Épuisement professionnel : 10 janvier 2023 Cour d’appel de Nîmes RG n° 20/00250

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Épuisement professionnel : 10 janvier 2023 Cour d’appel de Nîmes RG n° 20/00250

ARRÊT N°

N° RG 20/00250 – N° Portalis DBVH-V-B7E-HT2F

EM/DO

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MENDE

20 décembre 2019

RG :19/00006

E.U.R.L. PHARMACIE [N]

C/

[P]

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 10 JANVIER 2023

APPELANTE :

E.U.R.L. PHARMACIE [N]

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentée par Me Joël YOYOTTE LANDRY, avocat au barreau de LOZERE

INTIMÉE :

Madame [V] [P]

née le 13 Octobre 1967 à AURILLAC (15000)

[Adresse 7]

[Localité 4]/France

Représentée par Me Luc PRADIER de la SCP CARREL, PRADIER, DIBANDJO, avocat au barreau de LOZERE

SELARL SPAGNOLO STEPHAN Es qualité de liquidateur judiciaire de la « PHARMACIE [N] »

[Adresse 2]

[Localité 3]

non comparante, non représentée

UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 8]

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentée par Me Jean-charles JULLIEN de la SCP LAICK ISENBERG JULLIEN SAUNIER GARCIA, avocat au barreau de NIMES

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 20 Septembre 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère a entendu les plaidoiries, en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère

GREFFIER :

Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l’audience publique du 04 Octobre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 06 Décembre 2022 et prorogé ce jour.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 10 Janvier 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Mme [V] [P] a été engagée par l’ Eurl [N] à compter du 1er janvier 2013 suivant contrat à durée indéterminée en qualité de préparatrice en pharmacie, 8ème échelon, coefficient 330 pour un salaire mensuel de 2 098,64 euros.

Par courrier du 08 janvier 2018, Mme [V] [P] a interrogé son employeur sur les modalités envisagées concernant les congés payés restant dus.

Par requête du 04 juin 2018, Mme [V] [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Mende en référé, pour statuer sur le paiement des arriérés de salaire dus de janvier à juin 2018.

Mme [V] [P] a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement fixé au 19 juin 2018.

Mme [V] [P] était licenciée le 22 juin 2018 pour motif économique.

Suivant ordonnance du 16 juillet 2018, le conseil de prud’hommes de Mende, statuant en matière des référé, a condamné l’Eurl [N] au paiement des arriérés de salaires dues à Mme [P], soit :

– 9 077,56 euros au titre des arriérés de salaires, ce montant étant exprimé en net,

– 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme [V] [P] a assigné le 27 septembre 2018 l’Eurl [N] en redressement judiciaire devant le tribunal de commerce de Mende, lequel, par jugement du 05 décembre 2018, a procédé à l’ouverture de la procédure collective à l’encontre de la société et a désigné la Selarl Spagnolo en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement du 25 juin 2020, le tribunal de commerce de Mende a prononcé la conversation du redressement judiciaire de l’Eurl [N] en liquidation judiciaire et a désigné la Selarl Spagnolo en qualité de mandataire liquidateur.

Contestant la légitimité de son licenciement, Mme [V] [P] a saisi par requête réceptionnée le 29 janvier 2019, le conseil de prud’hommes de Mende pour qu’il soit jugé que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, et pour obtenir le paiement de diverses sommes indemnitaires et à titre de rappel de salaire.

