligation de sécurité :

Selon l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ; 2° des actions d’information et de formation ; 3° la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

Ces mesures sont mises en oeuvre selon les principes définis aux articles L. 4121-2 et suivants du même code.

Dès lors que le salarié invoque précisément un manquement professionnel en lien avec le préjudice qu’il invoque, il appartient à l’employeur de rapporter la preuve du respect de son obligation de sécurité à l’égard du salarié.

En l’espèce, le salarié reproche à l’employeur de l’avoir laissé seul face à une situation de sous-effectif permanent, d’avoir maintenu une pression constante à son encontre contraire à la dignité, et de lui avoir imposé de ne pas respecter les règles légales en matière de droit au repos.

La situation dénoncée par le salarié survient dans un contexte plus général. Il ressort du rapport d’expertise établi le 20 juin 2017 par le cabinet Cedaet, qui avait été missionné par le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail sur l’impact du projet ‘Esprit de service’ que les représentants du personnel avaient exposé que ‘ce projet intervenait dans un contexte marqué par une problématique de charge de travail, de sous-effectif dans certains services et agences qui risquent d’augmenter les contraintes et la pression qui pèsent sur les personnels pour atteindre les objectifs de performance fixés en matière de productivité’. Le rapport d’expertise souligne notamment en la matière ‘des problèmes structurels déjà identifiés’ ayant donné lieu ‘à de multiples reprises à des signalements et échanges entre les salariés les IRP et la direction ces dernières années’, l’évolution décroissante des effectifs à la CEIDF depuis 2011, les salariés évoquant un ‘sous effectif chronique’, expriment le sentiment de travailler trop souvent en mode dégradé, un phénomène de turn-over impliquant un investissement en matière de formation, de transmission des savoirs […] , les démissions, les difficultés à recruter et à retenir les ‘entrants’, l’absentéisme […]. (pièce n°7-1 de l’appelant)

Concernant ses conditions de travail, M. [H] communique divers messages de 2014 à 2018 évoquant cette situation et les conséquences sur l’activité, le turn over, la nécessité de former les arrivants. C’est ainsi que :

– le salarié se plaint le 11 juin 2014, alors qu’il dirige l’agence des [Localité 8], du retour d’une salariée démotivée revenant de 3 mois d’arrêt de travail après 3 semaines de présence entrecoupées de congés et d’arrêt, ce qui lui cause, soutient-il alors, ‘beaucoup de difficultés d’organisation puisque l’équipe a un COFI (conseiller financier) en moins’,

– alors qu’il est en arrêt maladie du 1er septembre au 17 octobre 2015, ses collaborateurs se plaignent d’une situation de sous effectif qui conduira M. [O], représentant syndical au CHSCT d’interpeller la direction le 24 septembre 2015, sur le «  danger pour la santé de salariés de l’agence ‘abandonnée’ »,

– le 8 mars 2017, il interpelle sa direction sur ‘l’affectation de M. [Y] en mars alors qu’il est en congés durant 3 semaines… on va l’avoir dans l’effectif alors que présent que quelques jours’ ;

– le 21 juillet 2017, M. [K], directeur de secteur, indique aux directeurs d’agence placés sous son autorité qu’il voulait revenir sur les messages qu’il leur a adressés en début de semaine lesquels ont pu leur ‘faire penser qu’ (il ne les) trouvait pas assez concentré sur le travail et déjà l’esprit en vacances, je sais que la période n’est pas facile […] je mesure les effectifs qui baissent, les demandes des clients incessantes, les soucis commerciaux et administratifs qui font que vous êtes souvent au four et au moulin (mais surtout pas à la plage) […]’,

– le 6 octobre 2017, le directeur de secteur lui adresse un message ainsi rédigé : ‘il nous reste 3 mois pour finir 2017 et je sais que la période n’est pas facile, les formations, les congés, les arrêts maladies sont importants dans chaque agence et tout ceci créés des difficultés d’organisation et de résultats. Je n’ai pas de solutions miracles, chaque manager […] doit rester le plus possible positif, malgré la fatigue et l’agacement que cela peut occasionner […]’,

