COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION B
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ARRÊT DU : 01 juin 2023
SÉCURITÉ SOCIALE
N° RG 21/00941 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-L6GR
CPAM DE LA GIRONDE
c/
Madame [V] [M] [P]
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :
La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d’huissier).
Certifié par le Directeur des services de greffe judiciaires,
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 janvier 2021 (R.G. n°20/00483) par le Pole social du TJ de BORDEAUX, suivant déclaration d’appel du 10 février 2021.
APPELANTE :
CPAM DE LA GIRONDE agissant en la personne de son directeur domicilié en cette qualité en siège social [Adresse 2]
représentée par Me Jessica GARAUD substituant Me Françoise PILLET de la SELARL COULAUD-PILLET, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
Madame [V] [M] [P]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Elise BATAIL, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 mars 2023, en audience publique, devant Madame Sophie Lesineau, conseillère chargée d’instruire l’affaire, qui a retenu l’affaire
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Paule Menu, présidente
Madame Sophie Lésineau, conseillère
Madame Cybèle Ordoqui, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.
Exposé du litige
La société [3] a employé Mme [M] [P] en qualité de vendeuse.
Le 7 juin 2019, Mme [M] [P] a établi une déclaration de maladie professionnelle accompagnée d’un certificat médical initial en date du 18 juin 2018 et mentionnant un ‘État dépressif dû au stress professionnel ».
La caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde (la caisse en suivant) a notifié à Mme [M] [P] un refus de prise en charge de cette maladie au titre de la législation sur les risques professionnels, au motif que la pathologie ne figure pas aux tableaux des maladies professionnelles et que l’état de santé de l’assurée justifie un taux d’incapacité permanente prévisible inférieur à 25 %.
Mme [M] [P] a saisi la commission de recours amiable de la caisse qui a maintenu le rejet par une décision du 7 janvier 2020.
Le 6 février 2020, Mme [M] [P] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de contester la décision de la commission de recours amiable.
Par jugement du 14 janvier 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux a :
– dit que le taux d’incapacité permanente prévisible résultant de la maladie hors tableau ayant fait l’objet du certificat médical initial du 18 juin 2018, déclarée le 7 juin 2019, était supérieur à 25% ;
En conséquence,
– fait droit au recours de Mme [M] [P] à l’encontre de la décision de la commission de recours amiable de la caisse, en date du 7 janvier 2020 ;
– rappelé que le coût de la consultation médicale était à la charge de la caisse nationale d’assurance maladie ;
– dit que chacune des parties conserverait la charge de ses propres dépens.
Par déclaration du 10 février 2021, la caisse a relevé appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions, enregistrées le 13 mars 2023 la caisse demande à la cour :
– de la recevoir en ses demandes, fins et conclusions et l’en déclarer bien fondée ;
À titre principal :
– d’infirmer le jugement rendu le 14 janvier 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux en toutes ses dispositions ;
– de débouter Mme [M] [P] de ses demandes et juger le taux d’incapacité permanente de Mme [M] [P] à la suite de la maladie professionnelle déclarée le 7 juin 2019 inférieur à 25% ;
– de condamner Mme [M] [P] au paiement de la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens ;
À titre subsidiaire et avant dire droit :
– d’ordonner une expertise médicale confiée à un médecin psychiatre expert aux fins de fixer le taux d’incapacité prévisible de Mme [M] [P] au regard du barème indicatif d’invalidités annexé au code de la sécurité sociale ;
– réserver les dépens.
La caisse soutient que l’évaluation effectuée par le docteur [H] n’a pas tenu compte de l’important état antérieur présenté par Mme [M] [P] ni de l’accident vasculaire cérébral dont elle a été victime en 2019 dont il est résulté une aphasie mal supportée.
Aux termes de ses dernières conclusions, en date du 15 mars 2023, Mme [M] [P] sollicite de la cour qu’elle :
– confirme le jugement rendu le 14 janvier 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux ;
– déboute la caisse de l’ensemble de ses demandes ;
– condamne la caisse au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Mme [M] [P] se prévaut du procès-verbal de consultation rédigé par le docteur [H] qu’elle estime particulièrement circonstancié. Elle soutient avoir fait part de son mal-être au travail lors d’un entretien réalisé le 13 août 2019 par le médecin-conseil de la caisse et elle excipe plusieurs certificats médicaux évoquant un stress d’origine professionnelle.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées et oralement reprises.