Par jugement du 20 décembre 2019, le conseil de prud’hommes de Mende, a :

– fixé la créance due à Mme [V] [P] , par l’EURL pharmacie [N], aux sommes suivantes :

-18 254 euros de dommage et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-10 947 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 9 077,56 euros de rappel de salaire du mois de janvier 2018 à avril 2018 inclus,

– 22 898,33 euros de rappel de salaire et congés payés du 1er mai 2018 au 10 juillet 2018,

– 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté Mme [V] [P] de sa demande de préjudice moral et de dommages et intérêts pour non-paiement des salaires et indemnités diverses,

– débouté l’UNEDIC-AGS de sa demande de remboursement des salaires par application de l’article 1302 du code civil,

– ordonné à l’Eurl pharmacie [N] de remettre à Mme [P] les documents rectificatifs afférents à la fin de son contrat de travail : dernier bulletin de paie, certificat de travail et attestation Pôle Emploi,

– dit n’y avoir lieu à astreinte,

– déclaré le jugement opposable à :

– la Selarl Spagnolo Stephan, prise en la personne de son représentant légal en exercice, en sa qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la Sarl unipersonnelle pharmacie [N],

– le Centre de Gestion et d’Etudes UNEDIC-AGS (CGEA), pris en la personne de son directeur en exercice,

– condamné l’Eurl pharmacie [N] aux dépens de l’instance.

Par acte du 21 janvier 2020, l’Eurl [N] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance en date du 24 juin 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 20 septembre 2022 à 16 heures et fixé l’examen de l’affaire à l’audience du 04 octobre 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions, l’Eurl Pharmacie [N] demande à la cour de :

– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Mende sauf en ce qu’il a déclaré infondée la demande de Mme [V] [P] au titre du préjudice moral,

– dire que le licenciement de Mme [V] [P] bien fondé,

– débouter Mme [V] [P] de toutes ses demandes fins et conclusions,

– débouter en conséquence Mme [V] [P] de sa demande de paiement d’indemnité de préavis, de congés payés sur préavis et de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner Mme [V] [P] qui succombe à l’instance à payer et porter à la Sarl pharmacie [N] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civil,

– condamner Mme [V] [P] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

L’Eurl Pharmacie [N] soutient que :

– la fermeture de la pharmacie entre décembre 2017 et mai 2018 résultant de l’ordonnance de placement sous contrôle judiciaire du juge d’instruction de Mende à l’encontre de M. [K] [S], son gérant, et qui n’a été infirmée que par décision de la cour du 14 mai 2018, a eu pour effet, principalement, de lui faire perdre plusieurs contrats avec des établissements de soins, ce qui a généré des difficultés économiques considérables, confirmées par les bilans de 2016 à 2019, lesquelles ont justifié l’ouverture d’une procédure collective par le tribunal de commerce de Mende qui a prononcé son redressement judiciaire le 05 décembre 2018 puis une continuation de plan le 23 décembre 2019,

– que cette fermeture relève de la force majeure ce qui explique l’impossibilité pour l’employeur d’avoir eu accès à ses comptes et d’avoir pu payer ses salariés, qu’elle avait sollicité le président du tribunal de commerce de Mende en 2018 pour voir désigner un administrateur ad hoc afin d’envisager la poursuite d’activité, que sa demande a été rejetée au motif qu’elle était prématurée, qu’il ne peut donc pas lui être reproché de ne pas avoir pris de mesure utile pour pallier son absence alors que M. [K] [N] était le seul pharmacien en exercice.

En l’état de ses dernières écritures en date du 27 août 2020 contenant appel incident, Mme [V] [P] demande à la cour de :

– infirmer partiellement la décision dont appel,

– fixer comme suit sa créance au passif de l’Eurl unipersonnelle Pharmacie [N], société en liquidation judiciaire :

– dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse: 18 245 euros,

– indemnité compensatrice de préavis : 10 947 euros,

– indemnité de congés payés sur préavis : 1 094,70 euros,

– solde de congés payés et indemnité compensatrice de congés payés 2 794,46 euros,

– indemnisation du préjudice moral : 10 000 euros,

– dommages et intérêts pour non-paiement des salaires et indemnités diverses : 3 000 euros,

– remise des documents rectifiés sous astreinte de 50 euros/jour de retard : bulletins de paie, certificat de travail, attestation Pôle Emploi,

– déclarer le jugement à intervenir commun et opposable à :

– la selarl Spagnolo Stephan, prise en la personne de son représentant légal en exercice, en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la Sarl unipersonnelle Pharmacie [N] ,