– Mme [E], assistante de la DR 78 lui annonce la fermeture de l’agence de [Localité 5], les 6 et 7 novembre 2017 suite à un problème d’effectif,

– le 18 juillet 2018, M. [H] répond relativement au ‘contrôle Pilcop’ prévu cette semaine, qu’il lui a été difficile de le gérer ‘en l’absence de [T] la semaine précédente’,

– M. [H] formule une demande de renfort pour compléter l’équipe le 6 décembre 2018, qui est réduite à un collaborateur, M. [K] lui répondant le 15 novembre 2018 par la négative en indiquant qu’il ‘faudra fermer l’agence cet après-midi là’,

– le 1er décembre 2018, il réitère une demande de renfort pour une journée et éviter la fermeture en précisant ‘c’est compliqué d’afficher une fermeture d’agence, d’autant plus que nous sommes deux toute la semaine après le départ d'[B]’, il lui est répondu ‘j’ai sollicité la DR pour autorisation de fermer ton agence jeudi.’

Les ‘plannings’ de l’agence de [Localité 5], dont l’effectif est de quatre, communiqués par l’appelant corroborent que régulièrement l’équipe n’est pas au complet sur la période de janvier 2016 à décembre 2018 :

– à compter du 12 avril 2016, débute le congé maternité de Mme [L], qui ne sera remplacée qu’en septembre suivant,

– en mai 2016, Mme [C] est absente trois semaines, l’agence fonctionnant la majeure partie du temps à 2 collaborateurs dont le directeur,

– du 12 juillet au 15 août 2016, l’agence fonctionne à deux collaborateurs,

– du 14 au 31 octobre 2016, seuls deux collaborateurs sont présents,

– il en va de même la deuxième quinzaine de décembre 2016,

– en mars 2017, suite à l’absence de M. [Y] du 3 au 21 mars, l’effectif n’est au complet que deux jours,

– en avril et mai 2017 l’effectif n’est au complet que 6 jours sur 20 jours ouvrés,

– du 8 juillet au 19 août, l’agence fonctionne avec 2 collaborateurs,

– en octobre 2017, l’effectif présent est de 2 pendant 9 jours et à 3 pendant 12 jours.

Selon la synthèse détaillée établie par le salarié, sur l’année 2018, l’agence ne fonctionne au complet que pendant 83 jours, soit tout au plus 35% des jours ouvrés, à 3 pendant 83 jours (35%) et à deux pendant 70 jours, soit près de 30%, l’agence ayant dû être fermée durant 11 jours ouvrés.

Dans son évaluation 2016, le salarié soulignait l’absence d’un collaborateur sur 4, durant 8 mois sur 12.

Alors que ces éléments, qui objectivent la situation de sous-effectif récurrent de l’agence des [Localité 8] puis celle de [Localité 5] dénoncée par le salarié et les alertes adressées sur ce point à la direction, ne sont pas utilement critiqués par la société intimée, étayent le manquement reproché par le salarié à l’employeur d’une absence de prise en compte de cette difficulté et de l’impact que cette situation entraîne pour les autres collaborateurs en terme de surcharge de travail, la société se borne à objecter de manière inopérante l’ancienneté des faits relatifs à l’année 2015 concernant l’agence des [Localité 8] Centre et a indiquer que lorsque l’effectif minimum requis pour des motifs de sécurité n’est pas satisfait, l’agence doit fermer, les collaborateurs présents devant alors se rendre dans l’agence la plus proche, à savoir celle de [Localité 7], pour accomplir leurs missions.

Le sous effectif ayant une incidence directe sur la charge de travail des collaborateurs présents, en ce compris le directeur d’agence, dont la réclamation salariale au titre des heures supplémentaires a été accueillie, et corrélativement sur leur santé, et peu important les avis d’aptitude sans réserve émis par le médecin du travail le 9 juillet 2015, à l’occasion d’une visite périodique, et le 5 février 2016 à l’issue d’une visite de reprise, le jugement sera infirmé en ce qu’il a considéré que l’employeur justifiait avoir respecté son obligation de sécurité en la matière.

