Épuisement professionnel : 1 mars 2023 Cour d’appel de Limoges RG n° 22/00365

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Épuisement professionnel : 1 mars 2023 Cour d’appel de Limoges RG n° 22/00365

ARRET N° 76

N° RG 22/00365 – N° Portalis DBV6-V-B7G-BIKSS

AFFAIRE :

M. [G] [D]

C/

Association ARSL SIEGE SOCIAL

PLP/MS

Demande d’indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

Grosse délivrée à Me Marie-laure SENAMAUD, avocat

COUR D’APPEL DE LIMOGES

CHAMBRE ECONOMIQUE ET SOCIALE

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ARRÊT DU 01 MARS 2023

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Le un Mars deux mille vingt trois la Chambre économique et sociale de la cour d’appel de LIMOGES a rendu l’arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :

ENTRE :

Monsieur [G] [D]

né le 10 Octobre 1973 à [Localité 4], demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Frédérique FROIDEFOND de la SELARL LABONNE ET ACDP, avocat au barreau de BRIVE

APPELANT d’une décision rendue le 15 MARS 2022 par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE LIMOGES

ET :

Association ARSL SIEGE SOCIAL, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Marie-laure SENAMAUD de la SELARL SELARL AUTEF-FETIS & SENAMAUD, avocat au barreau de LIMOGES

INTIMEE

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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l’affaire a été fixée à l’audience du 16 Janvier 2023. L’ordonnance de clôture a été rendue le 29 novembre 2022.

Conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, magistrat rapporteur, et Mme Géraldine VOISIN, Conseiller, assistés de Mme Sophie MAILLANT, Greffier, ont tenu seuls l’audience au cours de laquelle Monsieur Pierre-Louis PUGNET a été entendu en son rapport oral.

Les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients et ont donné leur accord à l’adoption de cette procédure.

Après quoi, Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 01 Mars 2023 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.

Au cours de ce délibéré, Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, a rendu compte à la Cour, composée de Monsieur Jean-Pierre COLOMER, Conseiller et de Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, et de lui même. A l’issue de leur délibéré commun, à la date fixée, l’arrêt dont la teneur suit a été mis à disposition au greffe.

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LA COUR

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EXPOSE DU LITIGE :

M. [D] a été engagé par l’ASSOCIATION DE REINSERTION SOCIALE DU LIMOUSIN (l’ARSL) dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à compter du 12 juin 2017 en qualité de directeur adjoint du pôle insertion logement.

Dans le cadre de ses fonctions, il a reçu différentes délégations et habilitations en lien avec le fonctionnement dudit pôle.

Du 24 janvier au 22 février 2019, il a été placé en arrêt maladie. Il a de nouveau été arrêté du 4 mars au 13 mai 2019.

Par la suite, des échanges ont eu lieu au sujet d’une possible rupture conventionnelle, sans aboutir.

Par un courrier du 28 mai 2019, il a été convoqué à un entretien préalable et s’est vu notifier une mise à pied conservatoire.

Le 25 juin 2019, M. [D] a été licencié pour faute grave aux motifs de manquements à son obligation de loyauté et de fidélité ainsi que pour avoir outrepassé le périmètre des délégations. La lettre de licenciement faisait également mention de manquements relevant de l’insuffisance professionnelle.

Par une lettre du 9 juillet 2019, il a sollicité des précisions quant aux motifs de son licenciement, courrier auquel l’employeur a répondu le 23 juillet suivant.

M. [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Limoges par une demande reçue le 20 mars 2020, aux fins de voir requalifier son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’obtenir la condamnation de l’employeur au paiement de diverses sommes à titre indemnitaire.