– le Centre de Gestion et d’Etudes UNEDIC-AGS (CGEA) dont le siége est [Adresse 1] pris en la personne de son directeur en exercice,

– condamner en tant que de besoin le Centre de Gestion et d’Etudes AGS (CGEA) de [Localité 8] au paiement des sommes précitées dans les conditions et limites prévues par la loi,

– rejeter toutes demandes plus amples ou contraires et débouter notamment l’AGS-CGEA de [Localité 8] de sa demande reconventionnelle tendant au remboursement de la somme de 13 150,45 euros au titre des salaires versés pour la période du 1er janvier au 14 mai 2018,

– statuer sur les dépens comme de droit.

Mme [V] [P] fait valoir que :

– son licencement est dû à un manquement de l’employeur du fait de sa mise en examen pour des infractions diverses qui a eu pour effet la fermeture de la pharmacie et sa mise en difficulté sur le plan économique, que dans ces conditions, l’employeur aurait dû embaucher un pharmacien adjoint qui aurait permis à l’officine de fonctionner pendant son absence de cinq mois, que la lettre de licenciement ne permet pas d’apprécier précisément la situation de la société d’autant plus que la comparaison des résultats d’exploitation et des bénéfices ne permet pas d’établir la nécessité de la rupture pour motif économique, que les motifs économiques invoqués par l’employeur, soit une réorganisation de l’entreprise dans le but de sauvegarder sa compétitivité et l’existence de difficultés économiques sont contradictoires,

– l’employeur n’a pas justifié avoir accompli une quelconque recherche de reclassement la concernant de sorte qu’elle a manqué à son obligation, ce qui rend la rupture dépourvue de cause réelle et sérieuse.

L’Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 8], dans le dernier état de ses conclusions, demande à la cour de :

– réformer la décision rendue,

– dire et juger que le licenciement de Mme [V] [P] était bien fondé,

– débouter en conséquence Mme [V] [P] de sa demande de paiement d’indemnité de préavis, de congés payés sur préavis et de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– débouter Mme [V] [P] de sa demande de rappel de salaire et de paiement d’indemnité de licenciement,

– condamner Mme [V] [P] à payer à l’UNEDIC-AGS une somme de 13 150,45 euros au titre des sommes indûment perçues par elle, en application de l’article 1302 du code civil,

– confirmer la décision rendue en ce qu’elle a rejeté la demande de dommages et intérêts formulée par Mme [V] [P] au titre du préjudice moral lié au non-respect des règles en matière de durée du travail et rejeter la demande de dommages et intérêts résultant du non-paiement de ses salaires et indemnités,

– rejeter la demande de Mme [V] [P] tendant à considérer que l’AGS CGEA de [Localité 8] aurait renoncé à réclamer une quelconque somme à Mme [V] [P], dès lors que l’UNEDIC AGS CGEA de [Localité 8] aurait acquiescé au jugement selon certaines conditions qui auraient été acceptées par Mme [V] [P], dès lors que l’Eurl unipersonnelle pharmacie [N] a interjeté appel de la décision rendue et ce conformément à l’article 409 du code de procédure civile,

Subsidiairement, si la cour confirmait la décision rendue en considérant que le licenciement de Mme [P] était infondé :

– débouter Mme [V] [P] de sa demande de paiement d’indemnité de préavis et de congés payés sur préavis,

– apprécier le préjudice subi par Mme [V] [P] en application de l’article L.1235-3 du code du travail sachant que ces dommages et intérêts ne sauraient dépasser 6 mois de salaire,

– dire et juger que Mme [V] [P], à titre de dommages et intérêts résultant du non-paiement des salaires et indemnités, ne peut prétendre qu’au règlement d’intérêts de retard,

– faire application des dispositions législatives et réglementaires du code de commerce,

– donner acte à la Délégation UNEDIC et AGS de ce qu’ils revendiquent le bénéfice exprès et d’ordre public des textes légaux et décrets réglementaires applicables, tant au plan de la mise en ‘uvre du régime d’assurance des créances des salariés, que de ses conditions et étendues de garantie, plus précisément les articles L.3253-8, L.3253-17 et D.3253-5 du code du travail.