V – Sur le harcèlement moral :

En application des articles L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon les dispositions de l’article L. 1154-1 du code du travail, dans ses versions applicables au litige, à savoir antérieure et postérieure à la réforme de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, en cas de litige, lorsque le salarié établit des faits, ou présente des éléments de fait, constituant, selon lui, un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, M. [H] énonce les faits suivants, constitutifs selon lui d’un harcèlement : 1. Le sous-effectif récurrent pour faire face à une charge de travail exponentielle ; 2. Des exigences en accroissement perpétuel ; 3. Des comportements agressifs et culpabilisateurs ; 4. Des reproches injustifiés ; 5. Son affectation sur l’agence de [Localité 7]-le-Val-Fourré, avec une clientèle réputée difficile, avec des contraintes supplémentaires à gérer, perçue comme une nouvelle tentative de déstabilisation par le salarié ; 6. Une dégradation de son état de santé physique et psychique.

La Caisse d’épargne IDF Paris réfute toute situation de harcèlement. Faisant valoir que l’employeur dispose, dans le cadre du lien de subordination, d’un droit de critique à l’encontre de ses salariés à charge de veiller simplement à ne pas en abuser, la limite entre le tolérable et l’abus devant être appréciée en fonction du caractère systématique ou non des reproches, de la manière de les formuler, de leur bien-fondé, et du comportement constaté à l’encontre des autres employés, elle considère qu’en l’espèce le salarié tente de faire faussement passer de légitimes remarques de sa hiérarchie concernant l’exécution de son travail pour du harcèlement moral.

Il suit de ce qui précède que M. [H] établit la situation de sous-effectif chronique qu’il a subie en tant que directeur des agences des [Localité 8] et de [Localité 5] et le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de ce chef.

S’agissant des exigences en accroissement perpétuel, le salarié communique divers messages circulaires à destination des directeurs des agences du secteur, par lesquels M. [K] sollicite la mise en oeuvre d’actions commerciales, motive les directeurs, les morigène sur des résultats jugés insuffisants et sollicite très régulièrement des compte-rendus journaliers ou hebdomadaires d’activité. À titre d’exemples, il peut être relevé dans les pièces communiquées par le salarié divers messages par lesquels il les informe de ‘la mise en place de contrôle de conformité à compter du 18 mai’ et leur demande ‘de vérifier par eux mêmes’ la conformité des dossiers et de les faire partir sans tarder, le message étant conclu en ces termes : ‘au moindre dossier non scanné, il y aura exclusion de l’agence, ça va grincer des dents !!!!’, il leur indique qu’ils ne peuvent ‘pas accepter qu’un collaborateur fasse son travail sans faire au moins sur la semaine une vente à distance’, leur transmet les résultats par agence en leur laissant ‘voir sur vos boutiques mais vous comprenez bien évidemment que le rythme est très insuffisant…’, leur signale que ‘les résultats de la PAQ de cette semaine montrent un arrêt total […] que se passe-t-il ‘ Avez-vous animé ma demande […] avec-vous suivi chaque jour l’avancement de celui-ci  », ‘je vous demande de me faire un reporting chaque jour […]’ .

Certains sont adressés à M. [H] spécifiquement, tels ceux en date des :

– 1er mars 2017 : ‘vos résultats commerciaux sont bons en ce début d’année pour autant la gestion des risques et le respect de la conformité ne peuvent être réalisés par défaut. Tout le travail commercial sera réduit à néant si tu as un problème sur ces sujets dont il ne faut pas choisir l’un ou l’autre mais faire les deux’ ;

– 12 juillet 2017 relatif à la réclamation d’une cliente ; ‘il est impératif qu’il y ai, à partir de la rentrée un profond changement d’organisation de suivi et de satisfaction des clients de toute l’équipe et de toi. Les soucis d’effectifs expliquent en partie ce genre de situation mais pas que. Il n’y a plus d’excuse maintenant’.