Par jugement du 15 mars 2022, le conseil de prud’hommes de Limoges, considérant que les griefs formulés dans la lettre de licenciement étaient caractérisés, a :

– jugé le licenciement pour faute grave de M. [D] justifié ;

– débouté M. [D] de sa demande d’annulation de la mise à pied conservatoire ;

– débouté M. [D] de ses demandes :

* au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés-payés afférents ;

* au titre de l’indemnité légale de licenciement ;

* au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* au titre de rappel de salaire pour la période correspondant à la mise à pied à titre conservatoire et des congés-payés afférents ;

* au titre des dommages-intérêts pour préjudice moral ;

– condamné M. [D] aux entiers dépens ;

– dit n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

M. [D] a interjeté appel de la décision le 12 mai 2022, son recours portant sur l’ensemble des chefs de jugement.

Aux termes de ses écritures du 10 juin 2022, M. [D] demande à la cour de :

– réformer le jugement dont appel ;

– dire ses demandes recevables et bien fondées ;

Y faisant droit, de :

– juger que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse ;

– ordonner l’annulation de la mise à pied à titre conservatoire ;

– condamner l’ARSL à lui verser les sommes suivantes :

* 17 884,12 € d’indemnité compensatrice de préavis ;

* 1 788,41 € d’indemnité de congés payés sur préavis ;

* 2 684,77 € d’indemnité légale de licenciement ;

* 16 108,64 € au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse correspondant à 3,5 mois de salaire ;

* 27 614,82 € au titre du préjudice moral distinct correspondant à 6 mois de salaire ;

* 4 158,54 € à titre de rappel de salaire pour la période du 28 mai 2019 au 25 juin 2019 correspondant à la mise à pied à titre conservatoire ;

* 415,85 € d’indemnité de congés payés sur rappel de salaire ;

* 3 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– ordonner que les sommes auxquelles sera condamnée l’ARSL porteront intérêt au taux légal à compter de la réception de la convocation en conciliation par celle-ci pour les créances salariales et de la décision à intervenir pour les créances indemnitaires ;

– condamner l’ARSL aux entiers frais et dépens.

Il soutient que :

– son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, les faits rapportés dans la lettre de licenciement étant mensongers, certains étant en tout état de cause prescrits car remontant au mois de juillet 2018 et février 2019 ;

– ni le fait d’avoir candidaté auprès d’un autre employeur sans en avoir préalablement informé la direction générale de l’association, ni le fait d’avoir répondu à un courrier de l’UDAF ou à une demande du Parquet (éléments n’excédant en rien les délégations), ne constituent des fautes, a fortiori graves ;

– il a exécuté ses missions dans un contexte de travail particulièrement difficile au regard du climat délétère régnant au sein de l’association, ayant été écarté sans motif de différentes missions ;

– son licenciement n’a pas été fait dans le respect des dispositions statutaires, aucune délibération du conseil d’administration ne l’ayant autorisé, la convention collective applicable ayant également été violée puisque son licenciement disciplinaire a été prononcé sans qu’il ai préalablement fait l’objet d’une sanction. L’exigence d’un délai restreint pour la mise en place de la procédure de licenciement pour faute grave n’a pas été respecté ;

– un préjudice moral distinct existe au regard de la brutalité de la rupture, préjudice dont il est fondé à obtenir l’indemnisation.

Aux termes de ses écritures du 28 juillet 2022, l’ARSL demande à la cour de :

– confirmer le jugement dont en appel en toutes ses dispositions ;

– débouter M. [D] de l’ensemble de ses demandes ;

– condamner le même au paiement de la somme de 2 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Elle soutient que :

– le licenciement pour faute grave de M. [D] est parfaitement régulier et justifié. Elle fait valoir que le président de l’association a compétence pour notifier un licenciement en l’absence de dispositions statutaires contraires ;

– si le grief relatif à la postulation du salarié dans une autre association ne constitue pas à lui seul une faute grave, le fait de mentir délibérément à son employeur comme l’a fait M. [D] constitue un agissement fautif de sa part, notamment au regard de son niveau hiérarchique et de ses responsabilités ;

– M. [D] a outrepassé le périmètre de ses délégations alors que celui-ci avait très clairement été établi au travers de sa fiche de poste et que le salarié avait déjà fait l’objet de rappels à l’ordre écrits sur ce point. En ce sens, l’employeur évoque les mails échangés avec l’UDAF ainsi qu’avec le Parquet de Limoges en mai 2019 ;

– les faits fautifs antérieurs peuvent être pris en compte en ce qu’ils témoignent d’une persistance des faits fautifs ;

– à titre subsidiaire, le licenciement est également justifié par l’insuffisance professionnelle de M. [D], ce dernier ayant fait preuve de carences professionnelles (défaut d’avancement du projet d’établissement, de respect des directives de la direction), rien n’interdisant à l’employeur d’invoquer dans la lettre de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié ;

– les griefs formulés par M. [D], notamment un prétendu épuisement professionnel du fait d’un climat de travail dégradé, sont infondés.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 29 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

1/ Sur la rupture du contrat de travail :

Tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse (article L 1232-1 du code du travail).