La Selarl Stephan Spagnolo, mandataire liquidateur de l’Eurl [N], appelé à la cause suivant assignation du 15 septembre 2022, n’a pas constitué avocat et n’a pas comparu à l’audience.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

MOTIFS :

Sur le licenciement pour motif économique :

Selon l’article L1233-3 du code du travail dans sa version applicable, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.

La réorganisation de l’entreprise constitue un motif économique de licenciement si elle est effectuée pour en sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient, et répond à ce critère la réorganisation mise en oeuvre pour prévenir des difficultés économiques à venir liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l’emploi, sans être subordonnée à l’existence de difficultés économiques à la date du licenciement ; les modifications des contrats de travail résultant de cette réorganisation ont eux-mêmes une cause économique ce qui implique que la compétitivité soit déjà atteinte ou menacée de manière certaine.

Il revient à l’employeur, sur qui repose la charge de la preuve, de produire des documents ou autres éléments qui établissent des signes concrets et objectifs d’une menace sur l’avenir de l’entreprise, autrement dit de démontrer le caractère inéluctable des difficultés économiques si la situation reste en l’état.

La seule intention de l’employeur de faire des économies ou d’améliorer la rentabilité de l’entreprise ne peut constituer une cause de rupture du contrat de travail.

Bien que le juge n’ait pas à se substituer à l’employeur dans les choix économiques, lesquels relèvent de son pouvoir de gestion, il doit toutefois vérifier que l’opération était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise.

En vertu de l’article L1233-16 du code du travail, la lettre de licenciement comporte l’énoncé des motifs économiques invoqués par l’employeur ; cette obligation légale a pour objet de permettre au salarié de connaître les limites du litige quant aux motifs énoncés.

Si la lettre de licenciement doit énoncer la cause économique du licenciement telle que prévue par l’article L1233-1 du code du travail et l’incidence matérielle de cette cause économique sur l’emploi ou le contrat de travail du salarié, l’appréciation de l’existence du motif invoqué relève de la discussion devant le juge en cas de litige.

Il en résulte que la lettre de licenciement qui mentionne que le licenciement a pour motifs économiques la suppression de l’emploi du salarié consécutive à la réorganisation de l’entreprise justifiée par des difficultés économiques et/ou la nécessité de la sauvegarde de sa compétitivité répond aux exigences légales, sans qu’il soit nécessaire qu’elle précise le niveau d’appréciation de la cause économique quand l’entreprise appartient à un groupe ; c’est seulement en cas de litige qu’il appartient à l’employeur de démontrer dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif invoqué.

Selon l’article 1232-6 alinéa 2 du même code, dans sa rédaction applicable, la lettre de licenciement comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur.

La jurisprudence a considéré que la cessation d’activité de l’entreprise résultant de sa liquidation judiciaire ne constitue pas un motif économique réel et sérieux lorsqu’elle est en rapport avec une faute ou une légèreté blâmable de l’employeur qui suppose une décision prise de manière inconsidérée en dépit des conséquences graves qu’elle peut entraîner.

S’il n’appartient pas au juge, vérifiant la réalité et le sérieux du motif économique invoqué à l’appui des licenciements, de se mettre à la place de l’employeur pour apprécier les choix de gestion pour évaluer la solution retenue au regard des finalités annoncées et la comparer aux autres solutions envisageables, cependant, l’employeur peut être sanctionné par le juge lorsqu’il a lui-même provoqué les difficultés économiques par des agissements fautifs allant au-delà des simples erreurs de gestion ; le licenciement est alors privé de cause réelle et sérieuse même si les difficultés économiques sont avérées.

La lettre de licenciement pour motif économique est suffisamment motivée si les motifs énoncés, sans être parfaitement explicites, sont «’matériellement vérifiables’».