– 22 septembre 2017, aux termes duquel après lui avoir fait le reproche de ne pas lui avoir adressé un ‘reporting RDV Pro actif’ qu’il avait sollicité dans la journée, le directeur de secteur conclut comme suit : ‘j’imagine que tu partais en week-end en Suisse et que tu étais pressé’, ce à quoi le salarié lui a répondu qu’il n’en était rien et qu’il avait ‘quitté l’agence le vendredi après 18 heures’,

– 18 novembre 2017, le directeur régional lui signale être passé en fin de journée pour voir un dossier et avoir relevé qu’il était ‘absent de l’après-midi’, lui demandant ‘de le lui confirmer’, ce à quoi le salarié devait lui rappeler qu’il était ‘au forfait’,

– 2 décembre 2017 il lui signale qu’il n’a pas répondu à sa requête de la veille à 14h, et demande à M. [H] ‘comment interpréter cette absence  »,

– 7 décembre M. [K] constate qu’il n’a pas mis sa messagerie d’absence durant ses congés et lui demande ‘est-ce une volonté de ta part ou un oubli  »

– 15 décembre 2017, il lui fait remarquer au sujet d’un phoning commandé que ses collaborateurs ont manqué de directives claires et de décisions de sa part,

– 26 janvier 2018, il l’interroge ce qu’il compte mettre en place au sujet du taux de ‘décroché’ (du téléphone) ;

– 14 mars 2018, il relève qu’il n’a pas reçu le reporting sur la priorité commerciale de la semaine concernant les jeunes en concluant son message par un :’je suis curieux de connaître vos arguments’, mais le 23 mars 2018, il lui adresse sur le même sujet un message de félicitations ‘superbe, bravo à vous 4, c’est génial…’,

– 29 mars 2018, il demande pourquoi un courrier n’est pas traité depuis 5 mois,

– 17 juillet 2018, il relève qu’il y a une ‘alerte’ sur [Localité 5], ce à quoi M. [H] lui répond qu’il avait ‘demandé à un de ses collaborateurs de s’en occuper et que lui même en avait traité 8 ou 9 jeudi soir et qu’il était parti à 20H’, ce à quoi M. [K] lui réplique que la prochaine fois il restera dans le bureau de son collaborateur jusqu’à ce que l’alerte soit effectivement traitée par ce dernier.

Si certains de ces messages sont effectivement strictement professionnels et s’inscrivent parfaitement dans le cadre de l’exercice légitime du pouvoir de direction d’un chef de secteur vis-à-vis d’un directeur d’agence ainsi que le plaide la société intimée, en revanche nombre d’entre eux comportent des menaces voilées, des allusions à un investissement en temps de travail jugé insuffisant, et ce vis-à-vis d’un collaborateur pourtant soumis au forfait, voire teintés d’ironie (‘j’imagine que tu partais en week-end en Suisse et que tu étais pressé’, ‘comment interpréter cette absence’, ‘je suis curieux de connaître vos arguments’).

Le salarié justifie avoir été reçu en entretien informel par M. [K] et M. [U] le 20 janvier 2018 au cours duquel il affirme qu’il lui aurait été proposé une réorientation professionnelle.

Il est par ailleurs constant qu’alors que les résultats commerciaux de l’agence de [Localité 5] étaient satisfaisants, ce que concède l’employeur, et en amélioration sur la période de 2016 à 2018, le montant du bonus annuel, dont le plafond est de 3 500 euros, qui lui a été versé sur la période est passé de 1 500 euros à 800 euros puis 500 euros.

Il est en outre établi qu’à quelques jours de son arrêt maladie, lequel a débuté le 17 décembre 2018, le salarié a été avisé qu’il serait muté à compter du 1er janvier 2019 sur l’agence de [Localité 7]-Val-Fourré, M. [H] affirmant, sans toutefois le démontrer, que M. [K] le lui a annoncé en lui indiquant qu’ ‘il devait encore faire ses preuves’.