La faute grave, selon une jurisprudence constante, est celle qui autorise le licenciement pour motif disciplinaire en raison d’un fait ou d’un ensemble de faits, imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations du travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien d’un salarié dans l’entreprise.

C’est à l’employeur, qui invoque l’existence d’une faute grave, d’en rapporter la preuve.

C’est au regard des motifs énoncés dans la lettre de licenciement que sont fixées les limites du débat et que s’apprécie son bien fondé.

En l’occurrence M. [G] [D] a été licencié pour faute grave pour avoir manqué à son devoir de loyauté et avoir outrepassé le périmètre de ses délégations, motifs d’ordre disciplinaire, ais également en raison de son insuffisance professionnelle.

Au stade de la procédure d’appel la régularité de la procédure de licenciement n’est pas contestée par M. [D] aux termes des demandes contenues dans le dispositif de ses conclusions.

1/ Sur le manque de loyauté :

L’employeur reproche à M. [D], un agissement fautif en ce qu’il lui a délibérément menti à propos de l’existence, alors qu’il était en arrêt-maladie, d’une postulation de sa part à un autre poste au sein d’une autre association. Il aurait répondu à la directrice de L’ARSL, qui l’interrogeait à ce sujet, que telle n’était pas son intention.

Il sera au préalable relevé que l’employeur n’a eu connaissance exacte et complète des faits qu’il qualifie de mensonge commis par M. [D] au sujet de cette candidature, qu’au mois d’avril 2019 et après confirmation implicite par le salarié de la réalité de sa postulation, par courrier du 23 mai 2019, de sorte que le délai de prescription de deux mois pour l’engagement des poursuites disciplinaires, institué par l’article L 1332-4 du code du travail, ne peut lui être utilement opposé, M. [D] ayant fait l’objet d’une mise à pied conservatoire le 28 mai 2019.

La réalité de cette candidature de M. [D] lorsqu’il a été interrogé à ce sujet par la directrice générale de L’ARSL résulte de l’attestation de la présidente de l’association ‘La Providence’ qui précise qu’il a été reçu les 10 et 17 décembre 2018 dans le cadre d’entretiens de recrutement. Quant à son mensonge il l’a implicitement mais sans équivoque reconnu dans son propre courrier du 23 mai 2019 aux termes duquel il rappelle que la directrice générale lui a reproché d’avoir fait acte de candidature dans une association sans l’en avoir informé, et il pose la question ‘Un salarié n’en a-t-il pas le droit ».

M. [D] occupait un poste de Directeur Adjoint du Pôle Insertion logement, statut cadre dirigeant-directeur adjoint. Il était membre de l’équipe d’encadrement et faisait partie des trois directeurs adjoints de la structure. Il était placé sous l’autorité directe de la Directrice générale de l’ARSL. Sa fiche de poste de délégation DA PIL actualisation juin 2017qu’il a signée le 12 juin 2017 mentionne au paragraphe « Objectif principal du poste’: le Directeur adjoint est membre du Comité de Direction de l’Association. A ce titre il doit adhérer aux valeurs défendues par l’Association et aux buts définis par elle dans ses statuts, ainsi qu’avoir une attitude de loyauté et de confiance vis-à-vis de ses responsables ».