En l’espèce, la lettre de licenciement datée du 22 juin 2018 qui fixe les limites du litige expose les difficultés dont fait état la société pour justifier le motif économique du licenciement de Mme [V] [P] :

‘ Nous vous adressons par la présente l’énonciation des motifs que vous avez refusé d’accuser réception lors de votre entretien du 19 juin 2018 avec le gérant M [K] [N].

En effet, nous envisageons de rompre votre contrat de travail par la suppression de votre poste en raison de difficultés économiques que nous connaissons mais également en raison de la nécessité de réorganiser l’entreprise afin de sauvegarder sa compétitivité.

Ainsi, conformément à l’article L1233-3 du code du travail :

‘Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d ‘au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;…

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité’.

Concernant les difficultés économiques auxquelles nous faisons face, ces dernières se caractérisent notamment par une baisse brutale et significative de notre chiffre d’affaires consécutive à la fermeture temporaire de notre entreprise par décision administrative.

Cette fermeture que nous considérons injustifiée et pour laquelle nous avons engagé toutes les voies de recours possible, a eu pour conséquence de priver l’entreprise de toute activité économique pendant plus de 5 mois, et par conséquent, nous contraignant à faire face à de graves difficultés économiques dans la mesure où nous devions procéder au règlement de nos charges et coûts d’exploitation sans pouvoir bénéficier du moindre chiffre d’affaires.

Malgré une décision judiciaire favorable de la cour d’appel de Nimes rendue le 14 mai 2018 qui nous a permis récemment de reprendre notre activité, nos difficultés économiques demeurent et se sont accrues du fait de l’absence de clientèle que nous devons reconquérir et une situation d’endettement qui menacent la survie de la société.

Cette situation économique et financière nous impose de maîtriser nos coûts d’exploitation.

C’est pourquoi, nous devons objectivement envisager une réorganisation complète de l’entreprise par la suppression de votre poste car le volume d’activité de notre sociéte ne nécessite plus la présence de salariés dont les fonctions et tâches seront réalisées directement par le gérant.

Cette réorganisation indispensable permettrait d’enrayer la dégradation actuelle des résultats de notre entreprise et de prévenir des difficultés ultérieures dans l’attente d’une reprise d’activité effective.

Nous avons recherché toutes les possibilités de reclassement dans l’entreprise.

Cependant, aucune solution n’a pu être trouvée, tant sur la création d’un poste que sur la réorganisation ou l’aménagement des emplois de l’entreprise, notre effectif et notre situation économique ne nous le permettant pas, même à temps partiel.

En conséquence et devant l’impossibilité à vous reclasser, ces motifs nous conduisent à envisager la suppression purement et simplement de votre poste, et ce, à fin de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise….’.

Il est constant que M. [K] [N] :

– a été placé sous contrôle judiciaire par le juge d’instruction de Mende suivant ordonnance du 20 décembre 2017 avec pour obligations, notamment : l’interdiction de résider en Lozère, l’interdiction d’exercer l’activité de pharmacien et d’entrer en relation avec Mme [A] [Y], ainsi que les autres employés et ex-employés de la pharmacie [N] par quelque moyen que ce soit,

– la chambre de l’instruction de Nîmes, par un arrêt du 09 mai 2018, a infirmé cette décision et a ordonné la mainlevée du contrôle judiciaire,

– l’Eurl [N] justifie avoir déposé une requête auprès du tribunal de commerce de Mende le16 avril 2018 aux fins de nomination d’un mandataire ad hoc laquelle n’a pas prospéré, le président du tribunal considérant que la demande était prématurée.