Le salarié justifie par ailleurs de la dégradation de son état de santé. C’est ainsi qu’il communique :

– les certificats d’arrêt de travail du 17 décembre 2018 et de prolongation du 31 janvier 2019, ce dernier faisant état ‘d’un syndrome dépressif réactionnel à des problèmes professionnels’,

– une lettre de M. [D] cardiologue qui relève dans un compte-rendu en date du 7 janvier 2019 que le patient est en arrêt maladie ‘pour épuisement professionnel’,

– le certificat de Mme [V], praticien hospitalier au centre hospitalier de [Localité 6] qui ‘atteste prendre en charge M. [H] depuis le 26 avril 2019 pour réaction anxio-dépressive, et qu’il est suivi par le CMP par une infirmière et bénéficie d’une psychothérapie en libéral depuis plusieurs mois.’

– l’attestation de M. [P], psychothérapeute, qui indique le 6 mai 2019 que M. [H] suit une psychothérapie depuis juin 2018 ‘suite à un épuisement professionnel dans un contexte de désaccord avec l’employeur et des conséquences personnelles’,

– M. [F] médecin du travail de la Caisse d’Epargne indique le 2 juillet 2019 que son état de santé n’est pas du tout stabilisé et donc la reprise du travail n’est pas d’actualité.

– M. [I], médecin expert désigné conformément aux dispositions de l’article L. 141-1 du code de la sécurité sociale relève que M. [H] présente des problèmes cardiaques depuis 2015 qui le diminuaient beaucoup et qui, surajoutés à un conflit de type harcèlement avec un de ses supérieurs le conduiront à interrompre son travail à compter du 17 décembre 2018. Il note au titre de la discussion qu’il est en arrêt pour des problèmes cardiaques à type d’hypertension artérielle assez bien contrôlée et un syndrome anxio dépressif consécutif à un surmenage et de très mauvais rapports avec sa hiérarchie. Malgré l’éloignement du milieu professionnel et la prise en charge par soutien psychologique et un traitement anti dépresseur la situation progresse peu.

– M. [R], psychiatre, note le 22 novembre 2021 sur le plan clinique ‘une rechute dépressive avec fléchissement ruminations anxieuses prégnantes autour du travail avec un sentiment de préjudice vécu avec beaucoup d’amertume un ralentissement psychomoteur et un sommeil très instable […]’.

Par ailleurs il communique son dossier de la médecine du travail duquel il ressort qu’il avait été déclaré apte les 9 juillet 2015 et 5 février 2016.

M. [H] s’est vu attribuer par la Caisse primaire d’assurance maladie une pension d’invalidité de 2ème catégorie le 28 décembre 2021.

Placé continûment en arrêt maladie à compter du 18 décembre 2018, le salarié a été déclaré inapte à son poste à l’issue de la visite de reprise organisée le 7 janvier 2022, le médecin du travail précisant que M. [H] ‘pourrait occuper un poste sans contact à but commercial et hors agence par exemple une activité administrative et qu’il pourrait bénéficier d’une formation compatible avec ses capacités restantes sus mentionnées’.

Pris dans leur ensemble, ces faits précis et concordants permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.

Certes, s’agissant de la mutation au 1er janvier 2019 à l’agence de [Localité 7]-Val-Fourré, dont il ressort des conclusions du salarié qu’elle est classée au même niveau que celle de [Localité 5] (CM 7), la société expose sans être contredite par le salarié que cette agence est située dans le même secteur que celle de [Localité 5] et que la politique de l’entreprise consiste à ne pas maintenir les directeurs pendant des années au même endroit, ce que confirme le parcours professionnel de l’appelant depuis qu’il est directeur d’agence. L’employeur justifie ainsi que cette mutation, qui ne présente pas de caractère disciplinaire, est justifiée par des éléments étrangers à tout harcèlement.

La Caisse d’épargne IDF Paris, qui ne justifie d’aucune mesure prise afin d’apporter une solution pérenne aux absences récurrentes de collaborateurs dans les agences dirigées par le salarié, ne peut sérieusement invoquer la possibilité dont bénéficierait le directeur de fermer l’agence en cas de sous effectif et de se replier sur une agence voisine, alors même que plusieurs messages ci-avant reproduits font état d’autorisation de la direction pour fermer l’agence, pour justifier de l’absence d’impact de ce sous effectif sur la charge de travail des collaborateurs présents.