Compte tenu du niveau hiérarchique qu’occupait M. [D], de son statut, de ses responsabilités, des termes de sa fiche de poste lui rappelant l’exigence de loyauté dont il devait faire preuve envers ses responsables, de l’importance que représentait pour son employeur son départ, de l’impact de celui-ci sur le fonctionnement de l’association, le fait d’avoir dissimulé à ce dernier qui l’interrogeait expressément à ce sujet, qu’il avait été reçu en entretien de recrutement par une autre association, constitue un manquement à son obligation de loyauté envers son employeur.

A elle seule cette faute n’était toutefois pas d’une gravité telle qu’elle rendait impossible son maintien dans l’entreprise. Elle ne constitue pas d’avantage une cause réelle et sérieuse de licenciement.

2/ Sur le respect par M. [D] des limites de ses délégations :

La fiche de poste et délégation de M. [D] était ainsi rédigée :

« Représentations interne et externe :

Il est tenu de fournir à la Direction Générale la liste des instances et des réunions où il représente son pôle dans le cadre de ses fonctions à l’ARSL et en faire de même pour les représentations assurées pour ses équipes par des membres de son personnel.

Une concertation avec la Direction Générale doit être établie pour toutes participations à des instances et/ou réunions à l’extérieur.’

Sa fiche de délégation mentionnait également :

« Pour une durée indéterminée, la Directrice générale délègue à M. [G] [D], qui l’accepte expressément, ses pouvoirs et attributions en matière :

– De rédaction et mise en ‘uvre des projets d’établissements ou de services et d’amélioration des pratiques du pôle Insertion Logement dans le cadre des directives données par la Direction générale,

– De mise en ‘uvre des missions, de la gestion des activités et des projets de développement de son pôle,

– De gestion des ressources humaines de son pôle,

– De suivi des budgets accordés à son pôle,

– De représentation du pôle à la demande de la Directrice Générale.’

En ce qui concerne ses pouvoirs de représentation, l’article 7 indiquait :

‘Mr [G] [D] a la capacité de représenter son pôle. Cette représentation s’effectue en concertation avec la Directrice Générale.

Pour le fonctionnement, il a capacité d’engager son pôle par la signature de documents contractuels, et conventions. Sont exclus de la délégation tous documents engageant l’Association dans sa globalité.

Si un engagement amenait à des modifications substantielles de l’activité ou générerait des surcoûts sur les budgets autorisés, de par sa nature ou son montant, et plus généralement si elle conduisait à des prises de risque de gestion inhabituels par rapport à l’activité courante, l’accord de la Directrice Générale serait nécessaire. (‘) ».

Dans la lettre de licenciement de M. [D] il lui est fait grief d’avoir adressé des informations de nature particulièrement sensible au substitut du procureur, sans demande écrite préalable de la part de ce dernier. Il lui est reproché, eu égard à la confidentialité des informations qu’il avait communiquées, d’avoir pris des engagements à cet égard sans avoir obtenu l’accord préalable de sa Direction.

M. [D] estime qu’il a agi dans son rôle de Directeur adjoint du Pôle Insertion Logement, en respectant ses attributions, rappelant que l’hébergement d’urgence est l’une des missions du CHRS [2], qu’il avait informé par mail en date du 14 mai 2019 la Directrice générale de ce besoin d’hébergement et qu’il ne pouvait aller à l’encontre d’une réquisition émise par le parquet.

Toutefois il sera en premier lieu relevé que M. [D] a communiqué ces informations au Parquet le 16 mai 2019, sans justifier de l’existence d’une réquisition écrite, laquelle est en date du 20 mai 2019. Dans un message du 21 mai 2019 il explique qu’il n’avait pas pu obtenir de commande écrite de la part du substitut du procureur mais qu’ ‘ afin de ne pas mettre ne péril les coopérations à l’oeuvre avec la parquet et les magistrats et ne pas entraver le travail lié à la procédure j’ai finalement traité sa demande favorablement.’. En agissant ainsi non seulement M. [D] s’abstenait d’informer la Directrice générale d’une réquisition judiciaire mais en outre il avait conscience qu’il engageait l’association dans un coopération avec la parquet sur des modalités procédurales dont il estimait lui-même qu’elles étaient discutables puisqu’il avait insisté en vain pour obtenir des réquisitions écrites.