Motifs de la décision
L’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale dispose que toute maladie désignée dans un tableau des maladies professionnelles et contractée dans les conditions qui y sont mentionnées est présumée d’origine professionnelle.
Une maladie non désignée dans un desdits tableaux peut également être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne son décès ou une incapacité permanente prévisible évaluée dans les conditions mentionnées à l’article L. 434-2 du code précité et au moins égale à un pourcentage déterminé.
En application de l’article R 461-8 du même code, ce taux est fixé à 25 %.
Conformément aux dispositions des articles L. 434-2 et R.434-32 du code de la sécurité sociale, le taux d’incapacité permanente partielle d’un assuré victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est déterminé d’après la nature de son infirmité, son état général, son âge, ses facultés physiques et mentales mais aussi d’après ses aptitudes et qualifications professionnelles compte tenu de barèmes d’invalidité annexés au code précité.
En l’espèce, la caisse fonde principalement son appel sur une note de son médecin-conseil, le docteur [L], qui expose :
– qu’il ressort de l’interrogatoire mené par le service médical de la caisse le 13 août 2019 que Mme [M] [P] ne présentait pas de signes péjoratifs de la lignée dépressive (« est bien moralement même si cette histoire l’a minée », « appétit bon », « se balade, voit des amis, sa famille », pas d’idées noires) ;
– que l’assurée présente une dépression récurrente sans lien avec le travail et dont le début est estimé au 1er août 2015 ;
– que la dépression déclarée en 2019 par la requérante a été causée par son licenciement et non par le travail en lui-même, selon le certificat médical du 3 avril 2019 ;
– que Mme [M] [P] a signifié son soulagement s’agissant de ce licenciement ;
– que l’intimée a également été victime, en avril 2019, d’un accident vasculaire cérébral ayant entraîné un tableau dépressif sévère avec idées suicidaires du fait de sa déchéance physique.
Le docteur [L] conclut à un état dépressif aux origines multiples, qui ne peut justifier un taux d’incapacité permanente partielle d’au moins 25 % s’agissant de la partie en lien avec son emploi de vendeuse au sein de la société [3].
S’il est constant que Mme [M] [P] présentait un état antérieur important, il y a lieu de relever que cela a toujours été en lien direct avec son activité professionnelle. Le protocole de soins établi le 27 mars 2017 fait ainsi état d’une « dépression grave sans symptômes psychotiques : trouble dépressif sévère à type de burn out », ce qui signifie que le risque professionnel était identifié depuis longtemps.
De plus, le docteur [S] indique, dans un certificat du 18 avril 2019, que l’assurée, vendeuse depuis huit ans, lui a fait part d’un ‘environnement délétère et insécure’ du fait d’un premier plan de licenciement collectif en 2016 et d’un second en 2018, suivis d’une liquidation judiciaire en 2019.
Le soulagement exprimé par Mme [M] [P] suite à son licenciement, relevé dans les conclusions de la caisse, s’entend en ce que l’assurée, qui était alors représentante syndicale, s’est trouvée en première ligne de ces évènements.
De plus, si le docteur [E] évoque, dans un certificat médical du 5 juin 2019, une dépression sévère suite à un licenciement professionnel, il la relie à une dégradation progressive des conditions de travail à compter de 2016, en raison des plans sociaux amorcés.
La dépression a été diagnostiquée plusieurs mois après l’établissement du certificat médical initial constatant un « état dépressif dû au stress professionnel ».
Mme [M] [P] a commencé à travailler au sein de l’enteprise [3] en 2011, soit bien avant que sa dépression ne se déclenche.
Le médecin-consultant désigné par le tribunal fait état, dans son procès-verbal de consultation, d’une rechute de syndrome dépressif sur épuisement professionnel avec aboulie, anhédonie, auto dépréciation marquée, pessimisme, attaques de panique, isolement social et insomnie.
Enfin la caisse ne justifie d’aucun fait étranger au travail à l’origine de son état de santé de Mme [M] [P].
Compte-tenu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer le jugement rendu le 14 janvier 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux.
Sur les dépens et les frais irrepétibles
En application de l’article 696 du code de procédure civile, la caisse qui succombe, sera condamnée aux dépens de la procédure d’appel. Elle sera également condamnée à verser à Mme [M] [P] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code précité.
Par ces motifs
La cour,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 janvier 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux ;
Y ajoutant,
Condamne la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde à verser à Mme [M] [P] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde aux dépens de la procédure d’appel.
Signé par Madame Marie-Paule Menu, présidente, et par madame Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
S. Déchamps MP. Menu