Les résultats comptables de l’Eurl [N] peuvent être synthétisés de la manière suivante, au vu des éléments produits aux débats :

exercice du 01/07/2015 au 30/06/2016

exercice du 01/07/2016 au 30/06/2017

exercice du 01/07/2017 au 30/06/2018

exercice du 01/12/2018 au 30/04/2019

vente de marchandises

1 337 567

1 383 474

617 686

109 796

chiffre d’affaires

1 471 057euros

1 535 991,03 euros

689 929 euros

110 535 euros

résultat net d’exploitation

174 292 euros

163 397 euros

83 477 euros

4 395 euros

Sur la motivation de la lettre de licenciement :

En premier lieu, il convient de constater que la lettre de licenciement est suffisamment motivée en ce qu’elle expose, d’une part, la nature des difficultés économiques que l’ Eurl [N] a rencontrées dans la période précédent la licenciement de Mme [V] [P], d’autre part, ses incidences sur le contrat de travail litigieux en mentionnant le projet de suppression de son poste de travail.

Par ailleurs, l’examen des documents comptables de l’Eurl met en évidence une baisse de 55% du chiffre d’affaires entre le 30 juin 2017 et le 30 juin 2018 et une baisse de 50% du résultat net d’exploitation sur la même période, baisses qui se sont poursuivies au cours de l’exercice suivant, lesquelles sont directement imputables à la fermeture de la société entre le 20 décembre 2017 et le 20 mai 2018.

Quant au second motif exposé par l’employeur, celui lié à la nécessité de sauvegarder la compétitivé de la société, il s’explique par une baisse drastique des commandes sur cette même période et par la nécessité de maîtriser les coûts d’exploitation, après la réouverture de la pharmacie, afin d’éviter un déficit du résultat d’exploitation.

Contrairement à ce que soutient le conseil de prud’hommes de Mende, la baisse significative de deux indicateurs de référence utilisés pour apprécier la bonne santé comptable et économique d’une entreprise, traduit la réalité des difficultés économiques de l’ Eurl [N] au moment du licenciement de Mme [V] [P], ce qui a par ailleurs justifié l’ouverture d’une procédure collective en septembre 2018.

En outre, M. [K] [N] justifie avoir sollicité le tribunal de commerce en avril 2018 pour que soit désigné un mandataire ad hoc, à laquelle il n’a pas été fait droit, de sorte qu’il ne peut pas lui être reproché de ne pas avoir embauché un pharmacien pendant sa période d’indisponibilité résultant de son contrôle judiciaire.

Enfin, s’il est de principe que l’employeur ne peut pas se prévaloir d’une situation économique qui résulte d’une ‘attitude intentionnelle et frauduleuse’ de sa part ou ‘d’une situation artificiellement créée résultant d’une attitude frauduleuse’, force est de constater, en l’espèce :

– d’une part, que l’Eurl [N] n’a pas été visée par l’enquête et la procédure pénale de sorte qu’aucune faute ou ‘légèreté blâmable’ ne peut être imputée dans les difficultés exposées ci-dessus,

– d’autre part, qu’à défaut d’avoir été condamné définitivement par une juridiction pénale pour les faits pour lesquels M. [K] [N] a été mis en examen, aucune faute ou légéreté blâmable ne peut être retenue à l’encontre de l’Eurl [N], et ce d’autant plus que son gérant conteste les faits qui lui sont reprochés dans le cadre de sa mise en examen, évoquant pour l’essentiel de simples erreurs.

Sur le reclassement :

L’article L1233-4 du code du travail dispose que le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L233-1, aux I et II de l’article L233-3 et à l’article L233-16 du code de commerce.

Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure.

L’employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l’ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

En l’espèce, Mme [V] [P] soutient que l’ Eurl [N] n’a jamais été en mesure de justifier des démarches de reclassement préalables qu’elle aurait accomplies, de sorte que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il n’est pas contesté qu’au moment du licenciement de Mme [V] [P], l’ Eurl [N] comprenait cinq salariés parmi lesquels le gérant, M. [K] [N], Mme [M] [C], M. [R] [E], M. [U] [O] et M. [G] [Z].

L’employeur indique dans la lettre de licenciement qu’aucune solution n’a pu être trouvée ‘tant sur la création d’un poste que sur la réorganisation ou l’aménagement des emplois de l’entreprise’ et précise que son effectif et sa situation économique ne le permettant pas, ‘même à temps partiel’.