Si M. [D] justifie avoir mis en copie sa Directrice de la réponse qu’il a faite au Parquet le 16 mai 2019, il ne justifie pas l’en avoir au préalable informée, ni lui avoir fait part de la réponse qu’il envisageait de faire, à une réquisition dont au demeurant il n’avait pas de support écrit. Or ni ses attributions ni ses délégations ne l’autorisaient à s’affranchir d’en référer à sa hiérarchie et encore moins d’y répondre de sa propre initiative sans concertation préalable.

En outre, dans un courriel du 17 mai 2019, réagissant à la copie de la réponse que M. [D] avait faite au parquet, Mme [C] , la Directrice générale, lui a fait part de ses questionnements et demandé des précisions sur ‘la demande, la pratique habituelle, l’existence d’un écrit’, en lui rappelant que lorsqu’ils avaient des demandes particulières sur des dossiers de personnes accompagnées elles étaient systématiquement renvoyées à la Direction Générale pour réponse. Cette pratique lui avait d’ailleurs été expressément rappelée par Mme [C] dans un courriel du 15 mai 2019.

Cependant, malgré ces claires directives, quelques jours après, le 28 mai 2019, en réponse cette fois à des enquêteurs intervenant en exécution d’une commission rogatoire, lesquels lui avaient demandé s’il était possible de procéder à l’audition d’une personne dans les locaux du CHRS [2], et l’informait que deux de ‘ses salariés’ seraient entendus dans les locaux du SRPJ de [Localité 3], M. [D], sans en référer préalablement à Mme [C], simplement mise en copie de son courriel, leur répondait qu’il était très favorable à l’idée de poursuivre leur collaboration et prenait acte de cette audition dans les locaux du CHRS.

En effectuant cette réponse, dans un domaine qui outrepassait ses attributions et dépassait les limites de ses délégations, s’agissant de sollicitations émanant des autorités judiciaires, sans en référer au préalable à son supérieur hiérarchique, et en méconnaissant le rappel des directives qui lui avait été fait quelques jours auparavant au sujet de la nécessité d’informer la Directions générale de ce type de demandes, M. [D] a commis une violation réitérée des obligations découlant de son contrat de travail.

De surcroît l’ARSL rappelait, dans la lettre de licenciement, qu’il ne s’agissait pas d’un comportement isolé puisque, lors de l’arrêt-maladie de M. [D], son employeur avait découvert que ce dernier avait répondu, le 11 septembre 2018, sans avoir informé sa Directrice, à une lettre émanant de la nouvelle présidente de l’UDAF HAUTE-VIENNE qui l’informait de son élection à ce poste.

Il n’appartenait pas à M. [D], directeur adjoint, de répondre, comme il l’avait fait à ce partenaire essentiel de l’ARSL en lui communiquant l’organigramme général de cette dernière qui recensait notamment l’existence des autre pôles que celui dont il était le directeur adjoint.

Si M. [D] a communiqué ce courrier à sa Direction, il ne l’a pas informée de la réponse qu’il avait faite sous sa signature, mais qui, par sa teneur, était censée être faite au nom de L’ARSL comme en atteste la mention de son nom faite à la troisième personne.

Il s’agit d’une faute, moins grave que la précédente, mais qui révèle le non-respect antérieur par M. [D] des limites ses attributions.

Aucune prescription de cette faute ne peut être utilement invoqué par M. [D] dès lors qu’il s’agit certes d’un courrier en réponse qui remonte au mois de septembre 2018 mail dont l’ARSL n’a découvert l’existence qu’ultérieurement, lorsque lui-même a été placé en arrêt maladie du 5 mars au 12 mai 2019. En outre l’employeur peut sanctionner des faits dont il a eu connaissance plus de 2 mois avant l’engagement des poursuites, dès lors que le comportement du salarié s’est poursuivi ou réitéré pendant ce délai, comme c’est le cas en l’occurrence.

Pour la même raison de réitération de faits de même nature, l’ARSL était en droit, dans sa lettre de licenciement, d’évoquer les rappels à l’ordre qui lui avaient été adressés, notamment pour avoir, au mois de juillet 2018, organisé une réunion de l’ensemble du personnel en présence d’un financeur dont sa direction n’avait été informée que par un concours de circonstances.