Si la Caisse d’épargne IDF Paris plaide à juste titre que les messages adressés par M. [K] sont rédigés en termes courtois, elle ne justifie pour autant pas ceux d’entre eux par lesquels le chef de secteur interpelle M. [H] sur son absence telle ou telle demi-journée, ni ceux qui sont teintés d’ironie relativement à un départ en ‘Suisse’ de l’agence, ou aux termes desquels il s’interroge ‘comment interpréter une absence de réponse’, ou manifeste ‘sa curiosité sur les explications qui lui seront fournies’, de nature à blesser un collaborateur expérimenté qui exerçait les fonctions de directeur d’agence depuis près d’une vingtaine d’années.

Alors que la hiérarchie exerçait une pression sur l’activité commerciale, et ce nonobstant les difficultés d’effectif ainsi qu’il ressort de plusieurs messages de M. [K], et que la société ne conteste pas que les résultats obtenus par M. [H] à la tête de l’agence de [Localité 5] étaient bons, la société ne justifie pas objectivement la diminution de son bonus annuel de 1 500 euros à 500 euros de 2016 à 2018. Si elle affirme que la part variable n’est pas simplement assise sur les résultats financiers mais vise à récompenser également la qualité du travail fourni dans sa globalité et notamment, pour un manager, la qualité de ses relations avec ses subordonnés, force est de relever que concrètement, la société se contente de mettre en exergue une difficulté pour organiser les congés de fin d’année 2017 de ses collaborateurs, ou d’alléguer que ‘le salarié se contenterait de relayer par courriel les consignes de son N+1, au lieu d’user de pédagogie’, ce que les pièces visées (n°17, 18) n’objectivent pas ou de souligner une réclamation d’une cliente non résolue par l’intéressé (pièce n°20).

Si elle affirme que cette baisse prenait en compte sa difficulté à manager efficacement ses équipes, le témoignage de Mme [C] (pièce n°36 de l’intimée) est pour le moins imprécis en ce qu’il se contente d’indiquer qu’en 2018 ‘la situation s’est tendue entre M. [H] et les membres de son équipe’. La société ne justifie pas par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement l’évolution péjorative de son bonus annuel.

S’agissant de la dégradation de l’état de santé du salarié, la société intimée souligne à juste raison que M. [H] avait été déclaré apte sans réserve le 9 juillet 2015 à l’occasion d’une visite périodique et le 5 février 2016 lors d’une visite de reprise.

Si elle relève à bon droit, au visa des dispositions des articles R. 4127-28 et R.4127-76 du code de la santé publique que le médecin ne peut établir de certificats ou d’attestations que sur la base des constatations médicales qu’il a été en mesure de faire et de la jurisprudence de l’ordre national des médecins que le certificat de M. [N], médecin traitant du salarié faisant état d’un état dépressif « en rapport avec des problèmes professionnels » est dépourvu de force probante sur le lien que ce praticien s’autorise à faire, il n’en demeure pas moins que la dégradation de l’état de santé psychique de l’intéressé à compter de décembre 2018 est, quant à elle, parfaitement objectivée en l’état des certificats concordants de ce médecin, du cardiologue [D], du médecin du travail, de l’expert [I] et des médecins psychiatres [V] et [R].

En conclusions, faute pour l’employeur de justifier ainsi la dégradation des conditions de travail liée à un sous effectif récurrent, la surcharge de travail qui en a résultée, et la pression exercée par le responsable de secteur, par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté M. [H] de ce chef.

À défaut pour le salarié de caractériser des préjudices distincts, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et le harcèlement moral subi par le salarié seront indemnisés par l’allocation de la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts.

VI – Sur la rupture du contrat de travail :

Conformément aux dispositions de l’article 1184 du code civil, le salarié peut demander la résiliation judiciaire du contrat de travail en cas d’inexécution par l’employeur de ses obligations contractuelles. Il lui appartient alors de rapporter la preuve des faits qu’il allègue.