Il convient de rappeler qu’il n’y a pas de manquement à l’obligation de reclassement si l’employeur justifie de l’absence de poste disponible, à l’époque du licenciement.

Compte tenu des effectifs réduits de l’entreprise au moment du licenciement de Mme [V] [P], 4 salariés en sus du pharmacien, soit 3 postes occupés par d’autres salariés que Mme [V] [P], il y a lieu de constater que l’employeur n’a pas manqué à son obligation de reclassement.

Mme [V] [P] sera déboutée de ce chef de demande et le jugement infirmé sur ce point.

Sur la demande de remboursement présentée par l’Unedic Ags au de rappel de salaires :

– pour la période du 1er janvier au 30 avril 2018 :

La force majeure permettant à l’employeur de s’exonérer de tout ou partie de ses obligations nées de la rupture du contrat de travail, s’entend de la survenance d’un évènement extérieur irrésistible ayant pour effet de rendre impossible la poursuite dudit contrat.

En l’espèce, il est constant que l’Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 8] a réglé à Mme [V] [P] la somme de 13 150,45 euros au titre des salaires du 1er janvier au 30 avril 2018, puis celle de 4 046,29 euros au titre des salaires du 11 mai 2018 au 19 juin 2018.

L’Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 8] prétend que la fermeture de la société résulte d’un cas de force majeure et du refus par le président du tribunal de commerce de désigner un mandataire ad hoc, que la société s’est donc retrouvée face à un événement qui a échappé à son contrôle imprévisible, ce qui justifiait la suspension de son obligation à l’égard de ses salariés.

S’il est constant que l’officine de pharmacie a été fermée pendant plusieurs mois en raison de l’impossibilité pour son gérant de poursuivre son activité professionnelle en raison d’interdictions imposées dans le cadre d’un contrôle judiciaire et du refus de voir désigner un administrateur ad hoc pendant sa période d’indisponibilité, il n’en demeure pas moins que la force majeure ne peut pas être invoquée au cas d’espèce, étant rappelé que des difficultés d’exécution, si importantes soient-elles, ce qui était manifestement le cas en l’espèce, ne suffisent pas à la caractériser, même si elles mettent en péril l’entreprise.

Il y a lieu de débouter l’Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 8] de ce chef de demande.

– pour la période du 1er mai 2018 au 10 juillet 2018 :

Mme [V] [P] soutient avoir été remplie partiellement de ses droits au cours de l’instance par l’Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 8] et sollicite la somme de 2 794,46 euros brut à titre de solde de congés payés et indemnité compensatrice de préavis, dont le principe et le montant ne sont pas sérieusement contestés par l’Unedic.

Il convient en conséquence de faire droit à la demande de Mme [V] [P] de ce chef de demande.

Sur la demande de dommages et intérêts présentée par Mme [V] [P] pour non-respect par l’employeur en matière de durée de travail :

Mme [V] [P] soutient avoir réalisé de nombreuses heures supplémentaires dont certaines n’ont pas été rémunées, avoir rencontré des difficultés pour prendre ses congés payés, avoir été amenée à dépasser régulièrement la durée maximale absolue de travail fixée à 48h par semaine, que cette situation est à l’origine d’un préjudice indemnisable, d’autant plus qu’elle travaillait dans un climat de tension extrême à l’origine d’un épuisement professionnel accompagné d’un état dépressif.