Le 11 juillet 2018, Mme [C] avait adressé à M. [D] des observations écrites compte tenu de son comportement. Elle avait relevé qu’il résultait du compte rendu de cette réunion que l’intégralité de l’équipe était présente avec le financeur ce qui n’était pas conforme aux directives associatives, qu’avait été évoquée une demande de deux places supplémentaires pour les grands marginaux dont elle n’avait pas été tenue informée, et qu’il avait été question de l’organisation d’une réunion interrégionale des structures de LHSS par l’ARSL avec une demande de financements à l’ARS.

Mme [C] terminait son courrier en rappelant à M. [D] les limites de ses délégations dans ces termes :

‘- Vous avez délégation dans le champ du fonctionnement normal de vos établissements et devez m’informer de tous projets que vous souhaitez mener sur votre pôle pour validation, avant d’engager les démarches auprès des financeurs et des équipes,

– Vous avez délégation concernant l’exécution des budgets prévisionnels validés par le conseil d’administration, la négociation de nouveau financements relève de l’attribution de la direction générale,

– En termes de représentation auprès des partenaires, la direction générale doit être tenue informée de la liste des représentations effectuées pour le compte de l’ARSL dans le cadre de vos fonctions.

Ces agissements pourraient avoir des conséquences sur l’image de notre association vis-à-vis des partenaires financeurs.

Par conséquent je vous demande de vous reporter strictement à votre document de délégation et de reprendre votre chef de service, si nécessaire, sur ces points. Je ne souhaite plus avoir à vous faire de rappel sur le champ de ces délégations. Si tel n’était pas le pas, je prendrai les mesures qui s’imposent à mon niveau.’

Il s’agit d’observations écrites, lesquelles, aux termes de la Convention Collective, constituent l’antécédent nécessaire à l’engagement d’une procédure de licenciement disciplinaire.

Ce n’est que parce que la responsable administrative de L’ARSL, Mme [A], a demandé communication de l’ordre du jour de cette réunion qu’elle a appris que le financement par l’ARS de l’établissement LHSS devait être abordé, et qu’elle a pu avoir connaissance des enjeux de cette réunion, qui dépassaient les attributions et délégations de M. [D].

L’intention de M. [D] de participer à une telle réunion, sans en aviser sa direction, constituait un manquement contractuel, et une violation de sa fiche de poste et de délégation dont les termes ont été précédemment rappelés.

En dépit de la clarté des observations émises par Mme [C] contenant un rappel fait à M. [D] de respecter le périmètre de ses délégations, quatre mois après, M. [D] fixait d’initiative, sans en informer sa directrice, une date de réunion avec la Banque alimentaire, ce qui conduisait Mme [C] à lui rappeler, par courriel du 20 novembre 2018, qu’il devait consulter le siège avant de répondre directement à un partenaire.

M. [D] affirme qu’il a progressivement été privé par la Directrice générale de son autonomie et de certaines de ses fonctions mais n’en justifie pas.

Il ne faut pas confondre l’autonomie nécessaire à un directeur adjoint pour réaliser efficacement et sereinement ses missions et le respect des délégations qui lui sont octroyées par son employeurs. La réalité des faits constitutifs des griefs reprochés à M. [D] ne révèlent pas une atteinte à son autonomie dans son activité professionnelle mais un dépassement réitéré de ses attributions et délégations.

Les directeurs adjoints des autres Pôles de l’ARSL témoignent d’ailleurs de l’autonomie qui leur était laissée dans le cadre de leurs fonctions et de la confiance accordée par la directrice générale, Mme [C] à ce titre (attestations de M. [U] et de Mme [I]).

En définitive, la gravité de la faute commise par M. [D] le 28 mai 2019 dans sa réponse faite aux fonctionnaires du SRPJ de [Localité 3] doit s’apprécier au regard de celle, de même nature qu’il avait faite quelques jours auparavant en répondant au substitut du procureur mais également en fonction des précédents qui viennent d’être rappelés, lesquels avaient toutes valu à M. [D] un clair recadrage de la part de sa Direction quant aux limites de ses délégations et de son pouvoir de représentation.