Si les manquements invoqués par le salarié au soutien de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail sont établis et d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de ce contrat, la résiliation judiciaire est prononcée aux torts de l’employeur et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse au jour de la décision qui la prononce dès lors que le contrat n’a pas été rompu avant cette date.

Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant de travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail était justifiée et dans le cas contraire, il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.

Il suit de ce qui précède que M. [H] a été victime d’un harcèlement moral, l’employeur ne justifiant pas, en outre, d’avoir respecté son obligation de sécurité.

Ces manquements revêtent une gravité qui empêchait la poursuite du contrat de travail. Partant, le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de résiliation judiciaire de ce contrat laquelle produit les effets d’un licenciement nul conformément aux dispositions de l’article L. 1152-3 du code du travail, les éléments de la cause établissant un lien de causalité entre le harcèlement moral subi par le salarié et la rupture du contrat de travail imputable à l’employeur.

IV – Sur l’indemnisation de la rupture :

M. [H] est bien fondé à obtenir le paiement d’une indemnité compensatrice de préavis égale à trois mois de salaire, lequel doit tenir compte du rappel d’heures supplémentaires, soit la somme de 14 165 euros bruts, outre 1 416,50 euros bruts au titre des congés payés afférents, peu important qu’il n’ait pas été en mesure de l’exécuter du fait de son inaptitude.

Par ailleurs, eu égard à son ancienneté dans l’entreprise, à son âge lors de la rupture du contrat et à sa rémunération, le salarié justifiant par ailleurs s’être vu reconnaître le statut d’invalide de deuxième catégorie, le montant annuel de sa pension s’élevant à 20 120,59 euros, il lui sera alloué la somme de 90 000 euros bruts à titre d’indemnité pour licenciement nul.

Il sera fait application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail.

Il sera ordonné à l’employeur de remettre au salarié un bulletin de paye annuel pour chacune des années concernées par un rappel de salaire, ainsi que les documents de fin de contrat régularisés, mais sans astreinte laquelle n’est pas nécessaire à assurer l’exécution de cette injonction.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Rejette la fin de non recevoir visant la demande de licenciement nul ou sans cause réelle ni sérieuse présentée en cause d’appel,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Condamne la Caisse d’épargne IDF Paris à verser à M. [H] au titre des heures supplémentaires les sommes suivantes :

– au titre de l’année 2016 : 4 500 euros bruts, outre 450 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– au titre de l’année 2017 : 4 600 euros bruts, outre 460 euros bruts au titre des congés payés afférents ,

– au titre de l’année 2018 : 5 260 euros bruts outre 526 euros bruts au titre des congés payés afférents,

Déboute M. [H] de sa demande en paiement de l’indemnité légale pour travail dissimulé,

Condamne M. [H] à rembourser les jours de RTT supplémentaires accordés en exécution de la convention de forfait jours sur la période visée par le rappel d’heures supplémentaires soit de 2016 à 2018,

Dit que M. [H] a subi un harcèlement moral,

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur laquelle produit les effets d’un licenciement nul au 21 mars 2022,

Condamne la Caisse d’épargne IDF Paris à verser à M. [H] les sommes suivantes :

– 10 000 euros de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et harcèlement moral,

– 14 165 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 416,50 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– 90 000 euros d’indemnité pour licenciement nul.

Ordonne, conformément aux dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, le remboursement par l’employeur aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage, et dit qu’une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes,

Ordonne à la CEIDF d’établir un bulletin de paye annuel correspondant aux rappels d’heures supplémentaires sur 2016, 2017 et 2018 et à délivrer à M. [H] les documents de fin de contrat conformes à la présente décision, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision,

Rejette la demande d’astreinte,

Condamne la CEIDF au paiement de la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d’appel.

La condamne aux entiers dépens étant précisé que les frais d’exécution, dont le sort est réglé par le code des procédures civiles d’exécution, n’entrent pas dans les dépens qui sont définis par l’article 695 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Morgane BACHÉ, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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