A l’appui de ses prétentions, Mme [V] [P] produit aux débats :

– un courrier qu’elle a adressé au gérant de l’Eurl daté du 08 janvier 2018 dans lequel elle indique qu’elle est en arrêt de travail depuis le 18 septembre 2017 et qu’elle avait rencontré des difficultés pour poser ses congés payés et a rappelé qu’elle avait accumulé à ce titre 69 jours ‘sur la période écoulée’,

– le reçu de tout compte qu’elle a signé le 06 août 2018 sur lequel est mentionnée la somme de 14 384,53 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,

– le bulletin de salaire de septembre 2015 qui mentionne 236,67 heures de travail effectuées,

– des avis d’arrêt de travail, initial, du 18 septembre 2017 et de prolongation, du 07 octobre 2017, du 10 novembre 2017, 18 décembre 2017 jusqu’au 26 janvier 2018 pour ‘burn out dû au travail’ ‘stress’, ‘dépression’, ‘anxiété’, et des attestations de paiement d’indemnités journalières par la caisse primaire d’assurance maladie de Lozère du 18 septembre 2017 au 26 janvier 2018.

S’il est incontestable que Mme [V] [P] a réalisé de nombreuses heures de travail, il n’est pas par contre établi que l’accumulation de congés payés résulterait d’un refus opposé par l’employeur à ses demandes de congés, et que l’état dépressif qu’elle a connu à compter de septembre 2017 résulterait d’une dégradation de ses conditions de travail ou d’une surcharge de travail, les mentions des médecins qui ont rédigé les avis d’arrêt de travail selon lesquels le ‘burn out’ est dû au travail ne procèdent d’aucune analyse médicale et résultent exclusivement des observations formulées par la salariée sur ce point.

Mme [V] [P] sera donc déboutée de ce chef de demande.

Sur la demande de dommages et intérêts pour non-paiement des salaires et indemnités :

Mme [V] [P] soutient qu’elle n’a jamais perçu de son employeur les salaires et indemnités dus pour la période de janvier à mai 2018, qu’elle n’a été réglée des sommes dues à ce titre par l’AGS qu’en cours de procédure, par courrier du 31 janvier 2019, soit 6 mois après la rupture de son contrat de travail, qu’elle s’est vue contrainte de saisir la juridiction prud’homale en référé pour être remplie de ses droits et qu’elle n’a bénéficié d’une prise en charge par Pôle emploi qu’à compter d’octobre 2018.

Mme [V] [P] justifie avoir dû effectuer des virements mensuels réguliers entre 1 000 et 1500 euros d’un compte d’épargne ouvert à la Caisse d’Epargne sur son compte courant, à compter du 05 mars 2018 et jusqu’au 02 janvier 2019, et avoir été indemnisée au titre de l’allocation d’aide au retour à l’emploi à compter du 04 octobre 2018.

Si ses salaires pour la période litigieuse lui ont bien été versés dans le cadre de la procédure collective par l’Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 8] en janvier 2019, le retard mis dans leur règlement est incontestablement pour la salariée à l’origine d’un préjudice notamment financier qui sera réparé par la somme de 3 000 euros.

Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière prud’homale et en dernier ressort ;

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Mende le 20 décembre 2019,

Statuant sur les dispositions réformées et y ajoutant,

Juge que le licenciement économique de Mme [V] [P] prononcé le 22 juin 2018 par l’ Eurl [N] est régulier et fondé,

Fixe les créances de Mme [V] [P] au passif de la liquidation judiciaire de l’Eurl [N] aux sommes suivantes :

– 2 794,46 euros à titre de solde de congés payés et d’indemnité compensatrice de préavis pour la période du 1er mai au 10 juillet 2018,

– 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour règlement tardif des salaires dus du 1er janvier au 10 juillet 2018,

Rappelle que l’AGS n’est redevable de sa garantie que dans les limites précises des dispositions légales des articles L. 3253-8 et suivants du code du travail, qu’au regard du principe de subsidiarité, elle ne doit sa garantie qu’autant qu’il n’existe pas de fonds disponibles dans la procédure collective et qu’elle ne garantit pas les montants alloués au titre l’article 700 du code de procédure civile,

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Déclare le présent arrêt commun et opposable à la Selarl Stephan Spagnolo, es qualité de mandataire liquidateur de l’Eurl [N],

Dit que les dépens de première instance et d’appel seront compris en frais de procédure collective.

Arrêt signé par le président et par la greffiere.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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