3/ Sur le grief relatif à l’insuffisance professionnelle :

L’employeur peut invoquer un motif disciplinaire lié à une faute grave et un motif tiré d’une insuffisance professionnelle ( Cass. soc., 17 oct. 2018, n° 17-13.431.).

En l’occurrence L’ARSL a ajouté aux griefs d’ordre professionnel reprochés à M. [D] des faits d’insuffisance professionnelle dans le cadre de ses missions, notamment celle qui représentait l’un des axes majeurs depuis son arrivée en fonction, la mise en ‘uvre du projet d’établissement dans le cadre du « logement d’abord ».

Si un état des lieux a bien été réalisé par M. [D] et présenté aux équipes du CHRS [2] le 5 décembre 2017, faute d’avoir ensuite établi un plan d’action pour sa mise en oeuvre, la Directrice générale a dû organiser une réunion à cet effet le 16 février 2018, malgré laquelle les progrès n’ont pas été perçus et un comité de pilotage des risques psychosociaux a révélé une défaillance du management de M. [D].

Ainsi Mme[Y] [H] (éducatrice spécialisée) atteste que ‘malgré les déclarations d’intention, les échanges entre l’équipe et le directeur adjoint ont été particulièrement difficiles, il n’y avait ni communication ni concertation. Nos questions sur les changements à venir restaient sans réponse. Nous recevions quelques mails de directives qui ne nous étaient pas expliqués en réunion … le bilan du COPIL mettait en évidence une conduite du changement perçue comme brutale où les échanges étaient insuffisants.’

« Les nouvelles directives n’étaient pas cohérentes avec celles de l’ancienne direction ni en

accord avec le projet d’établissement (2016 2021). Nous nous trouvions dans des situations

d’injonctions contradictoires…La manière de manager l’équipe a eu des conséquences considérables sur l’ambiance d’équipe. En effet, les injonctions paradoxales, les décisions prises sans aucune procédure écrite contribuaient à semer du doute et de l’incertitude dans l’équipe ».

Selon M. [K], éducateur spécialisé,« C’est ainsi que le projet d’établissement, élaboré pour la période 2016/2021 a été qualifié de « caduc » par le Directeur Adjoint du Pôle Insertion Logement (ndlr = M. [D]) peu de temps après sa prise de fonction, sans qu’aucun autre document de référence ne soit proposé à l’équipe pluridisciplinaire. Les appels incantatoires au changement, l’absence de formalisation d’outils suffisamment opérationnel le peu de place laissée à la dimension participative, ne sont de mon point de vue pas de nature à participer à la création d’un climat professionnel serein ».

Au mois de septembre 2018, Mme [C] mandatait Mme [L] [A] pour qu’elle suive la mise en ‘uvre de ce projet d’établissement et soutienne la partie « ressources humaines » à réaliser. Le 10 octobre 2018, cette dernière restituait un tableau de suivi du plan d’action indiquant que 95% des actions n’avaient pas été mises en ‘uvre.

Mme [A] a dû reprendre la partie Ressources Humaines du plan d’action afin d’aider M. [D] et d’avancer sur les actions.

M. [D] était absent pour arrêt maladie, jusqu’au 13 mai 2019 ce qui a permis la mise en place de la moitié du plan d’action et a confirmé la défaillance de M. [D] dans son management, sans qu’il puisse utilement invoquer désormais l’absence de directeur du pôle Insertion-Logement.

Durant la période d’absence de Monsieur [G] [D] du 24 janvier au 1er avril 2019, la Directrice générale, a assuré son intérim, en plus de ses fonctions habituelles et à compter du 1er avril 2019, son absence se prolongeant, les membres de l’ARSL qui suppléaient M. [D], ont constaté l’ampleur des manquements dans la gestion des établissements et services du pôle insertion logement.

Mme [C] en a établi un relevé de ces dysfonctionnements au mois d’avril 2019 :

– D’ordre général :

o Défaut dans le management de proximité opéré vis-à-vis des équipes :

projets proposés laissés en souffrance, défaut d’informations concernant la vie associative, peu d’accompagnement au changement (beaucoup d’instructions données sans suivi dans le temps, difficulté à relayer des informations claires et compréhensibles) entraînant un manque de motivation et une lassitude des équipes,

o Manque d’informations pertinentes communiquées à la Direction générale (fonctionnement des services et représentations extérieures) pas de remontée particulière quant aux tensions relevées au CHRS [2] ou aux difficultés de mise en application des directives données,

o Non application des directives données par la Direction générale concernant le plan d’action pour la mise en ‘uvre du projet d’établissement sans remontée de difficultés particulière lors des suivis d’activité, et concernant la réalisation d’une procédure de caisse pour le CHRS [2].

M. [D] invoque les félicitations de la Directrice générale pour le travail qu’il a accompli, comme par exemple, le 3 décembre 2017, mais c’était peu de temps après son arrivée et en fonction de l’établissement du diagnostic et du plan d’action, ce qui ne contredit aucunement les critiques ultérieures au sujet de la mise en oeuvre de ce dernier.

Par ailleurs s’il est établi que M. [D] est arrivé dans un ‘contexte particulièrement difficile en raison du climat délétère qui régnait au sein de l’association et des nombreux changements de personnel qui ont déstabilisé les équipes et coupé toute dynamique de travail’ (attestations de M. [X] cadre socio-éducatif, de Mme [J], ancienne Chef de service, compte rendu du CSE du 19 mars 2019) il n’en demeure pas moins que M. [D] occupait un poste de ‘ cadre dirigeant-directeur adjoint’ en adéquation avec les missions qui lui incombaient et les délégations qui lui étaient attribuées eu égard à son expérience de dix-neuf années dans l’encadrement lors de son recrutement et de sa qualification (titulaire d’un Certificat d’Aptitude aux fonctions de Directeur d’Etablissement ou de service d’intervention sociale-CAFDES).

Au sujet de l’épuisement professionnel allégué par M. [D] en raison d’une charge de travail excessive, laquelle n’est nullement médicalement prouvée, il ne démontre pas avoir alerté sa hiérarchie à ce sujet, et sa réalité est contredite par l’excellence de ses résultats sportifs comme en atteste sa participation, le 3 mars 2019, au trail de Vulcain Ultra de 73 km après plus de 13 heures de course à pied, moins de dix jours après la fin d’un arrêt de travail.

4/ Synthèse

La réitération d’un comportement fautif de M. [D] le 28 mai 2019, en ce qu’il constituait un nouveau dépassement des limites de ses délégations, après qu’il eut reçu plusieurs injonctions de son employeur d’avoir à les respecter dont l’une intervenue moins d’une semaine auparavant, dans un contexte d’insuffisance professionnelle et de déloyauté envers son employeur, représente une faute, pour un cadre dirigeant, d’une gravité telle qu’elle rendait impossible son maintien dans l’entreprise et justifiait sa mise à pied à titre conservatoire qui lui fut notifiée le 29 mai 2019.

Le jugement entrepris mérite d’être confirmé en ce qu’il a jugé justifié le licenciement pour faute grave de M. [D].

5/ Sur les demandes annexes

M. [D], qui n’obtient pas gain de cause en appel prendra en charge les dépens de cette instance et l’équité commande de le condamner à verser à l’ASSOCIATION DE REINSERTION SOCIALE DU LIMOUSIN , contrainte d’engager des frais pour faire valoir ses justes droits, une indemnité de 1 500 €, sans remettre en cause la décision de première instance qui avait débouté cette société de la demande qu’elle avait présentée de ce chef.

—==oO§Oo==—

PAR CES MOTIFS

—==oO§Oo==—

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré rendu le 15 mars 2022 par le conseil de prud’hommes de Limoges ;

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [G] [D] aux dépens de la procédure d’appel ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [D] à verser à l’ASSOCIATION DE RÉINSERTION SOCIALE DU LIMOUSIN une indemnité de 1 500 €.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Mandana SAFI. Pierre-Louis PUGNET.

 


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